Les Éditions de l’homme (p. 75-77).

À PROPOS
DE DRAPEAU
ET
D’HYMNE NATIONAL


— « Je remarque que, depuis quelques années, la province de Québec a son drapeau bien à elle. Votre fameux Duplessis s’est montré plein d’audace, quand il a pris cette décision », me dit le diable.

— « D’abord, avoir son drapeau, ça vous avait un petit air d’autonomie qui ne manquait pas de charme. Duplessis avait de ces audaces, chaque fois que cela ne pouvait vexer en rien les bailleurs de fonds du parti. Que la province ait ou n’ait pas son drapeau, ces messieurs s’en fichaient éperdument. Cela ne les empêchait pas de contrôler la province à leur profit. »

— « J’ignorais ce côté de la question, mais je comprends très bien. »

— « Du reste, ce drapeau n’est pas uniquement celui de la province, ne t’en fais pas. C’est simplement une copie de l’écusson de la ville française de Clermont-Ferrand. »

— « En ce cas, pourquoi n’y remplace-t-on pas deux fleurs de lys par deux feuilles d’érable ; cela serait plus canadien français, tu ne trouves pas ? »

— « Pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas y ajouter quelques galettes de sarrazin et une ceinture fléchée ? »

— « De toute façon, votre province a son drapeau, tandis que le Canada n’en a pas. »

— « C’est pour cela qu’aux jours de grandes fêtes, nos soldats devraient parader derrière des porteurs de hampes dénudées. Cela, au moins, nous distinguerait des autres pays de l’archi-confrérie du Commonwealth. »

— « Et dire que de minuscules pays, comme la Jamaïque et la Trinité, ont leur propre drapeau et leur hymne national. »

— « Eh oui ! Au moment où ils cessaient d’être une colonie de notre belle-mère l’Angleterre, leur premier geste fut de briser leur drapeau et d’entonner leur hymne national. »

— « Pourquoi votre gouvernement fédéral hésite-t-il depuis si longtemps à adopter « Ô Canada », comme votre hymne national ? »

— « C’est bien facile à comprendre. L’air du « Ô Canada » est l’œuvre d’un Canadien français, Calixa Lavallée, et les paroles sont d’un autre Canadien français, Basile Routhier. Nos orangistes ne pourront jamais admettre que deux Canadiens français aient pu oser commettre une pareille incongruité. Que deux fils de porteurs d’eau et de scieurs de bois aient pu trouver, dans leur cœur de patriotes, des mots et des notes d’une telle grandeur, « how shocking ! »

— « Et si je ne me trompe pas, votre hymne serait bilingue ? »

— « Oui. Et la traduction anglaise est d’un Irlandais catholique, par-dessus le marché ! Ça aussi, c’est dur à avaler. »

— « Pourtant, mon vieux, le « God save the Queen » n’est-il pas une simple traduction d’un vieil hymne français ? » me fit remarquer le diable.

— « Tu as bien raison. Mais, entre nous, si c’est un Français qui a composé cette fade salade, il n’a guère raison de s’en vanter. Comme hymne national, il s’applique plutôt à un peuple qui n’a pas le courage de défendre son roi ou sa reine et s’en remet à Dieu, sans vouloir s’en mêler davantage ! Il me semblerait tout naturel qu’un peuple protège son souverain, avec l’aide de Dieu, bien entendu. Comme dit la vieille rengaine : « Aide-toi, le Ciel t’aidera ».

— « C’est précisément cette espèce de désintéressement qui a plu aux Anglais. Ils n’osent pas compter sur leur valeur, sachant si bien que, dans le passé, leurs victoires étaient dues au fait qu’ils luttaient à vingt contre un… »