Introduction à la vie dévote (Brignon)/Quatrième partie

Texte établi par Jean BrignonCuret (p. 335-391).

INTRODUCTION
À LA
VIE DÉVOTE.


QUATRIÈME PARTIE.

Les Avis nécessaires contre les tentations les plus ordinaires.


CHAPITRE PREMIER.

Il ne faut point s’arrêter aux discours des enfans du siècle.


AUSSITÔT que le monde s’apercevra de votre dévotion, la flatterie et la médisance ne manqueront pas de vous faire de la peine. Les libertins feront passer votre changement pour un artifice d’hypocrisie ; et ils diront qu’un chagrin que vous avez reçu du monde, vous a fait, à son refus, recourir à Dieu. A l’égard de vos amis, ils s’empresseront de faire bien des remontrances qu’ils croiront charitables et prudentes, sur la mélancolie de la dévotion, sur la perte de votre crédit dans le monde, sur la conservation de votre santé, sur l’incommodité que vous causerez aux autres, sur vos affaires qui en pourroient souffrir, sur la nécessité de vivre dans le monde comme l’on y vit, et sur tous les moyens qu’on a de faire son salut sans tant de mystères.

Philothée, tout cela n’est qu’un sot et vain babil du siècle ; et au fond ces gens-là n’ont aucun soin véritable, ni de vos affaires, ni de votre santé. Si vous étiez du monde, dit le Sauveur, le monde aimeroit ce qui lui appartient ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, il vous hait. L’on voit des hommes et des femmes passer les nuits entières au jeu ; y a-t-il une attention plus sombre et plus chagrine que celle-là ? cependant leurs amis ne leur en disent rien : et pour une heure de méditation, ou pour se lever un peu plus matin qu’à l’ordinaire, afin de se préparer à la Communion, chacun court au médecin pour nous faire guérir de l’humeur hypocondriaque et de la jaunisse. On passera trente nuits à danser, nul ne s’en plaint ; et pour la seule nuit de Noël, chacun tousse et crie la tête le jour suivant. Qui ne voit que le monde est un juge inique, favorable à ses enfans, mais dur et sévère aux enfans de Dieu !

Nous ne saurions être bien avec le monde, qu’en nous perdant. avec lui ; et il n’est pas possible de contenter sa bizarrerie. Jean est venu : dit le Sauveur, ne mangeant, ni ne buvant ; et vous dites qu’il est possédé du diable. Le fils de l’homme est venu en mangeant et en buvant ; et vous dites qu’il est un Samaritain.

Il est vrai, Philothée, si vous vous relâchez par condescendance pour le monde, à jouer et à danser, il s’en scandalisera ; si vous ne le faites pas, il vous accusera d’hypocrisie ou de mélancolie ; si vous vous parez, il l’interprétera mal ; si vous vous négligez, ce sera pour lui une bassesse de cœur ; il appellera votre gaité une dissolution, et votre mortification une humeur sombre ; et comme il vous regarde toujours de mauvais œil, jamais vous ne pourrez lui plaire. Il fait passer nos imperfections pour des péchés, nos péchés véniels pour des mortels, et nos péchés d’infirmités pour des péchés de malice. Dans les mêmes choses, où la charité, comme dit saint Paul, est bénigne, le monde est malin : la charité ne pense mal de personne, et le monde en pense toujours de toutes sortes de gens ; quand il ne peut condamner nos actions, il accuse nos intentions. Enfin, soit que les moutons aient des cornes, ou qu’ils n’en aient pas, soit qu’ils soient blancs ou qu’ils soient noirs, le loup ne laissera pas de les manger s’il peut. Quoique nous fassions aussi, le monde nous fera toujours la guerre ; si nous sommes long-temps aux pieds d’un Confesseur, il demandera ce que nous pouvons tant dire ; si nous y sommes peu, il dira que nous ne disons pas tout ; il étudiera tous nos mouvemens, et pour une parole tant soit peu échauffée, il protestera que nous sommes insupportables ; il prendra pour une avarice le soin de nos affaires, et il fera passer notre douceur pour une niaiserie. Mais à l’égard des enfans du siècle, leur colère est une générosité, leur avarice une sage économie, et leurs manières trop libres sont une honnête conversation.

Laissons cet aveugle monde, Philothée ; qu’il crie tant qu’il voudra comme un chat-huant, pour inquiéter les oiseaux du jour, Soyons fermes en nos desseins, invariables en nos résolutions ; et la persévérance fera voir, si le parti de la dévotion que nous avons pris, a été sérieux et sincère. Les comètes et les planètes paroissent presque également lumineuses ; mais les comètes qui ne sont que des feux passagers, disparoissent en peu de temps, au lieu que la lumière des planètes est perpétuelle. De même l’hypocrisie et la vraie vertu se ressemblent fort, et on les connoît à ce que celle-là n’a point de constance, et se dissipe comme la fumée ; au lieu que celle-ci est ferme et constante. Au reste il est bon, pour assurer les commencemens de notre dévotion, d’en souffrir du mépris et quelques injustes reproches ; car on se précautionne ainsi contre la vanité et contre l’orgueil, qui font quelquefois périr les premiers fruits de la piété. Malheur figuré par le commandement que Pharaon fit aux sages femmes d’Égypte de tuer les enfans mâles d’Israël, le jour même de leur naissance. Enfin, nous sommes crucifiés au monde, et le monde nous doit être crucifié. Il nous prend pour des fous : regardons-le comme un insensé.


CHAPITRE II.

Qu’il faut s’armer de courage.


QUELQUE belle et douce que soit la lumière, elle nous éblouit quand nous avons été long-temps dans l’obscurité ; et quelque doux et honnêtes que soient les habitans d’un pays où l’on est étranger, on ne laisse pas d’en être d’abord embarrassé. Il pourra donc se faire, Philothée, que ce grand divorce des folles vanités du monde, et ce changement de vie, donneront quelque atteinte à votre cœur, et qu’il se trouvera frappé d’un triste abattement. Mais ayez un peu de patience, je vous en prie : tout cela ne sera rien avec le temps, et n’est d’abord qu’un peu d’étonnement que cause la nouveauté ; attendez, les consolations viendront bientôt. Vous regretterez peut-être la gloire de l’approbation, que les fous et les moqueurs donnoient à vos vanités ; mais, ô Dieu ! voudriez-vous bien perdre la gloire, dont le Dieu de vérité vous couronnera éternellement ? Les vains plaisirs des années passées viendront encore flatter votre cœur pour le rengager dans leur commerce ; mais voudriez-vous renoncer aux délices de l’éternité, pour des légèretés si trompeuses ! Croyez-moi, si vous persévérez, vous verrez bientôt votre persévérance récompensée de consolations si délicieuses, que vous avouerez que le monde n’a que du fiel, en comparaison de ce miel céleste, et qu’un seul jour de dévotion vaut mieux que mille années de la vie mondaine.

Mais vous considérez la hauteur de la montagne, où se trouve la perfection chrétienne : eh comment, dites-vous, y pourrai-je monter ? Courage, Philothée, les nymphes des abeilles (c’est ainsi qu’on appelle leurs petits moucherons qui ne commencent qu’à prendre leur forme) n’ont pas encore d’ailes pour s’en aller cueillir le miel sur les fleurs des montagnes et des collines ; mais se nourrissant peu à peu du miel que leurs mères leur ont préparé, les ailes leur viennent, et elles se fortifient si bien, qu’enfin elles prennent l’essor, et volent jusqu’aux lieux les plus élevés, Il est vrai, nous devons nous considérer comme de petits moucherons dans les voies de la dévotion, dont nous ne pouvons pas, comme nous voudrions, avoir tout d’un coup la perfection : mais commençons toujours à nous y former par nos désirs et par nos bonnes résolutions ; espérons qu’un jour nous aurons assez de force pour y parvenir ; vivons en attendant de l’esprit si doux de tant d’instructions que les Saints et les Saintes nous ont laissées ; et prions Dieu, comme le Prophète Royal, qu’il nous donne des ailes de colombe, afin que nous puissions non-seulement nous élever à la perfection de la vie présente, mais encore jusqu’au repos de la bienheureuse éternité.


CHAPITRE III.
De la nature des Tentations, et de la différence qu’il y a entre les sentir et y consentir.


IMAGINEZ-VOUS, Philothée, une jeune Princesse extrêmement aimée de son époux, et dont quelque jeune libertin prétend corrompre la fidélité par un infâme confident qu’il lui envoie pour traiter avec elle d’un si détestable dessein. Premièrement ce confident propose à la Princesse l’intention de son Maître ; secondement elle agrée ou désagrée la proposition ; et en troisième lieu, elle y consent ou la rejète. C’est de la sorte que Satan, le monde et la chair, voyant une âme attachée au fils de Dieu comme son Époux, lui font des tentations, dans lesquelles, premièrement le péché lui est proposé ; secondement, il lui plaît ou lui déplait ; troisièmement, elle y consent ou le rejète. Voilà les degrés qui conduisent à l’iniquité, la tentation, la délectation et le consentement ; et quoique ces trois choses ne se distinguent pas si évidemment en toutes sortes de péchés, on les connoît pourtant sensiblement dans les grands péchés.

Quand une tentation dureroit toute notre vie, elle ne peut nous rendre désagréables à la divine Majesté, pourvu qu’elle ne plaise pas, et que nous n’y consentions point, parce que, dans la tentation nous n’agissons pas, mais nous souffrons ; puisque nous n’y prenons point de plaisir, elle ne peut en aucune manière nous rendre coupables. Saint Paul souffrit longtemps des tentations de la chair, et tant s’en faut qu’elles le rendissent désagréable à Dieu, qu’au contraire Dieu en étoit glorifié. La bien heureuse Angèle de Foligni en fut aussi si cruellement tourmentée, qu’elle fait pitié quand elle les raconte, Celles de saint François et de saint Benoit ne furent pas moins fâcheuses, lorsque l’un se jète dans les épines, et l’autre dans la neige pour les combattre ; et cependant, bien loin d’en perdre rien de la grâce de Dieu, ils l’augmentent de beaucoup en eux.

Il faut donc avoir un grand courage, Philothée, dans les tentations, et ne se croire jamais vaincu, tandis qu’elles déplaisent : observant bien la différence qu’il y a entre les sentir et y consentir : car on les peut sentir, encore qu’elles déplaisent, mais on ne peut y consentir sans qu’elles plaisent, puisque le plaisir est ordinairement un degré au consentement. Que les ennemis de notre salut nous présentent autant d’amorces et d’appas qu’ils pourront, qu’ils se tiennent toujours à la porte de notre cœur pour y entrer, qu’ils nous fassent tant de propositions qu’ils voudront ; tandis que nous serons dans la disposition de ne pas nous plaire à tout cela, il est impossible que nous offensions Dieu, non plus que l’époux de la Princesse dont je vous ai parlé, ne peut lui savoir mauvais gré d’une telle proposition qu’on lui auroit faite, si elle n’y avoit pris aucune sorte de plaisir. Il y a néanmoins cette différence entre l’âme et cette Princesse, que la Princesse peut chasser, si elle veut, un tel entremetteur, et ne plus l’entendre : mais il n’est pas toujours au pouvoir de l’âme de ne point sentir la tentation, bien qu’elle puisse toujours n’y pas consentir. C’est pourquoi, encore que la tentation dure long-temps, elle ne peut nous nuire, pendant qu’elle nous déplait.

A l’égard de la délectation qui peut suivre la tentation, il est à remarquer que nous avons comme deux parties en notre âme, l’une inférieure et l’autre supérieure, et que l’inférieure ne suit pas toujours la supérieure, et même agit séparément d’elle : et de-là il arrive souvent que la partie inférieure se plaît à la tentation, sans le consentement de la partie supérieure, et même contre son gré. C’est justement le combat que saint Paul décrit, quand il dit que la chair convoite contre son esprit, et qu’il y a en lui une loi des membres, et une loi de l’esprit, et semblables choses. Avez-vous jamais vu, Philothée, un grand brasier de feu couvert de cendres ? Quand on vient dix ou douze heures après y chercher du feu, on a de la peine à y en trouver quelque peu de reste ; il y étoit néanmoins, puisqu’on l’y trouve, et il peut servir à rallumer tous les autres charbons éteints. Voilà comme la charité, qui est votre vie spirituelle, subsiste en vous contre les plus grandes tentations : car la tentation jetant la délectation contre la partie inférieure de l’âme, charge et couvre pour ainsi dire, cette pauvre âme de tant de fâcheuses dispositions, qu’elles y réduisent l’amour de Dieu à bien peu de chose : il ne paroît nulle part, sinon au fond du cœur, encore semble-t-il qu’il n’y soit pas, et on a bien de la peine à l’y trouver. Il y est cependant très-réellement, puisqu’encore que tout soit troublé dans l’âme et dans le corps, on a toujours la résolution de ne point consentir au péché ni à la tentation ; que la délectation qui plaît à l’homme extérieur, déplaît à l’intérieur, et que bien qu’elle soit, pour ainsi parler, tout autour de la volonté, elle n’est pas en elle. Or, c’est ce qui doit faire juger que cette délectation est involontaire, et qu’étant telle en effet, elle ne peut être un péché.


CHAPITRE IV.

Deux exemples remarquables sur ce sujet.


IL vous importe si fort, Philothée, de bien entendre ceci, que je ne ferai nulle difficulté de m’y étendre davantage. Le jeune homme dont parle sainte Jérôme, couché sur un lit d’une manière fort molle et attaché avec des cordons de soie, étoit provoqué par tout ce que l’on peut penser de l’impudence d’une femme, dont on se servoit pour ébranler sa constance ; et qu’est-ce que ses sens et son imagination n’en devoient pas souffrir ? Cependant au milieu d’un si terrible orage de tentations sensuelles, il témoigne que son cœur n’est point vaincu, et que sa volonté n’y consent en aucune manière : car son âme voyant tout révolté contre elle, et n’ayant rien à son commandement de tout son corps que la seule langue, il se la coupa avec les dents, et la cracha au visage de cette vilaine, qui lui étoit plus cruelle que les bourreaux les plus furieux. De sorte que le Tyran qui avoit désespéré de vaincre cette belle âme par les douleurs, pensa inutilement la pouvoir vaincre par les plaisirs.

Le récit des tentations intérieures et extérieures, que Dieu permit au malin esprit de faire à sainte Catherine de Sienne, sur sa pudeur, est tout-à-fait surprenant, et l’on ne peut rien imaginer de plus horrible, que ce qu’elle souffrit dans ce combat spirituel, soit des suggestions de l’ennemi, à l’égard de l’imagination et du cœur, soit pour les yeux, à l’égard des représentations les plus infâmes, que les démons lui faisoient sous des figures humaines, soit encore par les paroles les plus abominables : or, quoique tout cet extérieur détestable ne lui frappât que les sens, son cœur toutefois en étoit si pénétré, qu’elle confesse elle-même qu’il en étoit tout rempli, et qu’il ne lui restoit rien en elle-même qui ne fût violemment agité de cette tempête, que la seule partie raisonnable de sa volonté. Cette épreuve dura long-temps, jusqu’à ce qu’enfin Notre-Seigneur lui ayant un jour apparu, elle lui dit ; ou étiez-vous, mon aimable Seigneur, quand mon cœur étoit plein de tant de ténèbres et d’ordures ? Sur quoi il lui répondit, j’étois, ma fille, dans ton cœur même ; et comment, répliqua-t-elle, habitez-vous en un tel cœur ? Alors Notre-Seigneur lui demanda, si ces dispositions fâcheuses avoient produit en elle quelque sentiment de plaisir ou de tristesse, de l’amertume ou quelque délectation ? et la Sainte lui ayant répondu, tristesse et amertume ; le Seigneur lui dit : qui répandoit cette amertume et cette tristesse en ton cœur, sinon moi, qui demeurois caché au fond de ton âme ? Sache, ma fille, que si je n’y eusse pas été présent, ces dispositions qui assiégeoient ta volonté, sans pouvoir la vaincre, y eussent été reçues avec plaisir, et d’un plein consentement de ton franc arbitre, et eussent causé la mort à ton âme ; mais parce que j’y étois présent, je te donnois cette ferme résistance, avec laquelle tu refusois ton cœur à la tentation. Et comme il ne pouvoit pas résister autant qu’il le vouloit, il en ressentoit un plus grand déplaisir et une plus forte haine de la tentation et de soi-même : ainsi ces peines ont été un grand accroissement de vertu et de force pour toi, et un grand fonds de mérites.

Voyez-vous, Philothée, comme ce feu étoit couvert de cendres, et que la tentation avec la délectation étoit entrée en ce cœur, et avoit obsédé la volonté, qui seule soutenue de la grâce du Sauveur, résistoit par des amertumes, des déplaisirs et des détestations de tout péché, auquel elle refusoit perpétuellement son consentement, O Dieu ! quelle désolation à une âme qui aime Dieu, de ne savoir seulement pas s’il est en elle ou non, et si l’amour divin pour lequel elle combat, est entièrement éteint en elle ou non ! mais c’est la grande perfection de l’amour céleste, que de faire souffrir et combattre l’amant par l’amour, sans savoir s’il a l’amour, pour lequel et par lequel il combat.


CHAPITRE V.

Consolation de l’Ame qui est dans la Tentation.


PHILOTHÉE, jamais Dieu ne permet ces tentations si violentes, qu’à l’égard des âmes qu’il veut élever à la plus grande perfection de son amour ; mais ce n’est pas pour elles une sûreté, qu’après avoir passé par ces épreuves, elles doivent y parvenir ; car il est arrivé bien des fois, que plusieurs ne correspondant pas dans la suite avec fidélité à la grâce qui les leur avoit fait soutenir constamment, ont malheureusement succombé à des tentations fort légères. Je vous le dis, afin que si vous vous trouvez jamais dans des épreuves si affligeantes, vous vous consoliez du dessein que Dieu a de vous élever devant ses yeux, et que pourtant toujours humble en sa présence, vous ne vous teniez jamais. en sûreté contre les petites tentations, après avoir surmonté les plus grandes, qu’autant que vous avez une continuelle fidélité à sa grâce : quelque tentation donc qu’il vous arrive, et quelque délectation qu’il vous en revienne, ne vous en troublez point, durant que votre volonté refusera son consentement à l’une et à l’autre, parce qu’enfin Dieu n’en est point offensé. Quand un homme tombe en défaillance, ne donne aucune marque de vie, on lui met la main sur le cœur, et pour peu qu’on lui sente du mouvement, on juge qu’il n’est point mort, et que l’on peut avec quelque liqueur forte et subtile lui faire revenir ses forces. Jugeons ainsi de l’état de l’âme dans les violences des tentations, qui semblent quelquefois épuiser toutes ses forces, considérons si le cœur et la volonté ont encore quelque mouvement de la vie spirituelle, c’est-à-dire, si la volonté refuse son consentement, en rejetant la tentation et la délectation ; car tandis que ce mouvement reste en notre volonté, nous sommes sûrs que la vie de la charité n’y est pas éteinte, et que Jésus-Christ est présent en notre âme, quoiqu’il soit caché ; de sorte que, par l’usage continuel de l’Oraison et des Sacremens, et par la confiance en Dieu, nous pouvons reprendre toutes nos forces, et vivre toujours en Dieu d’une douce et parfaite vie.


CHAPITRE VI.

Comment la tentation et la délectation peuvent être des péchés.


LA Princesse dont je vous ai parlé, ne peut être blamée de la recherche qui lui est faite, puisque nous avons supposé que c’est absolument contre ses intentions ; mais elle seroit coupable, si elle se l’étoit attiré par quelques manières qui eussent pu en faire venir la pensée ; et voilà comme la tentation est quelquefois un péché, par la raison qu’on se l’est attirée. Par exemple, un homme sait que le jeu excite aisément sa colère, que la colère le fait blasphémer, et que le jeu conséquemment est une vraie tentation pour lui : je dis que cet homme péche toutes les fois qu’il joue, et que les tentations qui lui arrivent au jeu le rendent coupable. Un autre sait qu’une certaine conversation lui est une occasion de quelque chute, s’il s’y engage volontairement, il est indubitablement coupable de la tentation qu’il y trouve.

Quand on peut éviter la délectation qui suit la tentation, c’est toujours un péché que de la recevoir ; mais plus ou moins considérable, à proportion que le plaisir que l’on y prend, et que le consentement que l’on y donne, est grand ou petit, d’une longue ou courte durée. Si cette Princesse dont nous avons parlé, écoute non-seulement la proposition déshonnête qui lui est faite, mais y prend plaisir, et en occupe son cœur avec joie, elle est fort blâmable ; car bien qu’elle n’en veuille pas l’exécution, elle consent néanmoins à l’application de son cœur sur cet objet déshonnête, par le plaisir qu’elle y prend : or, la seule application volontaire du cœur à la déshonnêteté est mauvaise, comme celle même des sens ; de sorte que la déshonnêteté consiste tellement en cette application volontaire du cœur, que sans elle l’application des sens ne peut être un péché.

Lors donc qu’une tentation s’élèvera en vous, considérez si vous vous l’êtes attirée volontairement, parce que c’est un péché que de se mettre en danger de pécher ; et cela suppose que vous ayiez pu raisonnablement éviter l’occasion, et que vous ayiez prévu ou dû prévoir la tentation qui vous en devoit venir ; mais si vous n’avez donné nul sujet à la tentation, elle ne peut aucunement vous être imputée à péché.

Quand on a pu éviter la délectation qui suit la tentation, et qu’on ne l’a pas évitée, il y a toujours quelque sorte de péché, à proportion qu’on s’y est peu ou beaucoup arrêté, et selon la cause du plaisir qu’on y a pris. Une femme qui, n’ayant donné aucun sujet à la cajolerie, y prend pourtant plaisir, ne laisse pas d’être blâmable, si le plaisir qu’elle y prend n’a point d’autre cause que la cajolerie même ; car si celui qui veut lui inspirer de l’amour jouoit en perfection du luth, et qu’elle prit plaisir, non pas à sa mauvaise recherche, mais à l’harmonie et à la douceur du luth, il n’y auroit point de péché pour elle, bien qu’elle ne dût pas prendre longtemps ce plaisir, de peur de passer à celui d’être recherchée : de même encore, si l’on me propose un stratagème fort artificieux de me venger de mon ennemi, et que je ne donne aucun consentement à la vengeance, ni y prenne aucun plaisir, mais seulement à la subtilité de cet artifice, sans doute je ne péche point ; mais il n’est pas expédient que je m’arrête beaucoup à ce plaisir, de peur qu’il ne me porte peu à peu à celui de la vengeance même.

On est quelquefois surpris des impressions de la délectation, qui suit immédiatement la tentation, avant qu’on s’en soit bien aperçu ; et cela ne peut être qu’un péché véniel assez léger, lequel cependant devient plus grand, si après que l’on a reconnu le mal distinctement, on demeure par négligence quelque temps à prendre son parti sur l’acceptation ou le refus de cette délectation ; et le péché sera encore plus grand, si l’ayant reconnue, on s’y arrête quelque temps par une vraie négligence, et sans aucune sorte de volonté de la rejeter. Mais lorsque volontairement et de propos délibéré, nous sommes résolus de nous plaire en telles délectations, ce propos même délibéré est un grand péché, si l’objet auquel on se plaît est notablement mauvais ; c’est un grand vice à une femme de vouloir entretenir de mauvaises amours, quoiqu’elle ne veuille jamais s’y abandonner.


CHAPITRE VII.

Les remèdes aux grandes Tentations.


DÈS que vous apercevrez une tentation, imitez les petits enfans, qui à la vue d’un loup ou d’un ours, se jètent entre les bras de leur père et de leur mère, ou du moins les appellent à leur secours : recourez ainsi à Dieu, et implorez le secours de sa miséricorde ; c’est le remède que Notre-Seigneur nous donne en ces paroles : Priez, afin que vous n’entriez point en tentation.

Si elle continue, ou si elle devient plus forte, embrassez la sainte croix en esprit, comme si vous voyiez J. C. devant vous ; protestez-lui que vous ne consentirez point à la tentation ; demandez-lui qu’il vous défende de l’ennemi, et persévérez en cette protestation et en cette prière, tandis que le combat durera.

Mais parmi ces protestations, ne considérez point la tentation, et regardez uniquement Jésus-Christ, d’autant que si vous y arrêtez votre esprit, elle pourroit ébranler votre cœur, principalement quand elle est forte ; donnez donc un détour à votre esprit, par quelque occupation bonne et louable, qui puisse aussi, par l’attachement que votre cœur y prendra, éteindre le sentiment de la tentation,

Le grand remède contre toutes les tentations, grandes ou petites, c’est d’ouvrir son cœur à son Directeur, en lui faisant connoître les suggestions de l’ennemi et les impressions qu’elles font : car, observez que le silence est toujours la première condition que l’ennemi impose à celui qu’il veut séduire, en la manière qu’un libertin qui entreprend une femme ou une fille, l’engage d’abord à tenir leur commerce fort secret, ou à son mari ou à son père : conduite du Démon, toute opposée à celle de Dieu, qui nous oblige absolument de faire examiner ses inspirations par nos supérieurs et par nos directeurs. Que si après cela, la tentation s’opiniâtre à nous persécuter et à nous fatiguer, nous n’avons rien à faire qu’à lui refuser, avec une généreuse opiniâtreté, le consentement de notre cœur. Une personne ne peut être mariée pendant qu’elle dit non ; et une âme n’est jamais vaincue par la tentation, tandis qu’elle dit aussi non.

Ne disputez jamais avec votre ennemi, et ne lui répondez à toutes choses que par ces paroles, avec lesquelles le Sauveur le confondit : Retire-toi, Satan, il est écrit : tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui. L’honnête femme quitte tout court un malhonnête homme, sans le regarder et sans lui répondre, et elle tourne son cœur vers son époux, renouvelant en elle-même les sentimens de la fidélité qu’elle lui a promise, et l’âme dévote attaquée par son ennemi, ne doit pas s’amuser à lui répondre, ni à disputer avec la tentation : il lui suffit de se tourner simplement vers J. C. son époux, et de lui protester qu’elle veut être toujours et uniquement à lui avec une parfaite fidélité.


CHAPITRE VII.

Il faut résister aux petites Tentations.


QUOIQU’IL faille combattre les grandes tentations avec un courage invincible, et que la victoire nous en soit extrêmement utile, il y a peut-être plus d’utilité à combattre les petites, dont la victoire peut égaler par leur grand nombre, tout l’avantage de ceux qui ont soutenu heureusement de grandes tentations. Les loups et les ours sont assurément plus à craindre que les mouches ; les mouches sont pourtant plus importunes, et exercent davantage notre patience. Il est aisé de s’abstenir d’un meurtre, mais il est difficile de réprimer les petites colères, dont les occasions se présentent à tous momens. Il est facile à un homme ou à une femme de ne pas commettre d’adultère ; mais il n’est pas également facile de conserver la pureté des yeux, de ne rien dire ou de ne rien entendre avec plaisir de tout ce qu’on appelle cajolerie, de ne pas donner, ou de ne pas recevoir de l’amour, ni de menues faveurs d’amitié. Ce n’est pas une chose difficile, que de ne point donner visiblement et extérieurement un rival à un mari, ou une rivale à une femme ; mais il est assez difficile de ne lui en point donner au fond du cœur. Il est bien aisé de ne point dérober le bien d’autrui, mais mal aisé de ne le pas muguetter et convoiter ; bien aisé de ne point porter de faux témoignages en jugement, mais mal aisé de ne point mentir en conversation ; bien aisé de ne point s’enivrer, mais mal aisé d’être sobre ; bien aisé de ne point désirer la mort d’autrui, mais mal aisé de ne point désirer son incommodité ; bien aisé de ne le point diffamer, mais mal aisé de ne le point mépriser. Enfin, ces petites tentations de colère, de soupçons, de jalousie, d’envie, d’amitiés folles et vaines, de duplicités, de vanité, d’afféterie, d’artifice, de pensées sensuelles, tout cela, dis-je, fait même l’exercice continuel de ceux qui sont les plus dévots et les plus déterminés à bien vivre. C’est pourquoi, Philothée, en attendant que nous combattions généreusement les grandes tentations, si elles nous viennent, il faut nous préparer avec soin à tous ces petits combats, persuadés que les victoires que nous y remporterons sur nos ennemis, ajouteront autant de pierres précieuses à la couronne que Dieu nous prépare en son Paradis.


CHAPITRE IX.

Les remèdes aux petites Tentations.


LA meilleure manière de résister à ces tentations dont nous ne pouvons pas plus nous exempter, que de l’importunité des mouches et des moucherons, c’est de ne s’en point tourmenter ; parce que rien de cela ne peut nous nuire, quoique nous en puissions recevoir de l’ennui, pourvu que l’on soit déterminé bien solidement au service de Dieu.

Méprisez donc, Philothée, ces foibles attaques de l’ennemi, et ne daignez pas y penser davantage qu’à des mouches que vous laissez voler et bourdonner autour de vous. Mais quand votre cœur en sentira quelque sorte d’atteinte, contentez-vous de les détourner simplement, en occupant votre cœur, soit intérieurement, soit extérieurement, de quelque chose de bon, et spécialement de l’amour de Dieu. Si vous me croyez, vous ne combattrez ces tentations qu’indirectement, et non pas d’une manière directe, comme est celle de leur opposer les vertus qui leur sont contraires, parce que ce seroit trop vous arrêter à disputer contre l’ennemi et à lui répondre. Que si, ayant eu le loisir de reconnoître la qualité de la tentation, vous lui opposez quelque acte de vertu directement contraire, ajoutez-y un simple retour de votre cœur vers J. C. crucifié, et lui baisez les pieds en esprit avec beaucoup d’amour. C’est le meilleur moyen de vaincre l’ennemi dans les petites tentations et dans les grandes ; car l’amour de Dieu contenant en soi toutes les perfections de toutes les vertus, et en un degré d’une plus grande excellence, il est un remède plus souverain contre tous les vices ; et votre esprit s’accoutumant dans les tentations, à recourir à ce principe général, il ne sera point obligé d’examiner la qualité des tentations, et il se calmera d’une manière simple, mais terrible au malin esprit, qui se retire de nous, quand il voit que ses suggestions nous font recourir à l’exercice de l’amour de Dieu.

Voilà ce que nous avons à faire contre ces menues et fréquentes tentations, au lieu de les examiner et de les combattre en détail ; car autrement on se donneroit bien de la peine, et on ne feroit rien.


CHAPITRE X.

La manière de fortifier son cœur contre les Tentations.


CONSIDÉREZ de temps en temps quelles passions dominent le plus en votre âme ; et les ayant reconnues, faites-vous une conduite de vie qui leur soit toute contraire en pensées, en paroles et en œuvres. Par exemple, si c’est la vanité, pensez souvent combien la vie humaine porte de misères, combien à l’heure de la mort votre conscience souffrira des vanités du monde, combien elles sont indignes d’un cœur généreux, ne devant être regardées que comme des amusemens d’enfans. Parlez souvent contre la vanité : et, quoiqu’il vous semble que ce soit à contre-cœur, ne laissez pas d’en parler avec mépris, parce qu’à force de parler contre quelque chose, nous nous excitons à la haïr, toute aimable qu’elle nous soit au commencement : ainsi vous vous engagerez, même par une raison d’honneur, à prendre le parti contraire à la vanité. Faites des œuvres d’abjection et d’humilité le plus que vous pourrez, bien qu’il vous semble que ce soit à regret. Par-là vous vous formerez à l’humilité, et vous affoiblirez toujours votre vanité : de sorte que quand la tentation viendra, votre inclination ne lui sera plus si favorable, et vous trouverez en vous plus de force pour la combattre.

Si votre cœur est enclin à l’avarice, représentez-vous souvent la folie de cette passion, laquelle nous rend si esclaves de ce qui n’est fait que pour nous servir ; et pensez qu’à la mort il faudra tout laisser, et peut-être entre les mains de tel qui dissipera tout, et se damnera encore par sa dissipation. Parlez fortement contre l’avarice, et louez le mépris du monde. Faites-vous souvent violence pour faire des aumônes, et pour laisser quelquefois échapper les occasions d’amasser du bien.

Si vous sentez du penchant à vouloir donner ou recevoir de l’amour, pensez souvent combien cet amusement est dangereux pour vous et pour les autres, combien c’est une chose indigne de profaner la plus noble inclination de votre âme, combien une telle conduite peut vous faire blâmer d’une grande légèreté d’esprit. Parlez souvent en faveur de la pureté et de la simplicité du cœur ; faites, le plus que vous pourrez, des actions conformes à cette vertu ; évitez toutes les afféteries et toutes les occasions de cajoleries.

En temps de paix, c’est-à-dire, lorsque l’ennemi ne fera point de tentations à votre mauvaise inclination, faites beaucoup d’actions de la vertu contraire, et cherchez-en les occasions, si elles ne se présentent pas ; car vous fortifierez ainsi votre cœur contre la tentation future.


CHAPITRE XI.

De l’Inquiétude.


L’INQUIÉTUDE n’est pas une simple tentation, mais une mauvaise source de plusieurs tentations ; et il est nécessaire que je vous en parle.

La tristesse n’est autre chose que la douleur que notre esprit ressent du mal que nous souffrons malgré nous ; soit qu’il soit extérieur, comme la pauvreté, la maladie, le mépris ; soit qu’il soit intérieur, comme l’ignorance, la sécheresse du cœur, la répugnance au bien, la tentation. Lors donc que l’âme sent quelque mal, elle a du déplaisir de l’avoir, et voilà la tristesse. Le désir d’être affranchi du mal et d’avoir les moyens de s’en délivrer, suit incontinent la tristesse ; jusques-là nous avons raison, car naturellement chacun désire le bien et fuit le mal.

Si l’âme cherche les moyens d’être délivrée de son mal pour l’amour de Dieu, elle les cherchera avec patience et douceur, humblement et tranquillement, attendant beaucoup plus sa délivrance de l’aimable providence de Dieu, que de son industrie, de ses soins et de ses peines. Si son amour-propre lui fait chercher son soulagement, ce sera avec beaucoup d’empressement et de chaleur, comme si ce bien dépendoit plus d’elle que de Dieu ; je ne dis pas qu’elle pense cela, mais je dis, comme si elle le pensoit.

Que si elle ne trouve pas aussitôt ce qu’elle désire, elle entre dans de grandes inquiétudes et impatiences ; et parce que ces inquiétudes, bien loin de la soulager de son mal, l’augmentent beaucoup, si elle est saisie d’une tristesse si démesurée, qu’elle perde tout ensemble le courage et la force, elle croit son mal sans remède, Vous voyez donc que la tristesse, toute juste qu’elle est au commencement, produit l’inquiétude ; et l’inquiétude augmente si fort la tristesse, qu’elle devient extrêmement dangereuse.

L’inquiétude est le plus grand mal de l’âme, si on en excepte le péché : car comme les séditions et les troubles domestiques d’un état le désolent entièrement, et l’empêchent de résister au dehors à ses ennemis, de même notre cœur étant inquiet et troublé, n’a plus la force, ni de conserver les vertus qu’il avoit acquises, ni de résister aux tentations de l’ennemi, qui fait alors tous ses efforts pour pêcher, comme l’on dit, en eau trouble. L’inquiétude provient d’un désir déréglé d’être délivré du mal que l’on sent, ou d’acquérir un bien que l’on espère ; et toutefois il n’y a rien qui augmente plus le mal, et qui éloigne plus le bien, que l’inquiétude et l’empressement : ainsi qu’il arrive à ces oiseaux, qui s’agitant turbulemment dans les filets où ils ont été pris, s’y embarrassent de plus en plus. Quand donc votre cœur sera pressé du désir d’être délivré de quelque mal ou de parvenir à quelque bien, calmez-vous avant toutes choses, tranquillisez votre esprit et votre cœur, et puis suivez le mouvement de votre désir, pour prendre doucement et avec ordre les moyens convenables à ce que vous souhaitez. Et, quand je dis doucement, je n’entends pas négligemment, mais sans empressement et sans inquiétude ; autrement, bien loin de réussir, vous gâterez tout, et ne ferez rien que vous embarrasser davantage.

Mon âme, Seigneur, est toujours entre mes mains, disoit David, et je n’ai point oublié votre loi. Philothée, examinez plus d’une fois le jour, mais au moins le soir et le matin, si vous avez, comme lui, votre âme entre vos mains, ou si quelque passion ou quelque inquiétude ne vous l’a point ravie. Considérez si vous avez votre cœur à votre commandement, ou bien s’il n’est pas échappé de vos mains pour s’engager à quelque déréglement d’amour, de haine, d’envie, d’avarice, de crainte, de tristesse, de joie ; et s’il s’est égaré, cherchez-le promptement, et le ramenez doucement en la présence de Dieu, remettant toutes vos affections et tous vos désirs sous l’obéissance et la conduite de sa divine volonté. Comme ceux qui craignent de perdre quelque chose qui leur est précieux, la tiennent bien serrée en leur main ; ainsi, à l’imitation de ce grand Roi, nous devons toujours dire ; O mon Dieu ! mon âme est en danger de se perdre ; c’est pourquoi je la porte toujours en mes mains, et cela m’empêche d’oublier votre sainte loi. Ne permettez jamais à vos désirs de vous inquiéter, pour petits et peu considérables qu’ils soient ; car après les petits, les grands trouveroient votre cœur plus disposé au trouble et au déréglement. Quand vous sentirez donc quelque inquiétude, recommandez-vous à Dieu, et déterminez-vous à ne rien faire de tout ce que votre désir demande, avant que l’inquiétude soit entièrement calmée, si ce n’est que la chose ne souffrît pas de délai ; mais alors faites un doux effort pour réprimer ou pour modérer le mouvement de votre désir ; et puis faites ce que vous croyez que la raison demande de vous, et non pas de votre désir.

Si vous pouvez découvrir votre inquiétude à votre Directeur, ou du moins à un confident et dévot ami, vous trouverez aussitôt le calme, parce que cette ouverture d’un cœur agité et échauffé le soulage aussi promptement que l’ouverture de la veine soulage un malade de la violence de la fièvre ; et c’est pour le cœur le meilleur de tous les remèdes. Oui, dit le Roi saint Louis à son fils, quand vous aurez quelque chose sur le cœur, faites-en aussitôt confidence à votre Confesseur ou à quelque bonne personne ; car la consolation que vous en recevrez, vous aidera à porter doucement votre peine.


CHAPITRE XII.

De la Tristesse.


LA tristesse qui est, selon Dieu, dit St. Paul, opère la pénitence pour le salut, et la tristesse du monde opère la mort. La tristesse peut donc être bonne et mauvaise, selon les divers effets qu’elle opère en nous ; mais elle y en opère plus de méchans que de bons ; car il n’y en a que deux qui soient bons, savoir : la miséricorde et la pénitence ; et il y en a six fort méchans, savoir : l’angoisse, l’indignation, la jalousie, l’envie, l’impatience et la mort : ce qui a fait dire au Sage, que la tristesse fait périr beaucoup de personnes, et ne porte aucune utilité.

L’ennemi s’en sert pour tenter les bons jusques dans leurs bonnes œuvres, comme il tâche de porter les méchans à se réjouir du mal qu’ils font ; et comme il ne peut procurer le mal, qu’en le faisant trouver agréable, il ne peut aussi détourner du bien, qu’en le faisant paroître incommode. L’on peut dire même, que tout livré qu’il est pour toute l’éternité à la tristesse la plus désespérée, il voudroit que tous les hommes fussent tristes comme lui.

La mauvaise tristesse trouble l’âme, l’inquiète, inspire des craintes déréglées, dégoûte de l’Oraison, accable l’esprit d’un assoupissement mortel, l’empêche de profiter des bons conseils, de juger sainement des choses, de prendre aucune résolution, ou d’avoir le courage et la force de rien exécuter. En un mot, elle fait sur les âmes les mêmes impressions qu’un froid excessif fait sur les corps, qui deviennent comme perclus et incapables de tout mouvement.

Si jamais, Philothée, votre cœur est atteint de cette mauvaise tristesse, servez-vous bien de ces règles : Quelqu’un de vous est-il triste ? dit St. Jacques, qu’il prie. En effet, la prière est un souverain remède, puisqu’elle élève l’esprit à Dieu, qui est notre joie et notre consolation. Mais employez dans votre prière ces paroles et ces affections qui inspirent la confiance en Dieu et en son amour : ô Dieu de miséricorde ! ô Dieu infiniment bon ! mon Sauveur débonnaire ! ô le Dieu de mon cœur, ma joie et mon espérance ! ô le cher Époux de mon âme ! ô le bien-aimé de mon cœur !

Combattez vivement ce que vous pouvez sentir d’inclination à la tristesse ; et bien qu’il vous semble que ce soit froidement et lâchement, ne laissez pas de le faire ; car l’ennemi qui prétend nous donner de l’indifférence et de la langueur pour les · bonnes œuvres, cessera de nous affliger, d’autant plus qu’étant faites avec quelque répugnance, elles en valent mieux.

Soulagez-vous par le chant de quelques Cantiques spirituels ; ils ont souvent servi à rompre le cours des opérations du malin esprit : témoin Saül, que David, par les doux accords de sa harpe, délivra plus d’une fois du démon qui le possédoit, ou qui l’obsédoit.

Il est bon de s’occuper extérieurement, et de diversifier ses occupations, soit pour dérober l’âme aux objets qui l’attristent, soit pour purifier et échauffer le sang et les esprits ; parce que la tristesse est une passion d’une complexion froide et sèche,

Faites de certaines actions de ferveur, bien que ce soit sans aucun goût, prenant entre vos bras votre crucifix, le serrant sur votre poitrine, baisant les pieds et les mains du Sauveur, levant les yeux et les mains au Ciel, élevant votre voix en Dieu, par des paroles d’amour et de confiance, comme celle-ci : Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui ; mon bien-aimé est un bouquet de myrrhe sur mon cœur. Mes yeux s’épuisent à force de regarder d’où me viendra le secours qui m’est nécessaire, et de vous dire : Seigneur, quand me consolerez-vous ? O Jésus ! soyez-moi Jésus ; vive Jésus, et mon âme vivra. Qui me séparera de l’amour de mon Dieu ?

L’usage modéré de la discipline est bon contre la tristesse, parce que cette peine extérieure impètre ordinairement la consolation intérieure, et que l’âme sentant quelque douleur du dehors, est moins attentive à celle du dedans ; mais la fréquente Communion est excellente ; car ce pain céleste fortifie le cœur, et réjouit l’esprit.

Découvrez à votre Directeur, avec une humble sincérité, votre tristesse et tout ce qui vous en revient de ressentimens et de mauvaises suggestions, et cherchez le plus que vous pourrez les personnes spirituelles. Enfin, résignez-vous à la volonté de Dieu, vous préparant à souffrir patiemment cette ennuyeuse tristesse, comme une juste punition de vos vaines joies ; et ne doutez pas que Dieu, après avoir éprouvé votre cœur, ne vienne à son secours.


CHAPITRE XIII.

Des consolations spirituelles et sensibles, et de l’usage qu’il en faut faire.


DIEU ne fait subsister ce grand monde, que par de perpétuelles vicissitudes des jours et des nuits, des saisons qui succèdent les unes aux autres, et des différens temps, soit de pluie ou de sécheresse, soit d’un air doux et serein, ou des vents et des orages, qui font que presque jamais les jours ne se ressemblent parfaitement. Admirable variété qui donne une grande beauté à tout cet Univers ! Il en est de même de l’homme, que les anciens ont appelé un abrégé du monde. Jamais il n’est en un même état : et sa vie s’écoule sur la terre, comme les eaux d’un fleuve, dans une perpétuelle variété de mouvemens qui l’élèvent par de grandes espérances, et puis qui l’abaissent par la crainte, et qui le poussent tantôt à droite par la consolation, et tantôt à gauche par l’affliction ; de sorte que jamais une seule de ses journées, ni même une de ses heures, n’est entièrement semblable à l’autre.

C’est donc à nous de conserver, parmi une si grande inégalité d’évènement et d’accidens, une continuelle et inaltérable égalité de cœur ; et de quelque manière que les choses tournent et varient autour de nous, demeurons immobiles et toujours constamment fixés à ce point unique de notre bonheur, qui est de ne regarder que Dieu, d’aller à lui, et de ne rien prendre que lui-même. Que le navire prenne telle route que l’on voudra, qu’il cingle à l’Orient ou à l’Occident, au Midi ou au Septentrion, avec quelque vent que ce soit ; jamais l’aiguille marine qui doit régler sa route ne regardera que l’étoile du Pôle.

Que tout se renverse autour de nous et en nous-mêmes ; c’est-à-dire, que notre âme soit triste ou en joie, dans l’amertume ou dans la consolation, en paix ou en trouble, dans les ténèbres ou dans la lumière, dans la tentation ou dans le repos, dans le goût de la dévotion ou dans le dégoût, dans l’état de la sécheresse ou dans celui d’une tendre dévotion ; qu’elle soit comme une terre, ou brûlée par le soleil, ou rafraîchie par la rosée ; ah ! il faut toujours que notre cœur, notre esprit et notre volonté tendent invariablement et continuellement à l’amour de Dieu son créateur, son Sauveur, son unique et son souverain bien. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, dit l’Apôtre, nous sommes à Dieu ; et qui nous séparera de son amour ? Non, jamais rien ne nous en séparera, ni la tribulation, ni l’angoisse, ni la mort, ni la vie, ni la douleur présente, ni la crainte des accidens futurs, ni les artifices du malin esprit, ni l’élévation des consolations, ni l’humiliation des afflictions, ni la tendresse de la dévotion, ni la sécheresse du cœur ; rien de tout cela ne nous doit jamais séparer de la sainte charité qui est fondée en Jésus-Christ.

Cette résolution si absolue de ne jamais abandonner Dieu, ni son doux amour, sert de contrepoids à nos âmes, pour leur donner une sainte égalité parmi les variétés de tant d’accidens qui sont attachés à notre vie ; car comme les abeilles surprises du vent prennent de petites pierres pour se pouvoir balancer en l’air et résister plus facilement à son agitation, ainsi notre âme s’étant consacrée à Dieu par une vive résolution de l’aimer, subsiste toujours la même parmi les vicissitudes des consolations et des afflictions, soit spirituelles ou temporelles, soit intérieures ou extérieures.

Mais, outre cette instruction générale, nous avons besoin de quelques règles particulières. 1. Je dis donc que la dévotion ne consiste pas en cette suavité, ni consolation sensible, et douce tendresse du cœur qui excitent les larmes et les soupirs, et qui nous font de nos exercices spirituels, une occupation agréable. Non, Philothée, la dévotion et ces douceurs ne sont pas une même chose ; parce qu’il y a beaucoup d’âmes qui les ayant, ne laissent pas d’être fort vicieuses, et qui par conséquent n’ont aucun vrai amour de Dieu, et beaucoup moins aucune vraie dévotion. Saül poursuivant le pauvre David jusques dans les déserts pour le faire périr, entra seul en une caverne, où David, qui y étoit caché avec ses gens, eût pu facilement s’en défaire ; mais il ne voulut pas seulement lui en donner la peur : il se contenta, après l’avoir laissé sortir tranquillement, de l’appeler pour lui faire connoître ce qu’il auroit pu faire, et pour lui donner encore cette preuve de son innocence. Hé bien ! que ne fit pas Saül pour marquer à David que son cœur étoit attendri ? il l’appela son enfant, il pleura tendrement, il le loua de sa débonnaireté, il pria Dieu pour lui, il publia tout haut qu’il régneroit après sa mort, et lui recommanda sa famille. Pouvoit-il faire paroître une plus grande douceur et tendresse de cour ? Cependant son cœur n’étoit pas changé, et il ne laissa pas de continuer à persécuter cruellement David. Il se trouve aussi des personnes, qui, considérant la bonté de Dieu et la passion du Sauveur, sentent de certains attendrissemens de cœur, qui leur font jeter beaucoup de soupirs et verser bien des larmes parmi des prières et des actions de grâces fort sensibles ; si bien qu’on diroit qu’elles ont l’âme pénétrée d’une grande dévotion. Mais quand on en vient à l’épreuve, l’on voit que, comme les pluies d’un été bien chaud, lesquelles sont passagères, tombent à grosses gouttes sur la terre, ne la pénètrent point, et ne servent qu’à produire des champignons ; l’on voit, dis-je, que ces larmes si tendres tombant sur un cœur vicieux, et ne le pénétrant point, lui sont tout-à-fait inutiles ; car ces gens-là n’en relâcheroient pas un seul liard de tout le bien qu’ils possèdent injustement, ne renonceroient pas à la moindre de leurs mauvaises inclinations, et ne souffriroient pas la moindre incommodité pour le service de Jésus-Christ, sur qui ils ont pleuré ; et tous ces bons mouvemens de leur cœur n’ont été que de faux sentimens de dévotion, semblables aux champignons, qui ne sont qu’une fausse production de la terre. Or, ce qui est plus déplorable, c’est qu’une âme trompée par les artifices de l’ennemi, s’amuse de ces menues consolations, et en demeure si satisfaite, qu’elle n’aspire plus à la vraie et solide dévotion, qui consiste en une volonté constante prompte et active, de faire ce que l’on sait qui plait à Dieu.

Un enfant pleurera tendrement s’il voit donner un coup de lancette à sa mère pour la saigner ; mais si en même temps sa mère lui demande une bagatelle qu’il tient en sa main, il ne la lui donnera pas. Telles sont la plupart de nos tendres dévotions, lorsque voyant le cœur de Jésus-Christ crucifié, percé d’un coup de lance, nous versons beaucoup de larmes. Hélas ! Philothée, c’est bien fait de pleurer sur la mort et passion douloureuse de notre Père et de notre Rédempteur ; mais pourquoi donc ne lui donnons-nous pas notre cœur et notre amour, que ce cher Sauveur nous demande ? que ne lui sacrifions-nous ces inclinations, ces satisfactions, ces complaisances qu’il nous veut arracher du cœur, et dont nous aimons mieux faire nos délices que de sa sainte grâce ? Ah ! ce sont-là des amitiés d’enfans, tendres, il est vrai, mais foibles, mais fantasques, mais sans effet, et qui ne procèdent que d’une complexion molle et susceptible des mouvemens qu’on veut lui faire prendre, ou quelquefois des impressions artificieuses de l’ennemi sur notre imagination.

2. Ces affections tendres et douces sont cependant quelquefois utiles ; car elles donnent à l’âme le goût de la piété, confortent l’esprit, et ajoutent à la promptitude de la dévotion une sainte gaité, qui rend nos actions plus belles et plus agréables, même à l’extérieur ; c’est ce goût que l’on a des choses divines, sur lequel David s’écrioit : O Seigneur ! que vos paroles ont de douceur pour moi ! elles sont plus douces à mon cœur que le miel à ma bouche. Certes, la plus petite consolation que nous recevons de la dévotion, vaut mieux en tout sens que les plaisirs du monde les plus exquis. C’est ce lait qui nous représente les faveurs du divin Époux, et que l’Écriture préfère au plus excellent vin : qui en a goûté une fois, ne trouve plus que du fiel et de l’absynthe en toutes les consolations humaines. Oui, comme ceux qui ont un peu de l’herbe scitique en la bouche, en reçoivent une si grande douceur, qu’ils n’ont ni faim ni soif : de même ceux à qui Dieu a donné la manne des consolations célestes et intérieures, ne peuvent plus ni désirer ni recevoir celles de la terre, du moins pour y prendre goût et en occuper leur cœur. Ce sont des petits avant-goûts des suavités immortelles que Dieu donne aux âmes qui le cherchent, comme une mère attire son enfant avec les douceurs, ou comme un médecin fortifie le cœur d’une personne foible par des eaux cordiales : et ce sont aussi quelquefois des arrhes de la récompense éternelle de leur amour. On dit qu’Alexandre le Grand, étant sur mer, jugea qu’il n’étoit pas éloigné de l’Arabie heureuse, par la douce odeur dont l’air étoit pénétré ; ce qui lui servit beaucoup à encourager toute sa flotte : et voilà comme les suavités de la grâce, parmi tous les orages de cette vie mortelle, nous font pressentir les délices ineffables de la céleste patrie à laquelle nous aspirons.

3. Mais, direz-vous, puisqu’il y a des consolations sensibles qui sont bonnes et viennent de Dieu, et qu’il y en a d’autres inutiles, dangereuses, et même pernicieuses, qui viennent ou de notre complexion, ou de notre ennemi, comment en pourrai-je faire le discernement ?

C’est un principe général, Philothée, que nous pouvons connoître nos passions par leurs effets, comme l’on connoît les arbres par leurs fruits ; le cœur qui a de bonnes inclinations est bon, et les inclinations sont bonnes, si elles produisent de bonnes œuvres. Concluez de ce principe, que si les consolations nous rendent plus humbles, plus patiens, plus charitables, plus sensibles aux peines du prochain, plus traitables, plus fervens à mortifer nos passions, plus attachés à nos exercices, plus disposés à l’obéissance, plus simples en notre conduite ; concluez, dis-je, Philothée, qu’indubitablement elles viennent de Dieu ; mais si ces douces tendresses n’ont de la douceur que pour nous, et qu’elles nous rendent curieux, aigres, pointilleux, impatiens, opiniâtres, fiers, présomptueux, durs au prochain, et que, pensant être déjà de petits saints, nous ne voulions plus souffrir de direction, ni de correction ; concluez qu’indubitablement ce sont des consolations fausses et pernicieuses : un bon arbre ne produit que de bons fruits.

4. Quand nous aurons ces douces consolations, il faut premièrement nous humilier beaucoup devant Dieu : gardons-nous bien de dire pour ces douceurs : ô que je suis bon ! Non, Philothée, ce ne sont pas des biens qui nous rendent meilleurs : car, comme je l’ai dit, la dévotion ne consiste pas en cela ; mais disons : O que Dieu est bon à ceux qui espèrent en lui, à l’âme qui le cherche ! Qui a du sucre en sa bouche, ne peut pas dire que sa bouche soit douce ; bien qu’aussi cette consolation si douce soit fort bonne, et que Dieu qui vous la donne soit très-bon, il ne s’ensuit pas que celui qui la reçoit soit bon. 1. Reconnoissons que nous sommes encore de petits enfans qui avons besoin de lait, comme dit St. Pierre, parce que foibles et délicats que nous sommes, nous ne pouvons pas porter une nourriture plus solide, et qu’il nous faut quelque douceur pour nous attirer à l’amour de Dieu. 2. Après cette humiliation de nous-mêmes, estimons beaucoup ses grâces ; non pas pour ce qu’elles sont en elles-mêmes, mais parce que c’est la main de Dieu qui les opère en notre cœur : car, si un enfant avoit de la raison, il estimeroit beaucoup plus les caresses de sa mère qui lui met les douceurs en la bouche, que ces douceurs mèmes. Ainsi, Philothée, c’est beaucoup d’avoir ces douces consolations ; mais c’est beaucoup plus que Dieu veuille appliquer sa main infiniment amoureuse sur notre cœur, sur notre esprit, sur toute notre âme, pour les y opérer. 3. Après les avoir reçues avec humilité et avec estime, faisons-les servir aux intentions de celui qui nous les donne ; c’est justement pour nous communiquer la suavité d’esprit envers le prochain, et nous inspirer un plus doux amour pour lui-même. Nous devons donc avoir ce jour-là plus d’attention à observer ses commandemens, à faire ses volontés, et à suivre ses désirs.

5. Il faut outre cela renoncer de temps en temps à ces douces et tendres dispositions, détachant notre cœur du plaisir qui lui en revient, et protestant qu’encore que nous les acceptions avec humilité, et que nous les aimions comme des dons de Dieu et des attraits de son amour, nous ne cherchons pourtant ni la consolation, mais le consolateur ; ni la douceur, mais le doux esprit de Dieu ; ni la tendresse sensible, mais celui qui fait les délices du ciel et de la terre ; que nous ne cherchons en un mot que Dieu seul et son saint amour ; prêts de nous tenir à ce saint amour de Dieu, quoiqu’il ne dût jamais nous en revenir aucune consolation durant notre vie, indifférens à dire également sur le Calvaire ou sur le Thabor : O Seigneur ! il m’est bon d’être avec vous, quelque part que vous soyez soit sur la croix, soit en votre gloire.

6. Enfin, je vous avertis que si ces consolations, ces sensibilités et ces larmes de joie étoient si abondantes, et qu’il vous arrivât quelque chose d’extraordinaire en cet état, vous en confériez fidèlement avec votre Directeur, pour apprendre la manière de vous en servir et de vous y modérer ; car il est écrit : Si vous trouvez du miel, n’en mangez que ce qui vous suffit.


CHAPITRE XIV.
Des sécheresses et stérilités spirituelles.


CE temps si beau et si agréable ne durera pas toujours, Philothée : vous perdez quelquefois si fort le goût et le sentiment de la dévotion, que votre âme vous paroîtra comme une terre déserte et stérile, où vous ne verrez plus ni chemin ni sentier pour aller à Dieu : et où les eaux salutaires de la grâce ne couleront plus pour l’arroser dans le temps de la sécheresse, qui la réduira toute en friche et la désolera entièrement. Hélas ! que l’âme en cet état est digne de compassion, surtout quand ce mal est véhement : car alors, comme David, elle se nourrit de larmes jour et nuit, tandis que l’ennemi lui dit par dérision, pour la jeter dans le désespoir : ah misérable ! où est ton Dieu ? quel chemin prendras-tu pour le trouver ? qui te pourra jamais rendre la joie de sa sainte grâce ?

Que ferez-vous donc en ce temps-là, Philothée ? Allez à la source du mal : souvent ces stérilités et ces sécheresses tirent leur origine de notre propre fonds.

1. Comme une mère ôte le sucre à son enfant qui est sujet aux vers ; ainsi Dieu nous prive des consolations de sa grâce, lorsqu’une vaine et présomptueuse complaisance, qui est le ver du cœur, commence à s’y former. Il m’est avantageux, ô mon Dieu, que vous ayez humilié mon âme, disoit le Prophète Royal ; car avant que vous l’eussiez humiliée, je vous avois offensé.

2. Quand nous négligeons de faire un bon et prompt usage des suavités et des délices de l’amour de Dieu, il les retire ; et notre négligence est punie comme celle des Israélites paresseux, qui n’ayant pas ramassé la manne de bon matin, la trouvoient toute fondue après le soleil levé.

3. L’Épouse des Cantiques couchée mollement en son lit, ne voulut pas s’incommoder pour aller ouvrir la porte à son Époux, et elle perdit la douceur de sa présence ; et voilà ce qui nous arrive : plongés que nous sommes dans beaucoup de satisfactions sensuelles et passagères, nous ne voulons pas nous en priver pour aller à nos exercices spirituels ; Jésus-Christ, qui demande l’entrée de notre cœur par son inspiration, nous appelle. C’est pourquoi il se retire, et nous laisse croupir dans notre assoupissement ; et puis quand nous voulons le chercher, nous avons bien de la peine à le trouver : peine qui est une juste punition de l’infidèle mépris que nous avons fait de son amour, pour suivre l’attrait de celui du monde. Ah ! pauvre âme, vous avez fait provision de farine d’Égypte, vous n’aurez point le manne du ciel. Les abeilles haïssent toutes les odeurs artificielles ; et les suavités du Saint-Esprit sont incompatibles avec les délices artificieuses du monde.

4. La duplicité et les finesses dont on use dans les confessions et dans les communications spirituelles qu’on a avec son Directeur, attirent les sécheresses et les stérilités, puisqu’il est juste qu’ayant menti au Saint-Esprit, on soit privé de ses consolations. Vous ne voulez pas aller à votre père céleste avec la simplicité et la sincérité d’un enfant, vous n’aurez pas les douceurs qu’un père donne à ses enfans,

5. Votre cœur s’est rempli et rassasié des plaisirs du monde : faut-il vous étonner que vous ayiez du dégoût des délices spirituelles : et l’ancien proverbe ne dit-il pas que les colombes qui sont pleinement rassasiées trouvent les cerises amères ? Dieu a rempli de ses biens ceux qui étoient affamés, dit la sainte Vierge, et il a laissé mourir les riches de faim : parce que ceux qui jouissent des plaisirs mondains, ne sont pas capables de goûter les spirituels.

6. Avez-vous bien conserve le fruit des premières consolations ? vous en aurez ; car l’on donnera à celui qui a déjà quelque chose : à l’égard de celui qui n’a pas ce qu’on lui a donné, parce qu’il l’a perdu, on lui ôtera même ce qu’il n’a pas, c’est à-dire, qu’on le privera des autres grâces qui lui étoient préparées. Il « st vrai, la pluie vivifie les plantes qui ont encore de la verdeur ; mais elle détruit même et consume entièrement celles qui n’en ont plus.

C’est donc pour ces raisons et autres semblables, que nous perdons les consolations du service de Dieu, et que nous tombons en cet état de sécheresse et de stérilité d’esprit ; et nous devons nous bien examiner sur ces défauts, mais sans inquiétude ni curiosité. Si après un examen raisonnable, nous trouvons en nous quelque source de ce mal, il en faut remercier Dieu, d’autant que le mal est à moitié guéri, quand on en a découvert le principe. Si au contraire, vous n’apercevez en vous aucune cause de cette sécheresse, ne vous amusez pas davantage à la rechercher, et observez en toute simplicité ce que je vous dirai ici.

1. Humiliez-vous profondément devant Dieu, dans la connoissance de votre néant et de votre misère, en lui disant : hélas ! que suis-je, quand je suis à moi-même ? rien, Seigneur, qu’une terre desséchée et ouverte de toutes parts, qui a un extrême besoin de pluie, et que le vent réduit en poussière.

2. Invoquez le Saint nom de Dieu, et lui demandez la suavité de sa grâce. Rendez-moi, Seigneur, la joie salutaire de votre esprit : mon père, s’il est possible, éloignez ce calice de moi : vous Jésus, qui avez imposé silence aux vents et à la mer, arrêtez cette bise infructueuse qui dessèche mon âme, et m’envoyez ce vent agréable et vivifiant du Midi que demandoit votre Épouse, pour répandre partout la bonne odeur des plantes aromatiques de son jardin.

3. Allez à votre Confesseur, ouvrez-lui votre cœur, faites-lui bien voir les replis de votre âme, et suivez ses avis avec une humble simplicité ; car Dieu qui aime infiniment l’obéissance, bénit souvent les conseils qu’on reçoit du prochain, et surtout de ceux qu’il a établi pour conduire les âmes, même sans une grande espérance d’un heureux succès. C’est ce qui arriva à Naaman, qui fut guéri de la lèpre en se baignant dans le Jourdain, comme le Prophète Élisée lui avoit ordonné, sans aucune raison qui parût naturellement bonne.

4. Mais, après tout cela, rien n’est si utile que de ne pas désirer avec empressement et attachement la fin de sa peine, et de s’abandonner entièrement à la providence de Dieu, pour la porter autant qu’il lui plaira. Disons donc parmi les simples désirs que nous pouvons nous permettre, et au milieu des épines que nous sentons : O mon Père ! s’il est possible, retirez ce calice de moi ! mais ajoutons avec beaucoup de courage : cependant que votre volonté soit faite, et non pas la mienne ; et arrêtons-nous là avec le plus de tranquillité que nous pourrons. Dieu nous voyant dans cette sainte indifférence, nous consolera par ses grâces les plus nécessaires : de la même manière qu’ayant vu Abraham déterminé à lui sacrifier son fils, il se contenta de celle résignation à sa volonté, et le consola par une vision très-agréable, et par sa bénédiction qu’il lui donna pour toute sa postérité. Nous devons donc en toutes sortes d’affliction, soit corporelles, soit spirituelles, et parmi les distractions ou les privations de la dévotion sensible, dire de tout notre cœur, et avec une profonde soumission : le Seigneur m’avoit donné des consolations, le Seigneur me les a ôtées ; son saint nom soit béni. Et si nous persévérons en cette humble disposition, il nous rendra ses grâces délicieuses ; c’est ce qu’il fit à Job, qui parla toujours ainsi en toutes ses désolations.

5. Enfin, ne perdons point courage, Philothée, en ce fâcheux état ; mais, attendant avec patience le retour des consolations, suivons notre chemin, n’omettons aucun exercice de dévotion, multiplions même nos bonnes œuvres, offrons à notre divin Époux notre cœur, tout sec qu’il est ; il lui sera aussi agréable, que s’il se sentoit fondre en suavités, pourvu qu’il soit sincèrement déterminé à aimer Dieu.

L’on dit que quand le printemps est beau, les abeilles travaillent beaucoup plus à faire du miel, et se multiplient moins ; et que quand il est rude et nébuleux, elles se multiplient davantage, et font moins de miel. Il arrive ainsi et souvent, Philorhée, que l’âme se voyant à ce beau printemps des consolations célestes, elle s’amuse si fort à les goûter, que dans l’abondance de ces délices spirituelles, elle fait beaucoup moins de bonnes œuvres ; et au contraire, lorsqu’elle se voit privée des dispositions si douces de la dévotion sensible, elle multiplie ses œuvres et s’enrichit de plus en plus des vraies vertus, qui sont la patience, l’humilité, l’abjection de soi-même, la résignation et l’abnégation de son amour-propre.

C’est donc un grand abus en plusieurs personnes, et principalement parmi les femmes, de croire que le service que nous rendons à Dieu sans goût, sans tendresse de cœur, soit moins agréable à sa divine Majesté : puisque comme les roses, qui étant fraîches en paroissent plus belles, ont cependant plus d’odeur et de force quand elles sont sèches ; de même, bien qu’une vive tendresse de cœur nous rende à nous-mêmes nos œuvres plus agréables, parce que nous en jugeons par la délectation qui nous en revient, elles sont pourtant d’une meilleure odeur pour le Ciel, et d’un plus grand mérite devant Dieu en cet état de sécheresse spirituelle. Oui, Philothée, notre volonté se porte en ce temps au service de Dieu, en surmontant toutes ses répugnances. Par conséquent, il faut qu’elle ait plus de force et de constance que dans le temps d’une dévotion sensible.

Ce n’est pas une grande louange que de servir un Prince parmi les délices de la paix et de la cour ; mais le servir en un temps de trouble et de guerre, c’est une vraie marque de fidélité et de constance. La bienheureuse Angèle de Foligny dit que l’oraison la plus agréable à Dieu, est celle qui se fait par contrainte ; c’est-à-dire, celle que nous faisons non pas avec goût et par inclination, mais en nous violentant sur la répugnance que la sécheresse de notre cour nous y fait trouver. J’en dis de même de toutes les bonnes œuvres : car plus nous y trouvons de contradictions, soit intérieures, soit extérieures, plus elles ont de mérites devant Dieu. Moins il y a de notre intérêt particulier en la pratique des vertus, plus la pureté de l’amour divin y éclate. L’enfant baise aisément sa mère, quand elle lui donne du sucre ; mais ce seroit une marque qu’il l’aimeroit beaucoup, s’il la baisoit après qu’elle lui auroit donné de l’absynthe ou du chicotin.


CHAPITRE XV.

Exemple remarquable, pour servir d’éclaircissement à cette matière.


MAIS pour rendre toute cette instruction plus sensible, je veux rapporter ici un fort bel endroit de la vie de St. Bernard, tel que je l’ai lu dans un Auteur également savant et judicieux : il est, dit-il, ordinaire presque à tous ceux qui commencent à servir Dieu, et qui n’ont point encore l’expérience des vicissitudes que porte la vie spirituelle, que quand le goût de la dévotion sensible leur manque, et qu’ils perdent l’agréable lumière à la faveur de laquelle ils couroient dans les voies du Seigneur, ils perdent tout d’un coup haleine, et tombent en une triste pusillanimité de cœur : et voici la raison qu’en donnent ceux qui ont une grande expérience de la conduite des âmes. L’homme ne peut long-temps subsister sans aucun plaisir, qui lui vienne, soit de la terre, soit du Ciel : or, comme les âmes qui se sont élevées au-dessus d’elles-mêmes par l’essai des plaisirs supérieurs à la nature, renoncent facilement aux biens visibles et sensibles ; il arrive aussi que quand Dieu les prive de la joie salutaire de son Esprit, dépourvues qu’elles sont des consolations temporelles, et n’étant point encore faites à attendre avec patience le retour du Soleil de justice, il leur semble qu’elles ne sont ni dans le Ciel ni sur la terre, et qu’elles demeureront ensevelies dans une nuit perpétuelle ; si bien que semblables à des enfans que l’on a sevrés, elles languissent, elles gémissent, elles deviennent ennuyeuses et importunes à tout le monde, et principalement à elles-mêmes : c’est justement ce qui arriva dans un voyage de St. Bernard, à un de ses Religieux, nommé Geoffroy de Perronne, qui depuis peu de temps s’étoit consacré au service de Dieu ; car comme il fut soudainement privé de toute consolation, et rempli de ténèbres spirituelles, il commença à se rappeler l’idée de ses amis du monde, de ses parens et de ses biens ; mais ce souvenir fut suivi d’une tentation si violente, qu’un de ses plus confidens s’en aperçut par ses manières extérieures, et l’ayant adroitement abordé, lui dit en secret et avec beaucoup de douceur : Que veut dire ceci, Geoffroy ? d’où vient que je vous trouve contre votre ordinaire si rêveur et si triste ? Alors il lui répondit avec un profond soupir : ah ! mon frère, jamais de ma vie je n’aurai de joie. Sur quoi son ami touché de compassion, et d’un vrai zèle de charité fraternelle, s’en alla promptement en donner avis à leur Père commun saint Bernard : aussitôt le Saint entra dans une Église prochaine, afin de prier Dieu pour ce pauvre affligé, qui étant accablé de tristesse, se jeta sur une pierre et s’y endormit ; mais après un peu de temps, le saint Abbé sortit de l’Église, et son Religieux s’éveilla, avec un visage si riant et un air si tranquille, que son ami étonné d’un changement si grand et si prompt, ne put s’empêcher de lui reprocher doucement ce qu’il lui avoit répondu un peu auparavant ; et sur cela Geoffroy lui répliqua : Si je vous ai dit que jamais de ma vie je n’aurois de joie, je vous assure maintenant que jamais de ma vie je n’aurai de tristesse.

Voilà quel fut le sujet de cette tentation ; mais, Philothée, faisons sur cela quelques réflexions bien nécessaires. 1.° Dieu fait goûter ordinairement les délices du Ciel à ceux qui entrent dans son service, pour les dégager des plaisirs du siècle, et pour soutenir leur cœur dans les voies de son amour, comme une mère se sert du miel pour accoutumer son petit enfant à la mamelle. 2.° Cependant Dieu leur ôte quelquefois le lait et le miel après un certain temps, selon les sages dispositions de sa miséricorde, afin de les faire à une nourriture plus solide, c’est-à-dire, afin de fortifier leur dévotion par l’épreuve des dégoûts et des tentations. 3. Il s’élève quelquefois de grandes tentations parmi les sécheresses ou stérilités d’esprit, et il faut les bien distinguer : car l’on doit combattre constamment les tentations, puisqu’elles ne sont pas de Dieu ; mais il faut souffrir patiemment les sécheresses, puisque Dieu prétend qu’elles nous servent d’exercice. 4.° Nous ne devons pas nous laisser abattre par les dégoûts intérieurs, ni dire comme le bon Geoffroy, jamais je n’aurai de joie, puisque durant la nuit nous devons attendre la lumière : et réciproquement, il ne faut pas dire durant les beaux jours de la vie spirituelle, je n’aurai jamais de tristesse, puisque le Sage nous donne cet avis : En jouissant des biens que vous fournit le jour heureux où vous vous trouverez, précautionnez-vous contre le jour malheureux qui le suivra. L’on doit donc bien espérer dans les peines, et craindre dans les prospérités ; et en l’un et l’autre état, il se faut toujours humilier. 5. C’est un souverain remède de découvrir son mal à quelque ami sage et spirituel, qui nous puisse soulager.

Enfin, pour conclure cet avertissement si nécessaire, j’observe qu’en ceci, comme en toutes choses, notre bon Dieu et notre ennemi ont des prétentions bien contraires ; car Dieu nous veut conduire par ces peines à une grande pureté de cœur, à un parfait désintéressement surtout de ce qui est de son service, et à un dépouillement universel de nous-mêmes. Mais le malin esprit tâche de nous faire perdre le cœur, de nous attirer aux plaisirs sensuels, et de nous rendre ennuyeux à nous-mêmes et aux autres, afin de décrier et de déshonorer la sainte dévotion ; mais si vous observez les enseignemens que je vous ai donnés, vous vous perfectionnerez beaucoup en l’exercice des afflictions intérieures, dont il faut que je vous dise encore ce petit mot avant que de finir. Elles proviennent quelquefois de l’indisposition du corps, que l’excès des veilles, des travaux et des jeûnes, a accablé de lassitude, d’assoupissement, de pesanteur et d’autres semblables infirmités, qui ne laissent pas d’incommoder fort l’esprit par la raison de son étroite liaison avec le corps : or il faut toujours en ces occasions se servir le plus que l’on peut de la pointe de l’esprit et de la force de la volonté, pour faire beaucoup d’actes de vertus ; car bien que l’âme semble être accablée d’assoupissement et de lassitude, néanmoins ce qu’elle peut encore faire ne laisse pas d’être fort agréable à Dieu ; et nous pouvons dire en ce temps-là, comme son Épouse sacrée : Je dors, mais mon cœur veille ; et s’il y a moins de goût, comme j’ai dit, à travailler de la sorte, il y a plus de mérite et de vertu ; mais le remède salutaire, c’est de soulager le corps, et de réparer ses forces pas une honnête récréation : ainsi saint François ordonnoit à ses Religieux de modérer si bien leurs travaux, que la ferveur de l’esprit n’en fût pas accablée. Ce glorieux Père fut une fois lui-même attaqué et agité d’une si profonde mélancolie, qu’il ne pouvoit s’empêcher de la faire paroitre à l’extérieur ; s’il vouloit converser avec ses Religieux, il ne le pouvoit ; et s’il s’en séparoit, il s’en trouvoit plus mal : l’abstinence et la macération de la chair l’accabloient, et l’Oraison ne le soulageoit nullement. Il fut deux ans en un état si fâcheux, qu’il lui sembloit que Dieu l’avoit abandonné ; mais après cette rude tempête qu’il soutint humblement, le Sauveur lui rendit en un moment une heureuse tranquillité.

Apprenons de là, que les plus grands serviteurs de Dieu sont sujets à ces épreuves, et que les autres ne doivent pas s’étonner, si quelquefois il leur en vient de pareilles.