Les Éditions de l’homme (p. 85-90).


CES
DIABLES
D’HOMMES


LOUIS FRANCŒUR
NOUS PARLE


Mon hôte mit son télé-vidéo au point et, aussitôt, Francœur nous apparut sur l’écran lumineux.

— « Bonjour, gros Louis », m’écriai-je joyeusement.

— « Ah ben, petit pendard, d’où sors-tu ? »

Nous nous étions reconnus ! Je lui expliquai ma présence chez le diable et, comme cela se devait, il s’empressa de me répondre, avec son bon gros rire : « Tu es mieux de détaler au plus tôt, parce que tu es sûr que le diable va te garder. À quoi bon te laisser repartir, pour avoir à retourner te chercher en peu de temps ! »

Puis, les souvenirs nous emportant, l’un et l’autre, je rappelai à Francœur, ses merveilleux commentaires à la radio sur la dernière guerre.

— « Et toi, parle donc des tiens à CKAC. »

— « Ah ! les miens, n’en parlons pas plutôt ! Ils n’étaient rien à côté des tiens, tu le sais bien. »

— « N’empêche, mon petit pendard, que tu m’as « scoopé » des nouvelles de guerre pendant une bonne huitaine de jours ! »

— « Aie, aie ! J’ai bien du mal à te croire, mon gros Louis. »

— « Tu te rappelles ? Tu es entré, un bon après-midi, dans mon bureau avec, sous le bras, le dernier exemplaire du journal américain PM. »

— « Ah, oui. C’était là que je puisais mes nouvelles. »

— « Tout juste. Et moi, j’ignorais même l’existence de ce journal-là. Tu m’as même laissé ton exemplaire, en me disant que tu t’en procurerais un autre au kiosque voisin. »

— « Je te devais bien au moins cela. Et puis, ce jour-là, comme bien d’autres fois, tu m’as offert un de tes cigares. »

— « C’est vrai ! Je fumais le cigare, depuis que je me croyais en train de faire fortune à la radio. Alors, tu n’as pas oublié mes cigares ? »

— « Les oublier ? Chose impossible ! Tes cigares, ils étaient infects, Louis ; je te l’avoue maintenant. Tes cigares ! De véritables Flor de el Puente ! Mais tu me les offrais avec un si grand cœur que je ne me sentais pas le courage de les refuser. »

— « Petit pendard, c’est ça, ta reconnaissance ! »

Francœur éclata de rire et, en me fixant de ses gros yeux de hibou, derrière ses énormes lunettes, ajouta : « Eh bien, moi, aussi, je les trouvais abominables. Mais, je m’en étais fait « coller » deux cents par un marchand et il fallait bien que je les écoule !! »

Peu à peu, en déroulant le fil de nos souvenirs, Francœur évoqua les soirs où chacun de nous faisait des commentaires plutôt violents sur le maréchal Pétain. Nous recevions des appels téléphoniques de protestations et de menaces. On nous attendait à la sortie du poste pour nous assommer.

— « Mais la police secrète veillait sur nous, gros Louis !! »

— « Parlons-en de la police secrète ! Je t’assure que j’étais de taille à étriper le premier fasciste, le premier nazi et n’importe qui de cette tourbe qui nous menaçait toujours, mais qui ne se montrait jamais. Mais toi, petit pendard, qui n’était qu’un gringalet, et qui traversait vers minuit, presque tout l’est de la ville, pour te rendre chez toi, je te plaignais. Il me semble encore te voir dans ta petite voiture Austin, une espèce de tapecul que j’avais toujours eu peur de voir s’écraser, quand je montais avec toi. »

— « Bah ! je me disais que tous ces bravaches n’étaient que des piliers de taverne incapables de risquer plus que de nous injurier par téléphone. »

— « Au fond, tu avais raison. Je me souviens d’un importateur français qui me provoqua même en duel… par téléphone, après m’avoir injurié avec une volubilité merveilleuse. Je le laissai vider son sac, comme on dit. Puis, avec l’air de rien, je lui dis qu’au lieu de se battre en duel avec moi, il ferait bien mieux d’aller combattre aux côtés de Pétain en se faisant accompagner de ses deux fils, deux embusqués qu’il cachait dans sa maison. »

— « Et le duel n’eut pas lieu, je suppose bien ! Tu viens de parler d’embusqués, gros Louis. Voilà un mot qui fait évoquer bien des souvenirs. »

— « Oui ! les embusqués, ces « petits orphelins » de 21 ans qui nous arrivaient de France, de Belgique et d’Angleterre. »

— « Ces chers « petits orphelins » que nos gouvernants laissaient entrer dans le Québec surtout. Ils prenaient la place de nos jeunes qui, eux, allaient se faire casser la figure en France, en Belgique ou en Angleterre. C’était un bel échange ! Ah ! chers petits orphelins ! »

— « Si nous parlions d’actualités plutôt ? »