Cosmo (p. 46-50).

SIGNES DES TEMPS OBUS


Le Mystère à coque de fer dressait des murs dans le silence entre le soleil et la terre
Ils ont été rongés par nos flèches incendiaires-termites et ont brûlé à demi par le bas
Les hauts des murs à l’abri des hampes et dans l’humidité des nuages se sont envolés d’un envol vertical pour se soustraire à nos regards devenus durs

Il ne reste que sept de ces murs à s’effondrer comme châteaux de cartes pour que le désespoir entre en nous irréductiblement

D’ici ce temps de sept années de feu, sonnez, sonnez les Pâques aux clochers de vos églises parce qu’un printemps est compté.
Il ne reviendra pas prendre place au calendrier qui bascule dans le décompte
Bientôt même on sciera jusqu’aux poutres qui retiennent vos toits d’église encore debout, et les toits vont pleuvoir sur vos têtes et vous ne serez plus que la pâte, un troupeau horrifié par vos corps ouverts aux silex-soleils

…car je sais que ce temps tire à sa fin et la fin ne voit même pas venir au devant d’elle un prophète en habit de repentir

Je sens les araignées cogner avec désespoir à toutes les portes s’ouvrant sur le vide, des chambres de torture pour les consciences où la lumière avec la couleur n’est plus qu’une auréole dans les cheveux en forme de silhouette de carton noir où il manque la cervelle


Il n’y a même pas de suicide possible et les bêtes tourmentées jusque dans leurs os ne songent pas au meurtre

Un seul espoir vient à moi en robe de mariée

C’est une colombe blanche et c’est le dernier signe
Cela fut dit il y a des siècles…
QUE CE PEUPLE SERA SAUVÉ À CAUSE DE SON ORIFLAMME Un signe géant de paix dans le ciel tourné rouge signe qu’entraîne
une colombe
La dame blanche en robe de colombe ne m’a pas menti
J’ai vu ses paroles : elles me traçaient la route du salut
* * *
Je suis le fou à la bêche
Je creuse dans les temps morts pour exhumer les possibles que je sens sous mes pieds, des signes utiles, point encore élus
J’ai des paroles de ténèbres à proférer sur vos têtes
Je crache des flammes d’enfer sur ce monde qui tourne, tourne à l’infini dans un carnaval fou
Je suis de sang pourtant et me souviens d’un hier où je pouvais parler un langage que le sang comprenait
Je suis maintenant un Éveillé de tout le temps
Je suis le Veilleur à la Lampe

Et des millions de signes-chacals s’abattent dans mon cerveau

Je suis en croix exposé au sel des vents et intouchable sur un pic trop haut pour le front des hommes
* * *

…car les dieux n’ont pas de nom…
Et dans ces déserts d’Amérique, pas moyen de fixer des noms avec la certitude qu’ils pourront durer*
C’est pourquoi sur cette face de la terre qui peut-être est sœur de Lune s’agite un peuple étrange et barbare : c’est le peuple qui verra le commencement de la fin

…car la terre est une porte étrangement sculptée, au cadre étroit
Vous croyez pouvoir y évaluer des distances qui soient sûres et c’est le temps qui vient avec la nuit tout chambarder
Et les hommes se croient d’un peuple de la terre
Z’ont l’impression folle de marcher vers la lumière sur un versant de prairie qui progresse vers le soleil
Mais vient toujours la nuit pour basculer leurs désirs de possession du soleil, un tas de pierres à la face du couchant

J’ai eu soif aussi de ce terrible soleil qui couchait derrière un brin de forêt sur la terre chez nous
Et j’ai couru pour rattraper jusqu’à l’heure fatidique du neuf mais toujours vaincu par la terre complice de la nuit j’ai basculé dans un sommeil de chair et d’eau
Et toujours les jours recommençaient
Et les hommes sont cet enfant que j’étais et qui voulait voler le soleil aux hommes de l’autre versant de la planète

* * *

Retourne-toi Temps 13 dedans ta tombe et place ta face vers les profondeurs de l’enfér-terre : le point centre du monde de feu noir

Retourne aussi Arthur Rimbaud parce que la lave à cracher ne t’a jamais saoulé
Temps 13 dors là sous les puits
Ton sommeil est plus profond que les puits

Tu cherches l’assise fondamentale, la pierre d’angle dont tu rêves, la treizième inconnue qui, déplacée d’un iota, ferait basculer notre terre, faire trois-petits-tours-et-puîs-s’en-vont aux pôles qui calottent notre monde
Cruel Icare des profondeurs qu’on croit éteintes, tu navigues agrippé aux mancherons de ta charrue dans le ventre de la terre, sous les tombeaux et les pierres-bornes, sous les toits des caves et les réseaux d’égoût

Et nous
te laissons à ce ventre creux et résonnant de la terre-matrice pour nous en aller nous perdre dans la lumière, sauter les étages des planètes, le plus près possible de la lampe-soleil

Mais n’avons d’ailes que papillon
Excuse poète notre rêve impossible
Le tien dure encore ton rêve d’Abyssinie dans la mémoire des précédents et le mien n’approche encore que sa naissance
Il est encore éparpillé dans l’inconscient des petits enfants de ce siècle sitôt déjà sonnée la demie et déjà de vieillesse usé

Terre d’Amérique méprisée et rêvée a enfanté ce mythe que j’exhume de moi-l’ici en mal de conquête d’une lumière plus large que celle de ton péché qui bouge au ventre de la terre.

Et je me sens d’un continent qui fut un jour castré de sa féminine terre de lune et les vôtres vous viennent d’un sevrage hâtif de terre-Atlantide, un grand remous dans vos consciences


Pauvres qui êtes d’un continent trop vieux avec Arthur, le dernier survivant (car ceux qui l’ont suivi ne furent que des morts-nés en sursis), ne possédez pas la jeunesse qui n’a pas de naissance et moins encore de tombeau
Nous enterrons encore vos tombeaux et ne pouvons prendre l’air comme poissons volants
Il en faudra encore des carcasses les vôtres pour bâtir la rampe dans votre marécage de vase et de sang avant que nous puissions enfin naître


Août 1969