Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France/Chapitre III

CHAPITRE III


La commission de l’intendant Talon. — Ses pouvoirs sont considérables. — Sa tâche est ardue. — Entrevues avec Louis XIV et Colbert. — Les instructions royales. — Fâcheux préjugés. — Inexactitudes. — La Compagnie des Indes Occidentales. — Son organisation. — Ses prérogatives et ses obligations. — Dualisme politique et administratif : le roi et la compagnie. — La question du rapprochement des habitations. — Recommandations diverses. — Talon à la Rochelle. — Ses lettres à Colbert. — Il part pour le Canada.


C’est le 23 mars 1665 que Jean Talon fut officiellement nommé intendant de la Nouvelle-France. Sa commission fut signée ce jour-là par Louis XIV et contresignée par M. de Lionne[1]. Voici le début de cette pièce : « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre ; à notre amé et féal conseiller en nos conseils, le sieur Talon, salut. Considérant que pour le bien de nos peuples et le règlement de la justice, police et finances en nos pays du Canada, il est nécessaire d’établir en la charge d’intendant sur les lieux, une personne capable pour nous y servir dignement, nous avons à cette fin jeté les yeux sur vous pour la particulière confiance que nous avons en votre expérience, bonne conduite et intégrité, qui sont des qualités dont vous avez donné des preuves en toutes les occasions que vous avez eues de faire paraître votre affection pour notre service. »

Les pouvoirs conférés à Talon étaient très étendus. Il était nommé intendant de la justice, police et finances pour les « pays de Canada, Acadie et île de Terreneuve et autres pays de la France septentrionale. » Il recevait instruction d’assister aux conseils de guerre tenus par MM. de Tracy et de Courcelle ; d’entendre les plaintes des peuples et des gens de guerre, et « sur tous excès, torts et violences, de leur rendre bonne et briève justice » ; d’informer relativement aux entreprises et menées contre le service du roi, de procéder contre les coupables de tous crimes, de quelque qualité et condition qu’ils fussent, et généralement de connaître de tous crimes, abus, délits et malversations ; de présider au Conseil Souverain en l’absence de MM. de Tracy et de Courcelle ; de juger souverainement seul en matières civiles et de tout ordonner « ainsi qu’il verrait être juste et à propos, le roi validant dès à présent comme pour lors les jugements qui seraient rendus par lui, tout ainsi que s’ils étaient émanés des cours souveraines, nonobstant toutes récusations, prise à partie, édits, ordonnances et autres choses à ce contraires » ; d’avoir l’œil à la direction, au maniement et à la distribution des deniers royaux, pour l’entretien des gens de guerre, et aussi aux mines, munitions, réparations, fortifications, emprunts et contributions ; de vérifier et arrêter les états et ordonnances et de se faire représenter les extraits des montres et revues ; en un mot « de faire et ordonner ce qu’il jugerait nécessaire et à propos pour le bien du service et ce qui dépendrait de la dite charge d’intendant de la justice, police et finances[2]. »

La tâche confiée à Talon n’était point médiocre. Elle demandait de l’intelligence, du savoir-faire, de l’énergie, du dévouement. Pour un officier public dont la carrière avait déjà été heureuse et paraissait encore pleine de promesses, c’était un rude sacrifice que de traverser les mers, de tourner le dos au champ fécond où l’initiative royale et ministérielle faisait germer tant de progrès et ouvrait de si glorieuses perspectives au talent laborieux ; et cela pour aller s’enfouir dans une colonie chancelante, afin d’y travailler obscurément, loin des regards du maître, à la tâche hasardeuse de réprimer la barbarie, et de faire sortir du chaos l’ordre, la paix et la prospérité ! Cependant Talon n’essaya point de se dérober à cette mission ardue. Il avait appris jeune à ne pas reculer devant les devoirs difficiles. En outre, il lui était bien permis d’espérer qu’on lui tiendrait compte de son abnégation, et que, malgré l’éloignement, le roi et le ministre apprécieraient les services rendus dans des conditions si extraordinairement méritoires.

Il eut, avant son départ, plusieurs entrevues avec Louis XIV et Colbert. Il reçut du premier l’assurance que son terme d’office au Canada ne serait que de deux ans. Le roi lui fit aussi remettre un long mémoire pour lui servir d’instructions. « Sa Majesté, y était-il dit, ayant fait choix du sieur Talon pour remplir cette charge (d’intendant du Canada), a considéré qu’il avait toutes les qualités nécessaires pour prendre une connaissance parfaite de l’état du dit pays, de la manière que la justice, police et finances, y ont été administrées jusques à présent, en réformer les abus, et en ce faisant maintenir les peuples qui composent cette grande colonie dans la possession légitime de leurs biens et dans une union parfaite entre eux, ce qui pourra produire avec le temps une augmentation considérable de la dite colonie qui est la fin principale où sa dite Majesté désire parvenir. »

Après cette entrée en matière, Louis XIV abordait immédiatement un sujet extrêmement délicat, et manifestait tout de suite la fâcheuse tendance à laquelle lui et ses ministres allaient trop souvent céder dans la question épineuse des relations de l’Église et de l’État. Cet important passage demande à être cité textuellement : « Le sieur Talon sera informé que ceux qui ont fait des relations les plus fidèles et les plus désintéressées du dit pays ont toujours dit que les Jésuites, dont la piété et le zèle ont beaucoup contribué à y attirer les peuples qui y sont à présent, y ont pris une autorité qui passe au delà des bornes de leur véritable profession, qui ne doit regarder que les consciences. Pour s’y maintenir ils ont été bien aises de nommer le sieur évêque de Pétrée pour y faire les fonctions épiscopales comme étant dans leur entière dépendance[3], et même jusques ici, ou ils ont nommé les gouverneurs pour le roi en ce pays là, ou ils se sont servis de tous moyens possibles pour faire révoquer ceux qui avaient été choisis pour cet emploi sans leur participation, en sorte que comme il est absolument nécessaire de tenir en une juste balance l’autorité temporelle qui réside en la personne du roi et en ceux qui la représentent, et la spirituelle qui réside en la personne du dit sieur évêque et des Jésuites, de manière toutefois que celle-ci fût inférieure à l’autre, la première chose que le dit sieur Talon devra bien observer et dont il est bon qu’il ait en partant d’ici des notions presque entières, est de connaître parfaitement l’état auquel sont maintenant ces deux autorités dans le pays et celui auquel elles doivent être naturellement. Pour y parvenir il faudra qu’il voit ici les Pères Jésuites qui ont été au dit pays et qui en ont toute la correspondance, ensemble le procureur général et le sieur Villeray, qui sont les deux principaux du conseil souverain établi à Québec, que l’on dit être entièrement dévoués aux dits Jésuites, desquels il tirera ce qu’ils en peuvent savoir sans néanmoins se découvrir de ses intentions »[4].

Ces accusations étaient graves, surtout dans la bouche du roi. Étaient-elles justes ? Nous ne le croyons pas. Les Jésuites jouissaient au Canada d’une indéniable autorité ; mais c’était une autorité morale acquise par de longs services, par une éminente vertu, par des sacrifices et des labeurs héroïques, par un dévouement patriotique et un zèle apostolique poussés jusqu’à l’effusion du sang. Cette autorité morale devait-elle donc porter ombrage au roi de France ? Quant à l’autorité temporelle, si les Jésuites y avaient eu parfois quelque part, qui en était responsable, sinon le pouvoir civil ? Lorsque le supérieur de la compagnie à Québec avait été nommé membre du conseil de la colonie en 1647, ce n’était ni lui ni ses confrères qui avaient sollicité cette charge. Et ils se demandèrent même s’il devait accepter[5]. Plus tard, en 1656, les Pères insistèrent pour que leur supérieur fût délivré de cette responsabilité[6]. En 1661, ils firent l’impossible pour se débarrasser de cet honneur importun[7]. Était-ce donc là des hommes si avides de pouvoir ? Sans doute, quelques-uns d’entre eux avaient pu commettre des indiscrétions[8] ; errare humanum est. Mais après les faits positifs que nous signalons, était-il raisonnable de prétendre que les Jésuites avaient recherché l’autorité temporelle ?

Cette autre affirmation qu’ils avaient nommé les gouverneurs pour le roi n’était pas plus fondée. On ne pouvait prétendre qu’ils eussent fait nommer Champlain et Montmagny : Champlain était le père de la Nouvelle-France et n’avait besoin d’être désigné par personne ; Montmagny, chevalier de Malte, avait des intérêts et des influences dans la Compagnie des Cent-Associés, à qui appartenait le domaine du Canada. Les Révérends Pères n’avaient pas davantage déterminé la nomination de M. d’Ailleboust : celui-ci n’était pas l’homme des Jésuites, mais l’homme de la Société de Montréal. M. de Lauson s’était fait nommer lui-même, étant membre influent de la compagnie des Cent-Associés, conseiller d’État, et l’un des commissaires chargés spécialement des affaires de la Nouvelle-France. Dira-t-on qu’ils avaient choisi M. d’Argenson, qui leur était notoirement hostile, et M. d’Avaugour qui ne leur était guère connu ? Restait M. de Mésy, qui avait été recommandé, c’était un fait notoire, par Mgr de Laval. En réalité, depuis Champlain, pas un gouverneur, pas un seul, n’avait dû sa nomination à l’influence et à l’amitié des Jésuites.

Mais, disait le mémoire, ils avaient fait révoquer ceux qui ne leur convenaient pas. Avaient-ils fait révoquer Champlain, mort en charge ? Ou M. de Montmagny, rappelé après douze ans, parce que la Cour avait décidé de ne plus laisser les gouverneurs aussi longtemps en fonctions ? Ou M. d’Ailleboust, nommé pour trois ans et qui fit tout son terme d’office ? Avaient-ils fait révoquer M. de Lauson, qui partit sans ordre du roi, avant l’expiration de son gouvernement ? N’était-ce pas M. d’Argenson lui-même qui avait demandé à M. de Lamoignon de lui faire choisir un successeur ? Et M. d’Avaugour n’avait-il pas été rappelé à cause de son conflit avec Mgr de Laval sur la question de l’eau-de-vie ? Il était vraiment fâcheux que des affirmations aussi légères et aussi peu exactes se fussent glissées dans un mémoire portant la signature royale.

Quant à Mgr de Laval, rien de plus étrange que d’entendre Louis XIV lui reprocher d’exercer une autorité excessive. C’était le roi lui-même qui lui avait conféré des pouvoirs politiques, qui lui avait ouvert les portes du Conseil Souverain et l’avait fait l’égal du gouverneur pour le choix des conseillers ! L’évêque de Pétrée avait-il abusé de ses pouvoirs ? Où en était la preuve ? Il avait simplement refusé de concourir dans les coups d’État de M. de Mésy.

Ni l’évêque, ni les Jésuites n’avaient jamais tenté de s’immiscer indûment dans le gouvernement temporel de la colonie. Administration de la justice, questions de tarifs et d’impôts, règlements de police, entreprises, expéditions, guerre et paix, dans aucune de ces matières ils n’avaient affiché la prétention de diriger et de dominer. Leur rôle avait toujours été celui de sujets loyaux, et, par exception, celui d’aviseurs modestes ou d’auxiliaires dévoués, quand on avait sollicité leurs conseils ou leur concours[9]. Que signifiaient donc ces imputations diffamatoires ? C’était l’esprit du règne qui s’affirmait, dès le début, dans les affaires du Canada, comme il allait s’affirmer davantage encore dans les affaires de France et dans les relations du roi-soleil avec l’Église. Esprit détestable et pernicieux, mélange de foi et d’orgueil, de respect pour la religion et d’empiétement sur ses droits, de zèle orthodoxe et de prétentions dominatrices frisant l’hétérodoxie. C’était en un mot le gallicanisme d’État, toujours prêt à dénoncer les envahissements de l’Église, lorsqu’elle demande tout simplement à exercer sans entraves la mission qu’elle tient de Dieu. Le grief qui se dissimulait derrière la phraséologie vaguement malveillante du mémoire royal, avait pour seul prétexte la fermeté avec laquelle Mgr de Laval et les Jésuites exerçaient leur autorité spirituelle dans la répression des abus, et spécialement dans la lutte contre la traite de l’eau-de-vie. Voilà de quoi on leur en voulait surtout.

Nous avons tenu à signaler immédiatement cette fâcheuse disposition du roi, malheureusement encouragée par Colbert, qui était un gallican accompli, le type de l’homme d’État césarien, comme nous aurons occasion d’en fournir des preuves.

Mais continuons l’examen des instructions adressées à Talon. Louis XIV mentionnait la création et le peu de succès de la compagnie des Cent-Associés, qu’il avait forcée à se démettre de ses droits en 1663. Puis il prescrivait à l’intendant de bien établir l’autorité de la compagnie des Indes Occidentales, créée en 1664. Elle était l’œuvre de Colbert, de même que celle des Indes Orientales, et il avait déployé pour leur organisation une ardeur, une énergie et une persévérance extraordinaires. Son espoir était que ces associations donneraient un grand essor au commerce, feraient fleurir la marine et accroîtraient promptement la prospérité du royaume. La compagnie des Indes Occidentales avait été établie par un édit du mois de mai 1664. Le roi lui concédait la terre ferme de l’Amérique depuis la rivière des Amazones jusqu’à celle de l’Orénoque, les Antilles possédées par les Français, le Canada, l’Acadie, l’île de Terreneuve et les autres îles et terre ferme depuis le nord du Canada jusqu’à la Virginie et la Floride avec la côte de l’Afrique depuis le Cap Vert jusqu’au Cap de Bonne-Espérance. Cette concession était faite en toute seigneurie, propriété et justice. La compagnie était investie du droit d’établir des juges et officiers de justice, des conseils souverains, de choisir et désigner à la nomination royale les gouverneurs et fonctionnaires de ces colonies, de vendre ou inféoder les terres, de percevoir les cens, rentes et droits seigneuriaux, de construire des forts, de fabriquer la poudre, de fondre les boulets, de forger des armes, de lever des troupes, d’équiper des vaisseaux de guerre, sur lesquels elle pourrait arborer le pavillon blanc avec les armes de France. Elle s’obligeait à envoyer des ecclésiastiques pour prêcher l’Évangile, à bâtir des églises, à entretenir le clergé. Elle était ouverte à tous les sujets du roi, et même aux étrangers. Les gentilshommes ne dérogeaient pas en y entrant. Quiconque y mettait depuis dix jusqu’à vingt mille livres pouvait assister aux assemblées générales et avoir voix délibérative. Ceux qui mettaient vingt mille livres et au-dessus pouvaient être élus directeurs généraux, et acquéraient le droit de bourgeoisie dans les villes où ils résidaient. Les étrangers qui souscrivaient vingt mille livres devenaient Français et régnicoles tant qu’ils demeuraient actionnaires pour cette somme ; et ce droit de naturalité leur était acquis pour toujours, après vingt ans. Le bureau de direction de la compagnie était composé de neuf membres, et elle pouvait établir des bureaux particuliers dans les provinces. L’article XV de l’édit déclarait que la compagnie ferait seule, à l’exclusion de tous autres, tout le commerce et navigation dans les pays concédés, pendant quarante années, et cela sous peine de confiscation, pour ceux qui enfreindraient ce privilège ; mais la pêche restait libre pour tous les Français. L’article XVI assurait à la compagnie une subvention de trente livres pour chaque tonneau de marchandises qu’elle transporterait dans les pays concédés, et de quarante livres pour chaque tonneau qu’elle en rapporterait. Le roi lui accordait de plus l’exemption des droits d’entrée et de sortie sur certaines marchandises, sur les munitions de guerre et de bouche et autres choses nécessaires au ravitaillement et à l’armement de ses vaisseaux, ainsi que sur tous les bois, cordages, goudrons, canons de fer et de fonte, et matériaux quelconques importés des pays étrangers pour la construction de ses navires en France. Enfin, pour aider plus directement la compagnie, il s’engageait à fournir le dixième de tous les fonds qui seraient faits par elle, et ce, durant quatre années, après lesquelles elle le rembourserait ; mais si, pendant cette période, elle avait souffert des pertes, il consentait à ce que celles-ci fussent prises sur les deniers avancés par lui. Il se réservait aussi l’alternative de laisser, pour quatre autres années, ce dixième dans la caisse de la compagnie, sans intérêt, et à la fin des huit ans, si le fonds capital avait subi quelque perte, il était convenu que cette perte serait encore prise sur ce dixième[10].

C’était à cette compagnie des Indes Occidentales que le roi, suivant les avis de Colbert, avait concédé le domaine de la Nouvelle-France, au mois de mai 1664, moins d’un an après l’avoir retiré des mains des Cent-Associés. L’époque était aux grandes compagnies. L’exemple de la Hollande et de l’Angleterre avait séduit le ministre de Louis XIV. Le succès extraordinaire de la compagnie hollandaise des Indes Orientales, dont le dividende avait atteint le chiffre de 62½ p. 100, ne pouvait manquer d’exercer une forte influence, et l’on avait préféré encore une fois le régime du monopole, du privilège, du domaine concédé et de la juridiction déléguée, à celui du commerce libre et de l’administration directe. Heureusement on n’appliqua pas le système dans toute sa rigueur. En effet les instructions contenaient ces lignes : « Il est nécessaire que le sieur Talon voie les lettres de concession, par lesquelles la compagnie est en droit de nommer le gouverneur et tous les autres officiers, et comme la compagnie connaît assez qu’elle ne pourrait pas trouver des personnes qui eussent assez de mérite et qui fussent assez autorisées pour occuper ces postes et les remplir dignement, elle a été bien aise que le Roi fit cette nomination jusques à ce que par la continuation des bontés et de la protection de Sa Majesté cette colonie s’augmentant considérablement, la dite compagnie puisse alors par elle-même trouver des sujets propres pour y envoyer. » Tout cela faisait en ce moment au Canada une condition politique assez singulière. En droit, la compagnie des Indes avait le domaine, la seigneurie, le gouvernement du pays. En fait, le roi exerçait le pouvoir administratif, ressaisissant d’une main ce qu’il avait concédé de l’autre. En droit, la compagnie possédait la justice dans toute son étendue ; elle pouvait établir des tribunaux et elle en établit effectivement. Mais en fait, le roi nommait un intendant, juge suprême en matières civiles, et un conseil souverain, tribunal de juridiction supérieure. En droit, c’était à la compagnie qu’appartenait le pouvoir de concéder des terres et des fiefs ; en fait, c’était le gouverneur ou l’intendant, officiers du roi, qui faisaient les concessions à leur guise[11]. Ce dualisme étrange, qui dura de 1664 à 1674, est parfois déconcertant pour celui qui aborde, sans initiation suffisante, l’étude de cette époque.

Les instructions royales relataient ensuite les démêlés de M. de Mésy avec le Conseil Souverain, ses abus d’autorité, sa conduite violente, et rappelaient à Talon que, d’après le pouvoir à lui donné ainsi qu’à MM. de Tracy et de Courcelle, ils devaient lui faire faire un procès et l’envoyer prisonnier en France, si les accusations contre lui étaient trouvées fondées.

Le mémoire parlait aussi de la guerre contre les Iroquois et des troupes qui allaient être expédiées pour exterminer ces barbares. Outre les quatre compagnies qui accompagnaient M. de Tracy, Louis XIV faisait passer au Canada « mille bons hommes, sous la conduite du sieur de Salières, ancien maréchal de camp d’infanterie, avec toutes les munitions de guerre et de bouche estimées nécessaires pour cette entreprise ». L’intention du roi était que Talon assistât à tous les conseils de guerre et s’appliquât à fournir aux troupes tout ce qui leur serait nécessaire.

Après l’expédition, Talon devait s’occuper, de concert avec le lieutenant-général et le gouverneur, à réorganiser le Conseil Souverain. « Sa principale application, disait le mémoire, doit être à faire régner la justice sans distinction de qui que ce soit, en prenant garde que le Conseil Souverain la rende toujours avec intégrité sans nulle cabale et sans frais. Et quoiqu’il lui soit conféré l’autorité de juger seul, souverainement et en dernier ressort les causes civiles, il sera bon, néanmoins, qu’il ne s’en serve pas que dans une nécessité absolue, étant de conséquence de traiter les affaires dans leur ordre naturel et de n’en point sortir que par des occasions indispensables. »

Talon était également exhorté à faire de bons règlements pour la police, « les fondant s’il se peut, sur l’exemple de ceux qui sont en vigueur dans les villes du royaume où l’ordre est mieux établi. » Il lui était en outre recommandé de se procurer tous éclaircissements possibles sur les dettes de la colonie, sur le revenu et l’emploi qui s’en faisait, dont on lui remettait un état : en un mot d’entrer si avant dans cette matière qu’il connût avec certitude, jusqu’au dernier sou, à quoi ce revenu montait effectivement. Et s’il s’était commis quelques abus, il devait en faire informer pour punir les coupables. On reconnaissait bien là l’inspiration de Colbert, le clairvoyant contrôleur des finances, le terrible découvreur de fraudes, l’implacable instigateur de la chambre de justice.

Les instructions s’occupaient longuement de la question des habitations, de leur trop grand éparpillement, et de leur groupement en bourgs et en villages autant qu’il serait possible, parce que leur éloignement les unes des autres les avait exposées sans défense aux attaques des Iroquois. « C’est pour cette raison, lisait-on dans le mémoire, que le roi a fait rendre il y a deux ans un arrêt du conseil dont il sera délivré une expédition au dit sieur Talon, par lequel, pour remédier à ces accidents, Sa Majesté ordonnait qu’il ne serait plus fait, à l’avenir, de défrichement que de proche en proche, et que l’on réduirait les habitations en la forme de nos paroisses et nos bourgs autant qu’il sera dans la possibilité, lequel néanmoins est demeuré sans effet sur ce que pour réduire les habitants dans des corps de villages, il faudrait les assujettir à faire de nouveaux défrichements et à abandonner les leurs ; toutefois comme c’est un mal auquel il faut trouver quelque remède pour garantir les sujets du roi des incursions des sauvages qui ne sont pas dans leur alliance, Sa dite Majesté laisse à la prudence du sieur Talon d’aviser avec le dit sieur de Courcelle et les officiers du Conseil Souverain de Québec à tout ce qui sera praticable pour parvenir à un bien si nécessaire ». Ici il y avait beaucoup à redire. D’abord, l’éparpillement signalé n’était pas si considérable que les instructions pouvaient le faire croire. En 1665 la Nouvelle-France se réduisait à trois centres : Québec, Trois-Rivières et Montréal. La population totale ne s’élevait pas à 3,000 âmes. Les deux tiers étaient groupés à Québec, et autour de cette ville. Aux Trois-Rivières et à Montréal, on retrouvait un groupement analogue. En soi, la dispersion n’était donc pas excessive. Nous admettons que, vu l’effroyable et navrante condition de la colonie, vu l’audace non réprimée des bandes iroquoises, qui étaient venues faire des prisonniers jusque sous le canon de Québec, la situation des colons, même de ceux qui étaient éloignés d’une demi-lieue à peine des forts et des villes, était néanmoins périlleuse. Mais cela était dû à l’abandon coupable où les compagnies et les gouvernements avaient trop longtemps laissé le Canada. Il était incroyable que l’on eût permis pendant de longues années aux sinistres leveurs de chevelures des Cinq Cantons de porter le fer et la flamme jusqu’au cœur de la colonie. Leur audace impunie était devenue sans bornes. À Montréal, ils s’embusquaient, la nuit, près des maisons, à l’affût du gibier humain. Ils couchèrent plus d’une fois dans la cour de l’Hôtel-Dieu de Ville-marie, dissimulés comme des fauves au milieu des grandes herbes, ainsi que dans la cour des sœurs de la Congrégation et sous les fenêtres de Mademoiselle Mance[12]. Dans de telles conditions, lors même que les habitants eussent été plus rapprochés les uns des autres, ils n’en auraient pas été moins exposés aux surprises sanglantes de ces barbares. Le vrai remède au mal devait venir de France, sous forme de troupes capables de refouler chez elles les hordes iroquoises, et de leur infliger un châtiment assez terrible pour les tenir désormais éloignées des rives du St-Laurent.

Cela ne veut pas dire que les avis de Louis XIV et de Colbert, relativement à la concentration des établissements, n’eussent aucune raison d’être. L’idée générale qu’ils émettaient était juste, quelle que fût leur erreur relative dans l’appréciation des circonstances présentes. Les habitations n’étaient pas aussi disséminées qu’ils le croyaient, et elles eussent été assez rapprochées si la mère-patrie se fût décidée plus tôt à protéger efficacement ses enfants canadiens. Mais il n’en restait pas moins vrai que, pour le présent et pour l’avenir, il fallait s’efforcer autant que possible de coloniser de proche en proche, de procéder par le défrichement continu, par la marche en avant graduelle et suivie, et non par bonds et enjambées ; en un mot, suivant une expression de M. Rameau, de s’étendre moins pour s’établir plus fortement. Louis XIV tenait beaucoup à cette idée[13], et pressait Talon de travailler à sa réalisation. Et pour activer le défrichement, il suggérait cet expédient : un habitant qui aurait reçu cinq cents arpents de terre, et n’en aurait que cinquante défrichés, serait forcé d’en abandonner cent aux nouveaux colons, sous peine de voir confisquer toutes ses terres non encore cultivées. Un autre moyen moins rigoureux était l’ordre donné à Talon de faire préparer tous les ans trente ou quarante habitations pour y recevoir autant de nouvelles familles.

Le mémoire royal contenait un très beau passage sur la sollicitude que l’intendant devait témoigner aux habitants de la Nouvelle-France : « Le roi, y était-il dit, considérant tous ses sujets du Canada, depuis le premier jusqu’au dernier comme s’ils étaient presque ses propres enfants, et désirant satisfaire à l’obligation où il est de leur faire ressentir la douceur et la félicité de son règne, ainsi qu’à ceux qui sont au milieu de la France, le dit sieur Talon, s’étudiera uniquement à les soulager en toutes choses et à les exciter au travail et au commerce, qui seuls peuvent attirer l’abondance dans le pays et rendre les familles accommodées. Et d’autant que rien ne peut mieux y contribuer qu’en entrant dans le détail de leurs petites affaires et de leur domestique, il ne sera pas mal à propos qu’après s’être établi, il visite les habitants les uns après les autres pour en reconnaître le véritable état, et ensuite pour voir autant bien qu’il pourra aux nécessités qu’il y aura remarquées, faisant les devoirs d’un bon père de famille. » C’était là un langage, des sentiments vraiment royaux.

Le mémoire encourageait aussi l’intendant à favoriser le commerce et l’industrie, et promettait l’assistance de Sa Majesté par « l’ouverture de ses coffres. » Dans un autre ordre d’idées, Talon devait exciter les parents à bien élever leurs enfants, à leur inspirer la piété et la vénération des choses qui concernent la religion, « et ensuite beaucoup d’amour et de respect pour la personne royale de Sa Majesté. »

Talon recevait instruction d’inviter les soldats du régiment de Carignan, et des quatre compagnies d’infanterie venues avec M. de Tracy, à demeurer au Canada après l’expédition contre les Iroquois ; et pour cette fin il était autorisé à leur faire des gratifications au nom de Sa Majesté.

La question des dîmes était une de celles que l’intendant avait mission d’étudier avec MM. de Tracy et de Courcelle. Elles avaient été fixées au vingtième par un arrêt du Conseil d’État en 1663, mais, des difficultés s’étant élevées, il s’agissait d’examiner si cette proportion était trop onéreuse pour le pays.

En dernier lieu le roi recommandait à Talon de travailler à faire construire des vaisseaux, de rechercher les bois propres à cette fin, et d’en empêcher l’abatis ; d’éprouver la fertilité des terres et de constater si, outre le blé nécessaire à l’approvisionnement de la colonie, il ne serait pas facile de leur faire produire les légumes et le chanvre ; d’étudier les moyens propres à assurer l’accroissement du bétail. Et il terminait en lui enjoignant d’être « fort soigneux à l’informer de tout ce qui se passait au dit pays et d’envoyer à Sa Majesté les observations qu’il aurait faites sur la présente instruction. » Le tout était « fait à Paris, le 27ème mars 1665, » signé « Louis », et contresigné « de Lionne, » comme la commission d’intendant.

Dans cette pièce si importante on retrouve à chaque page la pensée et les préceptes de Colbert, doublés de l’adhésion intelligente et de la volonté réfléchie de Louis XIV. On y saisit sur le vif et dans toute sa réalité cette collaboration fameuse d’un grand ministre qui conçoit, qui médite, qui combine et qui prépare, avec un grand roi qui examine, qui comprend, qui veut et qui ordonne. Nous l’avons longuement analysée parce qu’elle contient la parfaite esquisse du programme de restauration coloniale qui va s’exécuter ici pendant sept ans.

Talon avait vu Louis XIV et Colbert ; il avait reçu les instructions royales ; il ne lui restait plus qu’à prendre congé et à partir pour La Rochelle où devait se faire l’embarquement. Le 22 avril nous le trouvons dans cette ville. Il écrit au ministre que la compagnie des Indes Occidentales se prépare à faire passer au Canada cent cinquante hommes. Il lui parle d’une mine de plomb, découverte, paraît-il, à Gaspé, dans la Nouvelle-France, et sur laquelle le sieur Denis, de Québec, actuellement à La Rochelle, lui a fourni des informations. Il a ordonné à celui-ci de s’embarquer sur le prochain vaisseau, et de se faire descendre à la pointe de Gaspé avec vingt-cinq hommes, des vivres et des outils pour commencer l’exploration nécessaire. L’intention de Talon est de débarquer lui-même à Gaspé pour examiner l’ouvrage exécuté à ce moment, et emporter à Québec des échantillons du minerai trouvé afin que l’on en fasse l’épreuve[14].

Le 27 avril Talon écrit encore à Colbert. Il a fait monter sur le second vaisseau de la Compagnie, portant 190 hommes de travail, un homme chargé spécialement de s’occuper d’eux à leur débarquement, de voir à leur distribution parmi les habitants et à leurs contrats d’engagement pour trois ans. Le sieur Denis et l’agent de la compagnie sont à bord de ce navire[15]. « Comme nous sommes dans la saison la plus favorable de l’année, fait observer l’intendant, j’ai jugé avec MM. les directeurs pour la compagnie qu’il était à propos qu’ils fissent promptement passer leur agent afin que la dite compagnie puisse par le retour des vaisseaux qui nous porteront recevoir dès cette année quelque fruit de sa dépense. Cet agent est sur le vaisseau qui a fait voile aujourd’hui[16]. »

Le 4 mai, nouvelle lettre à Colbert. Talon y aborde une sérieuse question. La compagnie, dit-il, a voulu empêcher le passage au Canada de certaines marchandises appartenant à des habitants du pays, prétendant que cela était contraire à son privilège de commerce exclusif. L’intendant a répondu qu’il s’agissait de marchandises achetées par eux plutôt pour leur propre subsistance que pour le commerce, et qu’il ne fallait pas mettre les habitants de la colonie sous la fâcheuse impression que la compagnie entendait les réduire à prendre d’elle leur subsistance au prix de ses magasins. Devant ces représentations cette dernière avait cédé. Ce premier incident était assez significatif et pouvait faire présager une future divergence de vues. Après l’avoir signalé brièvement, Talon annonçait que M. de Salières et huit compagnies de son régiment allaient s’embarquer le 6 mai. Les huit dernières compagnies devaient partir environ huit jours après sur deux vaisseaux avec M. de Courcelle et l’intendant[17].

Ces lettres de Talon à Colbert, datées de La Rochelle, sont d’un spécial intérêt parce qu’elles nous le montrent à l’œuvre même avant son départ de France, et qu’il y manifeste cet esprit progressif et judicieux dont notre pays aura tant de preuves. Le 14 mai il informe le ministre qu’il a assisté à la revue de huit compagnies, qu’elles sont toutes complètes, mais que quelques-unes sont plus nombreuses et mieux équipées que les autres. Celle de M. de Sorel est la plus remarquable, et une gratification de 15 ou 20 pistoles[18] à cet officier serait de bonne politique. L’intendant se propose d’employer 100 ou 150 pistoles à récompenser et augmenter ainsi le zèle, et il assure qu’il sera économe et équitable[19].

Le 15 il écrit qu’il travaille à s’instruire sur tout ce qui concerne la Nouvelle-France. Parlant de l’Acadie et du voisinage des Anglais, il signale l’importance stratégique du Cap-Breton. Enfin, le 24 mai, il fait en ces termes ses adieux à Colbert : « Comme je crois que je n’aurai plus l’honneur de vous écrire de France, puisque je n’attends plus que le vent pour me mettre à la mer, souffrez que je vous assure que je pars pour le Canada très reconnaissant de toutes les grâces que vous avez eu la bonté de me départir et de me ménager auprès du roi, que, comme je sais qu’on ne peut vous témoigner de plus forte reconnaissance qu’en servant bien Sa Majesté ni mériter de nouveaux bienfaits qu’en payant les premiers par une sérieuse et forte application à faire réussir les choses qu’elle désire de nous, je n’épargnerai rien de la mienne pour remplir ses intentions au lieu où je vais. Ayez s’il vous plaît la bonté de me donner et la protection et les secours qui me feront besoin, et si je ne travaille avec succès, je travaillerai du moins avec zèle et fidélité. Je suis, avec tout le respect possible, Monsieur[20], votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur. »

Quelques heures après l’envoi de ces lignes, où nous croyons percevoir comme une note voilée d’émotion contenue, le Saint-Sébastien levait l’ancre, et Talon commençait pour la première fois la traversée de l’Océan, en route vers cette lointaine Nouvelle-France où il allait se faire un nom historique.



  1. Lionne était secrétaire d’État, Colbert ne l’était pas encore. Or « un secrétaire d’État seul pouvait contresigner les lettres et ordres du roi relatifs à la marine (et aux colonies), et Colbert ne le fut qu’en 1669. Le ministre de Lionne continua donc de contresigner jusqu’à cette époque une partie du travail de Colbert. » (Histoire de Colbert, par P. Clément, vol. I, p. 405).
  2. Édits et Ordonnances, publiés à Québec de 1854 à 1856, en trois volumes, vol. III, p. 33.
  3. — C’était mal apprécier le caractère de Mgr de Laval que de représenter ce prélat sous l’entière dépendance de quelqu’un. Il n’était point de cette trempe. Il avait trop de fermeté, trop de détermination, trop d’initiative personnelle, pour être l’instrument de qui que ce fût. Les Jésuites possédaient son affection et son estime ; il les consulta dans les occasions, mais rien de plus. Mgr de Laval se gouverna toujours lui-même.
  4. Mémoire du roi, pour servir d’instruction au sieur Talon, 27 mars 1665.
  5. Journal des Jésuites, 6 août 1647 p. 93 : « Sur le règlement venu de France qui portait l’établissement d’un conseil de trois, dont le supérieur était l’un, je fis consulte pour savoir si j’y devais consentir. Le P. Vimont, le P. Dendemare et le P. le Jeune y étaient : il fut conclu que oui qu’il fallait le faire ». C’est le P. Jérôme Lalemant qui tient ici la plume.
  6. — Extrait des registres du Conseil d’État, 15 mars 1656 : « Ouïs aussi aucuns des Pères Jésuites ayant soin des affaires de leur compagnie en la Nouvelle-France, venus exprès en l’assemblée des commissaires à ce députés, pour prier que leurs pères qui sont au dit pays fussent dispensés à l’avenir d’entrer au dit conseil de Québec, ainsi qu’ils y étaient obligés par le dernier règlement, fait au Conseil par Sa Majesté, afin qu’étant déchargés de ce soin, ils puissent vaquer avec plus de liberté à leurs missions et à la conversion des sauvages ». (Nouvelle-France, documents historiques, p. 104).
  7. Journal des Jésuites, 1er octobre 1661, p. 302 : « Quelque résistance que nous y pussions apporter, M. le gouverneur d’Avaugour nous obligea d’assister au Conseil, et me l’ayant commandé plusieurs fois par toute l’autorité qu’il avait, sans vouloir d’excuse, m’envoya sur le temps de le tenir son secrétaire pour m’y conduire ; où étant arrivé, il m’y établit, et à mon défaut telle personne des nôtres que je voudrais ».
  8. — Le Père de Rochemonteix nous fait voir que le Père Ragueneau, d’ailleurs admirablement doué, aimait trop à se mêler des affaires publiques et des intérêts privés des colons. Mais ses confrères étaient les premiers à l’en blâmer et à s’en plaindre. (Les Jésuites et la Nouvelle-France, vol. II, p. 184).
  9. — Nous ne prétendons pas que Mgr de Laval et les Jésuites ne se trompèrent jamais dans leurs appréciations, et ne commirent jamais de fautes dans leurs actes publics. Mais nous soutenons énergiquement que l’accusation de vouloir usurper l’autorité temporelle et politique n’était qu’une mauvaise querelle gallicane.
  10. Édits et Ordonnances, vol. I, p. 40.
  11. — Cependant Colbert recommanda à Talon en 1666 de les faire au nom de la compagnie.
  12. Histoire de la colonie française en Canada, par l’abbé Faillon, vol. III, pp. 4 et 5.
  13. — En 1676, il écrivait à Frontenac : « Pénétrez-vous de cette maxime qu’il vaut mieux occuper moins de territoire et le peupler entièrement que de s’étendre sans mesure et avoir des colonies faibles, à la merci du moindre accident. » — Louis XIV à Frontenac, 14 avril 1676.
  14. Talon à Colbert, La Rochelle, 22 avril, 1665. Archives fédérales, Canada, Correspondance générale, vol. II.
  15. — Cet agent était le sieur Mille-Edme Le Barroys, conseiller et secrétaire du roi et son interprète en langue portugaise. Il avait été nommé agent général de la compagnie dans toute l’étendue du Canada, « pour gérer et négocier ses affaires et avoir inspection sur tous ses officiers et commis », par une commission datée du 8 avril 1665 — Édits et Ordonnances, III, p. 36.
  16. — Arch. féd., Canada, corr. gén., II.
  17. — Arch. féd., Canada, corr. gén. II. — Quatre compagnies du régiment de Carignan-Salières étaient parties avec un premier vaisseau. (Journal des Jésuites, p. 432) Dans cette même lettre du 4 mai 1665, on voit reparaître un instant l’ex-intendant du Hainaut. « J’ai laissé entre les mains d’un de mes frères, dit-il, quelques plans des villes de Flandre dont j’ai eu l’honneur de vous parler. » Et ailleurs : « M’étant trouvé en Flandre entre quatre des principales têtes du pays, je connus par leur entretien que de toutes les entreprises que le roi fait en dehors de ses états, celle qui leur donne plus de jalousie est la prise de possession de la terre ferme de l’Amérique, (c’est-à-dire de Cayenne et de la région entre les Amazones et l’Orénoque), même des colonies que Sa Majesté y envoie, et ces quatre personnes ne purent s’empêcher de me faire connaître que les ministres d’Espagne craignent qu’à la mort de Philippe IV, refusant au roi les parties des Pays-Bas qu’ils connaissent lui être légitimement acquises, ils n’ouvrent la porte à l’invasion (c’est le terme dont ils se servent) que Sa Majesté pourra faire des parties de l’Amérique qu’ils occupent, qu’ils estiment l’âme de leur monarchie qui ne se soutient pas, comme la France, par la multitude de ses peuples, l’abondance de ses productions et la richesse de son commerce, toutes ses principales forces provenant des mines de ce pays ».
  18. — La pistole, monnaie d’Espagne, valait environ onze livres de vingt sols.
  19. — Arch. féd., Canada, corr. gén., II.
  20. — Au printemps de 1666, Colbert n’avait pas encore droit au « Monseigneur. » Ministre en fonctions, il ne l’était point en titre, malgré l’immense juridiction dont il était déjà investi. Il ne devint « Monseigneur Colbert, » qu’au mois de décembre 1665, lorsqu’il fut nommé contrôleur-général des finances. Quelques uns l’avaient monseigneurisé par anticipation, mais cela n’était pas conforme aux règles de désignations officielles alors en usage.