Éditions Édouard Garand (48p. 59-63).

CHAPITRE XVII

L’ATTAQUE


Les premières lueurs de l’aube blanchissaient lentement la nuit.

En observant le plus grand silence, sans que le moindre bruit fût produit, les bandes iroquoises entourèrent le village Saint-Ignace.

Tout dormait.

Là, on n’apercevait pas une seule sentinelle. Une mince palissade de pieux seulement protégeait la bourgade et ses habitants. Pour les Iroquois c’était un jeu d’enfant.

L’Araignée jeta un ordre bref.

Deux cents haches aussitôt attaquaient la palissade. Aux premiers coups de cognée le village entier bondit sur ses pieds ; mais aux deuxième, troisième et quatrième coup des brèches étaient pratiquées. Les premiers guerriers hurons de la bourgade n’avaient pas encore décroché l’arc et saisi le carquois, que déjà trois cents Iroquois faisaient irruption par les brèches en lançant un formidable cri de guerre.

L’épouvante s’empara des malheureux hurons.

L’ennemi parcourait le village. À la porte de la palissade et aux brèches des Iroquois étaient apostés tuant sans pitié ceux qui voulaient s’enfuir. Les premiers guerriers hurons, une trentaine, qui essayèrent la résistance, furent en un moment désarmés et faits prisonniers.

Ce fut l’affreuse panique qui se propagea en quelques secondes parmi les cent-quatre-vingts habitants de la bourgade.

Ce fut court ; après le cri féroce des Iroquois retentit le cri d’effroi et de désespoir de la bourgade. Le massacre commença. La plupart des enfants et des femmes furent tués dans leurs lits. Mais on tuait le moins possible les guerriers qu’on réservait pour les poteaux de torture. Puis toute la bourgade flamba aux cris de joie poussés par les guerriers de l’Araignée.

Cela avait duré dix minutes.

Trois hurons avaient échappé à la boucherie en réussissant à escalader la palissade. et dans une course effrénée ils avaient pris le chemin de la bourgade Saint-Louis.

Sept autres hurons avaient aussi été épargnés, mais ceux-là parce qu’ils avaient fait cause commune avec l’ennemi.

L’Araignée leur avait dit :

— Si vous me dites où se trouve le Père Noir, (il entendait Gabriel Lalemant) je vous laisserai la vie !

Ces hurons avaient répondu que Gabriel Lalemant était à la bourgade Saint-Louis où il avait passé la nuit.

Lorsque le feu eut été mis à toutes les huttes et bâtiments quelconques, l’Araignée laissa cent hommes pour garder à vue les prisonniers et avec le reste de sa bande il partit pour Saint-Louis. Les flammes de la bourgade éclairaient sa marche.

Marie essaya de le détourner de son projet.

— N’es-tu pas assez vengé, ô grand chef ?

— Non ! répondit sourdement l’Araignée.

Et il jeta à la jeune fille un regard sanglant.

La bande courait, silencieuse encore, vers la bourgade Saint-Louis.

Mais là on avait été prévenu par les trois Hurons échappés au massacre de la bourgade Saint-Ignace.

En quelques minutes tout le monde fut sur pied. On voyait dans le ciel pâle semé d’étoiles du matin le bûcher de Saint-Ignace refléter ses lueurs rouges. On entendait les crépitements des flammes, on percevait les chants joyeux des guerriers iroquois chargés de surveiller les prisonniers.

Jean de Brébeuf fut le premier debout, et le premier il organisa la défense. De son côté Gabriel Lalemant aidait aux femmes et aux enfants à préparer leur fuite ; car Jean de Brébeuf avait décidé qu’il ne restât dans la bourgade que les guerriers.

La surprise fut inouïe quand il fut constaté que Marie n’était pas dans la bourgade. Jean de Brébeuf pensa avec amertume :

— La malheureuse aura une fois encore tenté de sauver sa tribu, mais vainement, parce que l’Araignée n’entend pas renoncer à sa vengeance. Ô fille noble et sainte ! que le bon Dieu te récompense éternellement pour ton généreux et inutile sacrifice !…

À ses yeux perla une larme qu’il essuya rapidement.

Il comprenait bien maintenant que la jeune huronne n’avait pas rêvé, qu’elle avait bien vu et reconnu l’Araignée sur la palissade. Il se reprochait de n’avoir pas cru les affirmations de la jeune fille. En admettant la vérité de ces affirmations aurait-il pu quand même sauver les deux villages et leurs habitants ? Non. Il ne se doutait pas que l’ennemi fût si rapproché. Il aurait attendu au lendemain pour organiser la défense, comme il se l’était proposé la veille de ce jour d’accord avec Gabriel Lalemant. Non… car l’Araignée arrivait comme un coup de foudre. Il ne restait plus qu’à faire face à l’événement, qu’à combattre le danger.

Il se recommanda à Dieu et se mit à l’œuvre.

Gaspard Remulot l’aidait.

Les Hurons n’avaient pas d’armes à feu pour faire la chasse, ils n’usaient que leurs arcs et leurs flèches qu’ils maniaient avec beaucoup d’habileté. Mais Jean de Brébeuf avait obtenu de M. de Montmagny trente fusils, de la poudre et des balles. Ce matériel de guerre avait été amené par Gaspard Remulot et Jean Huron à la bourgade en grand mystère, pour ne pas exciter la convoitise de certains guerriers hurons dont le dévouement n’était pas trop sûr. Ces armes et ces munitions avaient été enfouies dans un trou creusé dans le sol sous le toit du missionnaire, elles étaient là pour servir à la défense de la bourgade en cas d’attaque par les Iroquois.

Sur l’ordre de Jean de Brébeuf, Gaspard déterra vivement ces armes et en fit la distribution parmi les meilleurs guerriers. La vue de ces armes ranima une confiance qui chancelait déjà parmi ces hurons timides. Ceux qui n’avaient pas de fusils saisissaient à la hâte leurs arcs et leurs carquois et montaient aux plateformes pour recevoir l’ennemi.

Il n’y avait pas cent guerriers hurons contre les quatre cents Iroquois qui s’approchaient rapidement. Mais ces quatre-vingts guerriers, après le premier émoi, se raidirent, leur courage revint devant le courage que montrait le Père Noir, et ils attendirent de pied ferme le choc des Iroquois. Plusieurs de ces braves hurons avaient même voulu que les deux missionnaires accompagnassent les femmes et les enfants dans leur fuite vers la forêt. Mais Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant avaient refusé énergiquement.

— Nous sommes les chefs, avait répondu Jean de Brébeuf, et les chefs restent avec leurs soldats !

Les préparatifs de défense n’étaient pas encore terminés, les femmes et les enfants n’avaient pas tous quitté le village et le jour avait à peine grandi, que les premières bandes iroquoises firent leur apparition de l’autre côté des abatis. Elles aperçurent avec surprise les guerriers hurons sur les plateformes, l’arc tendu ou le fusil à l’épaule. Elles jetèrent un cri effroyable et grimpèrent comme avec rage sur les abatis.

— Feu ! nom d’un tonnerre ! rugit Gaspard en tirant le premier.

Cette vive mousqueterie ébranla les échos de la forêt. Une dizaine d’Iroquois tombèrent sous ces premières balles.

Mais déjà une terrible riposte éclatait du côté de la forêt : cent guerriers iroquois avaient mis en joue les guerriers hurons sur les plateformes. Gaspard vit tomber cinq ou six de ses meilleurs tireurs.

Il lança un juron d’humeur et ordonna de recharger les armes.

Les Iroquois franchissaient déjà les abatis et entouraient rapidement la bourgade. En même temps une grêle de balles et de flèches se mit à tomber sur les guerriers hurons déjà désemparés.

Des haches attaquaient avec fureur la palissade. Les coups redoublés se confondaient avec le crépitement de la mousqueterie, le sifflement des flèches, les cris, les gémissements. Les Hurons tentaient vainement par des projectiles de toutes sortes d’éloigner l’ennemi de la palissade, parce que des balles et des flèches parties des cimes des arbres de la forêt semaient la mort parmi eux. À un moment on eût dit que chaque pin, chaque cèdre, chaque chêne donnait asile à un iroquois. Les flèches et les balles plongeaient de tous côtés dans la bourgade. L’espace continuait de retentir de cris féroces, de hurlements de bêtes fauves. La forêt elle-même tremblait de toutes parts. Dans la bourgade on n’entendait plus qu’un râle d’agonie. Plus de la moitié des guerriers hurons était tombée, la plupart horriblement atteints par les balles et les flèches.

Gabriel Lalemant secondait Jean de Brébeuf dans son saint ministère. Tous deux s’occupaient des blessés. Ils entendaient les confessions et absolvaient au nom de Dieu. Ils baptisaient les catéchumènes après avoir pansé leurs blessures. Les femmes qui n’avaient pas eu le temps de prendre la fuite lançaient des cris déchirants, serraient avec épouvante leurs enfants contre leur sein et criaient à Brébeuf :

— Sauve-nous, Ekon, sauve-nous !…

Jean de Brébeuf, toujours calme et souriant dans la tempête affreuse, les faisait rentrer dans leurs huttes, les apaisait et les fortifiait.

Gaspard continuait à soutenir le courage de ses guerriers hurons.

Mais bientôt la palissade craqua de tous côtés, vingt brèches au moins furent pratiquées à la fois, et trois cents Iroquois s’élancèrent à l’intérieur en brandissant leurs couteaux et leurs tomahawks et en criant. Ils apparaissaient comme une bande de démons surgis de l’enfer. Du côté de la forêt la palissade s’écroula. Et Jean de Brébeuf qui, à ce moment, se trouvait près de là, aperçut debout sur les abatis, bras croisés comme toujours, impassible et sombre, l’Araignée. Il regardait le carnage sans émotion.

Des Hurons, sur l’ordre de Gaspard, le mirent en joue de leurs fusils et de leurs arcs, mais ils le manquèrent. Le jeune chef esquissa un sourire dédaigneux. Gaspard allait recommencer, quand il jugea qu’il était trop tard : toute la bourgade était envahie et déjà les Iroquois tuaient à coups de haches et de tomahawks les femmes et les enfants.

L’affreuse boucherie recommençait.

Jean de Brébeuf, avons-nous dit, avait aperçu l’Araignée et l’avait reconnu dans la grisaille du matin. Mais ses yeux perçants avaient aussi découvert, en arrière du jeune chef, la silhouette de Marie. La jeune fille était seule et attachée à un arbre.

Le missionnaire courut à Gaspard, lui montra Marie et lui dit :

— Mon ami, tout est perdu. Mais avant que tout soit fini, je veux te demander de me faire le dernier plaisir : tâche de gagner inaperçu la forêt, cours à Marie et sauve-la… sauve-la, Gaspard, pour l’amour de Dieu !

— Je la sauverai, Père ! promit Gaspard avec énergie.

À cet instant, une bande de sauvages ayant aperçu le missionnaire accourait vers lui en rugissant et en brandissant leurs armes sanglantes. Gaspard saisit son fusil par le canon, s’en fit une massue et tête baissée se rua contre la bande. Il passa au travers, la renversant, la désemparant. Il gagna une brèche pratiquée du côté nord. La brèche était déserte. Gaspard la franchit et, se mettant à ramper au travers des abatis, réussit à gagner la lisière de la forêt sans être vu. Il fut bientôt derrière l’arbre auquel Marie était attachée. Il trancha ses liens, prit la jeune fille dans ses bras et détala à toute course dans la forêt. Il ne lui avait fallu que dix minutes pour accomplir cet exploit. Il avait eu deux regrets en quittant la bourgade : de ne pas être suivi de Jean de Brébeuf et de n’avoir pas eu une autre balle pour l’Araignée.

Quant à celui-ci il continuait de regarder avec une impassibilité de statue l’œuvre féroce de ses guerriers. Mais soudain, comme mû par une idée mystérieuse, il tourna son regard vers l’arbre où il avait fait attacher la jeune huronne. En constatant la disparition de la jeune fille un cri effrayant sortit de sa gorge. Il lança un poing menaçant vers le ciel, bondit et se rua dans la bourgade.

Le combat était fini. Tous les guerriers hurons étaient morts ou grièvement blessés, et ceux-ci étaient achevés sans pitié à coups de hache par les Iroquois. Là, on n’avait fait aucun prisonnier. Les femmes et les enfants avaient tous été massacrés. Et déjà quelques cabanes sous la torche incendiaire commençaient à flamber.

L’Araignée, en pénétrant dans le village, se trouva face à face avec un de ses lieutenants.

— Où est le Père Noir ? demanda-t-il rudement.

— Là, répondit le lieutenant. J’allais te chercher pour te le donner.

— Bien. Prends vingt guerriers et suis-moi !

Il marcha rapidement vers la chapelle que lui avait montrée son guerrier.

Jean de Brébeuf y était entré depuis quelques instants. Après qu’il eut donné l’ordre à Gaspard de sauver Marie, et voyant que la bourgade tombait aux mains des ennemis, il avait songé à sauver du sacrilège les saintes espèces. Il courut à la chapelle, renversant sur son passage deux ou trois bandes d’Iroquois, entra, verrouilla la porte et s’élança vers le tabernacle. En peu de temps il eut pris les saintes espèces. Puis il les enveloppa pieusement dans un linge et les dissimula dans un trou à côté de l’autel. Il achevait de combler le trou de terre, lorsque la porte de la chapelle tomba sous la hache des Iroquois.

— Prenez le rugit l’Araignée qui venait en tête.

Debout au milieu de la chapelle, calme et souriant Jean de Brébeuf dit :

— Allons, mon fils, je vois que tu as la partie. Mais il en est une autre que tu ne tiens pas encore…

Et d’un geste grave et imposant il montra le ciel.

L’Araignée fit entendre un grognement sourd et désigna encore une fois le missionnaire à ses guerriers qui se jetèrent sur lui avec des cris de fureur. Ils firent pleuvoir sur ses larges épaules qui ne ployèrent pas, une grêle de coups de tomahawks, puis ils lui lièrent les mains derrière le dos à l’aide d’une mince lanière de peau de cerf. Et ils serrèrent si fort que le sang jaillit des poignets.

Puis la bande hurlant comme des dogues enragés entraîna le prisonnier dehors, pendant qu’un sauvage porteur d’une torche résineuse mettait, le feu à la chapelle.

Tout le village retentissait des cris de victoire des iroquois. D’un coup de tomahawk sur la tête, ou d’un coup de couteau au cœur ils achevaient des blessés qui avaient échappé à leurs regards farouches, puis avec une dextérité prodigieuse ils enlevaient la chevelure de ces cadavres pour l’accrocher ensuite toute dégouttante de sang à leurs ceintures. De toutes parts la neige était rougie de sang qui fumait en se congelant. Le soleil se leva radieux sur cette scène horrible. Des cadavres de femmes mises à nu gisaient çà et là percés de coups, mutilés. Des enfants apparaissaient éventrés, et l’horreur et l’épouvante étaient marquées sur leurs visages. Des membres de corps humains, et des têtes aux yeux hagards et horrifiés séparées du tronc étaient éparpillés çà et là. Des chairs sanglantes palpitaient encore. Et autour de ces cadavres, de ces chairs, de ces membres humains, des bandes de sauvages dansaient en hurlant.

L’Araignée, son prisonnier et son escorte traversèrent cette scène hideuse pour gagner l’autre extrémité du village où se trouvait le plus gros de la bande sanguinaire. Mais vers le milieu de la bourgade l’escorte se heurta à une troupe qui traînait aussi à sa suite un prisonnier : c’était Gabriel Lalemant.

Pâle, tout taché du sang des blessés qu’il avait secourus, tremblant sous le froid piquant du matin, le jeune missionnaire jeta à Jean de Brébeuf un regard éperdu. Droit, ferme, impassible, ce dernier souriait doucement à son assistant. Devant cette force et ce courage, Gabriel Lalemant se raidit.

— Mon fils, dit Jean de Brébeuf, le jour de gloire est arrivé… Hosanna !

Les sauvages poussèrent brutalement les deux missionnaires vers la porte de la palissade.

L’Araignée jeta un nouvel ordre. Aussitôt une cinquantaine de sauvages armés de torches coururent aux cabanes et mirent le feu partout. Cinq minutes après toute la bourgade brûlait. Les Iroquois jetaient les morts dans le brasier en hurlant de joie, et souvent ceux qu’ils croyaient morts étaient vivants encore, et dans les tortures du feu ils trouvaient la force de pousser un dernier cri de souffrance. À un moment la chaleur devint si intense qu’il fallut évacuer la bourgade. Alors l’Araignée donna l’ordre de reprendre le chemin de Saint-Ignace.

Les deux missionnaires furent séparés : Gabriel Lalemant fut entraîné à l’avant de la colonne, et il était escorté de six démons qui ne cessaient de l’injurier.

Jean de Brébeuf venait à l’arrière avec l’Araignée. Derrière le missionnaire marchaient quatre Iroquois, le tomahawk à la main, prêts à massacrer le Père Noir s’il faisait mine de prendre la fuite à travers bois.

— Le Père Noir est-il content ? interrogea ironiquement l’Araignée.

— Oui, je suis content, mon fils, parce que c’est la volonté de Dieu, et, tu vois, je ne me plains pas ! Mais toi, je te plains, parce que même dans ton triomphe tu es mécontent !

— Comment le sais-tu ? demanda l’indien avec colère.

— Parce que je lis dans ton âme !

Et Jean de Brébeuf plongea son regard pénétrant et serein dans les yeux troublés du jeune chef.

— Tu te trompes, chien, je suis content… plus content que toi et ton Dieu !… Et la preuve, c’est que je veux avoir pitié de toi !

— Je ne demande pitié qu’à mon souverain Maître, répondit doucement le missionnaire.

— Écoute, reprit brutalement le jeune Iroquois. Dis-moi qui m’a enlevé ma prisonnière !

— Marie ?

— Madonna, oui.

— Je ne le dirai pas !

— Je te ferai grâce, si tu le dis.

— Non ! Je ne demande pas grâce.

— Tu t’obstines ?

— Je n’ai rien à dire, voilà tout.

— Prends garde !

— Je ne crains que mon Dieu, quand je manque à mon devoir.

L’Araignée se mit à ricaner, chose qui lui arrivait rarement.

— C’est bon, dit-il avec indifférence. Tu ne veux pas parler, mais je sais quand même qui a enlevé Madonna… c’est le chasseur blanc !

Le missionnaire ne répliqua pas.

L’indien se rapprocha de lui et, terrible, souffla :

— Je le sais, mais je veux te le faire dire. Je veux te dompter. Tu parleras…

— Non, mon fils.

— Écoute, c’est ta dernière chance de salut : si tu refuses de te soumettre à ma volonté, je te ferai torturer tant et si bien que tu te jetteras à mes pieds pour les embrasser et implorer ma clémence.

Jean de Brébeuf le regarda un moment de ses yeux pleins de douceur et de charité, et répondit en souriant toujours :

— Va, mon fils, j’attends tes tortures ; car alors je pourrai te prouver que Dieu est plus puissant que tous les pouvoirs de la terre !

L’Araignée leva une hache qu’il portait à sa main droite. Le missionnaire s’arrêta et dit :

— Frappe, j’attends !

L’indien ne put soutenir le regard du prisonnier, il détourna la tête, recula et fit entendre un cri rauque. Puis brutalement il fit pousser Jean de Brébeuf en avant vers les autres bandes qui couraient en poussant des cris dont tremblait la forêt entière. Là bas, à travers les arbres, on pouvait apercevoir déjà une épaisse fumée qui s’évaporait dans l’espace : c’était le village Saint-Ignace qui achevait de se consumer.