Introduction historique et critique aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament/Tome I/Chapitre 2/Article 2/Question I/2


DEUXIÈME PROPOSITION.
Tous les livres du Nouveau Testament sont divinement inspirés.

Nous avons pour garants de la vérité de cette proposition, la tradition de l’Eglise primitive, le témoignage constant de l’Eglise dans tous les temps, enfin le consentement des hérétiques eux-mêmes ; et les difficultés qu’on a élevées contre cette vérité n’affaiblissent en rien la force et l’autorité de ces divers témoignages.

1. La tradition de l’Eglise primitive en faveur de la divinité des livres du Nouveau Testament devient une preuve invincible de leur inspiration, s’il peut être démontré que telle a été sa doctrine, et que c’est des apôtres mêmes qu’elle tenait cet article du symbole de sa foi. Or, il est impossible de conserver le plus léger doute sur la foi de l’Eglise primitive par rapport à l’inspiration du Nouveau Testament, quand on a lu l’Apologie d’Athénagore, la deuxième Apologie de saint Justin, le chapitre x du premier livre de saint Irénée contre les Hérésies, et la préface d’Origène sur son Traité des Principes. Il est également impossible de supposer qu’une doctrine sur laquelle repose tout l’édifice de la religion chrétienne ne soit trouvée dès les premiers temps répandue dans toutes les églises fondées et instruites par les apôtres, sans avoir tiré d’eux seuls sa source et son origine. Mais ce qui paraît incontestable, c’est que les livres du Nouveau Testament, que les premières Eglises ont reçus comme divinement inspirés, leur ont été donnés comme tels par les apôtres eux-mêmes et par leurs disciples. « Lisez, dit saint Clément, l’un des disciples des apôtres, lisez les Ecritures saintes, qui sont les oracles du Saint-Esprit, et soyez bien persuadés qu’elles ne contiennent rien d’injuste, de faux ou de fabuleux[1]. » Saint Irénée voulant prouver, contre les hérétiques, que les quatre Evangiles sont les seuls véritables, donne pour motif qu’ils sont reconnus dans l’Eglise répandue par toute la terre[2]. De même Tertullien voulant établir l’autorité de l’Evangile de saint Luc allègue le consentement unanime de toutes les églises fondées par les apôtres, et des autres églises qui tiraient leur origine de ces dernières[3]. Ces textes démontrent jusqu’à l’évidence que dans l’Eglise chrétienne on n’admettait comme doctrine pure et véritable que celle qui remontait jusqu’aux temps apostoliques ; et la conséquence Immédiate de ce principe, c’est que l’Eglise primitive tenait des apôtres mêmes le dogme de l’inspiration divine du Nouveau Testament.

2. Cette doctrine se retrouve à toutes les époques de l’Eglise chrétienne. Ecoutons les saints Pères, qui sont des témoins irrécusables de la foi de leur temps. Nous avons déjà vu saint Clément, disciple des apôtres, appeler les Ecritures « les oracles du Saint-Esprit. »

Saint Justin, qui vivait au IIe siècle, dit dans sa Seconde Apologie : « qu’il ne faut pas attribuer aux prophètes inspirés ce qu’ils disent, mais qu’il faut le rapporter au Verbe de Dieu qui les inspire ; » et dans son Dialogue contre Tryphon : « qu’il n’y a point de contradiction dans l’Ecriture sainte, et que s’il paraît y’en avoir, c’est que nous ne les entendons pas. » Enfin, dans la Première Exhortation aux gentils il enseigne que les écrivains sacrés n’ont pas eu besoin d’art pour composer, et qu’ils n’ont point écrit dans un esprit de dissension et d’animosité, parce qu’ils n’ont eu qu’à se purifier pour recevoir l’opération du Saint-Esprit, qui, descendant du ciel comme un archet tout divin, s’est servi des hommes qu’il avait choisis pour cela comme d’un instrument de musique, afin de nous révéler la connaissance des choses célestes et divines. »

Saint Irénée, au commencement du iiie siècle, soutient que « nous sommes obligés de croire à l’Ecriture sainte, parce qu’elle est parfaite, étant dictée par le Verbe de Dieu et par son Esprit[4]. » Il dit ailleurs que « dans les livres de Moïse, c’est Moïse qui écrit, mais que c’est Jésus-Christ qui parle : Mosis litteræ, verba sunt Christi[5]. »

Athénagore, apologiste célèbre du même siècle, après avoir dit dans sa Légation adressée aux empereurs Marc-Aurèle, Antonin et Aurèle-Commode, que les prêtres et les sages du paganisme se sont trompés en parlant de Dieu, de la matière et du monde, ajoute : « Mais quant à nous, nous avons pour témoins de nos sentiments et de notre foi les prophètes, qui, étant conduits et éclairés par le Saint-Esprit, ont parlé de Dieu et des choses divines… Est-il juste et digne de la raison dont l’homme a été doué de vouloir décider par des raisons tout humaines d’une foi et d’une religion appuyées sur l’autorité de l’Esprit divin, qui a conduit et donné le mouvement aux prophètes, en se servant de leurs bouches comme on se sert des instruments[6] ? »

On peut citer encore parmi les Pères du IIIe siècle, saint Clément d’Alexandrie qui dit que « c’est la bouche du Seigneur et le Saint-Esprit qui ont prononcé ce qui est dans l’Ecriture[7]. » Tertullien soutient, en plusieurs endroits de ses ouvrages, que les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament sont écrits par l’inspiration du Saint-Esprit. Origène prouve expressément cette vérité dans son Traité des Principes[8] et il remarque, dans son ouvrage contre Celse[9], que « les Juifs et les chrétiens conviennent de cette vérité, que les livres de l’Ecriture sont écrits par l’inspiration du Saint-Esprit. » Saint Cyprien dit en deux mots que c’est le Saint-Esprit qui parle dans les Ecritures : Loquitur in Scripturis divinis Spiritus sanctus[10]. Enfin un ancien auteur qui a écrit contre l’hérésie d’Artémon, et qui est cité par Eusèbe[11], dit formellement que « ceux qui ne croient pas que les livres de l’Ecriture aient été dictés par le Saint-Esprit sont des infidèles. »

Les Pères des siècles suivants ne sont ni moins formels ni moins explicites. « Les oracles des Hébreux, dit Eusèbe, qui vivait au ive siècle, contiennent des prédictions et des réponses divines, et ont une force toute divine, ce qui leur donne une supériorité infinie sur les livres des hommes, et fait connaître que Dieu en est l’auteur[12]. » Vers le même temps saint Athanase, dans le livre de l’Interprétation des Psaumes , adressé à Marcellin, dit : « Toute l’Ecriture de l’Ancien et du Nouveau Testament a été composée par l’inspiration du Saint-Esprit. » La même doctrine a été enseignée par saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Epiphane, saint Jean Chrysostome, saint Augustin. Ce dernier Père, en particulier, dit que « le Médiateur a parlé d’abord par les prophètes ; ensuite par lui-même, et enfin par les apôtres… qu’il a aussi composé une Ecriture à laquelle nous ajoutons foi, » etc.[13].

Théodoret, dans sa Préface sur les Psaumes, affirme que « le propre des prophètes est que leur langage soit l’organe du Saint-Esprit, selon qu’il est écrit dans les Psaumes : Ma langue est comme la plume d’un écrivain qui sait écrire très-vite [14]. » Il faut remarquer que Théodoret prend le nom de prophètes dans le sens général d’auteurs inspirés ; il en avertit lui-même.

Saint Grégoire le Grand, qui vivait au VIIe siècle, après avoir rapporté les différents sentiments par rapport à l’auteur du livre de Job, décide ainsi la question : « Il est inutile de rechercher qui a composé ce livre, puisque les fidèles ne doutent pas que le Saint-Esprit n’en soit l’auteur. C’est donc véritablement l’Esprit de Dieu qui l’a écrit, puisqu’il en a inspiré les pensées à l’auteur qui l’a composé, et qu’il s’est servi de ses paroles pour faire passer jusqu’à nous des actions de vertu que nous puissions imiter. Nous passerions sans doute pour ridicules, si, lisant des lettres que nous aurions reçues de quelque grand personnage, nous négligions à la fois, et la personne de l’auteur et le sens de ses paroles, pour nous amuser à rechercher inutilement avec quelle sorte de plume il les aurait écrites. Ainsi, lorsque après avoir su que le Saint-Esprit est l’auteur de cet ouvrage, si nous nous arrêtons à examiner trop curieusement qui est celui qui l’a écrit, que faisons-nous autre chose sinon de disputer de la plume, lorsque nous pouvons profiter utilement des lettres que nous lisons[15] ? » Nous parcourrions le cours des siècles suivants, et toujours nous trouverions les saints docteurs, les écrivains ecclésiastiques, et les théologiens professant la même foi sur l’inspiration du Nouveau Testament.

3. L’accord unanime des hérétiques ajoute une nouvelle force aux différentes preuves que nous venons de donner. Parmi cette foule innombrable de sectes anciennes et modernes, qui se sont séparées de l’Église fondée par Jésus-Christ, et qui toutes se sont plus ou moins acharnées contre elle, pas une seule ne lui a jamais reproché d’avoir introduit de son chef le dogme de l’inspiration divine, et de s’être écartée en cela des institutions de son divin fondateur. Seulement au ive siècle, les anoméens, pressés par la force des témoignages de saint Paul, qu’on leur opposait, ont prétendu que l’Apôtre avait quelquefois parlé comme homme sans être éclairé par l’Esprit divin. Mais cette misérable défaite, inventée par ces hérétiques en désespoir de cause, a eu le sort qu’elle méritait ; elle a été rejetée comme une nouveauté impie et blasphématoire, et bientôt étouffée sous les anathèmes de toutes les églises chrétiennes[16]. Enfin, toutes les fois qu’il s’est élevé des critiques assez hardis pour combattre cette croyance, ils se sont toujours trouvés en opposition avec le sentiment général. Ainsi Spinosa, aussi bien que Toelner et Semler, ont eu contre eux non-seulement tous les catholiques, mais encore toutes les églises protestantes, tous les Grecs schismatiques et toutes les sectes hérétiques de l’Église orientale ; en un mot, ils se sont mis en opposition avec une tradition la plus unanime, la plus constante, la plus universelle et la plus ancienne, puisque aucune origine autre que celle des temps apostoliques ne saurait lui être assignée. Aussi, pour donner la plus légère apparence de vérité à leur erreur, ils s’efforcent de décliner ce tribunal dont ils sentent l’accablante autorité, en recourant à des subterfuges qui ne peuvent en aucune manière contrebalancer le poids de cette autorité, comme on va le voir.


Difficultés proposées contre l’inspiration de l’Ecriture sainte, et Réponses à ces difficultés.

Obj. 1o La tradition, suivant J. D. Michaëlis, se réduit en dernière analyse au témoignage de l’Église primitive : or cette Église n’a aucun moyen d’attester le fait de l’inspiration, qui, étant par sa nature secret et caché aux sens, ne peut être l’objet d’aucun témoignage[17].

Rép. L’inspiration, il est vrai, s’est passée dans l’esprit des écrivains sacrés ; mais, toute secrète qu’elle est, cette inspiration peut avoir été connue des écrivains sacrés eux-mêmes, et manifestée par eux à l’Église : or la preuve évidente qu’ils l’ont réellement manifestée à l’Église primitive, c’est que l’Église a reconnu, dès les premiers temps, les livres du Canon pour inspirés. Car, comme nous l’avons déjà dit, une persuasion aussi unanime, aussi universelle, aussi constante et aussi ancienne, doit avoir nécessairement une cause ; et d’un autre côté, il est manifeste que cette cause ne peut être que la déclaration publique qu’ont faite les apôtres et les autres écrivains sacrés, que leurs écrits étaient divinement inspirés. Ainsi, le témoignage de l’Église primitive n’a pas pour objet immédiat le fait secret de l’inspiration, mais la déclaration publique et solennelle que les apôtres lui ont faite de l’inspiration de leurs écrits. Cependant le fait public de cette déclaration devient lui-même une preuve irrécusable du fait secret de l’inspiration.

Obj. 2o Les écrivains sacrés, disent quelques critiques, avouent eux-mêmes que ce n’est pas sans peine et sans beaucoup de travail qu’ils ont écrit. C’est ainsi que l’auteur du deuxième livre des Machabées dit qu’il n’a pas entrepris un ouvrage qui soit aisé, mais un travail qui demande une grande application et beaucoup de peine (chap. II, vers. 27) ; il va même jusqu’à dire (xv, 39) que si sa narration est bien et telle que l’histoire la demande, c’est ce qu’il souhaite lui-même ; que si au contraire elle est écrite d’une manière moins digne de son sujet, c’est sur lui qu’il faut en rejeter la faute[18]. Rép. L’inspiration telle que nous l’avons définie ({{pag.|14) n’exclut ni le travail ni l’industrie des écrivains sacrés, puisqu’elle ne fait que déterminer leur volonté à écrire, en éclairant leur entendement de manière à les préserver de toute erreur ; ce qui suffit pour donner à leurs écrits le sceau de l’autorité divine. Et si l’auteur du deuxième livre des Machabées sollicite l’indulgence de ses lecteurs, c’est qu’il suppose uni- quement qu’il a pu ne pas toujours observer en composant son ouvrage les règles du genre historique, ou que son style peut bien n’être pas assez élégant, mais nullement qu’il ait pu commettre des erreurs de fait dans ce qu’il rapporte.

Obj. 3o Plusieurs rationalistes allemands prétendent que Jésus-Christ et les apôtres étant Juifs, ont appelé les Ecritures de l’Ancien Testament divines non point dans le sens d’inspirées, mais dans l’acception que ce mot avait chez le peuple juif, celle de livres contenant une doctrine excellente et qui venait de Dieu.

Rép. Mais nous ne pouvons mieux juger du sentiment des Juifs qui vivaient du temps de Jésus-Christ et des apôtres que par les témoignages de Joseph et de Philon, auteurs contemporains : or il est impossible, quand on a lu leurs textes tels que nous les avons rapportés, de ne point reconnaître que les Juifs entendaient par l’autorité divine de leurs livres, l’inspiration proprement dite, et qu’ils n’attachaient nullement à cette expression le sens large que les rationalistes voudraient lui attribuer. Et d’ailleurs si, contre toute évidence, on voulait trouver encore quelque obscurité dans le sentiment de ces deux auteurs, les témoignages clairs et nombreux que nous fournissent les Talmuds et les anciens rabbins suffiraient pour la dissiper entièrement.

Obj. 4o Le témoignage de Jésus-Christ et des apôtres, disent d’autres rationalistes, ne prouve rien en faveur de l’inspiration ; les arguments que Jésus-Christ et les apôtres tiraient de l’inspiration des Ecritures n’étaient que des arguments dits ad hominem ; car, puisque, selon l’opinion assez commune, les apôtres ont pu argumenter d’après certains sens que les Juifs donnaient aux prophéties de l’Ancien Testament, sans

néanmoins les approuver, pourquoi n’auraient-ils pas pu argumenter également d’après l’inspiration de l’Ecriture, sans toutefois l’admettre ?

Rép. Avant de répondre directement à cette objection, nous ferons observer que ce n’est que très-rarement qu’on recourt à ce genre d’argumentation, et que Jésus-Christ et les apôtres citant continuellement l’Ecriture dans tous leurs discours, il faudrait supposer qu’ils étaient toujours en opposition aux lois ordinaires du langage, supposition aussi gratuite que ridicule. Disons maintenant 1o que quand on emploie les arguments ad hominem, on doit faire connaître par la suite des choses, ou par un avertissement exprès, que c’est de cette manière que l’on argumente, surtout quand le principe que l'on suppose est une erreur fondamentale qu’on est obligé de combattre ; 2o qu’on ne doit point se servir d’une fausse doctrine vis-à-vis de ceux qui ne l’admettent pas ; 3o que quand on établit des points de doctrine, ou des préceptes de morale, ce ne doit jamais être sur une erreur fondamentale. Ce sont là autant de lois sacrées, que la raison et l’équité naturelles prescrivent à tout moraliste. Voilà pourtant les lois que Jésus-Christ et les apôtres auraient violées, si l’opinion que nous combattons avait quelque fondement ; car 1o ils ne nous ont donné aucun signe pour distinguer leur véritable sentiment, quoique la doctrine qu’ils supposaient fût une erreur fondamentale, qu’ils devaient expressément rejeter ; 2o saint Paul a supposé l’inspiration de l’Ecriture en disputant contre les gentils, qui ne l’admettaient pas, et la tradition nous apprend que les apôtres ont enseigné aux églises à s’en servir indistinctement contre tous les ennemis de la religion chrétienne, soit Juifs, soit païens ; 3o enfin, saint Paul exhortant Timothée, son disciple, à la lecture de l’Ecriture sainte, lui donne pour motif principal l’inspiration de cette même Ecriture[19], inspiration que nos adversaires regardent comme une erreur capitale, qui jusqu’à eux a empêché les hommes d’entrer dans le sens des livres sacrés.

Obj. 5o On objecte encore qu’il est impossible de regarder comme divinement inspiré un ouvrage qui contient des faussetés et des contradictions.

Rép. Mais a-t-on démontré jusqu’ici, de manière à satisfaire un esprit raisonnable, l’existence d’une seule de ces prétendues faussetés ? Quant aux contradictions, elles ne sont qu’apparentes. Les rationalistes d’Allemagne se vantent d’en avoir fait disparaître eux-mêmes un grand nombre ; et il faut en convenir, malgré les erreurs capitales où les ont entrainés leurs faux principes d’exégèse et d’herméneutique, leur érudition profonde dans les langues et les sciences orientales leur a fait expliquer d’une manière satisfaisante beaucoup de passages qui, par leur obscurité, déconcertaient la critique la plus consciencieuse. Or, ces premiers résultats prouvent que de nouveaux efforts et des recherches plus approfondies diminueront encore le nombre de ces prétendues difficultés, et que nous devrons attribuer uniquement à notre ignorance de ne pouvoir expliquer les autres.

Obj. 6o Tous les peuples ont des livres qu’ils regardent comme divins et sacrés : ainsi les Perses veulent trouver une révélation divine dans leur Zend-Avesta, les Indiens dans leur Véda et leur Ezour-Véda, les Chinois dans leurs cinq Kings, les Mahométans dans leur Coran, les Rabbanites dans le Talmud. Or, il est évident que ces livres n’ont rien de divin. Comment donc se persuader que les livres sacrés des chrétiens aient, sous ce rapport, le privilège exclusif qu’on prétend leur accorder ?

Rép. « La stupidité de ces peuples, dit J. H. Janssens[20], qui ont souffert que d’habiles charlatans répandissent parmi eux tous les livres dont nous venons de parler, est cause qu’ils passent dans leur esprit pour sacrés et pour divins. Rien ne prouve qu’ils aient été inspirés ; ensuite la doctrine qu’ils contiennent, tantôt ridicule, tantôt superstitieuse, tantôt évidemment erronée, puisqu’elle enseigne le polythéisme, démontre clairement que ces livres sont l’œuvre des imposteurs qui les ont répandus. Ce qui achève de les discréditer, c’est qu’aucun personnage célèbre par des miracles ou par des prophéties n’a regardé ces livres comme divins.

« Le débauché Mahomet avait coutume de répondre aux habitants de la Mecque, aux Juifs et à d’autres qui le pressaient de confirmer sa mission par des miracles, qu’on n’avait pas toujours cru aux miracles, ou qu’il n’était pas envoyé pour faire des prodiges, mais pour prêcher ; à moins toutefois qu’on ne veuille prendre pour des miracles, comme l’ont fait quelques auteurs, l’histoire de cette colombe qui s’approchait. de Mahomet et lui parlait à l’oreille, jonglerie qui ne demandait pas un grand art, ou celle du chameau qui s’entretenait avec lui pendant la nuit, et ne parlait qu’à lui seul, sans doute après qu’il avait pris la sage précaution d’écarter tout témoin ; à moins enfin qu’on ne vienne aussi nous opposer ce fameux tour de force, par lequel il cacha dans sa manche une portion considérable de la lune, qu’il voulut bien ensuite restituer à cette planète, pour réparer la brèche qu’il lui avait faite ; absurdités qui se réfutent d’elles-mêmes.

» Voyez maintenant dans quelles vues Mahomet compose le Coran ! « Pour plaire aux Juifs, dit Léonard Fræreisen[21], il rejette la Trinité des chrétiens, se rendant ainsi agréable aux ariens, et il garde leur circoncision. Pour se faire bien venir des philosophes, il préfère le polythéisme, ou plutôt le stoïcisme, au déisme. Pour se donner un air de sainteté, il prohibe l’usage du vin. Pour gagner les cœurs par le prestige de l’espérance, il promet aux hommes les Champs-Elysées après la mort. Afin d’être en état de fournir aux besoins de ses partisans ou de ses complices, il ramasse de toutes parts, sous couleur d’aumône, des sommes immenses. De peur d’offenses les chrétiens, il décerne les noms les plus pompeux à Jésus-Christ et à ses apôtres, il leur prodigue les éloges, il établit enfin tous ses préceptes sur le profit qu’il peut en retirer pour le succès de ses desseins ambitieux, » etc.

» Mais si les chrétiens, continue Janssens, regardent leurs livres saints comme divinement inspirés, c’est qu’ils les ont reçus comme tels de Jésus et des apôtres, qui ont appuyé leur mission divine par de vrais miracles et d’authentiques prophéties. »


QUESTION DEUXIÈME.
L’inspiration s’étend-elle à toutes les parties de l’Ecriture, même à celles qui ne concernent ni la foi, ni les mœurs ?

Quelques auteurs, même parmi les catholiques, n’ont pas fait difficulté de soutenir que l’Esprit saint n’a ni inspiré, ni même favorisé de son assistance spéciale les écrivains sacrés dans les choses qui n’ont point de rapport à la religion. Henri Holden, entre autres, dit, dans son Analyse de la foi chrétienne, ouvrage d’ailleurs fort estimable : « La quatrième chose est que le secours spécial accordé à l’auteur de chaque livre reçu dans l’Eglise pour la parole de Dieu, ne s’étend qu’aux choses qui sont purement doctrinales ou qui ont un rapport prochain et nécessaire avec la doctrine ; mais dans les choses qui ne sont point du dessein de l’auteur et qui se rapportent ailleurs, nous croyons que Dieu ne les a assistés que comme il assiste les autres écrivains qui ont beaucoup de piété[22]. »

  1. Epist ad. Corinth.
  2. Adv. hœres, l.  III, c. i, ii, Xi
  3. Adv. Marc. l. IV, c. V.
  4. Adv. hœres, l. I, c. xlvi, xlvii.
  5. Ibid. l. IV, c. iii.
  6. Legat. pro Christianis, lII, c.XLVII.
  7. Exhort. ad gentes.
  8. De Princip. l.  IV, cI.
  9. Cont. Cels. lV.
  10. De opere et eleemos.
  11. Hist. Eccl. lV, cXXVIII
  12. Prœp. evang. lXIII, cXIV
  13. De Civit. Dei, lXI, cII, III
  14. Ps. XLIV, 2.
  15. Prœf. moral. in Job.
  16. Voy. Epiph. Hœres. 76
  17. Introd. au N. T. tom. I, part. I, chap. III, sect. 2, pag. 112 et suiv., traduction franç. de J. J. Chenevière.
  18. Un écrivain dont le profond savoir commande le respect, feu Étienne Quatremère, a cru voir une légère inexactitude dans notre traduction de ce dernier passage des Machabées ; car il prétend que le texte grec signifie : « Si mon ouvrage offre quelque chose de beau et d’élégant, c’est à quoi j’aspirais. Si, au contraire, il ne présente rien que de bas et de médiocre, c’est là tout ce que j’étais capable de faire (Journal des Savants, Octobre 1845, p. 600). » Le savant critique n’aurait certainement pas fait cette observation, s’il avait songé que ce n’est pas le sens du texte grec que nous avons voulu rendre, mais bien celui de la Vulgate latine, qui porte à la lettre : Et si quidem bene, el ut historiæ competit, hoc et ipse velim : sin autem minus digne, concedendum est mihi. Ajoutons qu’il nous semble d’ailleurs, que, sans être aussi littérale, la traduction de saint Jérome ne rend pas moins fidèlement la vraie pensée de l’écrivain sacré.
  19. 2 Tim. III, 14-17
  20. Herméneutique sacrée, chII, § 11, tom. I, p 78-80. Nouv. édit. Paris, 1833.
  21. Brevis delineatio duorum impostorum magnorum, Muhammedis et Zinzerdorffi. Argentorati, sans date.
  22. Holden, Analysis fidei christianæ, l. I, cV. — Voy. R. Simon, Hist. crit. du N. T. chxxiv, pag. 295-297. Nous devons faire observer que Holden reconnaît cependant qu’il n’y à rien de faux dans l’Ecriture : Quamvis enim nullam complectatur Scriptura falsitatem, etc. Hold. Ibid. Nous sommes de l’avis de R. Simon ; l’auteur aurait dû expliquer son sentiment mieux qu’il ne l’a fait.