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Traduction par Stéphane Mallarmé.
Les Poèmes d’Edgar PoeLéon Vanier, libraire-éditeur (p. 110-111).
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ISRAFEL



Dans le ciel habite un esprit « dont les fibres du cœur font un luth ». Nul ne chante si étrangement bien — que l’ange Israfel, et les étoiles si irrésolues (au dire des légendes), cessant leurs hymnes, se prennent au charme de sa voix, muettes toutes.

Vacillante et lointaine à sa plus haute heure, la lune énamourée rougit de passion ; alors, pour écouter, la vermeille clarté ainsi que les rapides Pléiades, elles-mêmes, toutes les sept, fait une pause dans les Cieux.

Ils disent (le chœur étoilé et tout ce qui écoute là) que la flamme d’Israfeli doit à cette lyre, avec quoi il siège et chante, le frémissement de vie qui se prolonge sur ces cordes extraordinaires.

Mais cet ange a foulé le firmament, où de profondes pensées sont un devoir, — où l’Amour est un dieu dans sa force, — où les œillades des houris possèdent toute la beauté que l’on adore dans une étoile.

Voilà pourquoi tu n’as pas tort, Israfeli, que ne satisfait pas un chant impossible ; à toi appartiennent les lauriers, ô Barde le meilleur, étant le plus sage ! Vis joyeusement et longtemps ! et longtemps !

Les célestes extases d’en haut, certes, vont bien à tes brûlantes mesures ; ta peine, ta joie, ta haine, ton amour, à la ferveur de ton luth ; — les étoiles peuvent être muettes.

Oui, le ciel est à toi, mais chez nous est un monde de douceurs et d’amertumes ; nos fleurs sont simplement — des fleurs ; et l’ombre de ta félicité parfaite est le sommeil de la nôtre.

Si je pouvais habiter où Israfel habite et que lui me fût, il se pourrait qu’il ne chantât pas si étrangement bien une mélodie mortelle ; tandis qu’une note plus forte que celle-ci peut-être roulerait de ma lyre dans le Ciel.