Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France/Appendice

APPENDICE


LE PORTRAIT DE TALON


Le portrait de l’intendant Talon, qui se trouve en tête de ce livre, a été exécuté en photogravure d’après une gravure faite pour l’édition anglaise de l’Histoire de la Nouvelle-France du Père Charlevoix, publiée par M. John Gilmary Shea. C’est une reproduction de la toile conservée à l’Hôtel-Dieu, et à laquelle fait allusion l’annaliste de cette institution dans les lignes suivantes : « Nous gardons son portrait dans notre hôpital avec un grand soin, comme l’image de celui à qui nous avons d’éternelles obligations[1]. »

Nous devons des remerciements à M. Philéas Gagnon, qui a bien voulu mettre à notre disposition un exemplaire de cette gravure.


LES INTENDANTS ; LEUR ORIGINE

Nous avons écrit au chapitre premier de ce livre : « Ces fonctionnaires (les intendants) firent leur apparition durant la première moitié du XVIIème siècle, ce fut Richelieu qui les créa. » Nous n’avons fait que reproduire une opinion couramment émise par un grand nombre d’historiens. Mais M. Hanotaux, dans une savante monographie publiée en 1884, s’inscrit en faux contre cette affirmation. D’après lui l’institution des intendants remonte, pour le moins, au règne de Henri II. « Richelieu n’innova rien en principe sur la question des intendants ; il eut sur le développement de cette institution une influence transitoire et actuelle, tenant surtout à l’autorité de sa propre personne et à la nécessité des circonstances dans lesquelles on se trouvait alors… L’idée et la résolution de l’établissement définitif des intendants doit être absolument rejetée de l’histoire de Richelieu. » (Origine de l’institution des intendants des provinces, par M. Gabriel Hanotaux, Paris, chez Champion, 1884 ; pp. 112 et 154).


L’EXPROPRIATION DES TROIS BOURGS


Voici les pièces relatives à l’expropriation des terres appartenant aux Jésuites, dont il est question à la page 96 de ce livre.

Nous en devons la copie à l’extrême obligeance du R. P. de Rochemonteix :


Copie de la requête présentée à M. l’intendant par le R. P. Le Mercier, supérieur, touchant nos terres.


Vous remontre humblement le recteur du collège de Québec, supérieur des missions des RR. PP. Jésuites en la Nouvelle-France, sur le dessein que vous avez d’établir divers bourgs sur leur seigneurie de Notre-Dame-des-Anges.

1° Que l’exécution de ce dessein leur serait si préjudiciable qu’elle leur ôterait l’unique fonds qu’ils ont pour subsister en ce collège, et fournir aux frais immenses de tant de missions qu’ils font dans tout le Canada, après avoir possédé le dit fonds environ quarante ans, après l’avoir cultivé en partie avec grandes dépenses, et après avoir justement espéré qu’ils pourraient continuer de le faire valoir paisiblement ensuite du don qui leur en a été fait par Monseigneur de Ventadour, vice-roi de ce pays, et qui leur a été ratifié par Messieurs de la Compagnie, Monseigneur de Montmagny et Monsieur de Lauzon, gouverneurs du dit pays.

2° Puisqu’il paraît, Monseigneur, que vous ne cherchez que le service du roi, et peupler le pays, nous pouvons dire que nous avons prévenu en partie vos intentions, et sommes prêts encore de les seconder selon notre pouvoir. Car outre les bâtiments et les terres que nous avons défrichées pour nous-mêmes à grands frais, nous avons encore établi sur la dite seigneurie environ cent habitants, qui peuplent journellement, de plus nous avons pris les mesures nécessaires, et fait les principales dépenses, pour faire d’autres bourgs selon les alignements déjà tracés.

3° S’il nous est permis de contribuer à peupler le pays en multipliant les habitations sur nos terres de la dite seigneurie, nous jouirons de notre droit et cependant nous travaillerons pour la fin que vous prétendez qui est le service du roi et l’augmentation du pays, ce que nous avons eu toujours en vue, l’ayant fait cultiver et peupler en tant d’endroits, qu’il ne s’en trouvera pas qui aient plus servi et profité à tout le pays que nous depuis quarante ans.

4° S’il vous plaît, Monsieur, de faire travailler ailleurs à même que nous le ferons sur nos terres, il se trouvera que le roi aura bientôt plus de nouveaux sujets en plus d’endroits que vous ne désignez, et ainsi les bourgs se multiplieront, le pays profitera davantage, la ville de Québec en tirera plus de secours dans les occasions, vos desseins se verront accrus, vous nous aurez conservé nos droits, et nous aurons sujet de louer votre justice.

Que si nonobstant nos raisons et nos prières, vous persistez, Monseigneur, à vouloir que votre dessein soit exécuté, il vous plaira nous donner acte que ce n’est point de notre consentement que cela se fait, pour nous servir de justification envers nos supérieurs et envers l’Église si besoin est.

Fait à Québec, ce 25ème jour de janvier de l’an 1666.

François Le Mercier.


Réponse de M. l’intendant.


Il sera répondu à la requête ci-dessus lorsqu’après avoir été présentée à Monseigneur de Tracy, ayant en sa personne la première et principale autorité du roi, il aura été jugé à propos que nous y répondions.

Fait à Québec, ce 26 janv. 1666.

Talon.


Réponse de M. de Tracy.

Vu la requête ci-dessus des Pères Jésuites et la réponse de Monsieur Talon, intendant de la justice, police et finances en Canada sur icelle, nous la renvoyons à Monseigneur Talon pour y être fait justice et raison conformément aux volontés du roi.

À Québec, ce 26 janvier 1666.

Tracy.


Seconde réponse de Monseigneur Talon.


Pour ne rien faire qui paraisse blesser les intérêts de Dieu en ce qui regarde l’Église, du roi en rétablissement du Canada, et les nôtres en ce que nous nous devons à nous-même par l’acquit de notre devoir, nous remettons à répondre à la requête d’autre part à nous renvoyée par M. de Tracy, lorsque par les RR. PP. Jésuites il aura été répondu par écrit au cas par nous à eux proposé de même.

Fait à Québec, ce 26 janvier 1666.

Talon.


Copie d’un billet envoyé au R. P. Le Mercier par Monseigneur l’intendant, le 26 janvier 1666.


Je prie très humblement le Révérend Père Supérieur des Jésuites de trouver bon, que, comme il me demande de quoi justifier sa conduite à l’égard de ses supérieurs, je lui demande réciproquement de quoi mettre la mienne à couvert auprès du roi en résoudant par écrit le cas que je lui propose ; je suis son très humble serviteur.

Talon.


Cas proposé aux RR. PP. Jésuites de Québec qu’ils sont priés de résoudre.


Si un sujet du roi ayant reçu commandement de Sa Majesté de donner toute son application à faire valoir et avancer son service, dans l’établissement d’un pays que Sa Majesté veut procurer, peut en conscience préférer un petit avantage à un beaucoup plus considérable tant au service de Sa Majesté qu’au bien public, et de tout un pays, et par la considération d’un particulier n’embrasser pas le général, surtout en chose notable.

Si même ayant reçu commandement d’établir quarante familles que Sa Majesté veut envoyer au printemps prochain et à cet effet leur préparer des habitations en forme de bourgades toutes cultivées et ensemencées, il peut, par la considération du même intérêt d’un particulier prendre un espace de terre couverte de bois en un lieu où ces pauvres familles seront plus exposées et plus éloignées des secours qui leur seront nécessaires dans les premiers temps, pouvant en prendre une autre couverte aussi de bois, et non en valeur, qui peut non seulement être plus commode aux dites familles mais plus utiles au corps de l’état.

En un mot si ce sujet sachant et connaissant parfaitement que ce qu’il fait est beaucoup plus conforme aux intentions qu’il a reçues de ses supérieurs, au service de son roi, et au bien public qu’il doit procurer de toutes ses forces, que tout ce qu’on lui peut proposer ailleurs, peut changer de dessein pour l’intérêt d’un seul ou d’une Communauté ne faisant qu’un membre en l’État.

Talon
.


Copie de la Réponse au dit billet et au dit Cas par manière de requête.


Monseigneur,


Nous ne doutons point que vous ne puissiez décider le cas qu’il vous a plu nous proposer, mieux que nous, attendu que vous croyez que ce sont affaires d’État, et que d’ailleurs l’intérêt nous ferait trouver moins de créance, et partant nous arrêtant à la conclusion de notre requête, nous vous supplions derechef très humblement d’avoir agréable de nous donner au moins un petit témoignage de votre main, comme vous avez jugé cela nécessaire pour le service et la satisfaction de Sa Majesté.

Que si cela même ne vous agrée pas, nous nous désistons volontiers de vous le demander ne désirant rien plus que de vous témoigner que nous sommes les très soumis et très obéissants sujets du roi et vos très humbles serviteurs.

À Québec, le 27 Janv. 1666.
Réponse de bouche, qui ne fut pas faite,


Monseigneur de Tracy nous ayant conseillé de faire la susdite par manière de requête laquelle ne fut pas répondue, Monsieur l’Intendant s’étant dédit à notre dernière proposition :

Monsieur, je viens vous supplier d’avoir pour agréable que je vous réponde de bouche au billet qu’il vous a plu m’écrire et au cas que vous nous avez proposé, savoir est :

Que nous jugeons que vous êtes très capable et plus que nous de décider un cas de cette nature et qui regarde l’État.

De plus la difficulté n’est pas dans ces propositions générales, étant assuré, que comme pour Dieu, il n’y a rien qu’on ne doive faire, aussi à proportion un fidèle sujet du roi doit-il embrasser ce qui est plus justement avantageux pour son service.

La difficulté est dans l’application de la thèse générale au cas particulier, or comme nous sommes intéressés en celui dont il est question, vous trouverez bon, Monsieur, que nous ne vous en disions autre chose que ce que nous vous en avons humblement remontré dans la requête que nous vous avons présentée.

Outre que nous ne vous l’avons présentée que pour avoir de vous la réponse que vous jugerez.

(Archives nationales, Paris ; Carton M, 247).




RÉUNION DES TROIS BOURGS À LA SEIGNEURIE DE N.-D.-DES-ANGES


Les trois bourgs mentionnés à la page 98 restèrent séparés de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges pendant trente-deux ans. Les Jésuites, cependant, n’avaient pas renoncé à сe qu’ils considéraient leur droit. En 1671, le roi fit don de ces trois villages à Talon et les joignit à son fief des Islets érigé en baronnie. En 1675, lorsque cette baronnie fut élevée à la dignité de comté d’Orsainville, les bourgs y restèrent unis. Mais après la mort de Talon, les Pères intentèrent une action à son héritier pour la propriété des terres qui leur avaient été enlevées en 1666. Cette action fut signifiée à Jean-François Talon, à Paris, le 24 octobre 1695.

Le 10 mars 1696, par l’intermédiaire de sa mère et de sa sœur, il vendit son comté d’Orsainville à Mgr  de St-Vallier, qui voulait en doter l’hôpital général fondé par lui. Voici quelques extraits du contrat de vente :

« Geneviève Leduc, veuve de François Talon, Conseiller et maître d’hôtel du Roy, demeurant rue du Bac, paroisse de Saint-Sulpice, et demoiselle Geneviève Talon, fille majeure demeurant avec dame Geneviève Talon sa mère, au nom et comme procuratrices de messire François Talon, comte d’Orsainville, conseiller du roi, commissaire général de la marine, légataire universel de messire Jean Talon son oncle, aussi comte d’Orsainville, conseiller du roi en ses conseils, ci-devant secrétaire du cabinet et premier valet de la garde-robe du roi, fondées de sa procuration passée devant Levasseur et Henry, notaires, le 15 juin 1695, » vendent, cèdent, délaissent, etc., « à illustrissime et révérendissime père en Dieu Messire Jean-Baptiste de la Croix de St-Vallier, évêque de Québec en la Nouvelle-France, demeurant ordinairement en la ville de Québec, étant de présent en cette ville, logé au séminaire de St-Sulpice, rue Féron, à ce présent et acceptant, acquéreur pour lui, ses héritiers ou ayants cause, la terre, seigneurie et comté d’Orsainville, ci-devant appelée la terre, fief, seigneurie et baronnie des Islets, avec les terres qui peuvent y avoir été jointes et unies, le tout au pays de Canada ou Nouvelle-France, près de la dite ville de Québec, avec droit de la justice haute, moyenne et basse, fruits, profits, rentes, redevances et autres droits de quelque nature qu’ils soient, circonstances et dépendances, ainsi que le tout se poursuit et se comporte, sans aucune réserve, si ce n’est seulement du nom, titre et dignité de comte d’Orsainville que la dite dame et demoiselle venderesses au dit nom, ont expressément réservé au dit sieur Jean-François Talon, avec les honneurs, armes, rang et prééminence y attachés et accordés par Sa Majesté au dit feu sieur Talon, ses hoirs et ayants cause. »

La dite vente était faite « moyennant la somme de six mille livres, monnaie de France, en déduction de laquelle somme le dit seigneur acquéreur a présentement baillé et a payé comptant aux dites dames et demoiselle venderesses au dit nom, qui de lui confessent avoir reçu à la vue des notaires soussignés en louis d’argent et autre monnaie ayant cours la somme de mille livres dont elles se contentent et acquittent le dit seigneur acquéreur, et à l’égard des cinq mille livres restant du dit prix, le dit seigneur acquéreur promet et s’oblige de les bailler et payer au dit sieur Talon, savoir : mille livres dans la fin de juin de l’année prochaine mil six cent quatre-vingt-dix-sept, et les autres quatre mille livres en quatre paiements égaux de mille livres chacun qui se feront dans la fin de juin de chacune des quatre années suivantes sans néanmoins aucun intérêt. » (Acte de vente du 10 mars 1696 ; par devant les sieurs Bonhomme et Duport, notaires au Châtelet de Paris).

Par un acte passé le même jour, les procuratrices de Jean-François Talon stipulaient que Mgr  l’acquéreur tiendrait le vendeur quitte des réclamations et prétentions des Révérends Pères Jésuites :

« Par devant les notaires soussignés, furent présents, dame… (mêmes désignations de personnes que dans l’acte de vente ci-haut), lesquelles parties en faisant éteignant par devant les notaires soussignés, ce jourd’hui, le contrat de vente que les dites dame et demoiselle Talon au dit nom ont fait à mon dit sieur évêque de Québec, sont convenues de ce qui suit : c’est à savoir que le dit sieur évêque de Québec demeurera chargé à ses risques de l’événement des prétentions et demandes formées par les Religieux de la Compagnie de Jésus de la dite ville de Québec, par leur requête du 24 octobre dernier, signifiée avec assignation au Conseil Souverain de Québec au dit sieur Talon, en son domicile à Paris le 16 février dernier, par Chauffourneau, huissier au grand Conseil, ensemble de toutes autres prétentions et demandes qui auraient pu ou pourraient être ci-après formées tant par les dits religieux de la Compagnie de Jésus de Québec que toutes autres personnes contre icelui sieur Talon, au sujet des trois bourgs nommés le Bourg-Royal, le Bourg-la-Reine et le Bourg-Talon, dépendant de la dite terre, seigneurie et comté d’Orsainville. »

Devenu propriétaire du comté d’Orsainville, Mgr  de Saint-Vallier en fit donation le même jour à l’hôpital général, « à condition que la dite terre ne pourra être vendue ni aliénée pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit. » (Acte de donation passé à Paris devant Bonhomme et Duport, le 10 mars 1696).

Les PP. Jésuites s’opposèrent à l’insinuation de la donation et produisirent leurs moyens d’opposition. Ils réclamaient : 1° Les terres des trois bourgs expropriés par Talon en 1666. 2° Une rectification de bornes entre le comté d’Orsainville (autrefois le fief des Islets) et leur seigneurie de Notre-Dame-des-Anges, en vertu d’un acte passé le 8 juin 1664, par devant Duquet, notaire à Québec, entre les dits Pères Jésuites et Guillaume Fournier alors propriétaire des Islets. Cet acte établissait entre les deux domaines un nouveau rumb de vent pour lequel les Pères donnèrent une somme assez considérable. Cependant, malgré cet acte, les propriétaires successifs du fief des Islets avaient continué à jouir des terres qui, d’après le nouveau rumb de vent, devaient faire partie de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Il y avait là, suivant les RR. PP., une différence de près de trois lieues de terres. 3° Les rentes, redevances et fruits « perçus des dites terres en litige » depuis 1666. La pièce où nous puisons tous ces renseignements concluait comme suit : « Voilà les prétentions des Pères Jésuites, nonobstant quoi si messieurs les administrateurs de l’hôpital général, à qui on nous assure que Monseigneur l’Évêque a fait donation de la Comté d’Orsainville et de ses dépendances, veulent quelque accommodement, comme ils nous ont fait l’honneur de nous le proposer : Pour favoriser autant qu’il est en nous le dit hôpital et son établissement, nous nous relâchons 1° de ce que nous avons marqué dans le troisième article, à savoir de ne point répéter les provenus des dits villages et terres depuis que nous avons intenté action, et nous lui donnons encore volontiers ce qui nous pourrait être adjugé à l’encontre des héritiers de feu M. Talon. 2° Nous cédons aussi volontiers en faveur du dit hôpital le rumb de vent que nous avons acheté du dit sieur Guillaume Fournier et nous voulons bien suivre le reste de la seigneurie le nord-ouest quart de nord et non pas le nord-ouest, comme si la dite transaction n’avait point été faite, ce qui donne au dit hôpital près de trois lieues de terre qui nous appartiennent en vertu du contrat passé avec le dit Fournier, à condition cependant que les habitations de Charlebourg qui empiètent environ trois arpents sur le dit rumb de vent de nord-ouest demeureront bornées comme elle sont et jouiront du dit terrain dont elles payeront rentes aux seigneurs de la seigneurie de N. Dame-des-Anges. Nous avons mis une carte de la dite seigneurie entre les mains de mon dit Seigneur Évêque qui expliquera mieux cet endroit ; mais aussi à condition que les terres et villages de Bourg-Royal et Bourg-la-Reine seront détachés du comté d’Orsainville et demeureront à l’avenir réunis à la seigneurie de N. Dame des Anges en propriété incommutable aux dits Pères comme avant le retranchement qu’en avait fait le dit Sr Talon et conformément au titre primitif de la concession d’icelle.

« Si Messieurs les administrateurs reçoivent ces accommodements nous aurons pour l’hôpital général les mêmes bonnes volontés que nous avions avant que d’intenter action sur ce dont il s’agit, sinon nous déclarons que nous demandons tous les droits que nous pouvons avoir sur tous les articles marqués ci-dessus et qu’il en sera décidé par justice »[2].

Le résultat de tout ceci fut un acte de transaction passé par devant le sieur Rageot, notaire royal à Québec, le 24 mars 1698, entre messieurs les administrateurs de l’hôpital et les RR. PP. Jésuites. Étaient présents, d’une part : Mgr de Saint-Vallier, M. de Frontenac et M. de Champigny, « chefs de direction de l’hôpital général » ; Marie-François Dupré, prêtre, curé de la paroisse de Notre-Dame de Québec, MM. Charles Aubert de la Chesnaye, conseiller au Conseil souverain, François-Madeleine Ruette d’Auteuil, procureur général, René-Louis Chartier de Lotbinière, lieutenant général civil et criminel à la prévôté de Québec, Paul Dupuy, lieutenant particulier à la dite prévôté, Pierre Bécard de Granville, François Hazeur, marchand, Louis Chamballon, notaire royal, tous directeurs et administrateurs du dit hôpital général ; et, de l’autre part, les Pères Jacques Bruyas, supérieur, et François Vaillant, procureur des Jésuites de Québec. « Lesquelles parties, pour éviter de part et d’autre les contestations et procès dans lesquelles le dit hôpital général serait obligé d’entrer avec les dits Pères Jésuites en conséquence de la donation faite au dit hôpital par mon dit seigneur évêque… ont de leur bon gré et volonté réglé, accordé et transigé en la forme et manière qui suit : c’est à savoir que les dits seigneurs, chefs de la direction du dit hôpital général, et les dits sieurs administrateurs sus nommés… cèdent, quittent, délaissent, transportent et abandonnent aux dits révérends Pères Jésuites, les dits RR. PP. Bruyas et Vaillant à ce présents et acceptant tant pour eux que pour leur dite compagnie, tous et chacun les droits, actions et prétentions que le dit hôpital général pourrait avoir et prétendre en vertu de la dite donation, sur les dits bourg Royal et la Reine et moulin à vent qui y est construit, circonstances et dépendances…, au moyen de quoi les dits Pères Jésuites cèdent, quittent, délaissent, transportent et abandonnent pareillement au dit hôpital général tous les droits et prétentions qu’ils peuvent avoir et prétendre sur toutes les terres par eux acquises du dit Guillaume Fournier et sa femme par la transaction qu’ils ont passée avec eux… ; comme aussi les Pères Jésuites se désistent et déportent pour et au profit du dit hôpital général de toutes les actions et prétentions qu’ils pourraient avoir et prétendre à l’encontre du dit sieur Talon pour leurs dommages et intérêts à cause de non jouissance des terres des dits Bourgs Royal et la Reine, rentes seigneuriales et lods et ventes… ; et outre ce, moyennant le prix et somme de deux mille livres pour les dits Bourgs Royal et la Reine, que les dits RR. PP. Jésuites ont retenus, du consentement des dits seigneurs et sieurs directeurs, à constitution de rente rachetable à toujours à raison du denier vingt, suivant l’ordonnance, en un seul paiement, à la charge par eux d’en faire et payer par chacun an ès mains du trésorier du bureau du dit hôpital général la somme de cent livres de rente annuelle qui est à raison du denier vingt.

« Fait et passé au dit Québec, en l’hôtel épiscopal de Monseigneur l’évêque, avant midi, le 24 mars 1698, en présence des sieurs Pierre-François Fromage, marchand, et de François Aubert, témoins, demeurant au dit Québec. » Suivaient les signatures des parties, des témoins et du notaire. (Acte de transaction du 24 mars 1698 ; greffe Charles Rageot, notaire royal. — Arch. prov. ; Cahiers d’intendance, concessions en fief, etc., vol. II, fol. 740 à 743).

Le résumé et les extraits de pièces justificatives qui précèdent, indiquent de quelle manière les Bourgs Royal et la Reine furent réunis à la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges, après en avoir été séparés pendant trente-deux ans.


LES NOMS ANGLAIS DES CINQ CANTONS IROQUOIS


En parcourant les auteurs américains et anglais qui ont écrit sur l’histoire du Canada, on constate qu’ils donnent aux cinq cantons iroquois des noms autres que ceux attribués à ces derniers par les Français. Nous croyons utile de mettre ici en regard les deux séries d’appellations :

Français Anglais
Agniers Mohawks
Onnontagués Onondogas
Onnoyouts Oneidas
Goyogouins Cayugas
Tsonnontouans Senecas

L’ÉDIT CONTRE LES BLASPHÉMATEURS


Au chapitre onzième de ce livre nous avons omis de parler de l’édit royal contre les blasphémateurs. Nous tenons à combler cette lacune en le mentionnant ici. Cet édit fut rendu le 30 juillet 1666. Louis XIV décrétait que « les blasphémateurs du saint nom de Dieu, de la Vierge et des saints » seraient « condamnés pour la première fois en une amende pécuniaire à l’arbitrage des juges, et pour la deux, trois et quatrième fois, condamnés doublement, tiercement et quadruplement, et pour la cinquième, appliqués au carcan aux jours de fêtes ou dimanches, où ils demeureraient depuis huit heures du matin jusques à une heure l’après-midi, et en outre en une grosse amende ; pour la sixième fois, seraient menés au pilori et auraient la lèvre de dessus coupée d’un fer chaud ; et la septième fois seraient menés au pilori et la lèvre de dessous coupée ; et en cas d’obstination et récidive ils auraient la langue coupée ; à faute d’avoir par les condamnés de quoi les payer, tiendront prison un mois ou plus au pain et à l’eau, et sera fait registre des dits blasphémateurs ; et seraient tenus ceux qui entendraient blasphémer de le révéler au juge dans vingt-quatre heures, à peine de soixante sols parisis d’amende ; et n’entendait le dit seigneur roi comprendre les énormes blasphèmes qui, selon la théologie, appartenaient au genre d’infidélité et dérogeaient à la bonté et grandeur de Dieu et de ses autres attributs, lesquels le dit seigneur voulait être punis de plus grandes peines que celles ci-dessus… » Cet édit fut enregistré au parlement de Paris, le 6 septembre 1666.

Le 27 février 1668, Talon rendit une ordonnance pour faire lire, publier et afficher cet édit dans toutes les habitations de la colonie. Il le fit de plus enregistrer au Conseil Souverain, le 29 mars suivant. (Édits et Ordonnances, I, pp, 62 à 64.)

L’outrage à Dieu était alors traité comme un attentat contre la société chrétienne.


LA TRAITE DE L’EAU-DE-VIE


Nous aurions voulu donner en appendice le texte entier de la lettre si convaincante de M. Dollier de Casson, citée par nous à la page 241. Le souci d’abréger nous en empêche. Cette pièce se trouve dans le volume sixième, deuxième série des Manuscrits relatifs à l’histoire de la Nouvelle-France, aux Archives provinciales. La lettre de M. de Denonville, que nous citons également, à la page 242, se trouve dans la même collection.

L’ordonnance royale du 24 mai 1679 défendit de « porter ni faire porter des eaux-de-vie dans les bourgades des sauvages éloignées des habitations françaises, à peine de cent livres d’amende pour la première fois, de trois cents livres pour la seconde, et de punition corporelle pour la troisième. » Après la publication de cette ordonnance, Mgr  de Laval crut devoir lever son cas réservé, qui donnait de l’ombrage à Louis XIV et à Colbert.

Les désordres causés par la traite clandestine de l’eau-de-vie continuèrent pendant bien longtemps et furent un fléau pour la colonie.


LE FIEF DES ISLETS


Le domaine ou le fief des Islets dont il est question spécialement à la page 275, avait été concédé en l’année 1626 à Louis Hébert par Champlain, au nom de M. de Ventadour. Il consistait d’abord en une lieue de front, sur la rivière St-Charles, et quatre lieues de profondeur. La lieue de front fut réduite à un quart de lieue par M. de Lauzon, en 1652. (Acte de foi et hommage, 10 décembre 1667 ; Arch. du min. des terres, mines et pêcheries).

Louis Hébert, mort en 1627, laissa deux enfants : Guillaume et Guillemette Hébert.

Guillaume Hébert épousa Hélène Desportes, et mourut en 1639, laissant deux enfants : 1o  Joseph Hébert, marié à Marie-Charlotte de Poitiers, mort sans enfants, tué par les Iroquois en 1661. 2o  Françoise Hébert, épouse de Guillaume Fournier.

Guillemette Hébert épousa Guillaume Couillard dont elle eut plusieurs enfants. Elle perdit son mari en 1663.

En 1667, les héritiers survivants de Louis Hébert étaient donc : sa fille, Guillemette Hébert, veuve Couillard, et sa petite-fille Françoise Hébert, femme Fournier. Il y eut entre Guillemette Hébert, d’une part, et Guillaume Fournier et sa femme, de l’autre, de longues contestations. Nous n’entreprendrons pas d’en exposer ici le détail. Notre seul but est de montrer comment Talon devint propriétaire du fief Hébert à la rivière Saint-Charles.

Il procéda systématiquement. Sur la partie du domaine qui lui était échue, Guillemette Hébert avait concédé des terres à Louis Blanchard et à Thomas Touchet. Talon commença par acheter celle de Louis Blanchard, par acte du 9 septembre 1667. (Greffe Rageot ; Arch. jud.) Puis il acheta celle de Thomas Touchet, le 15 janvier 1668 (Ibid.). Il acheta ensuite une autre portion non concédée du domaine des Islets, de Guillemette Hébert, par acte du 17 janvier 1668. (Grefe Becquet ; Arch. jud.) Enfin le 31 août et le 12 octobre 1670, il acheta de Françoise Hébert et de son mari Guillaume Fournier, leur part du susdit domaine.

Pour ces différentes acquisitions, Talon paya : 1o à Louis Blanchard, « dit danse à l’ombre », 350 livres ; 2o à Thomas Touchet, 1000 livres ; 3o à Guillemette Hébert, 560 livres, plus une terre à bois pour son fils Louis Couillard ; 4o à Françoise Hébert et Guillaume Fournier, 6850 livres. Soit en tout 8760 livres.

Le 24 mars 1668, Talon rendait foi et hommage, par le ministère de Jean Levasseur, huissier, pour la portion de fief acheté par lui de Guillemette Hébert le 17 janvier, et pour les terres acquises de Louis Blanchard et de Thomas Touchet, « icelles acquisitions faites par le dit seigneur intendant pour être réunies et incorporées et tenues désormais à titre de fief conjointement avec le surplus de l’acquisition qu’il a faite de la dite veuve Couillard, sur laquelle dite terre en fief le dit seigneur intendant a fait bâtir une grande maison en pavillon avec une grange et autres bâtiments et fait faire plusieurs travaux pour jardins et terre en culture, labours et prairies. » (Acte de foi et hommage, 24 mars 1668 ; Arch. min. terres, mines et pêch.)

C’est ce fief que Louis XIV érigea en baronnie des Islets en 1671, et en comté d’Orsainville en 1675. Comme on l’a vu, l’héritier de Talon le vendit en 1696, à Mgr  de Saint-Vallier, qui en fit donation à l’hôpital général, auquel il appartient encore.

Depuis l’origine de la colonie jusqu’à nos jours les propriétaires de ce domaine ont donc été successivement : Louis Hébert ; ses enfants Guillaume et Guillemette Hébert ; ses petits-enfants Joseph et Françoise Hébert ; Louis Blanchard et Thomas Touchet, à titre de concessionnaires de terres ; l’intendant Talon ; son héritier Jean-François Talon ; Mgr  de Saint-Vallier, et enfin l’hôpital général. La partie du fief où se trouvaient les terres de Louis Blanchard et de Thomas Touchet et le terrain vendu à Talon par Guillemette Hébert, le 17 janvier 1668, forment aujourd’hui le parc Victoria. Cette portion de l’ancien comté d’Orsainville a été concédée, en 1896, à la ville de Québec par l’hôpital général, moyennant une rente constituée de cinq cents piastres par année au capital de vingt mille piastres.

Parmi les promeneurs qui circulent à travers le parc, aux accords harmonieux des concerts en plein air, durant nos belles soirées d’été, bien peu se doutent qu’ils foulent un sol historique, et que la mémoire de Louis Hébert, le pionnier de la Nouvelle-France, de Jean Talon, le grand intendant, et de Mgr  de Saint-Vallier, l’illustre évêque, plane au dessus de ces allées et de ces parterres.


LE TESTAMENT DE TALON


Cette pièce si importante et si précieuse pour nous se trouve aux Archives nationales, à Paris. (Série Y ; Registre 38 des insinuations du Châtelet, folio 78).


Testament de Messire J. Talon, intendant de la Nouvelle-France.


Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, un seul en trois personnes, que j’adore, en qui je crois, en qui j’espère, persuadé qu’on ne doit pas compter sur la vie et qu’il est bon de prévenir la mort, mettant quelque ordre dans les affaires ; après avoir prié le Père Éternel de recevoir dans le sein d’Abraham mon âme purifiée de ses crimes par le précieux sang de son cher Fils, après avoir demandé à la Sainte Vierge ses suffrages auprès de ce même fils, aussi bien que les suffrages de tous les anges, saints et saintes du Paradis, j’ai, soussigné, jouissant du plein usage de ma raison, de toute la liberté de mon esprit et d’une entière santé de mon corps, déclaré que ce qui suit est mon testament et ma dernière volonté que je désire et veux être suivie et exécutée ; je déclare aussi que je révoque, casse et annulle par le présent écrit de ma main tous les autres testaments et codicilles que j’ai pu avoir faits antérieurs à celui-ci.

Premièrement : Je désire et ordonne que vingt-quatre heures après mon trépas et non plus tôt, mon corps soit ouvert pour en tirer mon cœur, qui sera mis en plomb qu’on trouvera dans le tiroir de mon bureau, préparé pour cela, pour être porté et déposé dans l’église de l’abbaye de tous les Saints, de Châlons, où sont ceux de mes frères Claude et Philippe Talon, mes frères ; désirant de plus que celui de feu Monsieur Philippe Talon, mon père, que j’ai mis ou déposé sous l’autel intérieur des Capucins de Rouen, en soit tiré, afin que les dits cœurs de mes dits frères et le mien lui étant joints, on puisse leur donner une sépulture commune sans séparer ce qui a toujours et doit être parfaitement uni.

Qu’à cet effet on donne des faveurs aux dits Pères Capucins pour l’avoir bien voulu conserver, les priant de faire un service pour mon père et pour moi ; lorsqu’on tirera mon cœur, qu’on donne à mon corps la même sépulture qu’à défunts mes père et mère inhumés dans la chapelle de Sainte-Catherine de Notre-Dame de Châlons, en Champagne, modestement et sans éclat, mais avec toute la dévotion et le secours des prières qu’on pourra.

Que dans le jour de mon décès, si je meurs avant midi, on fasse dire les messes des morts pour apaiser la juste colère de Dieu sur mes péchés.

Qu’au moment de mon décès six prêtres séculiers ou réguliers seront mis auprès de mon corps et y demeureront jusqu’à ce qu’il soit transporté pour être inhumé, et j’ordonne que pour la rétribution des dits prêtres, il leur soit payé à chacun six livres par chaque vingt-quatre heures, outre la nourriture qui leur sera donnée.

Comme tout ce que je possède vient des bienfaits et des libéralités du Roi, particulièrement des deux charges de secrétaire de son cabinet et de premier valet de sa garde-robe, de même que ce que j’ai pu ménager dans les différents emplois dont il a plu à Sa Majesté de m’honorer, dès avant que je n’aie rien des biens de ma famille, et reconnaissant le droit qu’a Sa Majesté de disposer sommairement de tout ce bien, je veux et entends que ceux qui prendront quelque part à ce mon testament fassent connaître à Sa Majesté que je n’ai prétendu disposer d’aucunes choses que sous son bon plaisir ; et s’il est que mon testament ait lieu, ils reconnaissent ce qui leur est ordonné ou légué comme une grâce qu’elle a la bonté de leur faire, qui doit les engager à s’attacher à son service, à quoi je les invite, leur proposant l’exemple de six de leurs oncles, mes frères, qui s’y sont sacrifiés, sans compter le trop faible zèle que j’ai eu pour le même service. Supposant de la part du Roi la permission de disposer du bien qu’il m’a fait, je veux et ordonne que sur le total de mon bien, par préférence à toutes autres choses, toutes les dettes légitimes que je peux avoir contractées ou pour moi ou pour feu mes frères, desquels je peux avoir hérité, soient ponctuellement acquittées.

Qu’ensuite il soit fondé une messe annuelle et perpétuelle chaque jour de l’année, de même qu’à mon anniversaire aussi perpétuel à même jour que celui de mon trépas, autant qu’il sera possible, d’une grande messe des morts, le célébrant de laquelle sera assisté d’un diacre et d’un sous-diacre, avec des choristes vêtus de chappes, et la dite messe précédée de l’office des morts ou le même jour ou la veille d’icelle, et que la dite fondation se fasse dans l’église de l’abbaye de Toussaints de Châlons, pour demander à Dieu qu’il plaise à sa miséricorde de me remettre les peines du purgatoire auxquelles il aurait pu me condamner, de même que celles que mes père et mère, frères et sœurs, neveux, nièces et autres mes parents, peuvent encore souffrir pour remplir les justes jugements.

Que par le contrat qui sera fait de cette fondation, du consentement du Très Révérend Père Général de l’ordre des chanoines réguliers et supérieur de la communauté des Religieux de Toussaints, ils soient obligés le dimanche précédent les anniversaires de faire avertir par une bulle le chef de ma famille résidant à Châlons, et deux ou trois des principaux des miens parents, afin qu’ils puissent y assister s’ils en ont la dévotion, de même que d’en avertir le peuple à la sortie de la grand-messe qu’ils seront personnellement obligés de faire sonner pour les anniversaires, de même que tinter la messe annuelle à la manière accoutumée.

Qu’ils seront personnellement obligés de payer dix livres aux pauvres qui assisteront aux messes des dits anniversaires à la sortie d’icelles. Pour cette fondation j’ordonne qu’il soit payé au supérieur de la communauté des religieux de la dite abbaye s’ils l’acceptent du consentement du général de l’ordre, auquel ils seront obligés de faire ratifier le contrat qui en sera passé, la somme de quatre cent cinquante livres de rente annuelle et perpétuelle à condition aussi qu’ils seront obligés de fournir le luminaire de six cierges sur l’autel, deux sur les ordinaires et six autour de la représentation, la dite somme de quatre cent cinquante livres à prendre sur la terre et baronnie de Nanteuil-sur-Aisne qui ne pourra à l’avenir être possédée par qui que ce soit, vendue ni échangée ni aliénée qu’à cette charge et condition, et aux refus que les religieux de cette abbaye pourront faire d’accepter cette fondation, elle sera affectée à Messieurs les curés et chanoines de Notre-Dame-de-Châlons, et au cas qu’ils l’acceptent, je les prie de faire dire les messes annuelles dans la chapelle de Sainte-Catherine.

Qu’au moment qu’on saura ma mort, soit que je meure à Paris ou ailleurs, j’ordonne qu’on envoie cinquante francs à chacune des communautés des Révérends Pères Récollets, rue du Bac, des Théatins, des Augustins déchaussés de la place des Tréteaux de Saint-François, aux religieux du même ordre du couvent des Loges près Saint Germain, avec un billet à chacune des dites communautés, au supérieur d’icelles, pour les inviter de dire quelques messes, de faire prier Dieu pour moi par leurs religieux et religieuses le plus tôt qu’ils pourront après le billet reçu.

Je désire et ordonne que tous les gages qui pourront être dus à mes domestiques leur soient ponctuellement payés, et qu’on leur donne à chacun suivant leur rang un habit complet de deuil. Outre les gages qui auront été payés à mes domestiques, je lègue au cocher qui sera en service le jour de mon décès et à chacun de mes laquais qui y seront de même dix écus ; à Arnoux, mon valet de chambre, si au dit jour de mon décès il est encore auprès de moi, quatre cent livres et un de mes habits, outre celui de deuil ; à François Turu qui écrit sous moi, quatre cent livres, et un de mes habits outre celui de deuil ; au cuisinier qui sera à mon service au jour de mon décès vingt écus, et s’il y a alors auprès de moi quelqu’autre domestique qui ne soit pas ci-nommé, je désire qu’il soit traité de même.

Je veux et entends que pour marquer les endroits où mes proches parents sont inhumés, on orne la chapelle de Sainte-Catherine de l’Église de Notre Dame-de-Châlons où les corps de mes père et mère sont enterrés, et qu’une tombe de marbre, où on scellera des plaques de cuivre, soit mise sur leurs corps avec une inscription qui marque qu’ils sont unis d’époux ; et pour l’ornement de la dite chapelle, je lègue cinq cents écus dont je prie Monsieur de Lisle, chanoine de la dite Église, de faire faire l’emploi ; qu’une tombe ou épitaphe soit mise dans l’Église de Saint-Servin de Coudron où François Talon mon frère est inhumé pour marquer le lieu de sa sépulture.

Que sur le corps de feu Arthur Talon, chanoine de Notre-Dame de Vervins et abbé de Toussaints, mon frère, aîné de ma famille, enterré à la gauche du portail qui conduit par le préau dans l’Église de Notre-Dame, soit mis une tombe si le lieu le souffre, ou vis-à vis sur la muraille une épitaphe qui marque sa sépulture, et pour cela je lègue à la fabrique de cette Église cinq cents livres une fois payées et autres cinq cents livres pour être distribuées à Messieurs les chanoines et ecclésiastiques qui assisteront à un service des morts, vigiles de grande messe, que je prie très humblement mes dits sieurs les chanoines de vouloir célébrer pour le repos de l’âme de mon dit frère le jour de l’exposition de la tombe ou épitaphe. Il n’y a rien à ajouter à la fondation qui a été faite à Oudenarde pour feu Claude Talon mon frère, enterré dans la principale église au pied du tabernacle, ni au monument qui lui a été dressé.

Que pour marquer la sépulture de feu Paul Talon, mon frère, mort à Saint-Jean-de Luz, et enterré presque au milieu de l’église principale, on mît sur son corps une tombe de marbre ornée de lames de cuivre avec une inscription ; pour cela, et pour un anniversaire que je prie très humblement messieurs les curés et marguillers de la dite église de faire tous les ans, au jour s’il se peut de la mort du défunt, à perpétuité, je lègue à la fabrique de la dite église cinq cents écus une fois payés pour employer un fonds.

Que de pareilles marques de sépultures soient données à défunts mes frères Nicolas, Antoine, Philippe et Noël Talon, le premier chanoine et sous-chantre de l’église cathédrale de Châlons, enterré dans la nef de la dite église près d’un pilier à la gauche presque en entrant par le grand portail ; le second aussi chanoine et sous-chantre de la dite église, et abbé de Toussaints, enterré dans l’église souterraine des minimes de Trévoux, presque au milieu de la dite église ; le troisième, abbé de Toussaints, enterré vis-à-vis du grand autel au-dessous des marches du chœur de la dite église ; et le quatrième tué, servant de volontaire, à l’attaque des lignes d’Arras, enterré dans le chœur de l’abbaye d’Estrées, proche la dite ville, assez proche des stalles des religieux du côté droit de cette église.

Que sur le corps de Claude Laguide Dareguy, mon neveu, enterré au dit Ligny dans l’église principale, il soit aussi mis une tombe ou posé une épitaphe ; de même que sur le corps d’Anne Talon, ma sœur, enterré dans Notre Dame de Châlons.

Je lègue à Madeleine Laguide Meynier, femme de feu Monsieur Perrot, la terre et vicomté de Ville-Jouy-sur-Vignes et dépendances, de même que la maison, les terres et les vignes qui m’appartiennent dans Jouy, substituant le tout aux enfants de Monsieur Perrot et Dame, vivants au jour de mon décès ; je lègue à Madeleine Perrot sa fille et ma nièce la somme de deux mille écus pour aider à la mettre en religion si Dieu lui en inspire le dessein, ou pour aider à son mariage, voulant qu’à cet effet cette somme soit placée le plus sûrement qu’on pourra afin qu’elle ne soit pas dissipée avant le temps de l’emploi à sa destination.

Je lègue à Monsieur Perrot, mon neveu, son frère, six mille livres qui seront mis en rente, à Henry Perrot, son cadet, trois milles livres, supposé qu’il n’ait rien fait chez les Anglais chez lesquels il a vécu de contraire à sa religion dont il ne veuille. Je lègue pareillement à Angélique Perrot, ma nièce, trois mille livres, à Geneviève Perrot, ma nièce, trois mille livres pour l’aider à la mettre en religion, condition pour laquelle elle témoigne inclination, mais pour laquelle je n’entends pas qu’elle puisse être contrainte. Je lègue à Geneviève Talon, ma nièce, vingt mille livres, sans préjudice d’un billet de dix mille livres que je lui ai donné, et dont j’entends qu’elle soit payée de même que des intérêts depuis les dates du dit billet.

Je veux et entends qu’on ne puisse rien demander à Madame Talon, ma belle-sœur, de tout ce qu’on établira de prétentions contre elle pour son logement et les nourritures que je lui ai fournies, non plus que de ce qu’elle me peut devoir par billet ou autrement, par engagés, prêts ; et pour marquer que je ne conserve aucun ressentiment de tout le chagrin qu’elle m’a donné par sa conduite à mon égard, je lui lègue la tapisserie qui est dans le haut de la grande chambre de mon logis.

Je lègue au nommé Jean Talon, Irlandais qui travaille dans les bureaux de Milord Melford, cent écus ou trois cents livres pour aider à sa subsistance. J’ordonne pareillement que des biens de ma succession il en soit employé quatre mille livres au soulagement des personnes de ma famille qui sont la plupart en Champagne, conformément à l’état de distribution qui en sera fait par Monsieur le président de Saint-Martin que j’en prie très humblement, et par Madame Perrot et Angélique Talon mes nièces.

Je lègue aux prêtres hybernants des deux communautés des Lombards et de Montagu qui auront la charité de repasser en Irlande pour y conserver la religion catholique et y assister leurs compatriotes, six cent livres, priant très humblement Monsieur Bailly, avocat général au grand conseil, de régler cette distribution à mesure que les dits prêtres s’offriront pour passer.

J’ordonne pareillement qu’on continue de donner pendant un an après mon décès, cinquante écus par quartier, faisant six cents livres pour l’année, à chacune des dites communautés des Lombards et de Montagu, pour aider à leur subsistance en attendant que quelque personne charitable prenne soin de les assister.

Je lègue en faveur des pauvres anglais, irlandais et écossais auxquels je prenais le soin de distribuer la charité du roi et de la cour, six mille livres, et j’entends que cette somme soit remise entre les mains de la personne choisie par Madame de Maintenon, sous les ordres de laquelle cette somme se distribuera, si Dieu veut avoir la charité de l’ordonner. Je prends ici occasion de la remercier très humblement de tous les biens qu’elle m’a donnés et procurés de servir les pauvres, et de l’assurer que si Dieu me fait miséricorde, je le prierai de tout mon cœur de la combler de ses grâces, ce que je dois faire et ferai ardemment pour le roi.

J’établis pour mon héritier légataire universel la personne de François Talon mon neveu, et parce que les biens que je lui laisse consisteront en terres, maisons, et contrats, et non pas en argent comptant, je prie tous ceux et celles en faveur desquels (je fais des legs), excepté les legs qui regardent les pauvres ou l’Église, de lui donner trois mois de temps pour vendre quelques contrats ou meubles et remplir les dits legs.

Je désire que mon neveu Jean-François Talon laisse dans le pavillon des Loges tous les meubles qui peuvent y être, ne les ayant mis que pour servir utilement aux personnes de qualité qui, pour faire plus commodément leurs dévotions, voudront s’y retirer, et je prie très humblement les supérieurs des Augustins déchaussés, et particulièrement au dit monastère, d’en laisser la clef à l’usage de mon dit neveu comme ils m’ont fait la grâce de me l’accorder durant ma vie.

Le roi d’Angleterre m’ayant fait l’honneur de s’adresser à moi pour demander quelque secours d’argent au cours de son voyage de La Hogue, et lui ayant prêté cinquante mille livres provenant du prix de ma charge de secrétaire du cabinet, j’ordonne à mon neveu mon héritier de lui faire connaître de ma part que mon intention ayant été de lui faire ce léger plaisir, je désire qu’il dispose de cette somme comme il plaira à Sa Majesté, ne voulant pas qu’il la rembourse s’il n’est bien en état de le faire, persuadé que je suis que si Dieu, en qui j’espère de sa divine Providence, le rétablit sur le trône il n’abandonnera ni ma famille ni mon neveu qui rapportera à Sa Majesté Britannique le billet qui se trouvera dans ma cassette, qu’elle a voulu absolument que je prisse, et il marquera en même temps à la reine que, mourant comme je fais son très humble et très respectueux serviteur, je prierai Dieu de toutes mes forces, s’il me pardonne mes péchés, de la rendre plus heureuse en l’autre monde qu’elle ne l’est en celui-ci.

Je lègue à Messieurs Bontemps, Bergers et Amoino trois grands tableaux qu’on assure être de Fougemont, le premier à choisir par Monsieur Bontemps, le second par Monsieur Bergers et le troisième par Monsieur Amoino, pour leur servir de mémoire de notre ancienne amitié, que je les prie de conserver à toute ma famille.

J’établis pour exécuteur de mon testament Monsieur l’abbé Gubais, docteur de Sorbonne, et Monsieur Yvesc aumônier du Roi d’Angleterre, les priant de vouloir bien me rendre ce dernier office et de joindre avec eux Monsieur Muler ci-devant vicaire de Saint-Germain qui a beaucoup de zèle et d’action et qui peut les aider, ce que cependant je laisse à leur liberté, laissant aussi à chacun d’eux un tableau à choisir dans ceux qui me restent.

Et pour rendre ce testament plus valable je l’ai signé de ma main et scellé du cachet de mes armes.

Fait à Paris, le vingt-neuvième avril mil six cent quatre-vingt-quatorze.




LES ARMES DE TALON


En terminant son testament, Talon dit qu’il le signe de sa main et le scelle « du cachet de ses armes. » Ces armes étaient « d’azur au chevron d’argent, accompagné de trois épis montants d’or, soutenus chacun d’un croissant montant d’argent. » Elles étaient les mêmes que celles des Talon de Paris.

La reproduction que nous en faisons ici est prise d’un cachet de cire, à l’empreinte très nette, apposé sur une ordonnance rendue par Talon en 1666. Cette pièce se trouve aux Archives provinciales. Nous en devons le dessin à l’obligeance et au talent de M. St-Michel, dessinateur au ministère des Travaux publics.


fin de l’appendice
  1. Histoire de l’Hôtel-Dieu, p. 217.
  2. — Raisons que les Pères Jésuites ont eues de s’opposer à l’insinuation de la donation faite du comté d’Orsainville et ses dépendances à l’hôpital général. — Archives de l’Hôpital général de Québec.