H. Laurens (p. 27-34).

IV

En route pour l’Olympe.

La chambre de Jean-qui-Lit n’est pas, à beaucoup près, aussi bien rangée que la salle d’étude de Snobinet. Il l’appelle tantôt son « cabinet de travail », tantôt le « Capharnaüm » parce que tout y est en désordre, ou la « Tour de Babel », vu qu’on y étudie le latin, le grec, l’allemand, l’anglais, ou aussi « l’Olympe ».

En effet, le long du mur, Jean, que la mythologie intéresse beaucoup, a collé une série d’images découpées ça et là et qui représentent la collection complète des dieux antiques.

C’est devant ces nobles personnages que pour le moment, en revenant du collège, comme Snobinet l’a accompagné, il fait à son camarade un grand discours, dicté d’ailleurs par sa fidèle amitié.

— Vois-tu, Snobinet, il ne faut mépriser personne. Pour ta part, tu as eu tort de traiter l’histoire de ces gens-là avec une indifférence qui friserait le dédain, si le dédain avait des cheveux. Tu as vexé Jupiter et les autres, ils ont dû se venger car tu viens, ô honte ! d’être le dernier de la classe en mythologie.

Tu deviendras peut-être un mondain fort distingué plus tard, mais, ce matin, tu as carrément, sauf ton respect, passé pour un cancre.

Toi qui aimes ce qui est « chic », trouves-tu si chic que ça d’occuper une place assez peu honorable et, quand tu seras un sportsman, que tu iras sur les champs de courses, réserveras-tu une estime particulière aux chevaux qui arriveront au but un quart d’heure après les autres ?

Pour en revenir à la mythologie, tout le monde s’est moqué de toi quand le professeur a lu à haute voix quelques extraits de ta composition.

Tu as raconté des histoires ridicules, confondu Cyclopes avec cyclistes, la déesse Diane avec la diane que sonnent les clairons et que battent les tambours pour réveiller, dès le potron-minet (et non patron-minette), les braves pioupious.


Tu as gravement écrit qu’Atlas, le géant qui porte sur ses robustes épaules le globe du ciel, était un recueil de cartes géographiques.

Tu as pris le Mercure de l’Olympe pour le mercure qu’on met dans les baromètres, le dieu Terme pour le patron des propriétaires et la charmante Pandore pour un gendarme, parce que tu t’es souvenu d’une chanson célèbre dont le refrain est :

« Brigadier, répondit Pandore.
« Brigadier, vous avez raison ! »

Toi, tu n’avais pas raison, parce que Pandore est une femme qui fut envoyée sur la Terre, dit la légende, par Jupiter avec une boîte mystérieuse dans laquelle étaient renfermés tous les maux ; une boite, entre parenthèses, qu’on a eu bien tort d’ouvrir.

Toi, un futur sportsman, tu ne connais pas Pégase, le cheval aéroplane, tu ignores Dédale et Icare, ces précurseurs de nos aviateurs modernes !

Quant à Castor, que chacun sait être le frère jumeau de Pollux, tu l’as irrespectueusement traité d’animal velu dont le poil sert à fabriquer des chapeaux !

— On n’a pas besoin, dit Snobinet, de connaître tous ces gens-là pour être un homme du monde.

— Je conviens, répond Jean, qu’ils ne font pas partie des relations de nos parents et n’ont pas coutume de fréquenter dans les salons contemporains ; mais n’empêche que si l’on parlait devant toi des trois Parques qui filaient la destinée des humains, l’une tenant la quenouille, l’autre le fuseau, et la dernière coupant le fil avec ses grands ciseaux, et si, au lieu de dire que les Parques s’appelaient Clotho, Lachésis et Atropos, tu leur donnais les noms de Parc Monceau, Parc Montsouris ou Parc des Buttes-Chaumont, ce serait peut-être fort parisien, mais on te considérerait comme un ignorant.

Mon vieux, jette un coup d’œil sur ma galerie et, en leur faisant tes excuses, apprends à connaître les noms de ces divinités allégoriques dans lesquelles les anciens ont personnifié poétiquement les phénomènes de la nature, les métiers, les arts, ou les travaux des hommes.

Et voilà Jean qui fait un cours de mythologie dans lequel les souvenirs de ses lectures se mêlent aux inventions comiques et aux joyeux commentaires fournis par son imagination fantasque.

Nous allons résumer cette curieuse conférence.