Jean Macé et la fondation de la Ligue de l'enseignement/Chapitre 3

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jean macé au petit-château

Après un tel acte de foi, on comprend que Jean Macé ne devait pas rester à l’écart des événements qui allaient suivre. Il prit sa part des luttes républicaines, et si vivement qu’au lendemain de l’affaire du 13 juin 1849, il dut, pour échapper à un mandat d’amener lancé contre lui, se cacher en Normandie, chez un ancien camarade de collège. Il y resta quatre mois et demi, jusqu’à ce qu’une ordonnance de non-lieu fût rendue.

Jean Macé rentra à Paris et quelques mois après entreprit un voyage dans l’Est, pour organiser la correspondance du journal la République. C’est au cours de ce voyage, que le hasard l’amena pour la première fois à Beblenheim et au Petit-Château.

Il faut saluer au passage ces deux noms. Ce village d’Alsace, ce pensionnat de jeunes filles ont été le berceau de la Ligue ; jusqu’en 1870, ils en ont été le centre. À ce titre, nous leur devons un pieux souvenir. Les démocraties ne s’honorent pas seulement en donnant à leurs grands hommes, à leurs vaillants et dévoués serviteurs, le tribut d’hommages qui leur est dû ; elles sont tenues aussi à quelques marques de respect pour les noms des lieux où ces hommes ont vécu, où ils ont conçu, exécuté leurs projets. C’est à ces hommes encore, c’est à l’esprit qui les animait, que ces témoignages s’adressent. Nous avons ainsi le devoir, nous surtout, les gens de la Ligue, de ne point oublier ces noms : Beblenheim et le Petit-Château. Le devoir est d’autant plus grand que Beblenheim, hélas ! n’est plus français. Et si le Petit-Château, transporté à Monthiers, dans l’Aisne, existe toujours, la place du moins qu’il occupait en Alsace ne se reconnaît plus.

Jean Macé a dit lui-même, en des pages émues, dans la préface de son Théâtre du Petit-Château et dans la Revue Alsacienne, quelle impression délicieuse il avait emportée de cette première visite. Il semble qu’un je ne sais quoi lui ait fait sentir, bien que confusément, que là devait se trouver sa vraie voie. Aussi, quand le coup d’État survint, dispersant les défenseurs de la République, est-ce à Belbenheim que Jean Macé alla chercher un refuge. Sa destinée dès lors était fixée. Professeur de demoiselles, il le devenait pour la vie. N’avait-il pas toutes les qualités voulues ? La bonté naturelle et souriante, l’affinité de l’esprit, les grâces exquises de l’imagination, un cœur chaud, une foi sincère, tout cela recouvrant une science vaste et sûre. Il a expliqué sa méthode d’enseignement, toute hors des règles de la routine, qui eût fort surpris peut-être un inspecteur d’académie, mais qui s’adaptait si bien à l’esprit de ses élèves, et qui lui donna les meilleurs résultats. Rien de moins dogmatique, de moins raide, de moins compassé, de moins pédagogue, en un mot, que Jean Macé, et je me le figure aisément, dévoilant à ses jeunes élèves les secrets de la physique d’abord, puis peu à peu de toutes les sciences, attirant à lui dans la maison toutes les branches de l’enseignement, et toujours captant l’attention, l’esprit et le cœur de ses auditrices par sa fine causerie empressée à dégager, comme en se jouant et avec d’autant plus d’effet, l’enseignement moral et philosophique contenu en toutes choses. Le grand point dans l’éducation n’est-il pas d’apprendre à penser ? L’homme qui plus tard devait consacrer tant d’ardeur, d’activité, d’énergie, de dévouement à former des citoyens, ne pouvait manquer de tout faire pour que les jeunes filles confiées à ses soins fussent plus tard, comme il l’a dit, des « mères complètes ».