Itinéraire raisonné de Marguerite de Valois en Gascogne/Année 1583


ANNÉE 1583


« Maison de la Royne de Navarre. — Estat des gaiges des dames, damoiselles, gentilshommes et aultres officiers de sa maison, etc.[1]

DAMES
Les mêmes qu’en 1582, sauf en plus :
Mlle de Goguier 
100 éc.
à la place de Mlle de Saignes.
FILLES DAMOISELLES
Les mêmes, y comprise Fosseuse.
MAISTRES D’HOTEL
Jacques Guyon, Sr de la Tronche, à la place d’Hector de
Manicquet.
PANNETIERS
Les sieurs de Manicquet et de Fongramier,
à la place des sieurs du Conte et de Lavernay.
ESCHANSONS
Les sieurs de Fredeville, de La Mire, de Marsan,
à la place des sieurs de Matha et de Montigny.
AULMONIERS
En plus :
Michel de Cruchet.
CHAPPELAINS
Les mêmes qu’en 1582, sauf en plus :
M. Guillaume Chaunin 
40 éc.
M. Thibault de Lare 
40
M. Jehan Baudreu 
40
Pour les autres offices, mêmes noms que les années
précédentes.

Janvier 1583

Du samedi 1er janvier au lundi 31, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train, à Paris.

(Total des dépenses pour ce mois, 2.793 écus, 46 sols, 5 deniers. Payé seulement en partie.)

La Reine de Navarre n’habite plus le Louvre. Elle s’est installée dans son hôtel de la rue Culture Sainte-Catherine, qu’elle vient d’acheter au chancelier Charles de Birague pour la somme de 28 000 écus[2].

Février 1583

Du mardi 1er février au lundi 28, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train, à Paris.

(Total des dépenses pour ce mois, 2 407 écus, 3 sols, 8 deniers. Payé seulement en partie.)

Mars 1583

Du mardi 1er mars au jeudi 31, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train, à Paris.

(Total des dépenses pour ce mois, 2 738 écus, 57 sols, 8 deniers. Payé seulement en partie.)

Au commencement de cette année 1583, la Cour de France présentait un aspect vraiment étrange. Jamais l’esprit du Roi n’avait été plus déséquilibré. Ce monarque incapable et fantasque, qui avait nom Henri III, prenait comme à plaisir, par ses caprices, ses pratiques outrées de dévotion, le dévergondage de plus en plus accentué de ses meurs, de provoquer contre lui l’opinion publique et de s’attirer la haine et le mépris de ses sujets. À cette époque où les partis qui divisaient la France devenaient chaque jour plus menaçants, où les Réformés, dans le Midi et dans l’Ouest, n’entendaient renoncer à aucun de leurs droits, où la maison de Lorraine se mettait ouvertement à la tête de la Ligue, qui dans le Nord, dans l’Est et à Paris, prenait des proportions formidables, à cette heure où la Royauté des Valois, battue de tous côtés en brêche, aurait eu besoin pour résister à cette double pression d’un homme au courage éprouvé, à l’esprit froid et lucide, doué en un mot de toutes les qualités qui font les grands Rois, le trône de France n’était occupé que par un fantoche qui n’écoutait que ses impulsions désordonnées et sur lequel les conseils de sa mère, jadis si puissante, n’avaient plus aucune prise.

Que penser, en effet, de ce mélange de bigoterie et de luxure, de processions ridicules et de fêtes plus scandaleuses encore, dont nous entretiennent tous les auteurs contemporains ?

Le 1er décembre 1582, le Roi, la Reine, la Reine-Mère, la Reine Marguerite, toute la Cour, le Parlement, le corps municipal, parcourent à pied et processionnellement les principales rues de Paris, accompagnant dévotement la châsse de Sainte Geneviève et les reliques de la Sainte Chapelle, et cela pour obtenir du ciel un héritier.

Puis, le 21 janvier 1583, le Roi communie au couvent des Bonshommes de Nigeon et revient immédiatement au Louvre, où il fait tuer à coups d’arquebuse toute sa ménagerie, composée de lions, d’ours et de taureaux, « et autres semblables bestes qu’il seuloit nourrir pour combattre contre les dogues », parce que, la nuit précédente, il avait rêvé que ces animaux qui représentaient la Ligue le dévoraient[3].

Le 13 février, grand festin à l’hôtel de Guise, à l’occasion du mariage du comte de Tournon avec la demoiselle de La Rochefoucauld.

Autre plus grand festin au Louvre, le 20 février, à l’occasion du mariage de Charles de Luxembourg, comte de Brienne, avec la petite sœur du duc d’Épernon, âgée de onze à douze ans[4]. C’est au bal qui suivit que le Roi revêtit des habits de femme et parut en cet accoutrement, chamarré de bijoux, la gorge et les épaules nues.

« Le jour de caresme prenant, continue toujours l’Estoile, le Roy avec ses mignons furent en masques par les rues de Paris, où ils firent mille insolences ; et la nuict allèrent roder de maison en maison, faisant lascivetés et vilenies avec ses mignons frisés, bardachés et fraisés, jusques à six heures du matin, du premier jour de caresme ; auquel jour la plupart des Prêcheurs de Paris, en leurs sermons, le blâmèrent ouvertement. » Furieux, Henri III fit venir au Louvre le docteur Guillaume Rose, qui avait le plus tonné contre sa conduite. Effrayé, le prédicateur lui demanda pardon. Le Roi consentit à l’absoudre et lui envoya, le soir même, 400 écus pour acheter, lui dit-il, du sucre et du miel, afin de l’aider à passer le caresme et adoucir ses trop aspres et aigres paroles. »

Et tout d’un coup le faible monarque se lance dans les dévotions les plus exagérées. C’est à ce moment qu’il institue la fameuse Confrérie des Pénitents de l’Annonciation de Notre-Dame, sur le modèle des Blancs-battus d’Avignon, et qu’il donne l’ordre à toute la Cour, à tout le Parlement, à toutes les autorités de Paris, d’en faire partie.

« Et, le 25 de ce mois de mars, eut lieu la solennelle procession desdits Confrères, qui vinrent sur les quatre heures après midy du couvent des Augustins en la grande esglise Notre Dame, deux à deux, vestus de leurs accoustremens tels que les Battus de Rome, Avignon, Toulouse et semblables, à sçavoir de blanche toile de Hollande, de la forme qu’ils sont desseignés dans le livre des Confréries.

« En ceste procession, le Roy marcha sans gardes, ni différence des autres confrères, soit d’habit, de place ou d’ordre. Le cardinal de Guise portait la croix ; le duc de Mayenne estoit maistre des cérémonies, et frère Edmond Auger, jésuite, basteleur de son premier mestier, dont il avoit encore tous les traits et farces, avec un nommé Du Peirat, lyonnais et fugitif de Lyon pour crimes atroces, conduisaient le demeurant. »

Grand fut le scandale. « Sur quoy, un homme de qualité, qui regardait passer la procession, fit le quatrain suivant :

Après avoir pillé la France
Et tout son peuple dépouillé,
N’est-ce pas belle pénitence
De se couvrir d’un sac mouillé ?[5] »

Et ce fut à qui mieux mieux, dans Paris, aux halles, sur la place publique, et jusque dans la chaire de Notre-Dame, et même au Louvre, ridiculiserait cette institution récente et criblerait de ses lazzis le Roi et ses mignons. À Notre-Dame en effet le moine Poncet, qui prêchait le carême, traite la Confrérie nouvelle de Confrérie des hypocrites et des athéistes. Le roi le fait aussitôt emprisonner. Au Louvre, les laquais contrefont les Pénitents et se couvrent le visage de mouchoirs avec deux trous à l’endroit des yeux. Le Roi en fait fouetter plus de cent vingt.

Ce qui n’empêche pas le monarque de recommencer de plus belle le jour du Jeudi-Saint, « où la procession à la tête de laquelle se trouvait le Roi et tous ses mignons alla toute la nuit par les rues et dans les églises en grande magnificence de luminaire et musique excellente ; et y eut quelques-uns des mignons, ce disoit-on, qui se fouettèrent en ceste procession auxquels on voiait le pauvre dos tout rouge des coups qu’ils se donnoient[6]. »

Et le lendemain de Pâques, 11 avril, « le Roy et la Royne partirent de Paris à pied et allèrent à Chartres et à Notre-Dame de Cléry, pour obtenir male lignée par l’intercession de la belle Dame, et revinrent le 24, à Paris, bien las[7]. »

La Reine Marguerite assistait à toutes ces momeries, à toutes ces fêtes, à tous ces spectacles, mais plus souvent par ordre que par plaisir. Si en effet, par sa situation de sœur de Roi, elle ne peut se dispenser de faire partie du cortège officiel, elle commence cependant à s’aliéner les bonnes grâces de son frère, voire même celles de sa mère, dont le rôle tend de plus en plus à s’effacer. Marguerite était trop intelligente pour ne pas voir à quel degré d’impopularité se trouvait tombé son frère. Aussi ne se gênait-elle guère pour le reprocher à ses mignons, cause de tout le mal, et surtout aux deux favoris nouveaux qui avaient détrôné tous les autres et qui jouissaient à ce moment de la plus scandaleuse faveur, Joyeuse et d’Épernon ; « champignons poussés en une nuit » comme elle les appelle, n’épargnant à leur égard ni ses réflexions les plus spirituelles, ni ses épigrammes les plus mordants : toutes choses dont elle allait hélas ! sous peu ressentir les cruelles conséquences.

Sur leur simple bonne mine, Henri III s’était engoué en effet, depuis peu, de ces deux gentilshommes : Anne d’Arques, qu’il créa duc de Joyeuse en 1581, puis qu’il fit pair de France et grand amiral du royaume ; et Jean-Louis de Nogaret de la Valette, nommé la même année duc d’Épernon et bientôt colonel général de l’infanterie française. En une année à peine, ces deux mignons arrivèrent au faîte de la faveur, primant tous les autres ducs et pairs, sauf ceux de la maison royale, et par leur faste, leur insolence, leur outrecuidance, soulevant l’indignation et la haine, non seulement du peuple, mais de toute la Cour.

Marguerite ne pouvait les supporter. De leur côté, tous deux, quoique rivaux, ne négligèrent rien pour la perdre dans l’esprit du Roi.

« Il advint, écrit d’Aubigné, qui lui non plus n’aimait pas la Reine de Navarre, que cet esprit impatient ne demeura guère sans offenser le Roi son frère et ses mignons, et faire parti dans la Cour avec ceux qui diffamaient ce prince, en lui imputant de très sales voluptés auxquelles même il semblait que les dames eussent intérêt[8]. »

La situation devenait donc de plus en plus périlleuse pour Marguerite. Elle n’avait pas trop de toute son habileté pour conjurer l’orage qui s’amoncelait sur sa tête. Sa conduite malheureusement laissait toujours à désirer. Ce fut le côté faible par où ses ennemis eurent raison d’elle et précipitèrent la ruine de cette infortunée princesse.

Avril 1583

Du vendredi 1er avril au samedi 30, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train, à Paris.

(Total des dépenses pour ce mois, 2 589 écus, 12 sols, 8 deniers. Payé seulement en partie.)

Mai 1583

Du dimanche 1er mai au mardi 31, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train, à Paris.

(Total des dépenses pour ce mois, 2 462 écus, 36 sols, 11 deniers. Payé seulement 1 766 écus, 19 sols, 7 deniers.)

Juin 1583

Du mercredi 1er juin au jeudi 30, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train, à Paris.

(Total des dépenses pour ce mois, 2 453 écus, 17 sols, 9 deniers. Payé seulement 1 913 écus, 20 sols, 3 deniers.)

Juillet 1583

Du vendredi 1er juillet au dimanche 31, ladicte dame Roine de Navarre et tout son train, à Paris.

(Total des dépenses pour ce mois, 2 631 écus, 22 sols, 1 denier. Payé seulement 1 890 écus, 23 sols, 1 denier.)

S’il ne faut ajouter aucune créance aux exagérations et aux calomnies souvent invraisemblables du Divorce Satyrique à l’égard de Marguerite de Valois, il est cependant du devoir de tout écrivain consciencieux de ne point passer sous silence l’histoire de ses amours avec Chanvallon et d’en relater les phases diverses, amours qui devaient attirer sur la Reine de Navarre tant de colères, tant d’opprobres, tant de misères !

C’est à la fin de l’année 1582 que Marguerite revit à Paris Jacques Harlay de Chanvallon, où il avait été envoyé des Flandres, en mission spéciale, par le frère du Roi. C’est alors qu’elle renoua avec lui ses relations, interrompues lors de leur séparation à Coutras, au mois d’avril de l’année précédente. Aucun doute là-dessus ne saurait exister. Les lettres d’amour de la Reine de Navarre, conservées à la bibliothèque de l’Arsenal, et reproduites en partie par Guessard[9], en font foi.

Car, si dans ces pages emphatiques, déclamatoires, de sens souvent obscur, on ne retrouve plus les qualités littéraires des Mémoires ; si, comme l’écrit Sainte-Beuve, « c’est de la haute métaphysique et du pur Phœbus, presque inintelligible et du plus ridicule : Adieu mon beau soleil, adieu mon bel ange ! beau miracle de la nature ! » ; si, comme le dit encore l’illustre critique, « Il semblerait à lire ces lettres que Marguerite n’a point aimé de cœur, mais plutôt de tête et d’imagination ; que ne sentant proprement de l’amour que le physique, elle se croyait tenue d’en raffiner d’autant plus l’expression et de pétrarquiser en paroles, elle qui était si positive dans le procédé[10] ; » si Dupleix, qui ne la perd pas de vue, a pu écrire également de son temps : « Dans les amours de Marguerite, il y avait plus d’art et d’apparence que d’effet », etc., que dire cependant de certains post-scriptum où la passion déborde, sinon qu’elle a réellement aimé Chanvallon comme elle n’avait encore jamais aimé personne, que cette passion fut bien sincère, puisqu’elle lui sacrifia tout, et que pour mieux l’assouvir elle alla de son plein gré au devant de sa disgrâce et de sa ruine définitive.

« Je ne vis plus qu’en vous, et d’autre que de vous mon âme n’est régie ! » « Adieu, ma vie, je baise un million de fois ces beaux yeux et ces beaux cheveux, mes chers et doux liens. » Et encore : « Je baise un million de fois cette amoureuse et belle bouche », etc.[11]

Tout, dans ces amours illicites, ne devait pas être uniquement bonheur et volupté. La méfiance, la jalousie, les infidélités furent vite du cortège, rendant la pauvre Reine aussi malheureuse qu’elle avait nagé tout d’abord en plein océan de félicités. L’année précédente, et pour mieux couvrir sa faute, la Reine de Navarre avait songé à marier son amant. Elle le lui écrit de Bagnères, lors du séjour qu’elle y fit en 1581, et elle espère « que s’il le trouve bon et veult se governer selon son conseil, il n’aura jamais occasion de s’en estimer si heureux[12]. » Quant à elle, elle ne saurait en être jalouse, puisque c’est de sa main qu’il recevrait son épouse, dont la grande fortune devait seulement compter à ses yeux.

Ce mariage ne se fit pas. Mais, alors que Marguerite a retrouvé celui qu’elle aime, que leur bonheur semble être sans nuages, brutalement Chanvallon cherche à rompre ; et, de peur que cette liaison ne porte tort à son avenir, il épouse, le 20 août 1582, Charlotte Catherine de La Marck, dame de Brevel, fille de Robert de La Marck, duc de Bouillon.

Marguerite ne s’attendait pas à ce coup si rude. Elle écrit à l’infidèle lettres sur lettres, lui reprochant son ingratitude, l’accablant de son mépris.

« N’accusez plus ma cruauté ; ma mort et ma ruine, ce sont les alliances qu’il me faut désormais avoir aveq vous. La vostre seule se doibt admirer, de qui je ressens les effets plus inhumains que de celle de Terens ; et si je vous ay causé quelque ennuy, demeurez content et vengé de m’avoir peu réduire aux deux plus extresmes misères qu’eussiez peu souhaitter à vostre plus grand ennemy… Où l’on connoit une si grande inimitié, il se peult bien soupçonner de l’infidélité. Que pleust à Dieu que ce fust le plus grand subject de mes plaintes ! Si l’ardeur de ma sincère et trop fidèle passion ne méritoit un réciproque amour, pour le moins ne devoit-elle estre récompensée des effects d’une si cruelle hayne. Adieu ! la source de mes éternels malheurs ! que le peusse-je dire aussy prompt à ma vie, qui, après vous, est ce que j’ay le plus en horreur. M.[13] »

Et, le lendemain : « Il n’y a donc plus de justice au ciel, ni de fidélité en la terre ! Ô Dieux ! qu’est-ce qu’il faut que mon âme connoisse et que ma langue avoue ? Ma douleur, le sens et le trop de subject de me plaindre otent le moyen à ma plume d’exprimer mon trop juste ennuy… Triomphez de ma sincère et trop ardente amour. Vantez-vous de m’avoir trompée ; riez-en, et vous en moquez avec celle de quy je reçoy cette seule consolation, que son peu de mérite vous sera un juste remords de vostre tort. Je croitray le nombre de celles qui à la postérité tesmoigneront la perfidie de vostre sexe… Par telle connoissance, le dédain s’engendrant en moy en a banny l’amour, que vous ne vous devez pas faire accroire y pouvoir jamais faire renoistre. » Et, appelant de tous ses vœux la mort : « Comment que ce soit qu’elle arrive, qu’elle hate ses pas ; je la désire, je la souhaite, et supplie les Dieux m’avancer son trop lent secours. Je vous supplie, en recevant celle-cy pour la dernière, me la renvoyer soudain avec celle que je vous escrivis hier ; car je ne veulx qu’à ceste belle entreveue que vous ferez à ce soir, elles servent de subject au père et à la fille de discourir à mes despens. M.[14] »

Tout semblait donc fini entre Marguerite et son amant, qui, une fois marié, revint prendre sa place de grand écuyer auprès du duc d’Anjou, alors à Anvers. En même temps, le 27 mai, le Roi quittait Paris et se rendait à Mézières « pour se faire apporter de l’eau de la fontaine de Spa[15]. »

Que se passa-t-il à ce moment entre Chanvallon et son maître ? Se vanta-t-il auprès de lui de son ancienne bonne fortune ? Trahit-il, sous les rapports politiques, la confiance dont il avait été investi ? Toujours est-il que le duc d’Anjou le chassa brutalement et que Chanvallon, fort piteux, plutôt que de se retirer auprès de sa femme dans sa principauté de Sedan, préféra s’en retourner à Paris, où il vint se jeter aux pieds de Marguerite.

Marguerite, naturellement, lui pardonna ; et, sans nul souci du danger qu’elle courait et faisait courir à son amant, elle renoua publiquement avec lui.

Une nouvelle série de lettres fut alors échangée entre eux, toutes plus brûlantes encore de la main de Marguerite.

« Non, mon beau cœur, je ne croy pas que l’amour ne vous ayt choisi sans se montrer en vous en toutes plus belles formes ; car s’il veut comme Dieu faire sa puissance apparoir, surmontant ce qui plus luy voudroit résister, qui mieux que vostre divine présence le nous pourroist représenter… Je baise mille et mille fois ces beaux yeux, seuls soleils de mon âme par eux tout feu, tout flame. »

Et encore dans cette lettre, où Marguerite avoue « qu’ayant receu du mariage tout le mal qu’elle ait jamais eu, elle le tient pour le seul fléau de sa vie » et qu’elle termine ainsi : « Ce matin, j’ay si grand hate de m’habiller pour ne faillir à cet heureux et désiré instant, que je ne la puis redoubler, m’asseurant aussi que ma présence vous sera plus agréable que la veue d’une lettre bien peinte[16]. »

Chanvallon poussa-t-il à ce moment l’ingratitude jusqu’à se laisser prendre dans les filets de l’éternelle Madame de Sauves, qui, non contente de se partager entre d’Épernon et le duc de Guise, voulut encore, ainsi que d’aucuns l’affirment[17], enlever à la Reine de Navarre son bel amoureux ? Une lettre de ce dernier à Marguerite, dans laquelle il se disculpe d’une telle trahison, semble donner quelque crédit à ce nouveau racontar de la Cour.

« Vous voulutes, ma Royne, m’accuser d’infidélité, encore que ne puissiez douter de ce que je vous suis, et qu’aussy peu que moy vous puissiez ignorer ce qu’avec trop de cruauté vos extresmes rigueurs me font ressentir, et que jugiez assez que me mesprisant moy-mesme, je ne saurois que dédaigner tout ce qui me pourroit empescher de vous tesmoigner mon amour infinie… Ressouvenez-vous, ma Royne, des vœux qu’hier si saintement je renouvellay dans vos belles mains, et vous avouerez que vous leutes en moy l’intégrité de mon intencion… Une de mes amyes m’a dit que vous monstriez d’estre mal satisfaite de moy ; vous savez, Madame, si vous en aves occasion, puisque vous n’aves recogneu que les effects de mes violentes passions. Ayez donc pityé de moy, mon cœur, et souffrez pour chose qui vous ayme tant ce peu d’incommodité. Je baise très humblement vos belles mains[18]. »

Mais Marguerite, découragée par l’inconstance de celui qu’elle a tant aimé, a enfin perdu ses illusions. Elle veut fuir la Cour, Paris, tout ce qui l’attirait il y a quelques mois à peine et se réfugier auprès de son époux. Ses ressources pécuniaires l’empêchent de réaliser ce beau projet. « Elle ne peut rejoindre son mari, écrit Busini à Vinta, retenue ici par le manque d’argent[19]. » Bien plus, elle tombe malade ; et les racontars de la Cour d’aller leur train. « Alcuni vogliono che la sia gravida, altri idropica, écrit le même personnage, à la date du 27 juin[20]. » C’est sa prétendue grossesse naturellement à laquelle on croit le plus ; et c’est l’arme principale dont vont se servir ses ennemis pour la perdre complètement dans l’esprit du Roi.

C’est à ce moment, en effet, d’après bien des auteurs modernes, sur la foi de quelques contemporains, Dupleix entre autres, sans parler du Divorce Satyrique et de tous les pamphlets répandus à profusion contre elle, qu’elle serait devenue grosse, des œuvres de Chanvallon, d’un fils qui se serait fait plus tard capucin, aurait été connu sous le nom de Père l’Ange et aurait pris une part importante à la conspiration du comte d’Auvergne et de la marquise de Verneuil[21]. Poussé par ses mignons et trompé par de faux rapports, c’est ce que Henri III, dans la scène mémorable qu’il fit à Marguerite au Louvre et que nous rapporterons à son heure, lui reprocha violemment et chercha plus tard à vérifier, sans pouvoir obtenir aucune preuve. Tous les témoins qu’il cita à sa barre affirment que Marguerite ne fut jamais grosse.

Comment admettre du reste, en ces moments où elle prenait part à tous les déplacements de la cour, à tous les bals, à toutes les fêtes, à toutes les parties de chasse, où elle se trouvait le point de mire non seulement de la France, mais de l’Europe entière, que la Reine de Navarre ait pu dissimuler une grossesse et accoucher clandestinement ? Ses livres de comptes, ses dépenses minutieusement contrôlées, n’en feraient-ils point mention ? Or il n’est question à cette date ni de voyage secret, ni d’absence de Paris, ni même de maladie. Aucun document sérieux ne vient à l’appui de ces bruits, répandus à satiété par ses ennemis, qui ne reposent sur aucun fondement.

Nous pensons donc, sans disculper la Reine de Navarre de sa conduite fort reprochable, que Marguerite fut cette fois encore victime de perfides calomnies, et que, pas plus à ce moment que l’année précédente en Gascogne, ou plus tard à Agen, à Carlat au à Usson, elle ne mit au monde un enfant quelconque. Elle-même l’affirme dans la si touchante lettre suivante qu’elle écrivit peu de temps après à sa mère. Et cette fois nous devons la croire en toute sincérité.

« Madame, puisque l’infortune de mon sort m’a resduite à telle misère que je ne suis si heureuse que dessiries la conservation de ma vie, à moins, Madame, puis je espérer que vous la venderés de mon honneur pour estre telemant uni avec la vostre et celui de tous ceulx et celes à qui j’ai cest honneur d’apartenir que je ne puis recevoir de honte qui n’an soit partisipans, principalement mes niepses, au préjudice desquelles le déshonneur que l’on me vouderait procurer importerait plus qu’à neul autre ; qui me faict Madame, vous suplier très humblement en cete considération ne vouloir permestre que le prétexte de ma mort se pregne au despans de mon honneur et reputation ; et vouloir tant faire, non pour moi, mes pour tous ceux à qui je touche de si prés, de tenir la main que mon honneur soit justifié, et qu’il vous plaise, Madame, ausi que j’aie quelque dame de calité et digne de foi qui puise durant ma vie tesmoigner l’estat en quoi je suis, et qui apres ma mort asiste quant l’on m’ouverira, pour pouvoir par la connaissance de cette dernière imposture, faire connoitre à un chacun le tort que l’on m’a fait par si d’avant[22]. » Mais n’anticipons pas.

Henri III était rentré à Paris. La conduite de sa sœur, les bruits de sa grossesse, faisaient le sujet de toutes les conversations. Joyeuse, d’Épernon ne lui ménageaient pas leurs railleries ; et Catherine elle-même prenait parti contre elle. S’il faut en croire les chroniques du temps, le Roi gagna, à prix d’argent, une des femmes de la suite de Marguerite, qui révéla tous les amours de sa maîtresse, son intrigue avec Chanvallon, la liste de ses nombreux amants, et jusqu’à sa grossesse et à son accouchement clandestin. Le faible monarque la crut sur parole et, avec sa dissimulation habituelle, attendit qu’une occasion se présentât, qui lui permit d’assouvir contre sa sœur sa haine qui depuis un an ne faisait qu’augmenter.

C’est que la politique était venue se mêler encore à ces querelles de famille, et que Marguerite s’était jetée dans le parti des Guise, c’est-à-dire dans la Ligue, au moment où le Roi son frère cherchait à enlever à cette maison toujours plus puissante et plus insolente la direction de cette association formidable pour en investir son favori Joyeuse, l’ennemi déclaré de Marguerite. Ce dernier venait de partir pour Rome, afin d’obtenir de Grégoire XIII d’être reconnu chef du parti catholique, et, par l’excommunication de Damville « ce roi du Languedoc » comme fauteur d’hérésie, de pouvoir être nommé gouverneur de cette riche province qu’il convoitait et que le Roi lui avait promise.

Joyeuse était encore à Lyon, quand un incident, resté toujours obscur et assez insignifiant en apparence, vint mettre le feu aux poudres et précipiter la catastrophe.

« Il y a quelques jours, écrit le baron de Busbec, ambassadeur d’Autriche, à son maître Rodolphe II, que l’on a arrêté un courrier que le Roi dépêchait au duc de Joyeuse. Après l’avoir maltraité de plusieurs coups, on lui a volé les lettres dont il était chargé. Dès que le Roi a seu ceste nouvelle ou peut-être pour quelque autre raison, il est revenu à Paris et n’a point accompagné la Reine, son épouse, à Bourbon-les-Bains, comme il se l’était proposé[23]. »

Marguerite fut accusée de ce guet-apens. On prétendit qu’elle avait voulu connaître les lettres de son frère qu’elle jugeait calomnieuses contre elle. Le Roi le crut et jura de se venger.

Août 1583

Du lundi 1er août au dimanche 7, ladicte dame Roine de Navarre et son train, à Paris.

Le dimanche 7 août, une grande fête est donnée au Louvre. En l’absence de la Reine Louise qui faisait une saison aux eaux de Bourbon-Lancy[24], Marguerite reçoit de son frère l’ordre de venir la présider. La Reine de Navarre obéit, ne se doutant de rien ; et, parée de ses plus beaux atours, elle prend place sur le trône qui lui est réservé. Brusquement Henri III s’approche d’elle, suivi de ses mignons. Et là, devant toute la Cour, il l’apostrophe, lui adresse mille invectives, et lui reproche, en termes des plus violents, sa conduite et celle de ses femmes. La pauvre Reine l’écoute debout, ainsi que le veut l’étiquette ; elle ne répond rien, et toute en pleurs quitte le palais.

« Le Roi, écrit Busbec présent à cette pénible scène, a dit en présence de toute la Cour mille injures à sa sœur, la Reine de Navarre. C’était la seconde fois. Il paroit qu’il est assez bien informé des intrigues amoureuses de cette princesse ; car il lui a nommé tous les galans qu’elle avait eus depuis qu’elle est mariée et ceux qui étaient actuellement en faveurs. Le Roy enfin a fini sa querelle par lui ordonner de sortir de Paris et d’aller trouver le Roi de Navarre, son mari. Cette Reine, pleine de confusion, s’est retirée sur l’heure dans son appartement. Elle a fait elle-même ses malles des choses les plus précieuses, et, dès le lendemain, elle est partie, sans avoir d’autre suite que quelques-unes de ses femmes les plus affidées. On dit qu’elle est allée à Vendôme, qui est une terre appartenant à son mari[25]. »

L’affront fut plus sanglant encore.

Dès le lendemain lundi, 8 août, un carrosse stationnait, par ordre du Roi, devant l’hôtel de la rue Culture Sainte-Catherine, prêt à emporter loin de Paris l’infortunée Reine de Navarre. Quelques-unes de ses femmes l’attendaient à cheval, afin de suivre leur maîtresse, avec d’autres serviteurs. « La Reine de Navarre, écrit Busini à Vinta, ne voulait pas partir ; mais il lui fallut obéir sur l’heure aux ordres de son maître. » Et Marguerite, folle de désespoir, dut prendre le chemin de l’exil, non sans s’être écriée plusieurs fois « que son sort était plus malheureux que celui de la Reine d’Écosse, qu’elle désiroit que quelqu’un l’empoisonnât pour la délivrer de tous ses maux, mais qu’elle ne pouvait l’espérer, n’ayant ni amis ni ennemis[26]. »

Quant à Chanvallon, écrit toujours le même personnage, une troupe d’hommes masqués a cerné son logis pendant la nuit. Mais, après l’avoir fouillé en tous sens, on ne l’a point trouvé. Il s’est enfui, on ne sait où. Et Busbec ajoute : « On assure que depuis ce comique évènement, Jacques Harlay de Chanvallon s’est sauvé en Allemagne. C’est un jeune homme d’un caractère aimable et d’une figure fort gentille. Je ne sais pas si ce que l’on dit de sa noblesse est vrai. On l’assure fort équivoque[27]. »

Le lundy 8 août, ladicte dame et partie de son train disne au Bourg-la-Roine, souppe et couche à Pallezeau.

Le mardi 9 août, ladicte dame à Pallezeau.

« La Royne de Navarre, écrit L’Estoile dans son journal, partit de Paris pour s’acheminer en Gascogne retrouver le Roy de Navarre son mary, par commandement du Roy réitéré par plusieurs fois, luy disant que mieux et plus honnestement elle serait près son mary qu’en la Cour de France où elle ne servait de rien. De faict, partant ledict jour de Paris, s’en alla coucher à Palaiseau où le Roy la fist suivre par soixante archers de sa garde, sous la conduitte de Larchant, l’ung des capitaines diceux, qui la vint rechercher jusques dans son lit, et prendre prisonniers la dame de Duras et la demoiselle de Bethune, qu’on accusait d’incontinence et d’avortemens procurés, furent aussy par mesme moien arrestés le seigneur de Lodon, gentilhomme de sa maison, son escuier, son secrétaire, son médecin et aultres qu’hommes que femmes, jusques au nombre de dix, et tous menés à Montargis où le Roy luy-mesme les interrogea et examina sur les desportemens de ladicte dame Royne de Navarre, sa seur, mesme sur l’enfant qu’il estoit bruict qu’elle avait faict depuis sa venue en Cour ; de la façon duquel estoit soubçonné le jeune Chanvallon qui, de faict, à ceste occasion, s’en estoit allé et absenté de la Cour. Enfin le Roy n’ayant rien peu descouvrir par la bouche desdicts prisonniers et prisonnières, les remeist tous et touttes en liberté et licentia la Royne de Navarre, sa seur, pour continuer son chemin vers Gascongne ; et ne laissa pourtant d’escrire de sa main au Roy de Navarre, son beau frère, comme toutes choses s’estoient passées[28]. »

Cette version de l’Estoile nous paraît être la seule vraie. Elle est en effet en tous points conforme à ce que nous apprend la correspondance de la Reine-Mère. Cette dernière n’écrit-elle pas en effet, le 21 août à Bellièvre, apprenant que Madame de Duras, rendue à la liberté, est revenue à Paris et n’ose regagner encore son poste de dame d’honneur auprès de la Reine de Navarre ? « Monsieur de Bellièvre, je veu cet que me mandés que la dame de Duras ayst à Paris. Vous la conésès comme moy ; je voldres qu’el en feust dehors ; et vou prie cet trouvé qu’il seuyt bon de dire à sa mère que fera bien de l’en fere ennaler et que je serès marrye de l’y trover. Vous voyrè s’il è bon d’ynsin le faire. Ouis l’on m’a dyst que l’ècuyer qui a estè pris ayst relachè et qu’il a baillé une letre au Roy que sa mère aycripvist à mon fils, luy-mesme me l’a dict et que yl ne s’an donnay point de pouyne ; car je savet bien qu’il n’avoyt neule intelligence aveques elles[29]. »

D’autres, Busbec notamment et aussi Busini, ont écrit que l’affront infligé par Henri III à sa sœur avait eu lieu en pleine route, que le capitaine Larchamp de Grimonville, après s’être saisi de l’escorte, avait mis pied à terre, et que, pensant trouver Chanvallon dans le carrosse royal, il avait brusquement ouvert la portière et soulevé, sans autre façon, le masque qui recouvrait le visage de Marguerite. « Tuez-moi donc alors, sans plus me faire languir, se serait écrié la malheureuse Reine », regrettant qu’à cause d’elle tant de personnes souffrissent ainsi, et demandant d’où lui venait cette odieuse persécution[30].

« L’archevêque de Langres qui l’accompagnait, ajoute Busini dans sa lettre à Vinta, est allé à la hâte trouver la Reine-Mère qui était à La Fère avec Monsieur[31]. » Sans doute était-il porteur de la lettre désespérée que nous avons reproduite plus haut.

Sa mission ne fut pas inutile. Catherine obtint de suite de son fils que tous les prisonniers qui étaient déjà enfermés dans la Bastille seraient élargis, et qu’il laisserait sa sœur continuer paisiblement son chemin, pour aller, quand elle le pourrait, rejoindre son mari.

« Avec ces nouveaux troubles, écrivait peu après la Reine-Mère à Villeroy, je reçoy tant d’ennuis des lettres qui font mention de ma fille, que j’en suis cuidée mourir depuis que je suis de deça, ne se passant ung seul jour que je n’en aye quelque nouvelle alarme qui m’afflige si fort que je ne me sentis jamais en telle peine. Ce que l’on tient pour certain et qu’elle ne peut nier, elle a écrit à mon filz le duc de Lorraine, j’ay veu les lettres, pour le prier de la recepvoir en son pays. Ce me sont des afflictions si dures que je me sens comme hors moy[32]. »

Au cours de sa douloureuse pérégrination, Marguerite lui écrivait en effet des lettres, dont voici un spécimen :

« Madame, si au malheur où je me vois réduicte, il ne me restoit la souvenance de l’honneur que j’ay d’estre vostre fille, et l’espérance de vostre bonté, j’aurois déja, de ma propre main, devancé la cruauté de ma fortune ; mais me souvenant, Madame, de l’honneur que vous m’avez toujours faict, je me jette à vos pieds et vous suplie très humblement avoir pitié de ma trop longue misère ; et, prenant la protection de vostre créature, faire en sorte que le Roy se veuille contenter de mes maux et me tenir à l’avenir pour sa très humble servante, telle que j’eusse tousiours désiré, si j’eusse pensé qu’il luy eust esté agréable ; et tenant ce bien de vous, Madame, me donneriés une seconde vie que je ne désire conserver qu’à l’obéissance de vos commandemens, et la sacrifier toutes et quantes fois qu’il vous plaira et à vostre vollonté, Madame, ayant l’âme si troublée que je ne sais ce que j’escrips[33]. »

Le mercredi 10 août, ladicte dame et tout son train disne à Pallezeau, souppe et couche à Saint-Clerc.

Le jeudi 11 août, ladicte dame et tout son train disne, souppe et couche à Ablis.

Le vendredi 12 août, ladicte dame et tout son train disne à Ablis, souppe et couche au guey de Lonroi[34].

Le samedi 13 août, ladicte dame et tout son train disne, souppe et couche à Chartres.

Du dimanche 14 août au jeudi 18, séjour à Chartres.

Le vendredi 19 août, ladicte dame et tout son train disne, souppe et couche à Illiers.

Le samedi 20 août, ladicte dame et tout son train disne à Danjeau, souppe et couche à Chasteaudun.

Le dimanche 21 août, ladicte dame et tout son train disne à Chasteaudun, souppe et couche à La Ferté-Villeneuil.

Le lundi 22 août, ladicte dame et tout son train disne à La Colombe[35], souppe et couche à Marchesnoy (pour Marchenoir).

Le mardi 23 août, ladicte dame et tout son train disne à Marchesnoy, souppe et couche à Blois.

Le mercredi 24 août, ladicte dame et tout son train disne à Blois, souppe et couche à Eseures[36].

Le jeudi 25 août, ladicte dame et tout son train disne à Eseures, souppe et couche à Amboyse.

Le vendredi 26 août, ladicte dame et tout son train disne à Chenonceaux, souppe et couche au Plessis-les-Tours.

Du samedi 27 août au mardi 30, séjour au Plessis-les-Tours.

Le mercredi 31 août, ladicte dame et son train disne à Azé[37], souppe et couche à Chinon.

(Total des dépenses pour ce mois d’août, 2 447 écus, 58 sols, 9 deniers. — Payé seulement : 2 158 écus, 47 sols, 1 denier.)

Que pensait Henri de Bourbon du sanglant affront fait à sa femme ? Et dans quelle disposition d’esprit, dans quel état d’âme se trouvait-il au moment où lui arriva la nouvelle de cette fâcheuse aventure ?

Depuis un an, le Roi de Navarre vivait allègrement, se passant fort bien de sa moitié. En politique, il restait officiellement fidèle aux conventions du traité de Fleix, cherchait à calmer les ardeurs impatientes de ses plus turbulents amis et savait, en leur faisant de nombreuses concessions, conserver sa situation incontestée de chef du parti réformé. D’humeur voyageuse, tantôt à Saint-Jean d’Angély auprès du prince de Condé, à Pau à côté de sa sœur dont les négociations à l’occasion de son mariage avec le prince de Savoie n’aboutissaient pas, à Nérac, à Durance ou aux champs à chasser la bête, il surveille tout, pare à tout, surmonte tous les obstacles, et poursuit habilement sa destinée. En amour, le Béarnais ne perd pas non plus son temps. Vite oubliées, les belles filles de l’escadron volant, Dayelle, Rebours, Fosseuse ! Place cette fois à la maîtresse aristocratique, à la belle Corisande, à Diane d’Audouins, vicomtesse de Louvigny, veuve de Philibert de Gramont, comte de Guiche, vicomte d’Aster et sénéchal de Béarn, tué d’un coup de mousquet, en 1580, au siège de La Fère.

Corisande, qui va désormais jouer un rôle capital dans la vie du futur Henri IV, mérite mieux qu’un souvenir. Et, comme le fait très justement remarquer M. de Lescure, « elle a droit à l’attention et jusqu’à un certain point aux hommages de l’histoire. Elle eut plus que de la beauté et de l’esprit ; elle eut du courage et du désintéressement. Voilà enfin une maîtresse qui semble avoir aimé pour lui-même un roi qui ne put s’empêcher de l’estimer, une maîtresse qui paya d’un dévouement prodigue et constant une trop passagère faveur. Corisande est une des femmes, trop rares dans la vie d’Henri IV, dont on peut dire qu’elles n’ont rien coûté à la dignité du prince ni à la prospérité de l’État[38]. »

Il est difficile de préciser à quel moment se forma cette liaison. Retirée dans ses domaines de Béarn et principalement au château d’Hagetmau, ce n’est guère que vers la fin de 1582 qu’Henri de Navarre commença à lui faire sa cour. Il la rencontra d’abord à Pau ; puis il lui fit sa première visite à Hagetmau, le 20 janvier 1583. Ses livres de comptes portent en effet que le 19 il dîne à Navarrens, soupe et couche à Orthez, et que le 20 il dîne à Orthez, soupe et couche à Hagetmau. Et Sully écrit de son côté à cette date : « Le Roi de Navarre était alors au plus chaud de ses passions amoureuses pour la comtesse de Guiche, vers laquelle il fit un voyage en un endroit qu’on nomme Agemau[39]. » Depuis cette époque, il y revient sans cesse et partage son temps entre Casteljaloux, Nérac et Pau[40].

Marguerite est totalement oubliée. Toutefois, et pour sauver les apparences, le Béarnais consent à s’occuper vaguement d’elle, et il écrit de Bordeaux, les premiers jours de ce mois d’août, ne se doutant absolument de rien, au maréchal de Matignon : « Mon cousin, suivant ce que j’ay dict au sieur de Pontcarré, j’envoye ce porteur (Vissouse, son secrétaire), jusqu’à Paris pour mes affaires, mais principalement c’est pour voir la part qu’est ma femme et savoir de ses nouvelles, d’autant mesmement que j’ay entendu qu’elle est retournée devers Paris. Je vous prie lui faire bailler passeport et chevaux[41].)

Et, dans une autre lettre, il lui annonce qu’ « à cause qu’on se meurt à Nérac », il a l’intention d’aller demeurer dix ou douze jours à Mont-de-Marsan, « attendant la venue de ma femme[42]. »

Sur ces entrefaites le Roi de Navarre, en ce moment à Sainte-Foy disent les uns, à Bazas disent les autres, reçoit un courrier spécial, le 10 ou 11 août, porteur d’une lettre autographe du Roi de France. Dans cette lettre, Henri III lui annonçait que, « pour avoir descouvert la mauvaise et scandaleuse vie de Madame de Duras et Mademoiselle de Bethune, il s’estoit resoleu de les chasser d’auprès de la Reine de Navarre comme une vermine très pernicieuse et non supportable auprès de princesse de tel lieu[43]. » Mais le dissimulé monarque se gardait bien de lui en apprendre plus long et de le tenir au courant de l’insulte qu’il avait faite personnellement à la Reine de Navarre.

Toujours confiant et même reconnaissant, Henri de Bourbon répond le 12 août :

« Monseigneur, j’ay receu la lettre qu’il a pleu à vostre Majesté m’escrire du iv de ce mois[44], et ne sçay par quel service je puisse jamais recognoistre le soing singulier qu’il vous plaist avoir de chose qui me touche tant et de si près. Qui m’est une parfaite démonstration de la bonne volonté qu’il vous plaist me porter et une admonition continuelle de la mériter par tous les moyens dont je me puisse adviser. Je ne vous celeray donc, Monseigneur, qu’il y a longtems que le bruict de la mauvaise et scandaleuse vie de Madame de Duras et de Béthune estoit venu jusques à moy ; dont je ne pouvois avoir grand contentement, les voyant si près de chose qui m’est proche ; mais je considérois que ma femme, ayant cest honneur de vous estre ce qu’elle est et mesme d’estre près de Vos Majestés, je ferois quelque tort à vostre bon naturel si j’entreprenois d’en estre plus soigneux de loing que Vos Majestés de près… J’estois resolu, quand ma femme prendroit son chemin vers moy, de la prier de s’en deffaire avec le moins de bruit qu’elle pourroit… Au reste, Monseigneur, il n’est pas besoin que je vous dye que je la desire extresmement icy, et qu’elle n’y sera jamais assez tost venue…[45] »

Quelques jours après, le Roi de Navarre, « étant à Nérac » dit Duplessis-Mornay, apprenait toute la vérité. Soucieux avant tout de son honneur, il appelle ses conseillers intimes et leur demande ce qu’il faut faire. Tous décident que leur maître doit exiger du Roi de France une réparation solennelle, si Marguerite n’est pas coupable. Si, au contraire, ce qui lui a été reproché est vrai, qu’on la condamne publiquement. À cet effet, il enverra à la Cour un ou plusieurs ambassadeurs s’il le faut, afin d’obtenir pleine et entière satisfaction.

Lequel, de d’Aubigné ou de Duplessis-Mornay, fut-il le premier délégué par le Roi de Navarre auprès du Roi de France ? Il est avéré que tous deux reçurent à un moment donné la mission d’aller plaider la cause de leur maître. À en croire d’Aubigné, lui seul aurait été chargé d’une pareille ambassade :

« Ayant été obligé de m’en venir à Pau, je trouvai mon maître dans une furieuse colère pour les affronts que la Roine sa femme avait reçu à la Cour de France. Il tint sur cela un grand conseil dont le résultat fut qu’il me depecha au roi Henri III pour demander réparation desdits affronts faits à sa femme et d’autres griefs énoncés dans la commission signée de sa main qu’il me donna pour cet effet… Je me rendis à la Cour de France où je représentai au roy Henri III le juste ressentiment que le Roy de Navarre conservait de l’indigne traitement fait à sa femme, qu’il en demandait une réparation authentique, aussi bien que de plusieurs griefs qu’il avait reçus. Sur quoy S. M. très chrétienne me répondit qu’il écriroit sur cela au Roy son frère ; à quoy je repartis hardiment que de telles indignités ne se réparoient pas par des écritures ; et que tant qu’il resteroit un pied d’épée au Roi mon maître, il ne le souffrirait pas. » L’entretien s’envenimant et les têtes s’échauffant, ce qui ne doit guère surprendre pour qui connaît le caractère irascible et hautain de d’Aubigné, ce dernier fut brutalement renvoyé par le Roi, « lequel, ajoute-t-il, eut envie de me faire arreter. Mais la Reine Mère l’ayant adouci, il fut conclu de me renvoyer avec une réponse, qui portoit que Sa Majesté Très Chrétienne enverroit une personne de son conseil au Roi de Navarre, pour lui donner satisfaction sur tous les sujets de plaintes que j’étais venu faire de sa part[46]. »

Duplessis-Mornay, dans ses Mémoires, ne fait aucune allusion à l’ambassade de d’Aubigné. Bien au contraire, il se représente comme le seul à qui le Roi de Navarre ait confié cette délicate mission. D’Aubigné écrit qu’il se rendit à Paris. Ce fut à Lyon que Duplessis-Mornay, ayant quitté Nérac le 17 août, alla trouver le Roi de France, prêt à partir pour un voyage « aux eaux. » Introduit par d’Épernon auprès du monarque, il lui expose le sujet de sa mission, rappelle tous les incidents de l’affront fait à la Reine de Navarre, et au nom du Roi son maitre demande « qu’il plaise à Sa Majesté lui déclarer la cause de ceste si grande indignation qui l’a faict estimer digne de telle indignité, et en la peine où il se trouve, qui ne peult estre que très grande, lui dire ce qu’il a à faire. » Le Roi lui répondit « que le Roi de Navarre n’aurailt peu mieux faire que ce qu’il faisait d’envoier vers lui telle personne de confiance et qu’il s’était cru obligé de faire arrêter Madame de Duras et Mademoiselle de Béthune. » — « Ce n’est point pour elles que je suis venu, répliqua Mornay, mais pour le faict de la Roine, vostre sœur… Si elle a commis une faute digne de l’affront qui lui a été fait, le Roi mon maistre vous en demande justice, comme au maistre de la maison et au père de famille. Sinon, sire, comme il ne le croira que le plus tard qu’il pourra, il vous la demande des calomniateurs, sur le rapport desquels une telle injure aurait esté précipitée. » Ainsi pressé par la logique inflexible de l’ambassadeur, Henri III hésite ; il met l’affront en doute et cherche à en atténuer la portée. « L’honneur des femmes, s’écrie Mornay, ne se doibt jamais profaner, si elles ne l’ont profané elles-mesmes. » Le roi demande alors à voir sa mère. Il ne peut rien décider sans elle sur cette affaire de famille. « Ce sera bien long, réplique-t-il ; le trait est dans la blessure ; vous ne l’en arracherez pas. La Roine vostre sœur est en chemin pour rejoindre son mari. Que dira la chrétienté s’il la reçoit ainsi barbouillée ? » — « Que pourra-t-on dire, répliqua le monarque en le congédiant, sinon qu’elle est la sœur de votre Roi[47]. »

Mornay s’en revint à Nérac, porteur d’une lettre autographe de Sa Majesté au roi de Navarre. Mais ce dernier ne s’en tint pas aux vagues promesses qu’elle contenait. Il dépêcha un troisième courrier, Pierre de Malras, baron d’Yolet, pria Pibrac de défendre également sa cause auprès du frère de Marguerite et ne voulut rien faire avant de s’en être expliqué avec Bellièvre, qu’Henri III, justement effrayé des conséquences de l’acte qu’il avait si inconsciemment commis, jugea prudent d’envoyer auprès d’Henri de Bourbon.

Cette affaire, qui, ainsi que nous le verrons, dégénèrera en affaire politique, trainera huit longs mois encore, pendant lesquels l’infortunée Reine de Navarre, humiliée par son frère, dédaignée par son époux, va errer de ville en ville, sans but, sans ressources, sans protection, sans estime, ballotée tristement comme une épave abandonnée.

Septembre 1583

Le jeudi 1er septembre, ladicte dame et son train disne à Chinon, souppe et couche à Champigny[48].

Faisons remarquer ici que la Reine de Navarre, dans ce second voyage entrepris malgré elle à travers toute la France, ne s’arrêta pas à Vendôme, ainsi que plusieurs l’ont écrit, M. le comte Hector de la Ferrière entre autres[49], et que ce n’est point en cette ville, mais bien à Blois, à Chenonceau ou à Tours qu’elle reçut les 200 000 livres que, sur ses instances réitérées, la Reine-Mère lui envoya. Busbec est également dans l’erreur lorsqu’il écrit qu’elle se retira à Vendôme « qui est une terre appartenant à son mari ».

Le vendredi 2 septembre, ladicte dame et son train à Champigny.

Le samedi 3 septembre, ladicte dame et son train disne au faulbourg de Chinon, souppe et couche à Fontevrault.

Le dimanche 4 septembre, ladicte dame et son train disne à Fontevrault, souppe et couche à Loudun.

Le lundi 5 septembre, ladicte dame et son train disne à Loudun, souppe et couche à Mirebeau.

Le mardi 6 septembre, ladicte dame et son train disne à Vendeuvre, souppe et couche à Dissay[50].

Du mercredi 7 septembre au lundi 12, séjour à Dissay.

C’est de cette superbe résidence, mise à sa disposition par les d’Amboise, que Marguerite écrivit à son mari, avec lequel elle semble avoir conservé encore quelques relations, la lettre suivante :

« Monsieur, Osat estant passé par isi, je n’ai voulu perdre ceste comodité pour vous rendre conte, Monsieur, de mon voiage. Je pars demain pour aler à Poictiers où je séjourneré un jour pour i voir Madame de Sainte-Croix et Monsieur de Vilequier qui ma mandé qui si renderait esprès pour me voir ; qui est, Monsieur, vous aiant hier escrit par Vissouse ce qui ce presante et pour ne vous importuner, après vous avoir très humblement suplié, Monsieur, me continuer l’honneur de vostre bonne grasse, je vous baiseré, Monsieur, très humblement les mains[51]. »

L’itinéraire nous apprend également le motif pour lequel la Reine de Navarre s’arrêta à Poitiers.

Le mardi 13 septembre, ladicte dame et son train disne à Dissay, souppe et couche à Poictiers, où ladicte dame faict festin à Madame de Saincte Croix et aultres dames. Dépenses pour ce jour, 130 écus, 16 sols, 4 deniers.

Le mercredi 14 septembre, séjour à Poictiers.

Le jeudi 15 septembre, ladicte dame et son train disne à Rusfergue[52], souppe et couche à Vivonne.

Le vendredi 16 septembre, ladicte dame et tout son train disne à Vivonne, souppe et couche à Coué (pour Couhé).

Le samedi 17 septembre, ladicte dame et tout son train disne à Coué, souppe et couche à Civray.

Le dimanche 18 septembre et lundi 19, séjour à Civray.

Le mardi 20 septembre, ladicte dame et son train disne à Civray, souppe et couche à Villefagnan.

Le mercredi 21 septembre, ladicte dame et son train disne à Villefagnan, souppe et couche à Aigres.

Le jeudi 22 septembre, ladicte dame et son train disne à Aigres, souppe et couche à Beauvais sur Matha.

Le vendredi 23 septembre, ladicte dame et son train disne à Beauvais sur Matha, souppe et couche à Jarnac.

Du samedi 24 septembre au vendredi 30, séjour à Jarnac.

(Total des dépenses pour ce mois de septembre, 2 332 écus, 34 sols, 2 deniers. Payé seulement 2 197 écus, 7 sols, 8 deniers.)

Octobre 1583

Du samedi 1er octobre au lundi 17, ladicte dame et tout son train à Jarnac.

La situation de la Reine de Navarre ne s’améliorait pas. À peine arrivée à Jarnac, et non à Cognac comme tous ses historiographes l’ont écrit, ville où elle ne se rendit pas en ce voyage, elle reçut l’ordre de son époux de ne point entrer dans ses États, tant que satisfaction pleine et entière ne lui aurait pas été donnée par le Roi, son frère. Deux motifs, croyons-nous, dictaient principalement alors la conduite du Roi de Navarre. D’abord, les conseils de ses partisans qui cherchaient à profiter de cette occasion pour pousser à la guerre, ou tout au moins se faire accorder de nouvelles concessions ; en second lieu, l’influence de plus en plus dominante qu’exerçait sur le cœur et l’esprit du Roi, la comtesse de Gramont, laquelle, on le comprend, ne pouvait voir d’un bon œil arriver l’épouse légitime auprès de celui à qui elle venait de tout sacrifier, honneur, fortune, réputation.

Force est donc à Marguerite d’attendre la bonne volonté du Roi son mari, et d’insister auprès de sa mère pour que le Roi son frère envoie au plus vite en Béarn un ambassadeur, lequel plaidera sa cause et la sortira d’embarras. Bellièvre est désigné et se mettra incontinent en route, ce qui permet à Marguerite de se rapprocher un peu plus de la Gascogne, sans oser toutefois dépasser Coutras.

Le mardi 18 octobre, ladicte dame et son train disne à Jarnac, souppe et couche à Chasteauneuf.

Le mercredi 19 octobre, ladicte dame et son train disne à Chasteauneuf, souppe à Barbezieux.

Le jeudi 20 octobre, ladicte dame et son train disne à Barbezieux, souppe et couche à Chasley (pour Chalais).

Le vendredi 21 octobre, ladicte dame et son train, disne, souppe et couche à Chasley.

Le samedi 22 octobre, ladicte dame et son train disne à Chasley, souppe et couche à Coutras.

Du dimanche 23 octobre au lundi 31, séjour à Coutras.

(Total des dépenses pour le mois d’octobre, 2 216 écus, 58 sols, 7 deniers. Payé seulement 2 133 écus, 4 sols 4 deniers.)

Novembre 1583

Du mardi 1er novembre au vendredi 25, ladicte dame et tout son train à Coutras.

La première moitié du mois se passe en incertitudes. Tout à coup, Marguerite apprit que le 21 novembre son mari s’était emparé de Mont-de-Marsan. Fatigué d’attendre la solution tant de fois demandée à la Cour, inquiet surtout des menées de Bellièvre, qui au lieu de se rendre directement auprès de lui, s’était arrêté près de Bordeaux pour s’entendre avec le maréchal de Matignon et engager ce dernier à renforcer la garnison de Bazas, poussé d’un autre côté par ses partisans toujours prêts à prendre les armes, Henri de Navarre crut devoir s’emparer de force d’une ville qui faisait partie de son domaine, et qui, malgré la stipulation formelle du traité de Fleix qu’elle lui serait rendue, était depuis bientôt trois ans demeurée en la possession du Roi. En conséquence, le Béarnais prit ses dispositions de guerre, et réussit au-delà de toute espérance.

« M. le prince de Condé, écrit Duplessis-Mornay dans ses Mémoires, l’était venu voir à Nérac. Sans autre amaz, ils prennent leurs gardes et donnent à quelques-uns de leurs voisins rendez-vous au milieu des Landes. La nuit ensuivante, ils traversent la rivière qui sert de fossé à la ville avec des petits bateaux d’une pièce, pour porter escalade à la muraille. L’escarpe était haute et pleine de buissons épais, tellement qu’il fallut chercher des serpes et s’y faire un chemin. Dieu voulut néanmoins qu’on leur en donnât le loisir ; et parvenus au pied de la muraille, ils y posèrent une échelle assez proche de la sentinelle, et par là entrèrent dans la ville. À l’alarme qui fut donnée par un coup de pistolet qui leur échappa, accourut le peuple, mais qui fut tôt dissipé sans meurtre que d’un seul ; puis la porte fut ouverte au Roi de Navarre, et le tout composé si promptement, qu’à huit heures du matin les boutiques étaient ouvertes, chacun à sa besogne, sans aucune apparence d’hostilité[53]. »

Il ressort de ce document, et surtout des deux lettres qu’écrivit le Roi de Navarre, l’une à M. de Saint-Geniez, du 19 novembre, où il lui donne rendez-vous pour le surlendemain sous les murs de la ville, l’autre à Michel de Montaigne, alors maire de Bordeaux, le lendemain même de son entreprise[54], qu’Henri de Bourbon prit Mont-de-Marsan dans la nuit du 21 au 22 novembre 1583. Aucun doute ne saurait exister à cet égard, toutes les autres assertions, celle de de Thou notamment qui donne la date de 1581, devant être considérées comme fausses[55].

Ce fait d’armes eut un retentissement énorme. On put croire un moment à la Cour qu’une nouvelle guerre était engagée. Telle n’était pas cependant l’intention du Roi de Navarre, qui s’empressa par toutes sortes de missives de rassurer les esprits. Sa lettre aux Consuls d’Agen, datée de Nérac, quelques jours après l’entreprise, est encore celle qui nous fait connaître le mieux les motifs invoqués par lui pour expliquer la conduite qu’il a été forcé de tenir :

« Messieurs, vous avez cy devant peu entendre l’insolence de mes subjects du Mont de Marsan, qui ont ruyné mes maisons en temps de paix et brulé le lieu où s’exerçait la justice… Et en outre, continuans à uzer du mesprez en mon endroict, en ce qu’ils ferment la porte à mes gens et à tous ceulx qui s’avouent de moy, passant leur chemin par ladicte ville, et leur font ordinairement des affronts jusques à avoir ces jours passés foulé l’homme de ung de mes gardes jusques à la mort… Pour leur montrer en une juste rigueur plus de clémence qu’ils ne méritent, j’ay prins la peine de me y rendre en personne, n’ayant aultre intention que les reduyre à ce quy est de la raison et debvoir ; de quoy je vous ay bien volleu advertir et vous prier, Messieurs, de mettre le tout en bonne consideration et croire que je n’ay autre but que le bien de la paix et repos commun, le service du Roy Monseigneur et l’observation de ses edictz avecques la conservation de mes droictz et aucthorité et de ce qui m’appartient…[56] »

Le coup de main du Roi de Navarre n’était pas fait pour avancer les affaires de Marguerite, encore moins pour faciliter la mission dont Bellièvre avait été chargé. Ce dernier vit, en effet, Henri de Bourbon à Mont-de-Marsan, le lendemain même du jour où ce monarque s’en était emparé. L’entrevue fut plus que froide. Le Béarnais s’en tint à l’argumentation que Duplessis-Mornay avait fait valoir auprès d’Henri III : ou sa femme était innocente, et alors il fallait punir les calomniateurs ; ou elle était coupable, et dans ce cas il ne voulait pas la recevoir. Malgré toute son habileté, Bellièvre ne put avoir raison de son inflexible logique ; il comprit qu’il était inutile d’insister. Le Roi de Navarre le congédia du reste immédiatement, lui disant que s’il voulait reprendre les négociations, il fallait auparavant que Matignon retirât les garnisons qu’il avait mises dans toutes les villes de son gouvernement à Agen, à Condom, à Bazas, à Casteljaloux, voulant avoir ses coudées franches et ne pas être enfermé dans Nérac, « où rien ne lui sera libre, pas même sa personne[57]. »

Bellièvre s’en retourna à Bordeaux, d’où il écrivit aussitôt à la Reine de Navarre : « J’arrivai à Mont-de-Marsan à deux heures de nuit et tous les propos que j’eus du Roi furent plaintes et surtout de ce fait de Bazas. Je m’excusai sur ce que, ces choses n’étant pas avenues par moi, il fallait qu’elles fussent traitées par M. de Matignon : je remontrai au Roi qu’il savait bien l’affaire pour laquelle j’étais venu. Il répondit que, pour le moment, il ne pouvait penser à une autre affaire, mais qu’à mon retour, tout se négocierait mieux. Je n’ai pas moyen de forcer les volontés d’un tel prince, j’ai souffert ce coup tel qu’il me l’a voulu donner. Je vous supplie, Madame, de ne me l’imputer à faute de bonne volonté. Monsieur de Birague, qui n’avait pas encore pu voir le Roi, votre mari, est resté à Mont-de-Marsan[58]. »

Marguerite reçut cette lettre à Cadillac, où elle s’était avancée en quittant Coutras.

Le samedi 26 novembre, ladicte dame disne à Coutras, couche à Lybourne.

Le dimanche 27 novembre, séjour audict Lybourne.

Le lundi 28 novembre, ladicte dame disne à Lybourne, couche à Créon.

Le mardi 29 novembre, ladicte dame disne à Créon, couche à Cadillac.

Le mercredi 30 novembre, ladicte dame et son train, à Cadillac.

(Total des dépenses pour ce mois de novembre, 2 075 écus, 2 sols, 11 deniers. Payé seulement 1 938 écus, 9 sols, 11 deniers.)

Décembre 1583

Le jeudi 1er décembre et le vendredi 2, ladicte dame à Cadillac.

À la lettre précédente du chancelier de Bellièvre Marguerite répondit aussitôt :

« M. de Bellièvre, j’ai su de M. de Lésignan, comme vous estiés parti pour retourner à Bordeaux et n’ai toutefois su aucunes nouveles du seigneur Carles[59], mes parce que j’ai apris de Monsieur de Lusignan. Ses garnisons nouvelles sont venues bien à propos pour ceux qui désirent tenir mes afères en longueur, vous connaissez de tous leurs desfiances. Je vous suplie, escusé les aigreurs qu’ories peu remarquer et ne vous lasès de bien faire et pour le service du Roi et pour tirer de poine une misérable qui resantira éternellement une si grande obligation… M. de Lusignan m’a dit forse honnestes paroles de la part du Roi mon mari, qui me prie ne m’annuier point de ses longueurs et ne les prendre en mauvesse part, que ce n’est faute de bonne volonté ni d’amitié an mon endroit… Depuis Jarnac, je n’en aveis point eu[60]. »

Malgré ses griefs bien légitimes, le Béarnais, on le voit, reste bon prince et cherche à sauver les apparences. Mais, de cette simple querelle privée qu’elle était au début, cette affaire devient de plus en plus politique. La seule victime en est Marguerite, qui, de guerre lasse, ne sachant plus où porter ses pas, prend le parti de se retirer à Agen, ville de son domaine, où du moins nul ne pourra lui chercher

querelle.

Le samedi 3 décembre, ladicte dame disne à Cadillac, souppe et couche à Saint-Macaire.

« Mon cousin, écrit-elle ce jour-là, au maréchal de Matignon, il ne se peut souheter mieux pour moi de dela que les nouveles qu’aves pris la poine de m’escrire. Dieu veuille que de désa les essais y respondent. J’eusse bien déssiré savoir ce que l’on vous mande pour Basas ; car despuis vous avoir laissé, j’entretins hier Montagne[61] qui me met en quelque doute que cela brouillerait ; ce qui vienderait bien mal à propos et principalement pour moi qui ai plus tost besoin d’estre aidée de toutes choses que o contrere. Vostre prudanse sora bien conduire tout. Je pars maintenant pour aller coucher à Saint Macaire, et ne fauderès à toutes ocasions de vous faire savoir de mes nouvelles, vous supliant m’an faire de mesme des vostres, et croire que je me conformeré tousiours antierement an vostre conseil, faisant plus d’estat de vostre amitié que de chose du monde, vous suppliant vous assurer de la mienne comme de cele qui vous sera esternellement vostre plus afectionnée et meilleure cousine.

Marguerite[62].

Le dimanche 4 décembre, ladicte dame disne à Saint-Macaire, souppe et couche à La Réolle.

Le lundi 5 décembre, ladicte dame disne à La Réolle, souppe et couche à Marmande.

Le mardi 6 décembre, ladicte dame disne à Marmande, souppe et couche au Port-Sainte-Marie.

Le mercredi 7 décembre, ladicte dame disne au Port-Sainte-Marie, souppe et couche à Agen.

Du jeudi 8 décembre au samedi 31, la dicte dame et tout son train à Agen.

(Dépenses totales pour ce mois de décembre, 2 166 écus, 2 sols, 4 deniers. Payé seulement 2 142 écus).

Dans sa première entrevue avec le Roi de Navarre, Bellièvre, nous l’avons vu, ne réussit pas. Le capitaine Charles de Birague, « un de ces Italiens à l’esprit souple dont Catherine aimait à s’entourer[63] », se montra plus habile, et à force de finesse et de diplomatie obtint d’Henri de Bourbon qu’il consentirait à recevoir une seconde fois l’ambassadeur officiel d’Henri III, qui, dans l’espoir d’être rappelé, n’avait point quitté Bordeaux.

À quel moment et à quelle date cette seconde entrevue entre Henri de Bourbon et Bellièvre eût-elle lieu ? Fût-ce à Mont-de-Marsan, comme tout porte à le croire, ville où demeura le Roi de Navarre tout le mois de décembre, et aussi la première quinzaine du mois suivant ? Aucun auteur ne l’a précisée. En tous cas Marguerite, de plus en plus découragée, ne cesse d’écrire à son avocat les lettres les plus pathétiques, le suppliant d’intercéder de nouveau pour elle et, comme la première fois, de chercher par tous les moyens possibles à améliorer son misérable sort.

« Monsieur de Belièvre, le sieur de Praillon, vous dira la response que j’ai eue. Je vois bien que je ne puis fuir ni esviter le malheur de ceste veue. Ce n’est le premier et ne sera le dernier que je croi qui me viendera de tele part. C’est le propre de la fortune de dominer sur les actions extérieures, non sur les voulontés. Mes puisque ma vie est reduicte à la condision de cele des esclaves, j’obeire à la forse et à la puisance à quoi je ne puis resister ; et estant ma misère telle, j’estime ancore avoir resu de l’heur par la venue du sieur Praillon qui m’a donné assurance d’avoir relache de ceste creuele contrinte jusques à la fin de ce mois, terme que si Dieu vouloit prolonger jusques à la fin de ma vie, bien que se feut en l’abrégeant, je le tienderais à très grant grase, tenant la mort et ceste veue au mesme esgalité[64]. »

De cette lettre, si plaintive, si désolée ne faut-il pas rapprocher celle que l’infortunée Reine écrivit vers la même époque à la Reine sa mère et que nous avons déjà fait connaître, comme provenant de la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg : « Madame, puisque l’infortune de mon sort m’a resduite à telle misère que je ne suis si heureuse que dessiriés la conservation de ma vie, o moins, Madame, pui-je espérer que vous la vouderés de mon honneur pour estre tellemant uni avec le vostre et celui de tous ceulx et celles à qui j’ai l’honneur d’appartenir que je ne puis resevoir de honte qui n’en soit partisipans, prinsipalement mes nièpses, au prejudice desquelles le deshonneur que l’on me vouderoit procurer importerait plus qu’à neul autre ; qui me fait, Madame, vous suplier très humblement an cete considération ne vouloir permettre que le pretexte de ma mort se presne au despans de mon honneur et reputasion ; et vouloir tout faire, non pour moi mes pour tous ceux à qui je touche de si près, de tenir la main que mon honneur soit justifié, et qu’il vous plaise, Madame, ausi que j’aie quelque dame de calité et digne de foi qui puise durant ma vie tesmoigner l’estat an quoi je suis, et qui après ma mort asiste quant l’on m’ouverira, pour pouvoir par la connaissance de ceste dernière imposture faire connaitre à un chascun le tort que l’on n’a fait par si davant, etc.[65]. »

Et encore celles-ci, toujours à Bellièvre :

« Monsieur de Belièvre, je vous avois envoiè un laquais à Bordeaux pour savoir la response que Prallon vous avoit raportée, et voiant qui n’est revenu, je crains qui ne vous a trouvé, aiant despuis su qu’estiés aveque le Roi mon mari, auquel j’anvoie ce porteur pour resevoir ses commandemans sur la resolution qu’il ora prise avec vous, vivant avec tant d’annui que je ne puis avoir repos que je ne me voie hors de ce purgatoire, que je puis bien nommer ainsi, ne sachant si vous me mesterés an paradis ou an anfer ; mes quoi que ce soit il est tres malaisé que ce soit pis que ce que despuis six mois l’on m’a fait esprouver[66]. »

« Monsieur de Bellièvre, j’escris cete letre à l’avanture, ne sachant si ele vous trouvera ancore à Bordaux, pour le bruit qui court qu’estes acheminé vers le Mon de Marsan, ce que je ne puis croire, m’asurant que m’eusiés fait ce bien de m’avertir de la reseption des nouveles qui vous eussent fait partir. Toutefois, je le dessirerois, car quant vous marcheres, je m’asure que je pouré avoir toute asuranse de ce que je dessire. Je vous suplie, si estes ancore à Bordaux, m’obliger tant de m’escrire ce que orés apris pour mes afères, de quoi la longeur m’acable telemant que je pansé que j’en demeureré sous le fais…[67] »

Le rôle joué par Charles de Birague auprès du Roi de Navarre, en ce mois de décembre 1583, et les services qu’il rendit à Marguerite à cette occasion, sont suffisamment attestés par sa correspondance avec la Reine-Mère, déposée également à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg[68]. Dans une de ses lettres notamment, il lui écrit d’Agen, à la date du 17 décembre 1583, qu’il n’a pas craint de remontrer au Roi de Navarre « que retarder à recepvoir sa femme de quatre jours seulement, c’estoit la déshonorer et faire parler tout le monde, et faire penser que ce fust plustot pour la mespriser que autrement, que ce n’estoit pas le moien que le Roy fist quelque chose pour luy, mais bien que en seriez mal content et qu’il faloit prendre autre chemin et ne yriter point le Roy qui avait moien de faire du bien et du mal. Et me semble qu’il estoit quasi en poyne ; car il me dit qu’il envoiait ung gentilhomme à Vos Majestés pour y satisfaire que je fisse que la Royne, fille de Votre Majesté vous recommandoit ses affaires et moy que je fisse bon office… Et enfin il m’a dépesché vers la Royne sa femme, avec une lettre, doble de la quelle V. M. l’aura icy enclos. » Et en terminant, après avoir assuré à la Reine-Mère que le Roi de Navarre lui a promis de recevoir sa femme « avec tout honneur et contentement », Birague propose, pour sortir de cette impasse, le moyen suivant « lequel est que s’il plaist au Roy que M. de Belièvre et moy promections audict Roy que le jour après qu’il aura receu la Royne que la garnison de la ville sortira, et nous demeurer avec luy quasy comme otaiges, je pense qu’il le fera et adjoutera foi à ce que ledit sieur de Bellièvre luy dira et à moy aussi quelque peu, et s’il s’opiniastroit, comme je doubte, que la garnison fust la première à sortir ; il me semble que le tout se peut faire avec honneste seureté[69]. »

Quant à Marguerite, elle ne tarit point d’éloges sur le compte de Charles de Birague, soit qu’elle écrive à sa mère, soit qu’elle s’adresse presque chaque jour à Bellièvre. Elle les supplie de ne point oublier les services qu’il lui a rendus, et « de vouloir faire tant pour elle que pour lui, qui a pris tant de peine et a si bien servi le Roi an ce voiage et tout autre lieu, qu’il ne reçut tant de perte à son occasion, aiant fait tant de despanse ; et qu’il plut au Roi y avoir esgard, et, fallant à la serimonnie du Saint-Esprit, qu’il n’y perdit ce qui li ont. »

Et Madame de Noailles (Jehanne de Gontaut), écrit de son côté à la Reine-Mère, par lettre datée d’Agen du 18 de ce mois, « que Monsieur de Birague est arrivé de Mon-de-Marsan où il a laissé le Roy de Navarre et qu’il a de beaucoup servy en ce voiage pour le service de Vos Magestés et pour selluy de la Royne de Navarre. Il a telle affection à son service, ajoute-t-elle, que suivant le commandement que vous luy en aves faict, il a voullu l’abandonner qu’il ne la veoye près du Roy son mary. La Royne de Navarre, vostre fille, se donne beaucoup d’enhuy, voiant ce retardement, et de veoir que il y a des personnes près du Roy de Navarre, son mary, que luy font de très mauvais offices et le conseillent fort mal, comme il se peult assez cognoistre par la responce qu’il a faict à M. de Bellièvre, qui a esté trouvée bien mauvaise de tous les serviteurs de Vos Magestés ; mais j’espère tant en Dieu que les choses prendront telle fin que le Roy et vous, Madame, désirez[70]. »

L’année 1583 finit sans que la solution si ardemment désirée par Marguerite arrivât. Son époux, nous l’avons dit, ne cherchait qu’à gagner du temps. Quant à son frère, Henri III, retombé dans sa mollesse habituelle et ses plaisirs, il semble qu’à ce moment il l’ait complètement oubliée. « On n’entend plus parler de la Reine de Navarre, écrit de Paris Busini à Vinta, à la date du 27 décembre. Son mari n’a nulle envie de la reprendre ; et elle ne veut pas retourner à la Cour. Quant à M. de Chanvallon, il a écrit de Sedan, où il s’est réfugié, à la reine d’Angleterre, pour lui demander asile dans son royaume[71]. » Marguerite toutefois, malgré ses infortunes, n’oublie pas ses amis. Témoin cette jolie lettre, pleine de cœur, adressée d’Agen à sa mère, en ces derniers jours de 1583, et où elle lui recommande chaudement le sénéchal de cette ville, M. de Bajaumont[72].

« Madame, voiant les remumans qui sont survenus depuis quelques iours, il m’a samblé, Madame, que n’estoit à propos pour le bien et sureté de ce pais que Monsieur le sénéchal d’Agenés s’élongnast ; ce qui a faict que le voiant prest à partir pour se trover o premier jour de l’an à la Court, je l’ai prié de demeurer. Ce que je m’asure, Madame, sachant la fianse que vous aves en lui que le trouverés bon et pour se qu’il perdera pour ceste ocasion le moien de se présenter et de pouvoir demander l’honneur de l’ordre du Saint-Esprit ; ce qui ne serait resonable, n’estant retenu isi que pour le servise du Roi. Je vous suplie très humblement, Madame, le vouloir demander pour lui. L’on dit que le Roi les nomme et que l’on ni presante plus de requestes. Il ni peut nommer personne plus digne, plus homme de bien, ni plus votre serviteur. Il veut tenir ce bien de vous seule, Madame, vous aiant plus desdié de servise qu’a personne du monde ; ce qui m’afectione davantage et connaissant la bonne voulonté qui vous plait montrer aux ians d’honneur tels que lui et qui vous sont serviteurs comme il est des plus fidèles. Je ne vous an feré, Madame, plus longue supplication, et se porteur portant la despaiche que j’ai adressée à Monsieur de Belièvre pour vous randre conte du retour de M. de Birague et de la bonne espérance qui m’a aportée. Je ne feré cette plus longue que pour vous baiser, Madame, très humblemant les mains ; et, Madame, je vous suplie ancore très humblement obtenir cela du Roi et vous obligerès une personne de qui pouves tirer servise. C’est chose qui s’acorde à beaucoup qui n’an sont si dignes. Prie Dieu, Madame, qui vous donne une santé très heureuse et longue vie. Votre très humble et très obéissante servante, fille et sujete. »

« Marguerite »[73].

  1. Archives nationales, série KK., vol. 171-172. Cet état ne figure pas en tête du volume, comme pour les années précédentes. Mais il est facile de le relever dans la liste des dépenses de la Reine de Navarre, à partir de la page 34 et suivantes.
  2. Journal de l’Estoile.
  3. Journal de l’Estoile.
  4. Idem.
  5. Journal de l’Estoile.
  6. Journal de l’Estoile.
  7. Idem.
  8. D’Aubigné. Histoire Universelle, édit. de Ruble, t. vi, p. 170.
  9. Mémoires et Lettres de Marguerite de Valois, publiés par Guessard, Paris, 1842, p. 445 à 479. (Bibl. de l’Arsenal. Recueil de Conrard, t. v, p. 113-155.)
  10. Causeries du Lundi, t. vi, p. 148 et suivantes.
  11. Lettres de Marguerite, publiées par Guessard, p. 460, 462, etc.
  12. Idem, p. 449.
  13. Bibl. de l’Arsenal. Recueil de Conrard, t. v, p. 123. — Cf. : Guessard, p. 456.
  14. Bibl. de l’Arsenal. Recueil de Conrard, t. v, p. 126. — Cf. : Guessard, p. 456.
  15. Journal de l’Estoile.
  16. Bibl. de l’Arsenal. Recueil de Conrard, t. v, p. 145. — Cf. : Guessard, p. 470.
  17. Trois Amoureuses au xvie siècle, par le comte Hector de Laferrière.
  18. Bibl. de l’Arsenal. Recueil de Conrard, t. v, p. 155. — Cf. : Guessard, p. 478.
  19. Voir la lettre fort curieuse de la Reine-Mère à Bellièvre, du 25 juin de cette année, où elle cherche à régler, comme elle le peut, la situation par trop obérée de sa fille. (Fonds fr., v. 15907, fol. 129. — Cf. : Lettres de Catherine, t. viii, p. 107.)
  20. Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. iv, p. 465.
  21. Dupleix, Histoire d’Henri III. — Cf. : Mémoires de Bassompierre, etc.
  22. Bibl. impér. de Saint-Pétersbourg. Lettre publiée in extenso pour la première fois par nous, dans les Archives historiques de la Gascogne, fascicule onzième, p. 32.
  23. Lettres du baron de Busbec, t. iii, p. 203.
  24. « Le Roy, mondit sieur et fils, écrit Catherine, de Paris le 9 août à M. de Mauvissière, partist hier pour s’en aller, passant par Olinville et Fontainebleau à Bourbonlancys, où la Royne ma fille est allée prendre les beings, et s’en revenir ensemble à ce mois de septembre en ceste ville. » (Bibl. Nat. Collect. Colbert, no 473, p. 440. Manuscrits français, no 3308, f. 72. — Cf. : Lettres de Catherine, t. viii, p. 120.)
  25. Lettre de Busbec, du 27 août 1583, t. iii, p. 211. — Cf. : Journal de l’Estoile.
  26. Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. iiv, pp. 467-468.
  27. Lettres de Busbec, t. iii, p. 214.
  28. Journal de l’Estoile, 1583.
  29. Bibl. nat. Fonds français, no 15907, f. 214. — Cf. : Lettres de Catherine, t. viii, p. 125. Cette Madame de Duras, dont il est si souvent question ici et que nous verrons, en 1585, maîtresse absolue de l’esprit de la Reine, jouer à Agen un rôle si néfaste, était Marguerite de Gramont, fille d’Antoine de Gramont, vicomte d’Aure et d’Aster, belle-sœur de la fameuse Corisande, et dame d’honneur de la Reine de Navarre depuis 1581. Elle avait épousé Jean de Durfort, vicomte de Duras, célèbre par son duel avec Turenne, sur le Gravier d’Agen, qui fut tué, en février 1585, au siège de Saint-Saurin-sur-l’Île, sans laisser de postérité. (Père Anselme, t. v, p. 736.) Plusieurs auteurs l’ont confondue avec sa belle-sœur Marguerite de Montgommery, épouse de Jacques de Durfort, qui continua la race, et surtout avec sa belle-mère Barbe Cauchon de Maupas, épouse de Symphorien de Durfort, seigneur de Duras, mais qui en 1583 aurait eu plus de 60 ans. Aucun doute du reste ne saurait exister, Catherine dans une de ses lettres à Bellièvre ayant soin, en parlant de sa mère, de la nommer « Madame de Gramont. » (Voir, Revue des questions historiques, octobre 1901, l’article que M. le comte Baguenault de Puchesse consacre au renvoi par Henri III de Marguerite de Valois.)
  30. Négociations diplomatiques avec la Toscane. Lettre du 22 août, t. iv, p. 468. — Id. Lettres de Busbec.
  31. Idem. L’archevêque de Langres était à ce moment Charles de Pérusse d’Escars. Comment se fait-il que cet auteur, généralement bien informé, ait écrit que la Reine-Mère se trouvait à ce moment à La Fère auprès de son fils le duc d’Anjou, lorsqu’il est avéré, d’après sa correspondance, qu’elle séjourna à Paris du 30 juillet au 9 août, où elle reçut l’ambassadeur d’Angleterre et d’où elle écrivit à cette dernière date une lettre au Roi d’Espagne, une autre à M. de Longlée, une troisième à M. de Mauvissière ? (Lettres de Catherine, t. viii, pp. 118-119.) Comment expliquer en revanche que, résidant à Paris le 8 août, jour de l’affront sanglant infligé à sa fille, elle n’ait point paru au bal du Louvre, et que, le lendemain 9, elle n’en souffle mot dans aucune de ses lettres, ajoutant négligeamment que le Roi est parti pour rejoindre sa femme aux bains de Bourbon-Lancy ? Mais est-on en droit d’exiger tant de franchise de la fille des Médicis ? Catherine, d’après sa correspondance, était encore à Paris le 9 août. Le 13 elle se trouvait à Compiègne, et le 14 à La Fère, auprès de son dernier fils. (Lettres de Catherine, t. viii, p. 121-122.)
  32. Bibliothèque Impériale de Saint-Pétersbourg. Documents français, vol. liii. Publiée en partie par M. le comte Hector de la Ferrière. (Deux années de missions à Saint-Pétersbourg, Paris 1867, p. 32.)
  33. Bibl. nat. Fonds Dupuy, vol. 217, f. 191. — Cf. : Guessard, p. 293.
  34. Le Gué de Longroi, canton et arrondissement de Chartres (Eure-et-Loir.)
  35. La Colombe, canton d’Ouzouer-le-Marché, arrondissement de Blois (Loir-et-Cher.)
  36. On lit Eseures ou Escures. Ne serait-ce pas Seur, canton de Contres, arrondissement de Blois, entre cette ville et Amboise ?
  37. Azay-le-Rideau.
  38. Les Amours d’Henri IV, par M. de Lescure. Paris, 1864.
  39. Œconomies Royales, t. i.
  40. Voir Itinéraire d’Henri IV par Berger de Xivray, t. ii, des Lettres missives.
  41. Lettres missives, t. viii. Supplément, p. 254.
  42. Idem. t. i, p. 567.
  43. Mémoires de Duplessis-Mornay, t. ii, chap. 67. p. 364 (Édit. La Fontenelle, 15 vol. in-8o).
  44. Nous croyons cette date erronée, le scandale n’ayant éclaté au bal du Louvre que le 7 au soir.
  45. Lettres missives, t. i, p. 571, d’après les Mémoires de Philippe de Mornay, t. iv, Supplément, p. 175. Amsterdam, elzévir, 1651. — Cette lettre, qui n’est datée d’aucun lieu, est-elle bien authentique ? Nous nous permettons d’en douter. Ce n’est ni le style, ni l’esprit d’Henri IV.
  46. Mémoires de d’Aubigné, 1583. Voir également son Histoire Universelle, t. vi, p. 371. Édit. de Ruble.
  47. Mémoires de Duplessis-Mornay, Éd. La Fontenelle, t. ii, p. 364 et suivantes. — Voir surtout le mémoire inédit : Relation de ce qu’avait faict M. Duplessis-Mornay auprès du roi Henri III, y estant envoyé par le Roy de Navarre (Bibl. nat., fonds Brienne, vol. 295, fol. 229-231).
  48. Champigny, canton de Richelieu, arrondissement de Chinon (Indre-et-Loire), célèbre par son château, ayant appartenu aux ducs de Montpensier, démoli par ordre de Richelieu.
  49. Trois Amoureuses au XVIe siècle, p. 218.
  50. Vendeuvre était le château où elle s’était arrêtée l’année précédente, aujourd’hui canton de Neuville, à 20 kilomètres de Poitiers. Dissay, à 16 kilomètres de Poitiers, célèbre par le magnifique château bâti quelques années auparavant par Pierre d’Amboise, évêque de Poitiers.
  51. Bibl. nat. Fonds Dupuy, vol. 217, fol. 6.
  52. Nom inconnu. Ne serait-ce pas Croutelle ?
  53. Vie de Duplessis-Mornay. — Cf. Lettres missives, t. i, p. 592, Note.
  54. Lettres missives, t. i, p. 591 et 593.
  55. Voir, sur la prise de Mont-de-Marsan, d’Aubigné, Histoire Universelle, t. vi, p. 187 et suivantes.
  56. Archives municipales d’Agen. BB. 33. folio 211. — Cf. : Revue de l’Agenais, t. x, p. 553.
  57. Voir Lettres missives, t. i, et aussi les Mémoires de Duplessis-Mornay, de d’Aubigné, etc. — Voir surtout le Mémoire manuscrit et encore inédit ; Ce que Monsieur de Bellièvre a dict au Roi de Navarre « pour luy persuader de reprendre la Royne sa femme ; la response du Roy de Navarre au sieur de Bellièvre et la réplique dudict sieur de Bellièvre » (Bibl. nat. Fonds Brienne. N. 295 fo 247-256, et Mss. fr. No 23.334. fo 63), où il est dit que la Reine-Mère ne voulait pas que Madame de Duras et Mademoiselle de Béthune, causes de tous ces malheurs, accompagnent la Reine de Navarre, lors de son départ de Paris, ces dames seules ayant provoqué la colère du Roi son fils et attiré sur sa fille le malheur qui en est advenu.
  58. Bibl. nat. Fonds français. N. 15,891. p. 393.
  59. Marguerite entend dénommer ainsi Charles de Birague.
  60. Bibl. nat. Fonds français. N. 5.907, fo 764. Lettre publiée par Ph. Tamizey de Larroque, au tome ix des Annales du Midi (1897).
  61. Michel de Montaigne, le célèbre auteur des Essais, alors maire de Bordeaux.
  62. Bibl. nat. Manuscrit français. vol. 3,325, fo 85 (Ancien fonds français. N. 8,828), Lettre inédite.
  63. Étude sur Marguerite de Valois, par le comte H. de La Ferrière, 1885.
  64. Bibl. nat. Fonds français, no 15.907, fo 768. — Cf. : Tamizey de Larroque. Op. cit.
  65. Lettres inédites de Marguerite de Valois, tirées de la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, publiées par nous. Auch, 1886, p. 32.
  66. Bibl. nat., fonds français, no 15.907, fol. 769.
  67. Bibl. nat. Fonds français, no  15907, fol. 769.
  68. Deux années de mission à Saint-Pétersbourg, par le comte H. de Laferrière, Paris, 1867, p. 32.
  69. Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. La copie de cette lettre a été déjà publiée au tome xvii des Archives historiques de la Gironde, no cxxxvi, p. 348.
  70. Bibl. nat. Fonds français, no 15.556, folio 227.
  71. Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. iv, p. 478.
  72. François de Durfort, baron de Bajaumont, sénéchal d’Agenais de 1572 à 1585.
  73. Bibl. nat. Mss. français no 3.325 (anc. fonds fr. no 8.828). Autogr. sans date, Lettre inédite.