Jeunesse (trad. Bienstock)/Chapitre 6

Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 2p. 27-29).


VI

LA CONFESSION


Distrait par ces réflexions et par d’autres du même genre, je retournai au divan, alors que tous y étaient déjà réunis, et que, debout, le confesseur se préparait à lire la prière précédant la confession.

Mais, dès que, au milieu du silence général, retentit la voix expressive et sévère du moine lisant la prière, et que surtout, s’adressant à nous, il prononça les paroles : Avouez tous vos péchés sans honte, sans détour, sans justification et votre âme se purifiera devant Dieu, et si vous cachez quelque chose, ce sera un grand péché, chez moi reparut le sentiment de crainte respectueuse que j’avais éprouvé le matin à la pensée de l’auguste sacrement que j’allais recevoir. J’éprouvais même du plaisir à avoir conscience de cet état, et je m’efforcais de le retenir en arrêtant toutes les idées qui me revenaient en tête et en m’évertuant à avoir peur de quelque chose.

Papa, le premier, alla se confesser. Il resta très longtemps dans la chambre de grand’mère, et en attendant, nous tous, dans le divan, nous nous taisions, ou discutions en chuchotant sur le point de savoir qui de nous passerait le premier. Enfin on entendit de nouveau la voix du moine qui lisait la prière et le pas de père. La porte grinça et il sortit en toussotant, avec son tic habituel et sans regarder aucun de nous.

— Eh bien ! maintenant, va, Luba, et prends garde, dis tout. Tu es ma grande pécheresse, — fit gaiement papa en lui pinçant la joue.

Lubotchka pâlit et rougit, tira son billet de son tablier, l’y remit et, la tête enfoncée dans les épaules, comme si elle eût attendu un coup venant d’en haut, elle franchit la porte. Elle ne resta pas longtemps. Quand elle sortit de là, ses épaules étaient secouées par des sanglots.

Enfin, après la jolie Katenka, qui en souriant traversa la porte, mon tour vint. Avec la même frayeur sourde et le désir conscient de l’exciter en moi de plus en plus, j’entrai dans la chambre, à demi éclairée. Le confesseur était debout devant le pupitre, il tourna lentement son visage vers moi.

Je ne restai pas plus de cinq minutes dans la chambre de grand’mère, et j’en sortis heureux, et selon mes convictions d’alors, tout à fait pur, moralement transformé en un homme nouveau. Bien que je fusse désagréablement frappé des vieilles formes de la vie, des mêmes chambres, des mêmes meubles, de ma figure toujours la même (j’aurais voulu que tout à l’extérieur de moi fût changé comme l’était mon âme), je conservai cetle quiétude d’esprit jusqu’au moment où je me mis au lit.

Je m’endormais en me remémorant tous les péchés dont je m’étais purifié, quand tout à coup je me souvins d’un péché honteux, que j’avais caché à confesse. Les paroles de la prière d’avant la confession me revinrent à l’esprit et longtemps emplirent mes oreilles. Toute ma tranquillité disparut d’un coup… « et si vous cachez quelque chose, ce sera un grand péché… » entendais-je sans cesse, et je me vis si grand pécheur qu’aucune punition n’était suffisante pour moi. Pendant longtemps, je me retournai d’un côté sur l’autre en réfléchissant à ma situation et en attendant d’une minute à l’autre le châtiment de Dieu et même la mort subite, ce qui me causait un effroi indicible. Mais aussitôt il me vint une lumineuse idée : à l’aube, à pied ou en voiture, j’irai au couvent, chez le confesseur, et je me confesserai de nouveau. Et je me tranquillisai.