Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France/Chapitre XVI

CHAPITRE XVI


L’œuvre du progrès intérieur. — La construction des navires. — Les chantiers de la rivière Saint-Charles. — Le commerce avec les Antilles, — Industries diverses. — Le chanvre, la toile, les étoffes, les cuirs. — La brasserie et la fabrication de la bière. — La potasse. — Le goudron. — Une lettre de Colbert. — Les mines de cuivre et de fer. — Relations commerciales avec Boston. — Quelques critiques à l’adresse de Talon, relativement au commerce. — Sa défense. — Le mouvement de la population, de 1669 à 1672. — Les mariages. — Les filles venues de France. — Les expéditions d’animaux domestiques. — Talon et les communautés religieuses. — La jeunesse canadienne et l’éducation. — Abondance de travail. — Progrès de l’agriculture et de la colonisation. — Situation prospère de la colonie.


Dans le chapitre précédent, nous avons surtout étudié le rôle de Talon, durant sa seconde intendance, au point de vue des affaires extérieures, de la politique générale, du développement de l’influence franco-canadienne par les explorations, les découvertes et les négociations. Mais il ne consacra pas exclusivement ses efforts à ces importants objets, et ne négligea pas l’œuvre de progrès intérieur poursuivie par lui de 1665 à 1668.

La construction des navires, dont nous l’avons vu s’occuper si activement durant son premier terme d’office, obtint encore une large part de sa sollicitude. Peu de jours après son arrivée, en 1670, il rendait une importante ordonnance pour la préservation des bois propres aux constructions maritimes. Il y annonçait que le roi, voulant établir au Canada des ateliers de marine, y avait envoyé des charpentiers experts. Et il défendait d’abattre les chênes, les ormes, les hêtres, et les merisiers, jusqu’à ce que ces ouvriers eussent fait dans les différentes localités leur inspection et leur choix. Le tout à peine de cinquante livres d’amende. Un règlement plus ample devait être porté ultérieurement sur cette matière[1]. Comme corollaire de cette ordonnance, Talon introduisit dans tous les actes de concession de fiefs accordés par lui, de 1670 à 1672, la condition que le concessionnaire conserverait, sur son domaine, les bois de chênes propres à la construction des vaisseaux et stipulerait la même réserve dans les concessions qu’il ferait à son tour. Par l’une de ses réponses à l’instruction du roi, faites après son arrivée à Québec, en 1670, on voit qu’il se proposait de faire border de jeunes chênes le Saint-Laurent, et de faire semer des glands sur les rivages du fleuve.

Durant l’année 1670, trois vaisseaux construits au Canada avaient été envoyés aux Antilles pour faire le commerce[2]. Outre du poisson vert et sec, des pois, de l’anguille, du saumon, de l’huile, des madriers, des planches, Talon y avait fait charger de la bière, de l’orge, du houblon, et cinq barriques de farine canadienne. Plusieurs autres étaient sur le chantier en 1671. Malgré leur tonnage peu considérable — il y en avait un de 50 et un autre de 35 tonneaux, — Colbert consentit à les faire bénéficier de la prime de construction promise par le roi. « Quoique ceux que vous me marquez soient bien petits, écrivait-il, le 11 février 1671, puisque vous les estimez nécessaires pour la pêche, la communication de l’Acadie et le commerce des îles, vous pouvez donner les gratifications accordées par l’arrêt que vous trouverez ci-joint à ceux qui entreprendront de pareilles constructions ; à quoi il n’y a rien de si important que d’exciter les habitants, vu que, par ce moyen, ils se déchargeront des marchandises qui leur sont superflues et qu’ils rapporteront chez eux celles qui leur seront utiles et dont ils auront un prompt débit[3]. »

Talon avait proposé au roi l’échange d’un vaisseau. Ce bâtiment, trop pincé et de trop petit fond, n’était pas d’un port assez considérable pour le commerce des îles. L’intendant s’en était néanmoins servi pour cet objet, et cette expérience lui avait coûté trois mille livres. Mais le même navire, léger et bon voilier, pouvait être utile à la marine royale comme brûlot ou porte-nouvelles. Talon l’estimait à 10,000 livres ; si le roi voulait le prendre à ce prix, et ajouter une somme égale, l’intendant achèterait en Hollande un vaisseau de 300 tonneaux qui pourrait avantageusement servir aux relations commerciales entre le Canada et les Antilles. Colbert consulta M. de Terron à ce propos ; mais le navire qu’il s’agissait d’échanger s’étant ouvert dans le havre de Dieppe sous le poids d’une cargaison de sucre, par un imprudent échouement, cet accident termina l’affaire[4].

Outre les navires entrepris par des particuliers, l’intendant en faisait construire à Québec pour le compte du roi. Il avait ordonné d’exploiter tous les bois dont on aurait besoin, soit pour achever ces navires, soit pour les charger de pièces susceptibles de servir aux constructions navales dans les ports du royaume[5]. Un fonds de 40,000 livres avait été affecté à cette fin dans le budget extraordinaire de 1671. « Je vous prie, disait Colbert, de le ménager avec beaucoup d’économie et d’envoyer promptement ces bâtiments chargés de bois en France, afin que cet exemple puisse convier les habitants du pays à s’appliquer au commerce maritime[6]. »

Talon avait établi les chantiers du roi sur les bords de la rivière Saint-Charles, dans un endroit qui semblait prédestiné pour la construction des navires. Il en faisait la description suivante : « Je ne dois pas cacher que si ce pays a suffisamment de bois (ce qu’on espère), que la mine de fer se vérifie aussi bonne qu’elle paraît abondante, que le faiseur de goudron ne trompe pas en ce qu’il a promis, toute l’ancienne France ne peut donner à Sa Majesté ce que Québec a dans son voisinage, un platon d’une assez vaste étendue qui tombe sur la rivière Saint-Charles avec vingt pieds de pente, qui conduit à un chenail (chenal) que j’ai fait sonder et qui s’est trouvé avoir 15 pieds d’eau de marée haute, qui se réduit à trois de basse mer. Cette rivière, qui contourne, fait des coudes fort sûrs et dans lesquels les vaisseaux peuvent être à couverts de tous vents, et, de l’endroit choisi pour l’atelier, n’a qu’une portée de canon jusqu’au chenail du fleuve Saint-Laurent. J’ai fait baliser et sonder ce chenail par six capitaines de vaisseaux qui étaient à la rade. Et ce que je dis (ce que je n’avance qu’avec peine pour ne rien faire espérer qui n’ait un succès entier) est l’avis et le sentiment de ces hommes de mer, que je rends dans la pureté. Ils n’ont pas hésité de dire que l’assiette la mieux choisie de France n’a pas ces avantages ; comme je ne suis pas homme de mer, je donne pour garant les avis que j’ai pris de ces hommes du métier[7]. » Quand on songe à l’immense extension que reçut plus tard la construction navale sur les bords de la rivière Saint-Charles, aux vastes chantiers qui s’y multiplièrent, à l’innombrable quantité de vaisseaux qui en sortirent, on se dit que l’intendant Talon avait le coup d’œil juste.

Le commerce maritime prenait d’heureux développements. Nous avons vu que les trois navires construits ici et expédiés aux Indes Occidentales à l’automne de 1670, avaient un chargement considérable et varié. Ils devaient débarquer leurs marchandises aux Antilles, et prendre une cargaison de sucre pour la France, d’où ils rapporteraient au Canada les choses nécessaires au pays. Ce triple commerce, de Québec aux îles, des îles en France et de France au Canada devait se faire en un an[8]. En 1672, deux navires de Québec allèrent aux Antilles avec leur cargaison. En 1681, l’intendant Duchesneau écrivait que depuis son arrivée, en 1675, deux vaisseaux au moins chaque année étaient allés aux îles, et, qu’une année, quatre vaisseaux avaient fait ce voyage[9]. C’était vraiment un fait économique considérable, pour la petite colonie canadienne, que l’établissement de cette rotation commerciale entre la mère-patrie, la Nouvelle-France et les Indes Occidentales. Bien dirigé, bien exploité, ce mouvement de trafic pouvait contribuer puissamment à la prospérité du Canada. Colbert et Talon en saisissaient toute l’importance., « Ce commencement de commerce, écrivait le ministre à l’intendant, a été fort agréable à Sa Majesté ; et comme il produira assurément des avantages considérables aux habitants du pays, s’ils s’appliquent à le soutenir et à l’augmenter, excitez-les fortement à faire bâtir de nouveaux vaisseaux et à s’en servir pour le transport de leurs bois et denrées aux îles, y charger des sucres, les apporter en France, et de là reporter aux dits pays les denrées et autres marchandises qui leur sont nécessaires[10]. » Talon, toujours soucieux des intérêts du Canada, avait écrit au ministre pour lui demander une remise de droits sur le sucre ainsi transporté dans le royaume par les vaisseaux de la colonie. Colbert se rendit immédiatement à cette demande et en informa l’intendant dans les lignes suivantes : « La proposition que vous faites d’accorder quelques décharges de droits aux habitants de ce pays qui apporteraient des sucres en France est déjà exécutée, ainsi que vous le connaîtrez clairement par le contenu des arrêts et ordonnances que vous trouverez ci-joints[11]. » Ce qui montre combien le ministre s’intéressait au commerce des colonies, c’est que, peu de temps après, il écrivait encore à l’intendant du Canada pour l’informer qu’aux îles d’Amérique il y avait un besoin pressant de bois propres à la confection des barriques et des futailles, afin qu’il pût en envoyer ; ajoutant que les vaisseaux de Québec qui s’y rendraient trouveraient aisément un chargement pour la France[12].

On avait commencé par construire à Québec des vaisseaux d’un faible tonnage. Mais peu à peu on ambitionna de faire plus grand ; en 1672 il y avait sur le chantier un navire de quatre à cinq cents tonneaux dont les matériaux étaient excellents et la forme élégante, et l’on se préparait à en construire un de huit cents[13]. C’était là un résultat bien satisfaisant surtout lorsqu’on le rapprochait du fait que, sept ans plus tôt, sur les deux mille trois cent soixante-huit navires que possédait en tout le commerce français, mille soixante-trois n’étaient que des barques de dix à trente tonneaux, trois cent vingt-neuf seulement étaient au-dessus de cent, quatre-vingt-cinq étaient au-dessus de deux cents, pas plus de dix-neuf allaient de trois cents à quatre cents, et que pas un seul ne dépassait ce dernier tonnage[14]. Après tout, la construction navale à Québec n’était pas en mauvaise posture.

En même temps Talon continuait à encourager l’industrie. La culture du chanvre réussissait parfaitement[15], et la multiplication des moutons augmentait sensiblement la production de la laine. L’intendant insistait pour que les femmes et les filles apprissent à filer. « On veut, écrivait la Mère de l’Incarnation, que nous l’apprenions à nos séminaristes, tant françaises que sauvages, et on nous offre de la matière pour cela. » On employait l’ortie à faire certaines toiles fortes. Talon distribua des métiers dans les habitations et bientôt l’on eut des droguets, des serges, des étamines, des draps, de fabrication canadienne. Le grand nombre de bestiaux fournissait beaucoup de cuirs. L’intendant établit une tannerie[16] afin qu’on pût utiliser les peaux pour la fabrication des chaussures. En un mot il ne négligea rien pour faire naître et se développer les industries les plus nécessaires à la colonie. Ses efforts ne furent pas infructueux. Il écrivait avec une légitime fierté le 2 novembre 1671 : « J’ai fait faire cette année, de la laine qu’ont portée les brebis que Sa Majesté a fait passer ici, du droguet, du bouracan, de l’étamine, de la serge de seigneur ; on travaille des cuirs du pays près du tiers de la chaussure[17], et présentement j’ai des productions du Canada de quoi me vêtir du pied à la tête. Rien en cela ne me parait plus impossible, et j’espère qu’en peu de temps le pays ne désirera rien de l’ancienne France que très peu de chose du nécessaire à son usage, s’il est bien administré[18]. »

La brasserie, qu’il avait fait commencer en 1668, était terminée. « Elle est achevée, disait l’intendant dans le même mémoire, de manière qu’outre le logement qu’elle peut donner aux charpentiers de l’atelier (de marine) duquel elle est proche, en attendant qu’il lui en soit bâti, elle peut fournir deux mille barriques de bière pour les Antilles, si elles en peuvent consommer autant, et en travailler autres deux milles pour l’usage du Canada[19], ce qui donnera lieu à la consommation de plus de 12,000 minots de grains par chaque année, les quatre minots faisant le septier de Paris, au bénéfice et au soulagement des laboureurs. Pour accompagner cet ouvrage public de son nécessaire, j’ai fait planter et cultiver dans la terre des Islets 6,000 perches de houblon qui produisent du fruit autant abondamment et d’aussi bonne qualité que celui des houblonnières de Flandre. » Au témoignage de Frontenac, en 1672, dans la construction de la brasserie l’intendant avait « joint la magnificence à la commodité[20]. »

Dans son mémoire du 2 novembre 1671, Talon annonçait que le tabac se cultivait et mûrissait bien au Canada. « Si le roi, ajoutait-il, ne trouve pas d’inconvénient d’en souffrir ici la culture à cause que les Antilles en fournissent, je porterai les habitants à le faire. » Colbert répondit, le 4 mai 1672 : « Sa Majesté ne veut pas que l’on y sème de tabac, d’autant que cela n’apporterait aucun avantage au pays, qui a beaucoup plus besoin de tout ce qui peut porter les habitants au commerce et à la navigation, aux pêches sédentaires et aux manufactures, et que la culture de cette herbe serait préjudiciable aux îles de l’Amérique. » L’avis n’était pas mauvais en soi, mais la défense catégorique nous fait toucher du doigt l’un des défauts du régime connu sous le nom de colbertisme : l’intervention excessive de l’administration dans le travail ou l’industrie des individus. On trouverait fort étrange, de nos jours, qu’il fût interdit de planter du tabac sans la permission du roi.

Après son retour, en 1670, Talon s’appliqua spécialement à établir des fabriques de potasse et de goudron. Durant son séjour accidentel à Lisbonne, en 1669, il avait connu un marchand qui s’était souvent entretenu avec M. de St-Romain, ambassadeur de France en Portugal, des avantages que procurerait l’établissement de potasseries au Canada. Il détermina ce négociant à passer en France afin de soumettre ce projet à Colbert, qui l’agréa. Mais comme ce marchand ne pouvait alors quitter ses affaires, le ministre entra en pourparlers avec un sieur Nicolas Follin et lui fit accorder un privilège pour la fabrication de la potasse et des « savons mols » en la Nouvelle-France[21].

Cet industriel affirmait qu’il avait appris le secret de faire la potasse comme en Moscovie, et le savon mou comme en Hollande. Sa potasse, disait-il, blanchissait mieux et usait moins le linge que les soudes d’Alicante et des côtes d’Espagne, et elle était d’une moindre dépense. Par son privilège il avait droit à dix sous par tonneau de potasse, et sa production était admise en France comme si elle eut été fabriquée pour le royaume.[22] Follin se rendit dans la colonie, et Talon le seconda de tout son pouvoir en mettant à sa disposition les constructions et les fonds nécessaires. Les cendres de nos bois se trouvèrent d’excellente qualité. L’intendant écrivait, le 11 novembre 1671 : « J’apprends seulement aujourd’hui par une barrique de potasse et une barrique de savon mol que l’entreprise du sieur Follin a eu le succès qu’il avait promis, et je juge qu’il y a lieu d’espérer qu’on fournira de l’Acadie et d’ici une partie nécessaire à la France, puisqu’en cette matière les Moscovites cessent de faire leur commerce avec nous par l’entremise des Hollandais. » Après que les premières expériences eurent réussi, Colbert écrivait au sieur Follin : « J’ai été bien aise d’apprendre que vous ayez trouvé les cendres de la Nouvelle-France, non seulement de la qualité nécessaire pour bien faire la potasse, mais même à un prix raisonnable… Comme M. Talon a fait faire tous les bâtiments dont vous avez besoin et qu’il vous a laissé des fonds suffisamment pour faire travailler pendant cette année, je m’assure que par le retour des vaisseaux qui viendront cet hiver, vous enverrez au moins cinq ou six cents milliers de cette marchandise, et qu’ainsi vous exciterez les intéressés à cette manufacture à augmenter le fonds qu’ils ont fait pour cet établissement[23]. » Cette industrie promettait beaucoup. Les premiers échantillons de la potasse canadienne furent jugés excellents, soit employés seuls pour lessiver le linge, soit convertis en savons mous pour descruer les soies et dégraisser les draps. On pouvait en fabriquer ici des quantités assez considérables pour permettre à Paris de se passer des soudes d’Espagne, dont cette capitale faisait une énorme consommation. Il y avait même lieu d’espérer que Douai, Lille, Tournai, Courtrai et autres villes de Flandre, de même que celles de France qui blanchissaient les draps, pourraient dorénavant se passer des potasses de Moscovie, et de la vedasse de Cologne, qui fortifiaient le commerce des Hollandais, lesquels faisaient de cette matière une partie de leurs retours lorsqu’ils portaient leurs épiceries et leurs castors en ces contrées. La potasse canadienne devait être d’autant mieux reçue à Paris, que la soude d’Espagne, âcre et caustique, brûlait le linge, ce que l’on évitait avec la potasse.

On voit que cette fabrication était très utile à l’ancienne France qu’elle affranchissait du tribut payé à l’Espagne pour ses soudes. Elle ne l’était pas moins à la nouvelle, car elle mettait les colons, les gens de peine, à même de réaliser un gain très appréciable, soit en coupant, soit en brûlant les bois. Elle encourageait les habitants à défricher incessamment leurs terres, parce qu’elle leur fournissait le moyen de payer aussitôt leurs dépenses. En effet on évaluait à quarante francs le coût du défrichement d’un arpent de terre. Or chaque arpent d’abatis rendait de vingt à vingt-quatre barriques de cendres qui, remises au magasin de potasse établi sur le bord du fleuve pour en faciliter le transport, étaient payées à raison de quarante sous ou deux francs la barrique, ce qui compensait et au delà la dépense du défrichement[24]. Cette industrie était donc très avantageuse pour nos habitants et nos journaliers. Cependant la suite ne répondit pas aux débuts. On finit par constater que Follin n’avait pas toute la compétence nécessaire, et après le départ de Talon l’entreprise périclita.

Quant à la fabrication du goudron, l’intendant tenait d’autant plus à ce que cette industrie pût réussir ici, qu’il connaissait les vues de Colbert à ce sujet. Pour ce produit si essentiel à la marine, comme pour beaucoup d’autres, ce ministre patriote voulait que la France se passât des étrangers. Il avait fait venir d’habiles ouvriers qu’il établit dans la Provence et le Médoc ; et comme certains intendants semblaient peu favorables à cette innovation, il affirma nettement sa volonté : « Je ne veux point, écrivait-il, faire venir du goudron de Hollande, étant persuadé que, si l’on veut s’appliquer à le faire aussi bien que celui du Nord, on peut y réussir. S’il y a quelque dépense à faire pour cela, je la ferai volontiers, n’y ayant rien de si important pour notre marine que de nous mettre en état de nous passer des manufactures étrangères, et particulièrement de celle-ci, dont il se fait une si grande consommation dans nos ports[25]. » Quelle joie pour Colbert, s’il pouvait tirer de la Nouvelle-France ce goudron de première qualité, si nécessaire à ses ateliers maritimes ! Talon y mit toute son application, et dès l’automne de 1670, il pouvait laisser entrevoir au ministre l’espérance du succès. Le 10 novembre il écrivait : « Le sieur Arnould Alix, le faiseur de goudron (goldron) est établi pour son hivernement avec le nombre d’ouvriers qu’il m’a demandé. Depuis qu’il est arrivé au poste que je lui ai désigné, il m’a fait savoir qu’il avait quinze cents pieds d’arbres écorchés, que sans sortir de ce lieu il pouvait se promettre de trouver de la matière pour travailler trente ans durant… Si ces conducteurs d’ateliers pour vaisseaux, mines et goudron sont habiles et ne donnent pas trop aux apparences, vous pourrez faire du Canada un ouvrage glorieux pour le roi et plus utile à son État »[26] Dans son mémoire du 2 novembre 1671, l’intendant donnait ces encourageantes informations : « Le goudron réussit par la qualité. J’en envoie pour épreuve un baril à La Rochelle et un à Dieppe. Le maître entrepreneur le dit aussi bon qu’aucun autre tiré des pays étrangers ; il trouve de la disposition à faire du brai et de la résine. Il a six mille pieds d’arbres écorchés qui mûrissent, attendant le temps propice à la distillation… À présent que par le succès de l’épreuve de cette année j’ai persuadé que le Canada pouvait produire du goudron et du brai, je fais travailler ce maître ouvrier à instruire et enseigner les habitants et soldats établis la méthode de le faire, pour que les colons de la Nouvelle-France fournissent à ceux de l’ancienne cette matière utile à la marine, la secourant de ce nécessaire et se bénéficiant eux-mêmes du produit par le retour d’autres denrées[27]. »

Nous avons vu dans le chapitre précédent que Talon continuait à faire rechercher les mines. Un des objets de la mission confiée à Saint-Lusson était la découverte des gisements de cuivre du lac Supérieur, dont le Père Allouez lui avait apporté des échantillons en 1667. Dans l’été de 1669, Louis Jolliet et Jean Péré avaient été envoyés pour reconnaître si ce minerai était facile à extraire et à transporter. Jolliet s’en revint à l’automne sans avoir pu se rendre aux endroits où se rencontrait le cuivre. Mais Péré continua ses recherches. Au mois de novembre 1670, il n’était pas encore de retour. Talon se plaignait de sa lenteur, et écrivait que Saint-Lusson, envoyé par lui, devait « donner sa première application à la découverte des mines de cuivre. » Cet explorateur rapporta des pierres et des galets, dont l’intendant expédia des échantillons en France : « Le cuivre que j’envoie, disait-il, tiré du lac Supérieur et de la rivière Nantaouagan, fait connaître qu’il y a quelque mine ou quelque bord de fleuve qui produit cette matière la plus pure qu’on puisse désirer, dont plus de vingt Français ont vu une pierre dans ce lac qu’ils estiment du poids de huit cents. Les Pères Jésuites se servent chez les Outaouais d’une enclume de cette matière d’environ cent livres pesant. Il ne reste qu’à trouver la source d’où partent ces pierres détachées… Il faut espérer des fréquents voyages des sauvages et des Français, qui commencent à prendre ces routes, la découverte du lieu qui fait des productions si pures, sans qu’il en coûte au roi[28]. » En 1672, le Père Dablon écrivait : « On est parti pour faire des recherches plus exactes de la mine de cuivre que le sieur Péré a trouvée tout fraîchement dans le lac Supérieur[29]. » En somme on n’avait encore aucun renseignement précis sur le gisement exact de cette mine, lorsque Talon quitta le Canada.

Dans une lettre qu’il écrivait au roi, le 2 novembre 1671, nous trouvons ces lignes : « Je ne suis pas assez hardi pour promettre le succès de la recherche qu’on fait des mines, mais je suis assez convaincu qu’il y a au Canada du cuivre, du fer et du plomb. Ce pays est si vaste qu’il est mal aisé de tomber juste sur l’endroit qui les couvre. Cependant je m’aperçois qu’on en a tous les ans de nouvelles connaissances par l’application qu’on donne à en faire la recherche. Par une épreuve faite dans un creuset d’une matière tirée du lac Champlain, j’ai reconnu que dans ses bords il y a du plomb[30]. » Les mines de cuivre et de plomb restèrent à l’état de nature durant toute la domination française. Il n’en fut pas de même des gisements de fer. On en avait découvert à la Baie Saint-Paul. Mais ce fut surtout dans la région des Trois-Rivières que l’on constata l’existence de ce minerai en grande quantité. Le sieur de la Potardière, ingénieur, fut envoyé pour l’examiner et en faire l’essai. De retour en France, il fit à Colbert un rapport favorable. Celui-ci écrivait à Talon : « C’est assurément un grand avantage pour le service du roi qu’il se rencontre des dispositions si heureuses dans la culture des mines de fer de Canada… Le sieur de la Potardière y retournera après avoir fait l’épreuve de la mine de fer qu’il a apportée, et lorsqu’il y sera arrivé, le soin que vous devez principalement avoir est de faire en sorte que, aussitôt que cette mine sera établie, elle subsiste par elle-même ; dans les suites, si l’on trouve qu’elle soit aussi bonne que nous l’espérons, l’on pourra y faire passer des ouvriers pour la fonte des canons[31]. » Malgré ces apparences favorables, les choses en restèrent là. Au début de son administration, Frontenac s’occupa, lui aussi, de ces mines de fer. Mais soixante ans s’écoulèrent avant que des forges fussent établies au Canada. Ce fut au dix-huitième siècle, sous l’intendance de M. Hocquart, que cette exploitation fut commencée sur les bords du Saint-Maurice.

Le commerce avec les Antilles, auquel Talon attachait une si grande importance, ne l’empêchait pas de tourner ses regards du côté de la Nouvelle-Angleterre. Il fit des démarches auprès des marchands de Boston pour les déterminer à entrer en relations d’échange avec le Canada. La France et l’Angleterre étaient en paix ; Louis XIV et Colbert approuvèrent la proposition de Talon « de lier une bonne et étroite correspondance avec les Anglais et d’entrer en quelque commerce avec eux pour les choses qui seraient mutuellement nécessaires aux deux colonies[32]. » Dans un mémoire écrit après son retour en France, Talon disait : « Sa Majesté a désiré l’ouverture du commerce avec les Anglais de Boston ; lorsque je suis parti toutes les lettres reçues de cette colonie étrangère marquaient la souhaiter ; et le major Chapeley, officier des troupes de cette nation, offrait de la commencer par toutes les étoffes des manufactures de Boston[33]. »

L’activité déployée par Talon lui valait l’approbation du roi et du ministre, et la reconnaissance de la population canadienne en général. Mais il n’était cependant pas à l’abri de toute critique. Quelques marchands se plaignaient qu’il nuisait à leur négoce par la grande abondance de denrées et de marchandises qu’il faisait venir de France, tant pour le service du roi que pour la commodité des habitants. M. Charles Aubert de la Chesnaye résumait leurs griefs avec beaucoup d’amertume, dans un mémoire rédigé par lui quelques années plus tard. « M. Talon, disait-il, ne voulait pas de compagnie et employa toutes sortes de moyens pour ruiner celles qu’il trouva établies. Il donna à entendre à M. Colbert que ce pays était trop grand pour être borné, qu’il en fallait faire sortir des flottes et des armées[34]. Ces desseins parurent trop étendus ; toutefois on lui applaudit, ce qui lui donna lieu d’établir un grand commerce et d’anéantir celui de la compagnie. M. Talon, désirant réunir le gouvernement avec l’intendance[35], faisait une grande dépense pour s’acquérir des amis, mais aussi il n’y avait point de marchands après que la compagnie eut quitté qui purent faire des affaires en sa présence. Ses marchandises lui revenaient quittes de droits, de fret et d’assurances. Il refusa aussi de payer l’entrée au pays des vins, des eaux-de-vie et du tabac. Enfin ses amis et ennemis lui disaient tout haut que c’était des profits de son commerce que le roi serait enrichi. Ils se brouillèrent, M. de Courcelle et lui. Leur mésintelligence força le premier de demander son congé. M. de Frontenac venu en sa place se plaignit aussi de lui[36], et je crois qu’il repassa en France sans congé[37], d’où il n’est plus retourné quoiqu’il l’eût promis à ses amis[38]. »

Nous avons entendu l’accusation, écoutons maintenant la réponse. Les plaintes dont M. de la Chesnaye se faisait l’écho en 1676, étaient venues aux oreilles de Talon dès 1670 ; et voici ce qu’il écrivait au ministre : « Je dois faire observer que si l’on transportait ici tout l’argent que le roi ordonne pour le Canada, et qu’on s’en servit en espèces, non seulement on n’accommoderait pas ce pays, mais on dépenserait le double. Cette pratique à convertir l’argent du roi en denrées propres à la nourriture ou vêtements, fournitures d’ustensiles, et aux établissements des soldats, des filles qui se marient, et des nouvelles familles qui passent ici n’est pas agréable aux marchands qui voudraient que tout se prît chez eux, bon ou mauvais, et à si haut prix qu’il faudrait doubler la dépense si on était réduit à ce qu’ils désirent. Les denrées servent encore utilement à faire des échanges pour du blé, et c’est à cet usage que j’en ai envoyé dans quelques côtes pour y être distribuées aux habitants éloignés de Québec, afin que, trouvant chez eux les choses qui leur sont besoin, ils ne soient pas obligés, pour les venir quérir au dit Québec, d’abandonner leur famille durant trois jours et quatre même, et afin aussi que les blés que l’on reçoit en paiement se puissent transporter ici par un seul bâtiment. Je traite et j’explique cet article parce que j’ai été informé qu’un marchand de La Rochelle s’est plaint à M. de Terron que je me mêlais trop du commerce et que j’avais des magasins établis en Canada. J’ajoute que si j’y en avais pas eu, plusieurs des établissements ou commencés ou achevés seraient entièrement tombés et quelques gens ne demanderaient pas mieux »[39]. Au résumé, Talon ne niait pas précisément le fait qu’on lui reprochait ; mais il affirmait agir uniquement pour l’utilité publique et le service du roi. Colbert l’approuva catégoriquement : « Vous avez raison, lui écrivit-il, de dire que les dépenses augmenteraient considérablement si le roi faisait passer en espèces les fonds qu’il fait pour le soutien et l’augmentation de la colonie, et, quelque chagrin que les marchands témoignent des denrées, ustensiles et autres choses en quoi l’on convertit les dits fonds, il est bien important de continuer à envoyer des denrées et de tenir toujours l’argent en dedans du royaume[40]. »

Au chapitre treize de cet ouvrage nous avons étudié le mouvement d’immigration dont le Canada bénéficia de 1665 à 1668 inclusivement. Durant cette période la compagnie des Indes Occidentales avait fait passer ici pour le compte du roi 978 personnes des deux sexes. De plus 422 officiers et soldats du régiment de Carignan environ s’établirent dans la colonie. Voici maintenant les chiffres que nous pouvons donner pour la période de 1669 à 1672. Le roi fit passer au Canada, en 1669, 150 filles et 200 hommes[41] ; en 1670, 150 filles et 100 hommes[42] ; en 1671, encore 150 filles, et 100 hommes[43]. Soit un total de 850 personnes. En 1672, la guerre de Hollande arrêta ce mouvement.

Outre ces 850 immigrants, cinq compagnies[44] de 50 hommes chacune, vinrent au Canada en 1670, formant un effectif de 266 hommes environ avec leurs officiers. Comme l’indique une lettre de Colbert à Mgr de Laval, datée du 15 mai 1669, ces soldats devaient s’établir au pays après dix-huit mois de paie. Pour la première période nous avons donc 1400 personnes, et pour la seconde 1116 personnes, que le roi envoya s’établir au Canada. Soit en tout 2516. Voilà les chiffres officiels. À part ces immigrants d’État, il y en eut probablement un certain nombre venus ici spontanément pour s’y faire une position, ou attirés par les propriétaires de fiefs et les seigneurs de Montréal.

Les mariages continuèrent à se faire en grand nombre, nous allions dire en masse. Le 10 novembre 1670, Talon écrivait : « Toutes les filles venues cette année sont mariées, à quinze près que j’ai fait distribuer dans des familles connues en attendant que les soldats qui les demandent aient formé quelque établissement et acquis de quoi les nourrir[45]. » L’intendant ne manquait pas de leur faire le présent habituel de 50 livres à l’occasion de leur mariage. On le voit signer souvent au contrat, ainsi que M. de Courcelle, madame Bourdon, la demoiselle Étienne, etc. Cette dernière était une personne de mérite et de caractère que les directeurs de l’hôpital général de Paris avaient désignée comme gouvernante des filles qui passaient au Canada pour s’y établir. Elle les accompagnait au port d’embarquement, traversait l’Océan avec elles, et restait ici quelque temps pour surveiller leur installation. Puis elle s’en retournait pour revenir l’année suivante. Talon, témoin de ses services, recommanda en sa faveur une gratification de deux cents écus qui lui fut accordée par Colbert[46].

Au sujet de ces filles, l’intendant écrivait dans un de ses mémoires de 1670, qu’il importait de n’en point envoyer de disgraciées ou de rebutantes physiquement ; il insistait pour qu’on les choisît saines et fortes, aptes aux travaux rustiques, ou du moins douées de quelque industrie manuelle. Il ajoutait que l’envoi de trois ou quatre filles de qualité serait utile pour déterminer au mariage quelques officiers qui ne tenaient au pays que par leurs appointements et le produit de leurs domaines, et restaient célibataires pour ne pas s’engager dans des unions disproportionnées[47]. Quelques-uns de ces officiers repassaient en France après le licenciement de leurs compagnies. Cela contrariait les vues de Colbert qui écrivit à l’intendant : « Comme il importe au service du roi qu’ils s’établissent au dit pays et qu’ils servent d’exemple à leurs soldats, il est bien nécessaire que vous empêchiez qu’à l’avenir ces officiers ne repassent en France, leur faisant connaître que le véritable moyen de mériter les grâces de Sa Majesté est de demeurer fixes et d’exciter fortement tous leurs soldats à travailler au défrichement et à la culture des terres »[48].

Nous relevons dans le mémoire de Talon une autre recommandation : « Si le roi, disait-il, fait passer d’autres filles ou femmes venues de l’ancienne en la Nouvelle France, il est bon de les faire accompagner d’un certificat de leur curé ou du juge du lieu de leur demeure qui fera connaître qu’elles sont libres et en état d’être mariées, sans quoi les ecclésiastiques d’ici font difficulté de leur administrer ce sacrement. À la vérité, ce n’est pas sans raison, deux ou trois mariages s’étant ici reconnus[49]. On pourrait prendre les mêmes précautions pour les hommes veufs, et cela devrait être du soin de ceux qui seront chargés des passagers[50]. » Colbert donna des ordres conformes aux recommandations de Talon, tant pour le choix des filles que pour les certificats. C’est ici le lieu de faire remarquer avec quel soin l’on choisissait les filles et les femmes envoyées ainsi au Canada. Quelques-unes, orphelines et pauvres, avaient été élevées dans des maisons de charité aux frais du roi[51] ; on les appelait « les filles du roi. » D’autres appartenaient à de bonnes familles qui, étant chargées d’enfants, les envoyaient en ce pays dans l’espérance qu’elles y seraient mieux pourvues[52]. On constata bientôt que les filles tirées des communautés de Paris n’étaient pas assez vigoureusement constituées. En 1670, Colbert écrivit à l’archevêque de Rouen, M. de Harlay : « Par les dernières lettres que j’ai reçues du Canada, l’on m’a donné avis que les filles qui y ont été transportées l’année passée, ayant été tirées de l’hôpital général, ne se sont pas trouvées assez robustes pour résister ni au climat ni à la culture de la terre, et qu’il serait plus avantageux d’y envoyer des jeunes villageoises qui fussent en état de supporter la fatigue qu’il faut essuyer dans ce pays. Comme il s’en pouvait trouver dans les paroisses aux environs de Rouen… j’ai cru que vous trouveriez bon que je vous suppliasse d’employer l’autorité et le crédit que vous avez sur les curés de trente ou quarante de ces paroisses, pour voir s’ils pourraient trouver en chacune une ou deux filles, disposées à passer volontairement au Canada pour y être établies[53]. » N’y avait-il pas là un ensemble de garanties absolument satisfaisantes ? Les filles venues ici pour se pourvoir étaient des orphelines élevées dans des maisons religieuses, ou appartenaient à d’excellentes et honnêtes familles, ou encore étaient choisies par les curés de Normandie. Des personnes comme madame Bourdon ou mademoiselle Étienne les dirigeaient et les surveillaient durant le voyage. À leur arrivée, si elles tardaient un peu à se marier, on les plaçait dans des familles respectables. Que veut-on de plus ? Et en présence de tous ces faits authentiquement prouvés, quelle figure font les racontages stupides du gascon La Hontan[54] ?

Nous avons vu dans un précédent chapitre qu’un arrêt avait été rendu pour encourager les mariages. Talon en accentua la portée de la manière suivante. Il ordonna que les volontaires[55] seraient privés de la traite et de la chasse, comme ils l’étaient par l’arrêt des honneurs religieux et civils, s’ils ne se mariaient dans un délai de quinze jours après l’arrivée des vaisseaux de France. Colbert applaudit à cette mesure, qui ne resta pas lettre morte. Un nommé François Lenoir dit Rolland, de Montréal, ayant voulu faire la traite, quoique célibataire, dut s’engager à se marier l’année suivante, après l’arrivée des vaisseaux, promettant de donner cent cinquante livres à l’hôpital et autant à l’église de Villemarie, s’il manquait à sa promesse. Il tint parole et prit femme dans le délai stipulé[56].

Tant d’efforts ne pouvaient manquer d’activer l’accroissement de la population. Le 2 novembre 1671, Talon écrivait : « Sa Majesté pourra voir par l’abrégé des extraits des registres des baptêmes dont j’ai chargé mon secrétaire, que le nombre des enfants nés cette année est de six à sept cents, que dans les suivantes on en peut espérer une augmentation considérable, et il y a lieu de croire que sans autre secours des filles de France ce pays produira plus de cent mariages dans les premières années, et beaucoup au delà à mesure qu’on avancera dans le temps. J’estime qu’il n’est pas à propos d’envoyer des filles l’année prochaine afin que les habitants donnent plus aisément en mariage les leurs aux soldats qui restent habitués et libres. Il n’est pas non plus nécessaire de faire passer des demoiselles, en ayant reçu cette année quinze ainsi qualifiées au lieu de quatre que je demandais, pour faire des alliances avec les officiers ou les principaux habitants d’ici[57]. » De son côté Mgr de Laval déclarait qu’il y aurait probablement onze cents baptêmes en 1672[58]. L’année qui suivit le départ de l’intendant Talon, Frontenac envoya en France un état de la population canadienne. Elle était de 6,705 âmes. Nos lecteurs se rappellent peut-être que le recensement de 1666 ne donnait que 3,215 âmes. En sept ans la population de la colonie avait plus que doublé. Notez que le chiffre indiqué par le relevé de 1673 était vraisemblablement inexact. Colbert manifesta sa surprise en le recevant. Suivant lui la population devait être plus considérable, et nous inclinons à lui donner raison. En effet le relevé de 1668 accusait une population de 6,282. De 1669 à 1672 inclusivement le roi avait fait passer ici 820 personnes, sans compter les soldats arrivés en 1670. Ajoutez à cela l’augmentation naturelle, les 600 à 700 naissances de 1671 et celles de 1672 estimées d’avance à 1,100 par Mgr de Laval. Avec de telles données il était difficile d’admettre que la population n’eût augmenté que de 423 âmes de 1668 à 1673. Le relevé de 1675 donna un chiffre de 7,833, Ceci nous paraît plus raisonnable et nous confirme dans l’idée que le chiffre indiqué pour 1673 était trop faible. Quoiqu’il en soit la population du Canada s’était accrue, durant l’intendance de Talon, dans une proportion considérable.

Pendant les années 1669, 1670 et 1671, Colbert continua à expédier ici des animaux domestiques : en 1669, 14 chevaux et 50 brebis ; en 1670, 13 chevaux ; en 1671 des chevaux et des ânes. Ces derniers ne s’acclimatèrent point facilement en ce pays. Pourtant on adopta pour leur préservation et leur multiplication des règlements analogues à ceux que l’on avait mis en force pour les chevaux[59].

Dans un de ses mémoires du mois de novembre 1671, Talon écrivait qu’il y avait désormais assez de chevaux. Quant aux vaches et aux porcs, ils « deviennent ici, ajoutait-il, aussi familiers que dans l’ancienne France, de sorte que déjà ce pays se passe des lards de La Rochelle, d’où j’en ai ci-devant tiré pour une année jusqu’à 800 barils ; et j’ai lieu de croire que ce que cette partie pourra fournir, jointe à ce que celle de l’Acadie fort remplie de vaches pourra donner, fera bien dans quelque temps l’entière fourniture des îles en chairs salées. »

Au chapitre treize de ce livre nous avons vu combien Talon s’intéressait aux communautés. Cette bienveillance ne se démentit point durant sa seconde intendance. L’Hôtel-Dieu de Québec particulièrement en reçut des marques nombreuses. Il devenait trop étroit par suite de l’accroissement de la colonie. L’intendant, de son propre mouvement, entreprit d’y faire ajouter une double salle avec un pavillon. Il avança tous les fonds nécessaires. Les travaux commencèrent le 5 mai 1672, et M. Talon lui-même voulut donner le premier coup de hoyau. Le 20 eut lieu la pose de deux pierres dans les fondations, l’une par Madame d’Ailleboust, au nom de Madame la duchesse d’Aiguillon, et l’autre par Madame Perrot, nièce de l’intendant [60]. « Son affection pour cet ouvrage si avantageux au public, dit l’Histoire de l’Hôtel-Dieu, fut si grande qu’il y passait lui-même des nuits entières dehors à la pluie pour ne point perdre la charpente du bâtiment que le peu de prudence et d’industrie des travailleurs avait exposé mal à propos sur un cayeux ». Ce fut aussi par ses soins que des conduits amenèrent l’eau en abondance à l’hôpital. En toutes circonstances il se montra l’ami dévoué de cette institution, et il mérita d’être compté parmi ses bienfaiteurs insignes.

Talon témoignait aussi beaucoup d’intérêt aux Ursulines de Québec. Il avait tout spécialement à cœur le succès de leur « séminaire sauvage, » où elles travaillaient à l’instruction et à la civilisation des petites sauvagesses, et il entretenait à ses frais plusieurs de celles-ci. La Relation de 1671 en mentionne une qui fut baptisée en même temps que sa mère. Talon voulut être leur parrain et choisit madame d’Ailleboust pour marraine[61], comme représentant la princesse de Conti. La cérémonie fut solennelle ; Mgr de Laval lui-même fit couler sur le front des catéchumènes l’eau régénératrice ; et l’intendant donna aux sauvages, pour célébrer ce beau jour, un somptueux festin. Au mois de septembre 1671, les Ursulines avaient sous leurs soins plus de cinquante petites sauvagesses.

À Montréal les Sulpiciens et les Sœurs de la Congrégation s’occupaient de la même œuvre. Talon louait le zèle avec lequel M. de Queylus « retirait les enfants des sauvages qui tombent en captivité dans les mains des Iroquois pour les faire élever, les garçons dans son séminaire, et les filles chez des personnes de même sexe qui forment à Montréal une espèce de congrégation pour enseigner à la jeunesse, avec les lettres et l’écriture, les petits ouvrages de main[62]. » Il demandait en même temps à Colbert d’écrire quatre lignes à M. de Queylus pour lui marquer la satisfaction du roi. La congrégation dont l’intendant parlait dans cette lettre était celle de la sœur Bourgeois. Talon, de concert avec Mgr de Laval et M. de Courcelle, recommanda qu’il lui fût octroyé des lettres patentes royales, qu’elle reçut effectivement au mois de juin 1671.

La question d’éducation était l’une de celles qui inspiraient à Talon le plus de sollicitude. Il se réjouissait de voir les jeunes canadiens se tourner vers l’étude. « Les jeunes gens du Canada, écrivait-il, se dénouent et se jettent dans les écoles pour les sciences, dans les arts, les métiers et surtout dans la marine, de sorte que, si cette inclination se nourrit un peu, il y a lieu d’espérer que ce pays deviendra une pépinière de navigateurs, de pêcheurs, de matelots, et d’ouvriers, ayant naturellement de la disposition à ces emplois. Le sieur de St-Martin (qui est aux PP. Jésuites en qualité de frère donné) assez savant en mathématiques, a bien voulu à ma prière se donner le soin d’enseigner la jeunesse. Je crois que Sa Majesté aura bien agréable qu’on lui fasse quelque gratification »[63].

La situation de la Nouvelle-France était en ce moment heureuse et prospère. À la fin de 1671, Talon écrivait : « La paix est également profonde au dedans et en dehors de cette colonie ». L’activité et le travail régnaient partout. Dès le mois de novembre 1670, l’intendant pouvait annoncer que, depuis l’ouverture faite à la marine, la découverte des mines de fer et l’entreprise du goudron, le Canada était sorti de l’inaction dans laquelle il l’avait trouvé à son retour. « Tous ses habitants, jusques aux femmes et filles, disait-il, ont la porte ouverte au travail. De manière qu’avec le secours que le roi a la bonté de donner aux familles et les autres gratifications qu’il a répandues, l’argent qu’on emploie à la recherche et aux façons des bois, de même qu’au reste des entreprises que Sa Majesté fait faire, fait agir tout le monde, et personne n’ose plus tendre la main pour demander, s’il n’est enfant trop faible ou homme trop âgé, estropié ou malade de maladie habituelle »[64]. Le 10 novembre 1671, il écrivait encore : « J’ai ouvert la porte au travail, et j’ai formé des ateliers qui ont entretenu près de trois cent cinquante hommes pendant tout l’été. Je puis dire même que j’ai fait une espèce de guerre à l’oisiveté, qui a fait murmurer quelques-uns, à quoi je ne m’arrête pas, parceque je sais qu’on ne peut guérir un mal sans blesser celui qui s’en chatouille et s’en fait un plaisir »[65].

En même temps, l’agriculture et la colonisation faisaient de rapides progrès. Des fenêtres de son hôtel, situé sur l’emplacement de notre ancien parlement provincial [66], — au sommet de la côte La Montagne, — Talon pouvait contempler, durant les beaux jours d’été où l’atmosphère est limpide et le ciel sans nuages, un admirable spectacle. À perte de vue s’étendaient devant lui les habitations de Beauport, de la côte de Beaupré et de l’île d’Orléans, espacées de quatre arpents en quatre arpents[67]. Les champs cultivés, taillés en pleine forêt, allongeaient, entre des travées de verdure, leurs rectangles symétriques, où les blés mûrissants faisaient onduler leurs flots d’or. Plus près, une longue coupée à travers bois lui indiquait le chemin qu’il avait fait ouvrir jusqu’aux éclaircies de Bourg-Royal, de Bourg la-Reine et de Bourg-Talon, créés et peuplés par ses soins. S’il abaissait les yeux vers la rade, il y apercevait de nombreux vaisseaux, dont quelques-uns déchargeaient leur cargaison de France, tandis que d’autres prenaient leur chargement pour les îles lointaines que son intelligente sollicitude rapprochait de notre pays par les courants alternatifs de l’échange et du commerce. En même temps, le bruit cadencé de la hache et du marteau montait jusqu’à lui du chantier maritime où, par ses ordres, se construisaient des navires destinés à relier les deux mondes. À ses pieds se groupaient les entrepôts, les magasins, les maisons de la ville basse industrieuse et commerçante. En haut du promontoire, sur le prolongement du plateau où s’élevait sa demeure, dans un rayon de quelques mille pas, le château, le séminaire-évêché, la cathédrale, le collège des Jésuites, le monastère des Ursulines, l’Hôtel-Dieu, la sénéchaussée, contenaient et résumaient la vie politique, intellectuelle et religieuse de la Nouvelle-France. Lorsqu’il admirait le merveilleux panorama qui s’offrait à ses regards, et qui devait dicter au Père Charlevoix l’une de ses plus belles pages[68], lorsqu’il prêtait l’oreille aux rumeurs de la cité que son intelligente impulsion emplissait de mouvement et de vie, Talon, se détachant des conditions et des spectacles présents, plongeait-il sa pensée dans l’avenir ? Entrevoyait-il l’essor réservé à l’œuvre qu’il était venu sauver ? Comprenait-il toute la grandeur de la mission accomplie par lui à travers tant d’obstacles et de hasards ? Devinait-il, en un mot, que ses efforts auraient pour résultat la préservation, la croissance et la victorieuse expansion d’une France nouvelle sur la terre d’Amérique ? Nous n’en pouvons douter lorsque nous nous rappelons son mot à Louis XIV : « Cette partie de la monarchie française deviendra quelque chose de grand. » Ah ! non, elle n’était pas en défaut, la prescience patriotique de notre illustre intendant, lorsqu’il écrivait ces lignes ! Cette partie de la monarchie française est vraiment devenue quelque chose de grand. Détachée de la vieille mère-patrie, après de longs combats, elle s’est orientée vers des horizons nouveaux. Elle a résisté aux plus terribles tempêtes, et traversé les plus redoutables crises. Le petit groupe canadien-français des bords du Saint-Laurent est maintenant un peuple dont la vitalité invincible défie toutes les attaques. Le pauvre Québec de 1671 s’est transformé, après deux siècles et un tiers de siècle, en une belle et populeuse cité. L’humble Villemarie de Maisonneuve et de Jeanne Mance compte aujourd’hui parmi les trente ou quarante plus grandes villes du monde. Et le Canada français, fier de ses origines, fort de ses traditions, marche d’un pas assuré vers l’accomplissement de ses destinées providentielles.

C’est la gloire de Talon d’avoir pressenti cet avenir et de l’avoir rendu possible par les travaux accomplis et les progrès réalisés durant ses deux intendances.



  1. — Ordonnance du 2 sept. 1670. — Arch. prov. Documents, carton I, 1651 à 1672.
  2. Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 512.
  3. Ibid. — En France, « des primes de 4 à 6 francs par tonneau furent accordées à tous négociants qui feraient construire des navires au-dessus de cent tonneaux. » (Henri Martin, Histoire de France, 13, p. 121).
  4. Addition au présent mémoire, 10 nov. 1670. — Colbert à Talon, 11 février 1671. — Talon à Colbert, 11 nov. 1671.
  5. Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 512.
  6. Ibid. — « Quarante mille livres pour être employées à la construction des vaisseaux qui se font au Canada, comme aussi à la coupe et à la façon des bois envoyés de ce pays pour les constructions qui se font dans les ports du royaume. » (État de la dépense que le roi veut et ordonne être faite par M. Étienne Jehannot de Bartillat, pour le paiement, tant des gratifications accordées aux officiers des troupes restées en Canada, que pour achever l’établissement des soldats des compagnies qui y sont passés l’année dernière, ensemble à quelques habitants du pays, hôpitaux de religieuses et au clergé, et autres dépenses extraordinaires. » — 11 février 1671.
  7. Talon au roi, 10 novembre 1670 ; Addition au présent mémoire. Arch. féd., Canada, corr. gén., vol. III.
  8. Lettres de la Mère de l’Incarnation, II, p. 446.
  9. Histoire des Canadiens-Français, par Benjamin Suite, vol. V, p. 28.
  10. Lettres, Instructions, etc., p. 512 ; Colbert à Talon, 11 février 1671.
  11. Ibid.
  12. Le ministre à Talon, 8 juin 1671. — Supplément Richard, p. 244.

    L’ambition de Colbert était que tout le commerce de la France avec ses colonies se fît par des vaisseaux français. En 1670, il interdit aux navires étrangers d’aborder aux colonies et aux habitants de les recevoir, à peine de confiscation ; puis il défendit aux propriétaires des vaisseaux construits aux îles et à la Nouvelle-France de commercer avec l’étranger. (Henri Martin, Histoire de France, 13, p. 146).

  13. Frontenac à Colbert, 2 nov. 1672 ; Canada, corr. gén., vol. III. — Relation de 1672, p. 2. — Parlant du premier de ces deux navires, Talon écrivait, le 10 novembre 1671 ; « Tous les capitaines de vaisseaux arrivés cette année l’estiment du port de 400 tonneaux ou plus. Il est percé pour 38 pièces de canon. Ils le trouvent d’un fort bon gabarit, mais surtout fait de bois qui est tout à la hache et non refendu. Je souhaite qu’il serve un jour utilement à Sa Majesté qui pourra par celui-ci connaître qu’on en peut faire en Canada.

    « Outre ce vaisseau, il y en a un, prêt à mettre à la voile pour les Antilles, du port d’environ 60 tonneaux, que j’ai fait achever cette année. Un autre en forme de gribanne (petit navire à fond plat, sans quille) est encore sur l’estain et doit être bientôt achevé. Ce dernier doit servir à porter les bois qu’on tire des côtes du fleuve pour les ateliers de marine. » (Talon à Colbert, 10 nov. 1671 ; Arch. féd., Canada, corr. gén., vol. III).

  14. — Henri Martin, Histoire de France, 13, p. 123.
  15. — Talon disait en 1671 que, dans trois ans, les habitants se fourniraient de toile, quoique le Canada en consommât pour plus de soixante mille livres par année commune ; il ajoutait que la colonie exporterait du chanvre « autant, à proportion de ses colons, qu’en puisse fournir l’une des provinces du royaume la plus fertile en ce légume » (sic).
  16. — Talon avait fait un fonds de 3000 livres pour l’érection d’une tannerie, (où il y avait déjà des cuirs en 1669), et de 2000 livres pour le moulin du fort St-Louis. Ces deux constructions en coûtèrent 9000. (Lettre de Patoulet à Colbert, 11 nov. 1669 ; Arch. féd., Canada, oorr. gén., vol. III).
  17. — C’est-à-dire que le cuir canadien suffisait au tiers des chaussures consommées ici.
  18. Mémoire sur le Canada et l’Acadie, 2 nov. 1671 ; Arch, féd., Canada, corr. gén., vol. III.
  19. — Cette bière se vendait 25 livres la barrique. (Lettre de Frontenac, 2 nov. 1672).
  20. Ibid. — Malheureusement cette brasserie ne fut pas longtemps en opération. Vers 1675 on cessa d’y faire de la bière, parce que les fermiers des droits firent venir une grande quantité de vins et d’eau-de-vie que les habitants préférèrent. (Duchesneau, Inventaire des propriétés que M. Talon possède au Canada) 13 novembre 1680). C’était précisément ce que Talon avait voulu éviter.
  21. Extrait d’un mémoire pour l’établissement des manufactures de potasse ; Collection de documents, I, p. 328.
  22. Supplément-Richard, p. 242 ; Jugements du Conseil Souverain, I, p. 664.
  23. Colbert au sieur Follin, 13 juin 1673 ; Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 560.
  24. Mémoire sur le Canada, par Talon, 1673 ; Collection de Manuscrits, p. 241.
  25. Histoire de Colbert, I, p. 408.
  26. Mémoire de Talon à Colbert sur le Canada, 10 nov. 1670 ; Arch. féd., Canada, corr. gén. vol. III.
  27. Mémoire au roi sur le Canada et l’Acadie ; Arch. féd. Ibid.
  28. Talon au roi, 2 nov. 1671 : Arch. féd., Canada, corr. gén., vol. III.
  29. — Relation de 1672, p. 2.
  30. Talon au roi, 2 nov. 1671.
  31. Colbert à Talon, 11 février 1671. — Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 516.
  32. Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 514.
  33. Mémoire sur le Canada, par Talon, 1673 ; Collection de manuscrits, I, p. 243.
  34. — M. de la Chesnaye exagérait évidemment ; les projets de Talon n’étaient point aussi démesurés.
  35. — Nous avons vu que Talon empiétait parfois sur le rôle du gouverneur. Son secrétaire Patoulet informait Colbert, au mois de janvier 1672, que l’intendant désirait être ou rappelé ou laissé seul au Canada. L’observation de la Chesnaye avait donc quelque fondement.
  36. — Nous verrons cela dans un prochain chapitre.
  37. — Ceci était inexact.
  38. Mémoire de M. de la Chesnaye sur le Canada, 1676 ; Collection de manuscrits, I, p. 252.
  39. Talon à Colbert, 10 nov. 1670. — Arch. prov. Man. N.-F., 1ère série, vol. I.
  40. Colbert à Talon, 11 février 1671 ; Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 517.
  41. Colbert à Courcelle, 15 mai 1669. — Lettres, instructions, etc., 3, II, p. 451 ; Lettres de la Mère de l’Incarnation, II, p. 436 ; Supplément-Richard, p. 231.
  42. Colbert à Colbert de Terron, 21 avril 1670. — Lettres, instructions, etc., p. 481 ; Lettres de la Mère de l’Incarnation, II, p. 446 ; Talon à Colbert, 10 nov. 1670 ; Supplément-Richard, p. 241.
  43. Colbert à Talon, 11 février 1671. — Lettres, etc., pp. 517, 518 ; Supplément-Richard, p. 243.
  44. — La sixième compagnie fut envoyée en Acadie.
  45. — M. Dollier de Casson, pour démontrer avec quelle promptitude les femmes et filles trouvaient à se marier, rapporte le cas d’une femme, « laquelle ayant perdu son mari, a eu un banc publié, dispense des deux autres, son mariage fait et consommé avant que son premier mari fût enterré ! »
  46. Colbert à Talon, 11 février 1671. — Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 514.
  47. Talon à Colbert, 10 nov. 1670. — Arch. prov. Man. N.-F., 1ère série, vol. I.
  48. Colbert à Talon, 11 février 1671. — Lettres, etc., 3, II, p. 513.
  49. — C’est-à-dire que, dans deux ou trois cas, on avait découvert l’existence de mariages antérieurs. Mais Talon ne dit pas que ceci était arrivé pour les filles envoyées par Colbert. Ces accidents s’étaient produits auparavant, et cela avait induit les prêtres à redoubler de prudence.
  50. Talon à Colbert, 10 nov. 1670. Arch. prov. Man. de la N. F., 1, II.
  51. Journal des Jésuites, p. 335.
  52. — La Mère Duplessis de Sainte-Hélène, citée par l’abbé Faillon, Histoire de la colonie française, III, p. 210.
  53. Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 476.
  54. Nouveau voyage du baron de Lahontan dans l’Amérique septentrionale, 1703, vol. I, p. 11. Cet écrivain plus que fantaisiste a eu l’audace d’écrire que les soldats de Carignan s’établirent ici avec des filles de joie.
  55. — Les « volontaires » étaient les hommes de travail qui, n’étant point liés par contrat pour un temps fixe, comme les « engagés » dont le service était de trois ans, travaillaient ici et là à la journée. Ils devenaient facilement oisifs, ivrognes et libertins. Talon écrivait (10 nov. 1670) qu’à son retour, il en « avait trouvé un assez grand nombre faisant le véritable métier de bandits. » Et il ajoutait : « J’étudierai encore quelque expédient nouveau pour arrêter ces vagabonds qui ruinent le christianisme des sauvages et le commerce des Français qui travaillent dans leur résidence à étendre la colonie. Il serait bon que Sa Majesté m’ordonnât par une lettre de cachet de les fixer en quelque lieu où ils prissent part aux ouvrages de la communauté. »
  56. — Faillon, III, p. 355.
  57. Talon au roi, 2 nov. 1671. — Arch. prov. Man. de la N.-F., 1ère série, vol. I.
  58. Lettres, instructions, etc., 3, II, p. 541.
  59. — Voici un état de la distribution des chevaux et des cavales débarqués en 1670 : M. Talon une cavale ; M. de Chambly deux cavales et un étalon ; M. de Saurel, une cavale ; M. de Contrecœur, une cavale ; M. de St-Ours, une cavale ; M. de Varennes, une cavale ; M. de la Chesnaye, deux cavales ; M. de la Touche, une cavale ; M. de Repentigny, une cavale ; M. Le Ber, une cavale. (État de la distribution des cavales envoyées de France au Canada en l’année 1670 ; collection Moreau Saint-Méry, vol. II — 1670-1676)

    . En 1671, il y eut une distribution d’ânons et d’ânesses ; en voici le détail : Au sieur Marsollet, un ânon ; au sieur Neveu, une ânesse ; aux PP. Jésuites une ânesse et un ânon ; à M. Dudouyt, une ânesse, ; à M. Damours, une ânesse ; à M. de Villieu, une ânesse ; au sieur Des Longschamps, une ânesse ; pour le Bourg-Royal, une ânesse ; au sieur Morin, une ânesse. (État de la distribution des ânesses et ânons envoyés de France en Canada, en l’année 1671. — Greffe Becquet ; Arch. Jud.).

  60. — Madeleine Laguide, nièce de l’intendant Talon, avait épousé Marie-François Perrot, nommé gouverneur de Montréal par M. de Bretonvilliers en 1669. Elle avait fait naufrage avec son mari et son oncle dans l’automne de cette année. En 1670, elle ne les avait pas accompagnés au Canada. Mais elle passa ici l’année suivante. M. Pollier de Casson écrivait alors : « Passons à l’arrivée des vaisseaux laquelle amène une digne gouvernante au Montréal en la personne de Madame Perrot, à la louange de laquelle nous dirons beaucoup sans nous écarter de ce qui lui est dû quand nous dirons qu’elle se fait voir en sa manière d’agir pour nièce de M. Talon l’intendant de ce pays et son oncle. Il n’est pas aisé de juger quelle fut la joie de M. Perrot, son mari, et celle d’un chacun en ce lieu, quand on eut les premières nouvelles de son arrivée ».(Histoire du Montréal, p. 204.)

    On voit par l’Histoire de l’Hôtel-Dieu que Talon avait aussi un neveu à Québec en ce moment. Ce jeune homme avait composé l’inscription latine gravée, avec les armes de la duchesse d’Aiguillon, sur une plaque de cuivre qui fut fixée sur l’une des pierres. (Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, pp. 213, 214, 215.)

  61. — D’après l’annaliste de l’Hôtel-Dieu, M. Talon avait conçu pour madame d’Ailleboust la plus haute estime ; il avait même demandé sa main. M. de Courcelle l’aurait aussi recherchée en mariage. Mais, sans entrer formellement en religion, elle s’était vouée à Dieu, et refusa les plus brillants partis. (Histoire de l’Hôtel-Dieu, p. 119).
  62. — Talon à Colbert, 10 nov. 1670. — Arch. prov., Man. N. F., 1ère série, vol. I. — La princesse de Conti avait voulu être l’une des bienfaitrices de cette œuvre. Elle avait donné à Talon pour cette fin, une première somme de 1200 livres en 1669.
  63. Talon au roi, 2 nov. 1671. — Arch. féd., Canada, corr. gén., vol. III.
  64. Addition au présent mémoire, 10 nov. 1670 ; Arch. féd., Canada, corr. gén. vol. III.
  65. Talon à Colbert, 10 nov. 1671 ; Ibid.
  66. — Sur un plan de Québec fait en 1670 par le sieur de Villeneuve, l’endroit où se trouvait le « logis de M. Talon » est nettement indiqué. C’était sur le site où s’éleva plus tard le Palais épiscopal bâti par Mgr de Saint-Vallier, et subséquemment le Palais législatif de Québec. Ce terrain est maintenant converti en un jardin public appelé « Jardin Montmorency. »

    Talon avait acheté cette maison, avec quelques arpents de terre sur la Grande Allée, du sieur Denis-Joseph Ruette d’Auteuil, le 3 juillet 1667, par l’entremise du sieur de Ressan ; il l’avait payée 6,500 livres. En 1682, il la vendit au sieur Provost, major de Québec, madame Perrot, nièce de Talon, agissant comme procuratrice et au nom de celui-ci. Le 12 novembre 1688, le sieur Provost la vendit à son tour à Mgr de Saint-Vallier. En 1680, l’intendant Duchesneau en était le locataire. (Greffe Rageot, contrat du 3 juillet 1667 ; greffe Becquet, déclaration du 20 août 1668, par le sieur de Ressan ; greffe Genaple, contrats du 9 novembre 1682, et du 12 novembre 1688 ; Mgr Henri Têtu, Histoire du Palais épiscopal de Québec, pp. 233 et suivantes).

    Talon avait occupé cette maison comme locataire depuis son arrivée au Canada en 1665, et il y avait fait des améliorations pour 2,500 livres, qui furent déduites du prix d’achat. Il payait 1,200 livres de loyer. Voici la description de cette propriété : « L’emplacement qui se rencontre en celui de Messire François de Laval, évêque de Pétrée, vicaire apostolique de ce pays, à cause de l’acquêt qu’il en a fait de veuve feu Guillaume Couillard, d’un côté le cimetière, d’autre, par devant, le grand chemin, et par derrière, le cap appelé Sault-au-Matelot, le tout contenant trois arpents de terre, ensemble la maison et grange assise sur icelui. » (Acte d’achat, du 3 juillet 1667). La maison était « de pierre à deux étages seulement, couverte d’ardoises, en pavillon, avec une cuisine ou allonge au bout de la dite maison, et un autre petit corps de logis en charpenterie, séparé de l’autre, couverte de bardeaux. » (Acte de vente du 12 novembre 1688).

  67. Lettre de Frontenac, 2 nov. 1672.
  68. — Voir la description de Québec, par Charlevoix, vol. III, p. 73.