Les études de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (Tome Ip. 71-90).


CHAPITRE V


(1618)

En 1617, Champlain passe très rapidement au pays. En 1618, il tente d’intéresser à fond la France dans la fondation d’un empire français en Amérique. Les parties qu’il a vues lui inspirent un plaidoyer vigoureux. Puis il revient en Nouvelle-France.

Le cinq juillet, il quitte Québec pour remonter le fleuve. Il rencontre des chaloupes qui viennent prendre de nouvelles marchandises de traite, car « il était venu un grand nombre de Sauvages, à dessein d’aller faire la guerre »[1] C’est aux Trois-Rivières que le grand conseil a lieu. Les Alliés demandent à Champlain s’il les assistera « encore en leurs guerres contre leurs ennemis », selon la promesse ancienne, car, par eux, « ils sont cruellement molestés et travaillés »[2]. Ici encore, Champlain ne donne aucuns détails sur les derniers épisodes de cette guerre. Lui, il pense à l’assassinat de deux Français commis à Québec par des Algonquins, il faudrait que justice soit rendue. Les Alliés, eux, pensent à la guerre. Comment s’entendre ? Champlain répond cependant que ses intentions n’ont pas changé : « … Mais, ajoute-t-il, ce qui m’empêchait de les assister était, que l’année dernière, lors que l’occasion, et l’opportunité s’en présentait, ils me manquèrent au besoin, d’autant qu’ils m’avaient promis de revenir avec bon nombre d’hommes de guerre, ce qu’ils ne firent »[3]. En un mot, en 1617, Champlain était prêt pour une expédition militaire, mais Algonquins et Hurons ne l’étaient pas ; en 1618, c’est le contraire, les Alliés sont prêts, mais Champlain ne peut quitter la colonie. Les délibérations continuent. D’un commun accord, décision est prise de retarder l’expédition de guerre jusqu’à l’an 1619. Les Alliés s’engagent à fournir un bon nombre de guerriers ; de son côté, Champlain suppliera le Roi de lui accorder des soldats et d’autres secours militaires, afin de « les faire jouir du repos par eux espéré, et de la victoire sur leurs ennemis »[4]. D’autres conseils ont lieu les jours suivants. Enfin, les sauvages obtiennent satisfaction ; ils festoient et dansent « sur l’espérance de la guerre à l’avenir où, dit Champlain, je les devais assister »[5].

Champlain n’est pas loquace. Il ne compose pas le récit de la petite guerre qui sévit toujours entre Coalition laurentienne et Confédération iroquoise. Certaines phrases lèvent à peine le rideau. On le voudrait prolixe.

C’est à cette traite que Champlain retrouve Brûlé. En compagnie de douze Hurons, celui-ci en 1615, étant descendu directement de la Huronie vers le lac Ontario, il avait probablement franchi la rivière Niagara ; il avait contourné le territoire des Tsonnontouans en décrivant un vaste cercle vers l’Ouest. Le groupe dont il faisait partie avait attaqué des Tsonnontouans revenant vers leur bourgade et en avait tué quatre ; il en avait capturé deux ; il avait atteint Carantouan, vaste bourgade du pays des Andastes. Ceux-ci avaient tenu des conseils, donné des festins, mobilisé cinq cents guerriers. Brûlé avait pressé leurs préparatifs, mais inutilement. Enfin, après des délais, le détachement andaste s’était mis en marche ; en trois jours, il était arrivé devant le village iroquois que les Hurons, en compagnie de Champlain, avaient assiégé. Ceux-ci étaient partis depuis deux jours après leur siège inutile. Brûlé était revenu à Carantouan, hameau fortifié à la manière des villages iroquois et si populeux qu’à lui seul, il pouvait fournir huit cents guerriers. Désormais inoccupé, il avait visité les tribus voisines, descendu la rivière Susquehanna, débouché dans la baie Chesapeake. À son retour à Carantouan, il avait enfin trouvé des compagnons de route et repris le chemin de la Huronie. Subitement attaquée par les Tsonnontouans, la petite troupe est dispersée. Brûlé se retrouve seul ; il erre dans la forêt ; il suit un sentier et tente de parler à trois sauvages qu’il rencontre. Ce sont des Iroquois qui le conduisent à leur village. Et là, le premier des Français, il subit un commencement de supplice ; les Tsonnontouans lui arrachent des ongles avec leurs dents, le brûlent avec des tisons, lui arrachent la barbe. Un orage éclate à propos, interrompt la torture, produit une forte impression sur ces gens féroces. Après avoir promis de réconcilier les Iroquois avec leurs ennemis, Brûlé obtient permission de continuer sa route. Il revient en Huronie et continue à visiter des peuples et des tribus.

Brûlé avait reçu des instructions ; il ne devait pas oublier le commerce des pelleteries. Aussi, partout, il a fait alliance avec des Indiens, « à la charge qu’ils viendraient faire traite avec nous, et que je les assisterais en leurs guerres »[6]. Il faut noter la phrase précédente. Elle exprime l’entente entre la coalition laurentienne et les Français. En termes clairs et nets, Champlain dit enfin que la France s’engage à fournir l’assistance militaire à ces tribus contre les Iroquois, à condition que celles-ci apportent leurs fourrures à la traite.

Champlain encourage Brûlé à retourner dans le nord-ouest. Il l’incite à poursuivre son ouvrage, à revenir l’an prochain, avec de nouveaux Indiens ; lui, il viendra au rendez-vous avec bon nombre d’hommes « pour assister les sauvages, ses amis, en leurs guerres, comme par le passé. » Brûlé emploie donc la tactique même dont Champlain s’est servi en 1613, sur l’Outaouais, et qui lui a si bien réussi.

Le rapport de Brûlé est infiniment précieux à son chef. Il agrandit pour lui les frontières des terres et des peuples connus. Désormais les Français pourront compter sur les Andastes, ces allies lointains de la coalition laurentienne, ces hardis guerriers qui, par leurs courses audacieuses au sud de l’Iroquoisie, sauveront sans doute la Nouvelle-France, ou lui apporteront un soulagement précieux. La Relation de 1660 dira en effet, qu’au temps où les Hollandais s’établissaient en Amérique, les Andastes « firent si bonne guerre », aux Agniers, « pendant dix années, qu’ils furent renversés pour la seconde fois, et la nation en fut presque éteinte, du moins tellement humiliée, que le nom seul d’Algonquin les faisait frémir, et son ombre semblait les poursuivre jusques dans leurs foyers »[7]. Le missionnaire place trop tard, cependant, semble-t-il, cette guerre qui, d’après les ambassadeurs que les Andastes envoient en Huronie, et d’après les nouvelles que Champlain apprend en 1615, peut avoir eu lieu entre 1605 et 1615. Après cette dernière date, des négociations de paix avec les Indiens du Canada s’ouvriront de façon définitive et elles peuvent correspondre à un affaiblissement, ou à des défaites des Cinq Cantons.


(1621)

Le temps passe, les années 1619 et 1620 s’écoulent. Champlain est assiégé de soucis. Il n’accorde pas l’assistance promise aux Trois-Rivières en 1618. Cependant, les Indiens apportent toujours leurs fourrures aux traitants, soit au Cap du Massacre, soit aux Trois-Rivières. D’un autre côté, les Hurons et les Algonquins de même que les Iroquois, se fatiguent de leur ancien conflit. C’est l’époque où s’ouvrent les négociations de paix.

Quelle date assigner à la première de ces ouvertures ? Charlevoix est affirmatif et net : « Ce fut, dit-il, immédiatement après la dernière expédition de M. de Champlain… qu’ils (les Iroquois) traitèrent avec la Nation Huronne… »[8] et que la guerre prit momentanément fin. Cependant, en 1618, comme on l’a vu, Hurons et Algonquins demandent encore à Champlain des secours miliaires. La paix n’est pas faite. Charlevoix peut très bien avoir parlé de cette façon d’une trêve générale qui commencerait vers 1619.

Les documents fournissent plus de précisions au sujet des Algonquins de l’île des Allumettes. Nicolet, par exemple, arrive au pays en 1618 ; il se rend immédiatement chez la tribu précédente, pour apprendre la langue. Il y demeure deux ans. Et voici maintenant les paroles que l’on trouvera dans la Relation de 1643, à l’occasion de sa mort : « … Il accompagna quatre cents Algonquins, qui allaient en ce temps-là faire la paix avec les Iroquois, et en vint à bout heureusement. Plût à Dieu qu’elle n’eût jamais été rompue, nous ne souffririons pas à présent les calamités qui nous font gémir et donneront un étrange empêchement à la conversion de ces peuples »[9]. Ce voyage a lieu durant l’hiver 1619-20. Plusieurs auteurs ont cru que le nombre des guerriers composant l’ambassade indiquait que les Algonquins forçaient les Iroquois à la paix. Mais on ne sait dans quelle bourgade, ni chez quelle tribu ils se sont rendus. On ignore s’ils négociaient pour eux-mêmes seulement ou pour toute la Coalition laurentienne.

Le mouvement vers la paix entraîne bientôt les autres tribus canadiennes, si elles n’y avaient pas pris part tout de suite. Car le problème se pose tout de suite devant Champlain. Celui-ci fournit des détails en 1621. « Il y a quelque temps, dit-il, que nos sauvages moyennèrent la paix avec les Iroquois, leurs ennemis ; et jusques à présent, il y a eu toujours quelque accroche pour la méfiance qu’ils ont les uns des autres ; ils m’en ont parlé plusieurs fois, et assez souvent m’ont prié d’en donner mon avis »[10]. Champlain n’a pas hésité ; il s’est prononcé tout de suite. Pour sa part, il trouve bon « qu’ils vivent en paix les uns avec les autres… » L’affaire est à son avis aussi importante que délicate. Les Alliés doivent bien mûrir leur projet s’ils négocient avec un peuple dont la mauvaise foi serait patente. Les Français se réjouiront de la fin du conflit : le volume du commerce des pelleteries s’augmenterait infailliblement, l’exploration du continent deviendrait facile. Algonquins et Hurons chasseraient en paix, et même dans la zone neutre, ou le gibier foisonne.

Le six juin 1621, deux Iroquois se présentent aux Trois-Rivières. Le capitaine algonquin du lieu en donne aussitôt avis à Champlain. Celui-ci expédie incontinent deux canots à Québec, pour les ramener, ce qui exprime de sa part un fort désir de faciliter les négociations ou de les surveiller. Lorsque ces députés arrivent à Québec, le neuf juin, il les loge au camp des Algonquins. Il s’y rend bientôt en compagnie d’un fonctionnaire de la compagnie du nom de Sentein, et de cinq autres Français, armés de mousquets que les Européens sont encore les seuls à posséder dans l’Amérique. Mahigan-Aticq, chef algonquin, les deux Iroquois à ses côtés, les autres sauvages en arrière d’eux, accueillent les visiteurs ; et, la main dans la main, ils vont à la cabane du chef ou la foule attend, chacun placé en son rang. Mahigan-Aticq prononce sa harangue. Il est honoré de la venue des Français. Les Iroquois pourront dire en leur pays que l’entente la plus parfaite existe entre Français et Algonquins. Puis des danses ont lieu. Des Algonquins dansent avec les Français. Femmes et filles entrent plus tard dans la ronde. Les réjouissances suivent leur cours. Au moment où elles prennent fin Champlain prie Mahigan-Aticq de lui rendre visite le lendemain avec douze de ses compatriotes et les deux Iroquois.

Les invités se présentent à l’heure dite Champlain leur offre un festin à l’indienne. Puis il les interroge sur la nature du traité qu’ils veulent conclure. Ils répondent que durant les conseils qui vont avoir lieu, les Iroquois promettront de ne pas leur nuire et de ne pas les empêcher de chasser dans tout le pays ; eux, Algonquins, ils feront la même promesse aux Iroquois. Une fois cet engagement réciproque pris, la paix, sans autre cérémonie, existera entre les deux pays. Apparemment, la question des territoires de chasse est d’une importance primordiale, et, une fois réglée, rien n’empêche plus l’amitié.

Champlain est étonné de cette simplicité. Il exige d’autres formalités. Les auditeurs l’interrogent avec anxiété, car ils sont las « des guerres qu’ils avaient eues, depuis plus de cinquante ans »[11]. Et ce long conflit entre ces deux peuples a été si terrible que « leurs pères n’avaient jamais voulu entrer en traité, pour le désir de vengeance qu’ils avaient ». Phrase qui indique avec suffisamment de précision que l’année 1621 voit en présence les mêmes antagonistes qu’en 1570. Alors Champlain demande à ces deux personnages s’ils sont venus comme particuliers ou comme ambassadeurs, si c’est leur nation qui les a députés, ou s’ils sont partis de leur propre mouvement. Les Iroquois répondent qu’ils sont venus de leur propre chef : ils désiraient revoir des parents et des amis capturés depuis longtemps par les Algonquins et vivant avec eux ; aucune crainte ne les a retenus, car les négociations étaient amorcées depuis longtemps ; une trêve règne entre les deux partis depuis le commencement de ces pourparlers ; les attaques réciproques ont cessé, aucun acte d’hostilité ne se commet plus, l’état de paix existe provisoirement tant que la paix véritable ne sera pas conclue ou que les négociations n’auront pas échoué.

Champlain écoute attentivement cette réponse. Il conseille ensuite aux Algonquins de traiter ces deux visiteurs avec tous les égards possibles, même avec amitié ; mais non pas comme des ambassadeurs, puisque de leur propre aveu, ils ne le sont pas. Il importait quand même de se réjouir. Si les Algonquins désirent conclure une paix raisonnable et solide, ils doivent choisir parmi les mieux doués quelques-uns de leurs compatriotes, pour accompagner les deux visiteurs en Iroquoisie ; ces députés inviteraient officiellement les Cinq Cantons à envoyer des négociateurs à Québec ; ceux-ci obtiendraient avant leur départ l’autorisation de régler en Nouvelle-France les problèmes dont la solution conduirait à la paix. La Confédération iroquoise mettrait plus de confiance dans les négociations, si elle savait que les Français y étaient mêlés.

Les Algonquins acceptent ces conseils judicieux. Ils décident que deux de leurs capitaines partiront en compagnie des Iroquois avec la qualité de députés. Ils achètent des présents d’une valeur de cent castors pour les offrir, selon la coutume, en exposant leurs propositions. Sur ce montant, Champlain contribue trente castors : il montre ainsi jusqu’à quel point il approuve ces projets. Et lorsque toute l’affaire est terminée, il écrit : « Voilà un bon acheminement ».

Mais ensuite, il oublie cette négociation. Pendant trois ans, il n’en dira mot. En 1624, il mentionnera brièvement que la paix entre Coalition laurentienne et Confédération iroquoise vient de se consommer aux Trois-Rivières. Ce dernier événement est-il le fruit des délibérations de 1621 ? Existe-t-il un lien entre les deux ? Le long intervalle a-t-il été rempli par les allées et venues des ambassades, par les cérémonies de ratification ? Ces hommes de l’âge de pierre multiplient les procédures et les formalités, de sorte que cette version est plausible. Mais d’un autre côté, une reprise de la guerre a-t-elle interrompu les pourparlers engagés en juin 1621 ? Voilà la version qu’il faudrait accepter selon certains auteurs, entre autres le père Chrestien Le Clerq et Charlevoix.

Ce dernier fait grand état d’une attaque que les Iroquois auraient lancée directement contre les Français durant l’été 1621. Il affirme qu’ils « parurent en armes jusque dans le centre de la Colonie. Ces Barbares, craignant que si les Français se multipliaient dans le pays, leur alliance ne fit reprendre aux Hurons et aux Algonquins, la supériorité sur eux, résolurent de se délivrer, avant qu’ils eussent eu le temps de se fortifier davantage. Ils levèrent donc trois grands partis, pour nous attaquer séparément… »[12]. Le premier aurait atteint l’île de Montréal où il aurait trouvé des Français. Bien peu nombreux, ces derniers se défendent avec énergie car ils ont eu vent de l’attaque. Quelques Indiens leur prêtent main forte et ils repoussent l’ennemi, lui tuant quelques victimes et capturant quelques prisonniers. Mais ils apprennent ensuite que les Iroquois ont fait prisonnier le père Guillaume Poulain, récollet, et ils les poursuivent. Ils les repèrent, ils leur envoient comme parlementaire l’un des prisonniers qu’ils détiennent ; ils le chargent de négocier l’échange du missionnaire contre un chef qui est entre leurs mains. L’émissaire arrive au bon moment : l’ennemi est « prêt pour brûler le Religieux ». L’échange des captifs a lieu immédiatement.

Naviguant en trente canots, le second parti se rend à Québec. Il évite les habitations de la Basse-Ville et vient investir le couvent des Récollets sur la rivière Saint-Charles. Incapable d’assiéger cet édifice de pierre, il se rejette sur des Hurons campés non loin de là. Il surprend quelques-uns de ces derniers et les soumet au supplice du feu. Avant de reprendre le chemin du retour, il ravage les environs.

Charlevoix ne donne aucun détail sur les gestes du troisième parti. Il affirme que Champlain est absent de Québec à ce moment et que les Français n’osent attaquer ces envahisseurs. La faiblesse de la Nouvelle-France en cette occasion aurait porté le Gouverneur à envoyer en France le père Le Baillif pour demander du secours.

Charlevoix dit qu’il a lu ce récit dans un mémoire. Chrestien Le Clercq donne comme autorité une Madame Couillard alors très âgée. Sagard ne mentionne pas cet incident bien qu’il doive arriver au pays deux ans plus tard, en 1623. Champlain ne raconte pas le fait. Il est pourtant prolixe sur les événements de l’an 1621. Bien plus, l’attaque mentionnée par les autres auteurs se serait produite immédiatement après les négociations de paix qu’il décrit en détail, immédiatement aussi après le départ des députés algonquins en compagnie des deux Iroquois. Ce silence est pour le moins étrange. Est-il possible que les Iroquois qui, à cette date, ne possèdent pas d’armes à feu se soient aventurés aux portes mêmes de Québec ?

Toutefois, certaines phrases indiquent que la paix n’a peut-être pas régné complètement et entre toutes les tribus de 1621 à 1624. Par exemple, en 1623, Sagard descend de son navire à Tadoussac. Il va visiter tout de suite sur la falaise, « un village de Canadiens, fortifié de fortes palissades pour la crainte de leurs ennemis qui tenaient la campagne »[13]. Mais les ennemis sont-ils des Iroquois ? N’est-ce pas plutôt les Etchemins qui habitent les montagnes du Saguenay ; qui, en 1603, étaient des alliés des Montagnais et des Algonquins, mais que ces derniers ont décimés depuis ?

S’il est mal établi que l’état de guerre subsiste entre Algonquins et Iroquois, de nombreux documents prouvent qu’Iroquois et Hurons sont toujours aux prises. Champlain raconte lui-même que Du Vernay et d’autres Français reviennent de la Huronie en 1623 avec la flottille des fourrures ; le même été, d’autres Français partent avec la même flottille afin de protéger ces Alliés « contre leurs ennemis, et ainsi leur donner courage de revenir avec plus d’affection »[14]. Les Hurons s’éloignent et ils conduisent onze Français avec eux « pour la défense de leurs villages contre leurs ennemis ». Huit demeureront en Huronie en 1624 ; les autres reviendront en Nouvelle-France.

Si les Hurons ont eu depuis 1619 des velléités de conclure la paix, ils ont bien vite changé d’idée. Tout l’ouvrage de Sagard fourmille de faits qui indiquent un état de guerre fort actif entre eux et les Iroquois. Tout de suite après son arrivée en Nouvelle-France, ce franciscain se rend en Huronie où il passe l’hiver 1623-1624. Et ses observations offrent un grand intérêt.

Coalition laurentienne et Confédération iroquoise ont les mêmes méthodes de guerre. Si Algonquins et Hurons vont se poster autour des bourgades de l’Iroquoisie, pour y assommer et y capturer quelques victimes, les Iroquois viennent se mettre à l’affût autour des bourgades huronnes. « Notre bourgade, écrit Sagard, était de ce côté-là, la plus proche voisine des Iroquois, leurs ennemis mortels, c’est pourquoi on m’avertissait souvent de me tenir sur mes gardes, de peur de quelque surprise… »[15].

Les Hurons organisent une assez grosse expédition militaire pendant que Sagard est là ; « …Le temps d’aller en guerre contre les Iroquois étant arrivé » un jeune guerrier offre à lui seul le festin du départ qui est composé de maïs concassé, de grands poissons boucanés, d’huiles. Dès l’aube, ces ingrédients mijotent en l’une des grandes cabanes ; après le conseil, les hommes s’y rendent et s’empiffrent. Les guerriers se dirigent ensuite à un point de la frontière où doivent les rejoindre les partis venus des autres bourgades, l’armée se rend en Iroquoisie où elle capture une soixantaine de prisonniers, « la plupart desquels furent tués sur les lieux, et les autres amenés pour faire mourir aux Hurons par le feu, puis mangés en leur assemblée, sinon quelques membres qui furent distribués à des particuliers pour leurs malades »[16].

Sagard décrit bien les méthodes de guerre de la coalition laurentienne et de la Confédération iroquoise : « Leurs guerres ne sont proprement que des surprises et déceptions plutôt que des batailles… Tous les ans au renouveau et pendant tout le temps que les feuilles couvrent les arbres, cinq ou six cents jeunes hommes Hurons ou plus, sen vont… s’épandre dans le pays des Iroquois », en petits groupes ou partis différents ; là, ils « se couchent le ventre contre terre par les champs et les forêts, et à côté des grands chemins…, et la nuit venue ils rôdent partout jusques dans les villes, bourgs, et villages pour attraper quelqu’un de leurs ennemis, lesquels ils emmènent en leur pays pour les faire passer par les tourments ordinaires ». Pendant les six semaines que durent ordinairement leurs expéditions, ils subsistent du produit de leurs chasses et d’un petit sac de farine de maïs qu’ils ont apporté. Leurs armes offensives sont la masse d’armes, l’arc, la flèche armée d’une pierre aiguë, et qui y est jointe avec de la colle de poisson. Les armes défensives sont la cuirasse composée de baguettes de bois bien lacées ensemble, et le bouclier de cuir bouilli ou de bois de cèdre. Les Indiens sont si vifs qu’ils peuvent tirer dix flèches pendant qu’un arquebusier recharge son arme.

Lorsque les Hurons appréhendent une attaque, ils détruisent les bourgades qui sont rapprochées de la frontière et qui sont trop faibles. Les habitants se réfugient dans les villes bien fortifiées où ils se construisent des maisons. Les hommes réparent les palissades, transportent des pierres dans les galeries, mettent les provisions en sûreté. Des éclaireurs surveillent au loin les sentes de la forêt, des sentinelles se postent dans les guérites. Si l’attaque se concentre sur un hameau, les guerriers des villages voisins accourent aussitôt, s’y introduisent la nuit pour s’enfermer avec les défenseurs.

Sagard est témoin d’une partie de ces manœuvres. Car pendant son séjour, un grand vieillard robuste, se fait l’avocat d’une guerre contre les Neutres. Ceux-ci peuvent aligner six mille guerriers tandis que les Hurons n’en ont que deux mille. Alors, quand le conflit est sur le point d’éclater, ces derniers mettent en état de défense le bourg où habite Sagard. Ils érigent un « fort réduit en forme ronde, et en un lieu assez fort d’assiette de tous côtés »[17]. Sagard et ses confrères se prononcent fortement contre cette guerre dangereuse pour la nation huronne ; ils exercent toutes leurs influences pour la paix et obtiennent gain de cause. Les Hurons n’ont-ils pas assez de leurs ennemis actuels, car « la chance se tourne aussi souvent du côté des Iroquois »[18]. La forêt s’approche de la plupart des bourgades et c’est un jeu pour l’ennemi de faire des victimes.

Sagard, comme Champlain, revient de la Huronie avec toute une moisson d’informations. Il déclare, par exemple, que les Iroquois ont cessé depuis quelques années de venir attaquer les Hurons à la Chaudière, sur l’Outaouais. Toutefois, les alliés sont toujours prudents quand ils arrivent à ce passage dangereux. Autrefois, ils se rendaient jusqu’à Tadoussac en passant par la Gatineau et l’intérieur des terres.

L’Outaouais est tout fourmillant de vie lorsque Sagard y passe. L’âme fraternelle et bonne, il examine tous les spectacles avec sympathie. À la rivière des Français, de jeunes Indiens ont capturé deux jeunes ours qui gambadent et luttent. Les éturgeons et les brochets du lac Nipissingu, sont célèbres. D’un haut poste d’observation, les Algonquins de l’île des Allumettes découvrent les étrangers qui entrent dans leur pays. Ils sont superbes et courtois ; ils savent s’habiller et se parer. « … Les jeunes femmes et filles semblaient des nymphes, tant elles étaient bien ajustées, et des comédiennes, tant elles étaient légères de pied… » Les Indiens de la Petite Nation ont souffert de la famine l’hiver précédent. Puis on assomme un chien que l’on mange ensuite avec appétit ; les bleuets sont délicieux. Tout le long de la route, les tribus convoitent les farines de maïs des Hurons ; elles tentent de les extorquer, de les voler, de les échanger. C’est l’un des principaux articles du commerce des Hurons.

Champlain revient sur le sujet de la paix en 1624, peu de temps avant le retour de Sagard. Il veut alors calmer un chef algonquin, Simon, le furieux, qui tente d’organiser une expédition de guerre contre les Iroquois. C’est mal choisir son temps, Iroquois et Algonquins sont « en pourparler de paix » depuis « trois ou quatre jours »[19]. Champlain le raisonne : Simon infligera un mal grave à son peuple ; il ne faut pas manquer à la parole donnée ; l’individu doit respecter la volonté de la nation ; les Indiens ne doivent pas mécontenter les Français. Mais ce forcené demeure récalcitrant, Champlain doit employer la menace. Il croit avoir réussi, mais le sentiment de la vengeance est tout imprégné dans le sang de ce primitif.

En cette circonstance, Champlain donne des pois pour un festin, « comme est leur coutume, quand il est question de faire accord, ou autres choses semblables ».

Peu de temps après, des Montagnais partent pour l’Iroquoisie avec la qualité d’ambassadeurs. Ils reviennent au début de juillet, après un voyage de six semaines, entrepris « pour contracter amitié »[20]. avec les Iroquois. Ils apportent d’excellentes nouvelles. Ils ont été « très bien reçus des Iroquois qui leur firent tout plein de bonne réception, pour achever de faire cette paix… » Un incident a failli tout gâter : le dénommé Simon faisait partie de l’ambassade ; à peine hors des portes de la bourgade, il a tué un Iroquois rencontré par hasard. Ses compagnons ont réparé ce crime avec bien de la difficulté. Et Champlain ajoute : « … il ne faut parmi tels gens qu’un tel coquin, pour faire rompre toutes sortes de bonnes entreprises ». Aucune organisation policière ou judiciaire, soit chez les Algonquins, soit chez les Iroquois, ne réprime de tels abus de la liberté individuelle ; et les particuliers peuvent impunément agir contre la volonté et les sentiments de la majorité. C’est un point important qu’il ne faut pas oublier.

Une notation très brève de Champlain indique plus tard que ces négociations sont couronnées de succès. Le 25 juillet 1624, il signale en effet l’arrivée d’une barque des Trois-Rivières qui apporte de bonnes nouvelles. Nonobstant le meurtre commis par Simon, six ambassadeurs iroquois se sont en effet présentés aux Trois-Rivières, à la date indiquée. Ils sont venus expressément « pour confirmer l’amitié avec tous les sauvages »[21]. L’Iroquoisie avait jugé que l’acte d’un particulier ne devait pas retomber sur la nation.

Et voilà la sobriété avec laquelle Champlain annoncera ce grand événement. Il n’ajoutera pas un mot aux phrases citées plus haut. Pourtant, c’est la première pause dans le conflit qui, depuis 1570, dresse Algonquins, Hurons et Iroquois les uns contre les autres ; les Français sont partie à ce traité, ils ont pris aux négociations une vaste part ; l’accord a probablement aussi des sous-entendus commerciaux d’une vaste importance. Mais Champlain s’en tiendra à ces sèches paroles. Il faut les commenter et dire que « amitié avec tous les sauvages », implique nécessairement la paix non-seulement avec les Algonquins, mais encore avec les Hurons.

Chrestien Le Clerq n’a pas imité cette sécheresse. Il est venu à la fin du même siècle avec un tel luxe de détails et une telle abondance de renseignements, qu’on s’est pris à douter de ses sources. Il révèle en effet que c’est Champlain lui-même qui avait envoyé, durant l’hiver 1623-4, le père Joseph Le Caron, compagnon de Sagard, chez les Algonquins de l’Outaouais et les Hurons. Il lui aurait confié une mission diplomatique, celle de préparer ces tribus à la paix. Deux Français en plus auraient visité les Nipissings et d’autres peuples pour leur demander d’envoyer des députés à l’été. Ces agents, recevant les instructions de Champlain, auraient remporté un plein succès. À la suite de leur bon travail, soixante canots seraient partis en juin de la Huronie avec deux cents hommes ; es Nipissings seraient venus en treize canots ; pas moins de vingt-cinq canots iroquois auraient soudain paru sur le Richelieu, se dirigeant paisiblement vers les Trois-Rivières ; enfin, les Algonquins étaient présents en grand nombre. Jamais l’embouchure du Saint-Maurice n’avait été témoin de cérémonies si grandioses et si solennelles. Grâce aux dispositions prises par Champlain, elles s’étaient déroulées dans un ordre impressionnant et parfait. Il y avait des interprètes pour toutes les langues. Festins et danses se seraient succédé. À la fin aurait eu lieu la ratification solennelle du traité par les Iroquois et tous leurs ennemis d’hier, y compris les Français. Aucun événement ne peut favoriser mieux le développement des missions, et les Récollets décident d’appeler les Jésuites à la rescousse.

Après le sobre récit de Champlain, celui de Chrestien Le Clercq parait romancé. Mais la paix de 1624 est un fait indéniable. La Nouvelle-France conclura d’autres traités avec les Iroquois ; et si l’on en juge par la procédure qui sera suivie, il est tout à fait plausible que Champlain ait envoyé des agents parmi les tribus alliées à l’automne 1623 pour vaincre leurs dernières répugnances, prononcer les derniers plaidoyers, organiser les ambassades, les amener aux Trois-Rivières à la date convenue. Toute cérémonie indienne de ce genre s’accompagne nécessairement ensuite d’une série de présents symbolisant les propositions des parties, de harangues à chaque présent, de conseils où l’on pétune d’un air morose, de festins, de danses, d’un cérémonial élaboré pour l’arrivée et le départ. Deux faits demeurent un peu étranges : l’absence de Champlain qui s’explique probablement par le fait que les chefs de la Société étaient sur les lieux ; et le silence de Sagard qui vient d’arriver de la Huronie et qui a vécu des mois avec le père Le Caron.

Mais ce dernier a écrit une phrase que tous les historiens ont notée, et c’est la suivante : « Je m’étais autrefois voulu entremettre d’une paix entre les Hurons et les Iroquois, pour pouvoir planter le S. Évangile partout, et faciliter les chemins de la traite à plusieurs Nations qui n’y ont point d’accès, mais quelques messieurs de la Société me dirent qu’il n’était pas expédient, et pour cause d’autant que si les Hurons avaient paix avec les Iroquois, les mêmes Iroquois mèneraient les Hurons à la traite des Flamands, et les divertiraient de Québec qui est plus éloigné »[22]. Charlevoix réfléchit cette même pensée, lorsque, lui aussi, il lancera plus tard l’affirmation suivante : « Cette même année M. de Champlain fut averti de bonne part, que les Hurons songeaient à se détacher de notre alliance, et à s’unir avec les Iroquois ; ce qui l’obligea de leur envoyer le P. Joseph Le Caron, que le P. Nicolas Viel, et le Fr. Gabriel Sagard, son confrère, qui venaient d’arriver de France, voulurent bien accompagner »[23].

Ces phrases ont fourni des indices sur les négociations menées par l’Iroquoisie pour détourner vers Albany ou New-York, le courant volumineux des fourrures huronnes, ou pour du moins conclure avec la Huronie une paix qui se négocierait dans le dos des Français.

Dans l’état de New-York, la situation est la suivante. En 1614, la united new netherland company obtient le monopole de la traite ; elle construit Fort Nassau dans la localité où s’élèvera bientôt Fort Orange. Mais son privilège ne court que trois ans. Une seconde période de commerce libre s’ouvre ensuite. En 1623, à l’automne, la dutch west india company obtient à son tour le monopole et fonde en 1624 le célèbre Fort Orange, dans une île, à côté d’une bourgade mohicane.

Durant ces années, le commerce des fourrures ne semble pas avoir été très régulier dans les terres de l’Hudson supérieur, sauf peut-être durant les trois années où Fort Nassau a existé. Il se conduit probablement dans des navires qui viennent à des dates incertaines. Le pays des Agniers, et, en conséquence, l’Iroquoisie, ne touche pas à l’Hudson. Une bande de terre de vingt-cinq lieues environ l’en sépare ; elle appartient comme le dit Van Rensselaer « à la libre, à la riche et à la célèbre nation des Mohicans, qui possède un langage propre »[24]. Il le sait bien, puisqu’il achètera en 1630 des parcelles de cette région et que ces faits seront consignés dans des contrats. Les Iroquois forment donc alors une tribu confinée dans l’intérieur.

Bien plus, en 1624, la guerre s’ouvre entre les Mohicans et les Agniers. Une amitié assez bonne existait entre les deux tribus ; mais un commis hollandais du nom de Van Krieckebeeck « engagea et entraîna ces mêmes Mohicans dans des guerres inutiles avec la belliqueuse nation des Agniers, leurs anciens amis et voisins »[25]. À cette époque, les Mohicans comptent environ 1,000 guerriers, soit environ deux fois plus que les Agniers. À partir de 1624, la guerre, qui semble avoir été peu favorable tout d’abord, à ces derniers, se continuera pendant plusieurs années. En 1623, des colons arrivent aussi en Nouvelle-Hollande avec l’instruction d’y habiter « et de faire le commerce, surtout en fourrures qui abondent dans ce pays ». Mais tout de suite, Van Rensselaer conçoit le projet de limiter la traite. Si elle est libre, plaide-t-il auprès des autres directeurs, le gibier à poil disparaîtra vite ; il arrivera trop de pelleteries sur le marché et les prix s’affaisseront. Afin d’assurer à la compagnie un revenu régulier et stable, Rensselaer argumente si bien auprès de ses collègues « que ceux-ci jugent qu’il est à propos de restreindre un peu la traite pendant un temps »[26].

Pendant la période 1620-24, les Iroquois encore confinés dans l’intérieur, trouvent le moyen de venir à l’Hudson pour la traite. La phrase suivante, écrite à la dernière des deux dates, par un Hollandais, Van Meteren, le prouve suffisamment : « Au moins cinquante lieues plus haut se trouvent également plusieurs bourgades, et toutes viennent de l’intérieur sur ce fleuve pour la traite… »[27]. Il est difficile de ne pas reconnaître dans ces bourgades, les villages des Iroquois. L’état de guerre n’existe pas encore alors non-plus entre Agniers et Mohicans, de sorte que les premiers peuvent probablement circuler sur les terres des seconds. Mais Fort Orange n’est pas fondé ; la traite n’est pas organisée sur une base régulière ; l’Iroquoisie n’accède pas directement à l’Hudson ; le commerce n’a pas épuisé les ressources pelletières de l’Iroquoisie, loin de là ; les Agniers, peut-être aussi les Onneyouts ont pris contact avec les Hollandais, mais les autres tribus les connaissent peu. Est-il plausible que dans ces conditions la Confédération iroquoise ait entamé des négociations sérieuses avec les Hurons, ou, en général, avec la Coalition laurentienne pour devenir leurs intermédiaires et disposer de leurs fourrures ? L’affaire paraît prématurée. Ne s’agirait-il pas plutôt d’appréhensions ? Toutefois l’affaire n’est pas impossible.

Champlain a très bien compris les avantages et les bienfaits d’une paix entre Coalition laurentienne et Confédération iroquoise. Il s’y est consacré. Mais Nouvelle-France et Nouvelle-Hollande sont en réalité entre les mains de deux vastes sociétés ; elles distinguent immédiatement toutes deux, ou peu de temps l’une après l’autre, les conséquences dangereuses que peut avoir pour elles un traité de paix entre ces tribus ennemies. Elles jouissent d’un monopole ; pour cette raison, elles donnent peu de marchandises aux Indiens pour leurs pelleteries, elles les obtiennent à bon compte, étant maîtresses de la situation. Lescarbot, Sagard, le père Le Caron signalent pour la Nouvelle-France les bas prix versés pour les fourrures. Quand l’état de guerre règne, les Indiens canadiens ne peuvent se rendre à Fort Orange pour solliciter et obtenir un paiement plus élevé ; ni d’ailleurs, les Indiens de la Nouvelle-Hollande ne peuvent se rendre à Québec, avec le même dessein. Mais que l’état de paix s’établisse, et les Indiens se rendent chez le voisin ; et alors c’est la concurrence, et c’est la hausse des prix. Deux grandes nations européennes apprennent donc vite que la guerre entre Algonquins et Hurons d’une part, et Iroquois d’autre part, est plus favorable à leurs intérêts que la paix, car alors chacune peut garder dans les limites de ses colonies les pelleteries qui y sont produites et les payer le prix qu’elles veulent. De là à la désirer, à la fomenter, à l’entretenir, à intriguer contre les traités de paix, il n’y a qu’un pas.

Il ne s’agit pas de vaines paroles. On ne sait pas exactement à quelle date, par exemple, les Algonquins ont commencé de fréquenter Fort Orange. Mais en 1626, un Hollandais y enregistre leur passage : « Les tribus qui, du côté du Nord, viennent des lieux les plus éloignés, sont les Indiens du Canada français »[28]. Ne se rendent-ils là que depuis la paix de 1624 ? Les Mohicans sont leurs amis et ils les laissent sans doute passer librement.

Des débats se continuent entre historiens sur la quantité des fourrures canadiennes qui, dès le début, ont passé par l’Hudson ; cependant, les renseignements précis manquent. D’autre part, un mouvement commercial en sens inverse se produit aussi à la même époque. D’après Chrestien Le Clerq, des Iroquois apportent des pelleteries en Nouvelle-France en 1624 ; d’autres faits se produiront plus tard et révéleront un commerce clandestin qui peut avoir de l’ampleur. L’Iroquoisie n’a pas alors épuisé ses réserves de fourrures. Ces incidents avaient attiré peu d’attention tout d’abord ; puis les historiens se sont aperçus que les tribus indiennes avaient de grandes relations commerciales avant l’arrivée des blancs ; que le cuivre, les grains de nacre, les pierres de flèches circulaient, par exemple, dans tout le continent. Ils ont noté alors que les indigènes avaient compris rapidement le mécanisme de la traite, de la concurrence, des échanges, les bénéfices des intermédiaires et tous les autres phénomènes relatifs au commerce.

Mais il faut bien noter qu’en conformité d’une politique prudente, les Agniers ne veulent pas en 1624 combattre deux ennemis à la fois : la puissante coalition laurentienne au nord et les Mohicans à l’est. C’est probablement la raison principale du traité de 1624. À ce moment, les tribus iroquoises sont encore faibles ; les Agniers versent probablement des tribus à quelques unes de leurs voisines. Elles vivent une existence précaire et menacée.


  1. Œuvres de Champlain, v. 3, p. 207.
  2. Idem, v. 3, p. 209.
  3. Idem, v. 3, p. 209-10.
  4. Œuvres de Champlain, v. 3, p. 211.
  5. Idem, v. 3, p. 211.
  6. Œuvres de Champlain, v. 3, p. 226.
  7. RDJ 1660-6.
  8. Charlevoix ; Histoire et description générale de la Nouvelle-France 1743, v. 1, p. 201.
  9. RDJ 1643-3.
  10. Œuvres de Champlain, v. 5, p. 73.
  11. Œuvres de Champlain, v. 5, p. 78.
  12. Charlevoix, Histoire et description… v. 1, p. 157.
  13. Sagard, Histoire du Canada, p. 150.
  14. Œuvres de Champlain, v. 5, p. 104.
  15. Sagard, Histoire du Canada, p. 205.
  16. Sagard, Histoire du Canada, p. 409.
  17. Sagard, Histoire du Canada, p. 416.
  18. Idem, p. 429.
  19. Œuvres de Champlain, v. 5, p. 117.
  20. Idem, v. 5, p. 130.
  21. Œuvres de Champlain, v. 5, p. 130.
  22. Sagard, Histoire du Canada, p. 811.
  23. Charlevoix, Histoire et description v. 1, p. 158-9.
  24. Van Rensselar Bowier Manuscripts, p. 306.
  25. Idem, p. 306.
  26. Idem, p. 235.
  27. Narratives of New-Netherland, p. 68.
  28. Narratives of New-Netherland, p. 86.