Introduction historique et critique aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament/Tome I/Chapitre 2/Article 2/Question I/1

PREMIÈRE PROPOSITION.
Touts les livres de l’Ancien Testament sont divinement inspirés.

La tradition de l’Eglise judaïque, le témoignage le plus positif de la part de Jésus-Christ et de ses apôtres, et enfin la tradition de l’Eglise chrétienne, et la définition de l’Eglise catholique, voilà les preuves sur lesquelles repose cette inspiration divine.

1. Au temps de Jésus-Christ et des apôtres, toute l’Église judaïque admettait cette inspiration. Joseph et Philon, tous deux Juifs, et leurs contemporains, ne nous permettent aucun doute à cet égard. Il est vrai que quelques critiques modernes ont prétendu que les anciens Hébreux n’avaient pas une idée bien nette et bien arrêtée sur l’inspiration des auteurs sacrés, et qu’ils ne considéraient leurs livres que comme des documents nationaux ou patriotiques[1], et par conséquent purement profanes ; mais cette opinion, outre qu’elle est en opposition manifeste avec l’histoire, toute l’antiquité ayant généralement cru qu’il y avait dans chaque peuple des hommes favorisés des révélations extraordinaires de la Divinité[2], tombe encore d’elle-même quand on examine les raisons sur lesquelles les Juifs ont fondé leur foi touchant ce dogme sacré de leur religion. « Il n’était pas permis indistinctement à tout le monde d’écrire, dit Joseph en parlant des Hébreux[3], aussi n’y a-t-il point de désaccord entre leurs livres ; mais les prophètes seuls connaissaient les événements les plus anciens par inspiration divine (κατὰ τὴν ἐπίποιαν ἀπὸτοῦ Θεοῦ), et écrivaient l’histoire de leur temps avec une exactitude rigoureuse [4]. De là vient que nous n’avons pas une infinité de livres qui se contredisent et se combattent ; nous en possédons seulement vingt-deux qui embrassent l’histoire de tout leur temps et que nous croyons justement être divins[5]… C’est par les faits que l’on peut juger de la foi que nous avons en nos Écritures ; malgré qu’un si long intervalle de temps se soit écoulé, jamais personne n’a été assez osé pour y ajouter, en retrancher, ou y changer la moindre chose ; car c’est un sentiment gravé dans le cœur des Juifs, dès la première enfance, qu’elles doivent être regardées comme des enseignements divins (θεοῦ δόγματα), qu’il faut suivre constamment, et pour lesquels il faudrait même donner sa vie, si ce sacrifice devenait nécessaire. »

Philon n’est pas moins clair et moins positif. Il est impossible de lire une page quelconque de ses ouvrages sans y voir Moïse désigné sous le nom de prophète, homme envoyé de Dieu (θεσπέσισος ἀνὴρ), hiérophante etc., et le Pentateuque sous ceux des écritures sacrées, livres sacrés, discours sacrés, discours prophétique, parole de Dieu, oracle divin, qualification que Philon donne également aux autres écrivains sacrés, aussi bien qu’à leurs ouvrages. Or, le même écrivain nous explique clairement ce que lui et sa nation entendaient parle mot prophète : « Les prophètes de Dieu, dit-il, sont des interprètes par les organes desquels il fait connaître ses volontés[6]. » Le texte est plus formel encore : il porte à la lettre « que Dieu se sert de leurs organes comme d’un instrument (καταχρωμένου τοῑς ἐκείνων ὀργάνοις) ; » et ailleurs : « Un prophète ne produit rien de lui-même, il est seulement l’interprète d’un autre qui lui suggère (ὑποβάλλοντος) tout ce qu’il dit. Tant qu’il est sous l’empire de l’inspiration divine (ἐνθουσιᾷ γεγονὼς), il reste étranger à toute autre chose, parce que sa raison s’est retirée pour faire place à l’esprit de Dieu (τοῦ θείου πνεύματος), qui est venu s’emparer de son âme, mettre en mouvement tous les organes de la voix, et les rendre propres à exprimer clairement et distinctement ce qu’il doit prophétiser[7]. » Il dit encore dans un autre endroit : « Le prophète n’est que l’interprète de Dieu, qui lui dicte intérieurement ses oracles[8]. » Pour abréger, nous nous bornons à ces passages, qui prouvent suffisamment que les Juifs croyaient tous leurs livres divinement inspirés, c’est-à-dire écrits avec le concours positif et réel de la Divinité.

Il est encore des témoins irrécusables de cette croyance des Juifs à l’inspiration de leurs livres. Nous lisons dans le second des Machabées^ que la loi est sainte, et qu’elle a Dieu pour auteur[9], que les livres

recueillis par Esdras sont également marqués du sceau divin[10] ; dans le livre de la Sagesse, que Moïse est un saint prophète, et que la souveraine sagesse a instruit les amis de Dieu et les prophètes[11] dans Baruch, que les livres des Juifs sont des préceptes divins [12].

Enfin les deux Talmuds et tous les rabbins nous enseignent que telle a été la doctrine des anciens Juifs. De sorte que non-seulement les Juifs de Palestine croyaient à l’nspiration divine de leurs livres, mais encore les hellénistes, les schismatiques d’Héliopolis, les Samaritains et les trois sectes qui existaient au temps de Jésus-Christ, c’est-à-dire les pharisiens, les sadducéens et les esséniens[13].

Un accord aussi unanime, aussi universel et aussi constant de la part des Juifs de tous les lieux et de tous les temps, devait avoir un fondement solide et des motifs bien puissants, et il les a en effet ; car 1o quelques-uns des auteurs de ces livres, comme Moïse, avaient prouvé la divinité de leur mission par des miracles ; 2o la plupart de ces auteurs étaient des prophètes ; 3o parmi ces livres, les uns étaient notoirement l’œuvre des prophètes, les autres passaient pour avoir été écrits ou approuvés par des prophètes ; 4o c’était de Dieu même que plusieurs auteurs sacrés avaient reçu l’ordre d’écrire ; ainsi, on lit, Exode, xvi, 14 : « Ecris ceci dans le livre. » (Voyez aussi Exode, xxiv, 4, 7.) Isaïe, VIII, 1 : « Prends un grand livre ; et écris-y. » Jérémie, xxx, 2 : « Ecris dans un livre toutes les paroles que je t’ai dictées. » Ezéchiel, xxxiv, 2 : « Fils de l’homme, écris, etc. » Habacuc, ii, 2 : » Ecris une vision, etc, » D’où il suit qu’une autorité divine assurait les Juifs de l’inspiration de leurs livres, et que par conséquent une autorité divine nous assure nous-mêmes, qui avons reçu ces livres dans toute leur intégrité, de l’inspiration de l’Ancien Testament.

2. Au temps de Jésus-Christ, l’inspiration divine de l’Ancien Testament était pour le peuple juif un dogme de foi, comme nous venons de le démontrer. Or, si cette croyance eût été fausse, Jésus-Christ, qui venait pour épurer la religion des Juifs des fausses traditions qui la défiguraient, n’aurait-il pas dû s’élever contre une erreur aussi fondamentale ? N’était-ce pas au moins un devoir sacré pour lui d’éviter avec soin de la confirmer par son propre témoignage ? Eh bien Jésus-Christ n’a jamais dit un mot pour improuver cette croyance. Il combat avec force les fausses traditions des Juifs et les gloses arbitraires que leurs docteurs ajoutaient à la loi ; mais jamais il ne s’élève contre l’inspiration des livres de l’Ancien Testament. Au contraire, toutes les fois qu’il en parle, c’est toujours avec le plus grand respect ; bien plus, il les appelle expressément loi divine, écriture divine, oracles de l’Esprit saint ; il s’en sert même pour prouver sa divinité et sa mission divine[14]. Ainsi lorsque Jésus-Christ, envoyé de Dieu, et Dieu lui-même, après avoir prouvé sa mission par des miracles, cite comme inspirés et divins les livres de l’Ancien Testament, leur inspiration devient par là même un fait indubitable.

3. Les apôtres, formés à l’école de Jésus-Christ, qui leur expliqua en particulier tout le secret de sa doctrine, ont dû connaître ses véritables sentiments sur l’inspiration de l’Écriture, et par conséquent nous pouvons nous en rapporter avec confiance à leur témoignage : or il est certain que, loin de contredire la doctrine commune des Juifs sur ce point, ils l’ont, au contraire, toujours supposée en disputant contre les Juifs et les gentils ; et, à l’exemple de Jésus-Christ, ils donnent aux Écritures le titre de saintes et d’oracles divins[15]. Saint Pierre en particulier ne cesse d’argumenter dans ses discours d’après l’autorité divine de l’Écriture[16]. Saint Paul cherche à convertir les Juifs à la religion de Jésus-Christ en établissant sa mission divine par des citations de la loi de Moïse et des prophètes : il dit même à cette occasion, que l’Esprit saint a parlé par la bouche du prophète Isaïe[17]. Mais saint Pierre nous fournit un passage qui, tout en démontrant la divinité des Écritures, nous fait connaître le caractère dominant de l’inspiration : « Ce n’a pas été par la volonté des hommes, dit-il, que les prophéties nous ont été anciennement apportées, mais ç’a été par le mouvement et l’incitation du Saint-Esprit (ὑπὸ Πνεύματος ἁγίου φερὀμεοι) que les saints hommes de Dieu ont parlé[18]. » Il est vrai que Jean Le Clerc, dans l’ouvrage intitulé Sentiments de quelques théologiens de Hollande, a prétendu que c( saint Pierre ne parle proprement que des livres prophétiques, et non pas des histoires ; » mais il n’y a rien dans le discours de l’apôtre qui exige qu’on restreigne ces mots aux seuls livres prophétiques ; son raisonnement devient même plus fort et plus concluant, s’il parle en général de tous les écrivains sacrés, qui, selon l’opinion des Juifs, étaient tous des prophètes. « Je sais, dit Richard Simon, qu’on explique ordinairement ce passage plutôt des livres prophétiques que de toute l’Ecriture en général ; mais si l’on veut un tant soit peu s’appliquer à toute la suite du discours de saint Pierre, on trouvera qu’il parle de l’Ecriture sans restriction, et que le mot prophétie ne doit pas être pris en cet endroit-là pour ce que nous appelons proprement prophétie, mais pour tout le corps de l’Ecriture, qu’on nommait aussi en ces temps-là prophétie, comme les Juifs appellent encore prophéties la plupart des livres historiques de la Bible. Joseph met au nombre de ces prophéties tous les livres de l’Ecriture, parce qu’ils ont été écrits par des prophètes ou personnes inspirées de Dieu. Les Juifs caraïtes comprennent aussi sous le nom de הבּבאה (hanneboua), prophétie, les vingt-quatre livres du Vieux Testament. Et je ne doute point qu’on ne doive prendre en ce même sens dans l’Epître de saint Pierre, ces mots : toute prophétie de l’Ecriture, c’est-à-dire, toute l’Ecriture qui est prophétique ou inspirée. Car les Juifs de ce temps-là croyaient aussi bien qu’aujourd’hui que toute l’Écriture était inspirée : et c’est ce que saint Pierre a voulu marquer dans sa seconde Épître, ou il parle généralement des écrivains sacrés, et non pas des prophètes en particulier, parce que les prédictions touchant le Messie ne sont pas renfermées dans les seuls prophètes[19]. » Saint Paul écrivant à son disciple Timothée, lui dit : « Quant à vous, demeurez ferme dans les choses que vous avez apprises et qui vous ont été confiées, sachant de qui vous les avez apprises, et considérant que vous avez été nourri dès votre enfance dans les lettres sacrées, qui peuvent vous instruire pour le salut, par la foi qui est en Jésus-Christ : car toute l’Ecriture étant inspirée de Dieu, est utile pour s’instruire, pour reprendre, pour corriger, et pour conduire à la justice, afin que l’homme de Dieu soit parfait et disposé à toutes sortes de bonnes œuvres [20]. » Enfin saint Jacques et saint Jude, en citant l’Ancien Testament, supposent partout qu’il a une autorité divine[21].

4. La tradition de l’Église chrétienne prouve encore d’une manière incontestable que l’Ancien Testament est divinement inspiré ; mais comme ce moyen de preuves s’applique aussi aux livres du Nouveau Testament, et qu’il est même le seul qui puisse démontrer complètement l’inspiration, nous en renvoyons le développement à la proposition suivante.

  1. On peut citer entre autres Corrodi dans son Versuch einer Beleuchtung der Geschichte des Jud. und Christl. Bibelkanons.
  2. « Vetus opinio est, jam usque ab heroicis ducta temporibus eaque et populi romani et omnium gentium firmata consensu, versari quamdam inter homines divinationem. » Cic. De divin., I, 1.
  3. Contr. Apion. l. I, § 8.
  4. Le texte porte σαφῶς, qui signifie plus ordinairement clairement, manifestement ; Phavorinius l’explique par ἀληθῶς, avec vérité. Il nous semble que le contexte favorise d’autant plus notre traduction, que le but de Joseph dans ce passage est de montrer que l’histoire des Juifs a été écrite avec beaucoup plus d’exactitude que celle des autres peuples.
  5. Les anciennes éditions ne portent point le mot θεῖα ; elles lisent simplement τὰ δικαίως πεπιστευμένα ; mais Havercamp a cru devoir introduire ce mot dans le texte, fondé sur ce qu’il se trouve rapporté dans ce même passage, tel que le cite Eusèbe (Hist. Eccl. l. x). Cette correction est d’autant plus juste et plus naturelle, que sans le mot θεῐκ le reste de la phrase devient fort obscur. Aussi Jahn, Einleit. Theil. i, S. 127, zwei, Aufl. I ; Eichborn, Einleit. Theil. I, S. 144. viert. Aufl., et autres critiques, l’ont admise sans réclamation.
  6. De monarchiâ, l. I. Tom. II, p., édit. de Th. Mangey.
  7. De specialib. legibus. Tom. II
  8. De præmiis et pœnis. Tom. II, P. 417.
  9. 2 Mac. VI, 23.
  10. 1 Mac. xii, 9 ; 2 Mac. viii, 23
  11. Sap. VII, 27 ; xi, 9.
  12. Bar. iv, 1.
  13. Plusieurs auteurs, en suivant l’opinion de Tertullien, d’Origène, de saint Jérôme et de quelques autres pères, ont prétendu que les sadducéens n’admettaient que le Pentateuque ; mais il paraît plus probable qu’ils admettaient au moins les livres prophétiques ; sans cela Joseph, qui leur reproche de rejeter la tradition, n’aurait pas manqué de les accuser sur ce point. Voy. les autres preuves en faveur de notre opinion dans R. Simon, Hist, critique du V, T. l. i, ch. , xvi. Gabriel Fabricy, Des titres primitifs de la révélation, t. i, pag. 125-126. La Bible de Vence, Dissertation sur les sectes des Juifs.
  14. Math xi, 13. XV, 3-6. xix, 2-6. xxii, 31, 43. xxvi, 54. Marc. vii, 9, 13. Luc. XVI, 16, 29. xviii 31. xxiv, 25-27, 44-46. Joan. v, 39, 46. x, 34-36.
  15. Rom. i, 2. iii, 2. iv, 2, etc. Gal. iii, 8, 10. Hebr. iii, 7. xii, 27.
  16. Act. iii, 18-25.
  17. Act. xxviii, 23, 25.
  18. 2 Petr. i, 21.
  19. Réponse aux sentiments de quelques théologiens de Hollande, chap. VI, pag. 61, 62.
  20. 2 Tim. III, 14-17. Nous devons remarquer, par rapport à ce texte, que la Vulgate porte : Omnis Scriptura divinitus inspirata, utilis est ad docendum ; mais que le grec lit : Πᾶσα γραφὴ θεόπνευστος, καὶ ὠφέλιμος πρὸς διδασκαλίαν ; or la conjonction καὶ suppose évidemment que le verbe substantif est se trouve sous-entendu devant θεόπνευστος, et par conséquent devant ὠφέλιμος. L’ancienne Vulgate lit comme le grec, et cette leçon est conforme tant aux versions orientales qu’à l’explication que les pères ont donnée de ce passage. Le texte grec porte, il est vrai : Toute écriture et non pas toute l’Ecriture ; mais l’article est encore sous-entendu ; sans cela, la phrase offrirait un sens évidemment faux et absurde ; d’ailleurs le mot écriture doit être restreint aux mots sacras litteras, qui précèdent immédiatement ; or, c’était dans les Ecritures de l’Ancien Testament que Timothée avait été nourri dès son enfance.
  21. Jac. I, 10-12, 19. iI, 1-4, 10, 11, 21, 23, 26. IV, 6. V, 17. Jud. I, 11, 12, 16.