Cosmo (p. 32-34).

TON HISTOIRE EST UNE ÉPOPÉE


Conte du 24 juin

un long temps de tempêtes encore sur nous s’abat
comme un drapeau trempé dans l’huile
la mer est grosse de colère

j’entends frapper ses lames jusqu’à la porte
et la pluie s’allie au vent
pour tourmenter jusqu’aux battants de nos fenêtres

je suis un rocher planté droit
entre le large et la côte
j’ai un phare presqu’éteint
qui n’a même plus lumière
pour indiquer la rive
aux bateaux qui s’échouent


aux tempêtes succèdent les tempêtes
comme à la nuit noire
succèdent les jours de brume
et pourtant je le sais
il faut rester debout
contre vents et marées
garder feux allumés

j’avais souhaité qu’une éclaircie
donne au veilleur du phare
le temps de reposer un peu
de déposer les armes
et les lanternes
de plier les bagages
pour planter le couteau
dans l’écorce de l’arbre
que le sel de la mer
a tué par les racines
sur mon rocher lavé

un éclair seul m’a
redonné la vue
de l’immense prairie
à conquérir vague à vague

une page blanche
s’est déroulée largeur de ciel
comme un grand livre
qui s’ouvre
sur le nom des camarades
sur le tien ton nom
et le nom du pays

Québec c’est toi
comme l’éclair est tache de lumière
à largeur d’un pays dans la nuit


après le fracas
couvent encore
les longues plaintes
de tous les navires en détresse
plaintes plus longues
qu’un continent
à l’appel des sirènes
n’accourent plus
que des navires au mât tombé

la vigie du haut du phare
n’espère plus
pour ces femmes trop belles
et ces hommes castrés
à la naissance de leur carène
où vient la mer s’épuiser
qu’un grand brasier
dans le ciel
pour éclairer la route
de toutes ces barques perdues
déviées vers le grand large

je te dis cela de moi qui suis le rocher
et le phare à la vigie sur la mer
et je te dis la nuit
comme la brume
pour que tu saches tes ennemies Pierre.


Le 4 mai 1969