Introduction à la vie dévote (Brignon)/Maximes chrétiennes

Texte établi par Jean BrignonCuret (p. 441-446).


MAXIMES CHRÉTIENNES

DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.
ENVERS DIEU.


1. IL ne faut jamais parler de Dieu, ni des choses qui regardent son service, comme par manière d’acquit, de devis, ou d’entretien, mais toujours avec un grand respect et un humble sentiment.

2. L’on demande des secrets pour s’avancer à la perfection ; je n’en sais point d’autre que celui-ci, à savoir, d’aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même.

3. A qui Dieu est, tout le monde ne doit être rien.

4. Il faut craindre les Jugemens de Dieu, sans découragement, et il se faut encourager sans présomption.

5. Le moyen d’être simple, est de tenir son cœur proche de Dieu qui est un esprit très-simple.

6. Tenez votre vue ramassée en Dieu et en vous ; vous ne verrez jamais Dieu sans bonté, ni vous sans misère.

7. Il ne faut en ces actions regarder que ce que Dieu veut, et le reconnoissant, essayer de le faire gaîment, au moins courageusement ; et non-seulement cela, mais il faut aimer cette volonté de Dieu.

8. Il faut demeurer en l’oraison, soit en regardant Dieu, soit en regardant quelque chose pour lui, ou même ne regardant rien ; mais simplement demeurant ou il nous a mis, comme une statue dans une niche.

9. Ne regardez jamais à la substance des choses, mais l’honneur qu’elles ont d’être agréables à Dieu.

10. Soyons ce que Dieu veut, pourvu que nous soyons siens ; et ne soyons pas ce que nous voulons contre son intention.

11. Je suis et serai, et veux être à jamais à la merci de la Providence de Dieu, sans que je veuille que ma volonté y tienne rang que de suivante.

12. Dieu ne se plaît que dans les cœurs approfondis par l’humilité, avilis par la simplicité, élargis par la charité.

13. Je n’aime point qu’on dise, il faut faire ceci ou cela, parce qu’il y a plus de mérite : il faut tout faire pour la gloire de Dieu.

14. En l’exercice des tentations, il ne se faut point effaroucher, mais demeurer en une gaie et douce résignation à la volonté de Dieu.

15. Le grand profit de l’âme en la vertu, ne consiste pas à beaucoup penser à Dieu, mais à le beaucoup aimer.

16. Considérez souvent que Dieu vous regarde de son œil d’amour parmi vos plus grandes incommodités, pour voir comme vous vous comportez selon son gré. Faites donc élegamment la pratique de son amour en ces occasions.


Envers le Prochain.

1. L’AME de votre prochain est l’arbre du bien et du mal. Il est défendu d’y toucher ou d’en juger, sous peine d’être châtié, parce que Dieu s’en est réservé le jugement.

2. C’est une injustice spirituelle de vouloir savoir l’intérieur d’autrui, et ne vouloir rien dire du nôtre.

3. Quand nous exhortons le prochain à faire ce que nous ne faisons pas, il faut parler en qualité d’Ambassadeur envoyé de la part de Dieu.

4. Regardons notre prochain d’un œil simple et affectionné, sans éplucher ce qu’il fait, ni ce qu’il deviendra.

5. Faisons comme les abeilles, suçons le miel de toutes les fleurs, c’est-à-dire, voyons les belles qualités de notre prochain, excitons en nous un désir de les imiter.

6. Si nous lui connoissons quelques défauts, compatissons-y charitablement, et désirons ardemment de les corriger.

7. Il faut que l’amitié que l’on porte à son prochain, soit fondée sur les solides fondemens de la charité ; car elle sera bien plus ferme et constante que celle qui a son fondement en la chair, au rang et au respect humain.

8. Il faut nous aimer les uns les autres ici-bas en terre, comme nous nous aimerons dans le Ciel.

9. Les Païens aiment ceux qui les aiment ; mais les Chrétiens doivent exciter leur amitié à l’endroit de ceux qui ne les aiment pas.

10. Nous ne pouvons trop aimer notre prochain, ni excéder les termes de la raison ; mais quant au témoignage de cet amour, nous pourrons excéder.

11. Nous ne devons pas aimer notre prochain par inclination, ou parce qu’il est vertueux, ou par l’espérance que nous avons qu’il le deviendra, mais principalement parce que telle est la volonté de Dieu.

12. Le support des imperfections du prochain, est un des principaux points de l’amour que nous lui devons.

13. Notre-Seigneur répandant son sang en la Croix, a fait un ciment sacré, duquel il a voulu cimenter, unir, confondre et attacher toutes les pierres de son Église, (qui sont les Fidèles) les unes avec les autres.

14. Il faut aimer notre prochain jusques à ce point, de le préférer toujours à nous en toutes choses dans l’ordre de la sainte charité, ne lui refuser jamais rien que nous puissions contribuer à son utilité, excepté de nous damner.

15. Il faut témoigner que l’on aime son prochain, pourvu que la sainteté accompagne toujours les témoignages de l’amour.

16. Celui qui préviendra son prochain en bénédiction de douceur, sera le plus parfait imitateur de Notre Sauveur.


Envers Soi-même.

1. Celui qui mortifie davantage ses inclinations naturelles, attire davantage les inspirations surnaturelles.

2. Pour donner un bon maintien à notre âme, il lui faut commander de faire toutes ses actions en la présence de Notre-Seigneur.

3. Il faut vivre en ce monde comme si nous avions l’esprit au Ciel, et le corps au tombeau.

4. Si quelqu’un veut être content de sa médiocrité, qu’il ne considère pas ceux qui ont plus, mais seulement ceux qui ont moins que lui.

5. Quand on a commis quelques fautes, il se faut humilier devant Dieu, se relever à l’instant, et n’y penser qu’en lui confessant son péché.

6. Celui qui est vraiment humble, ne pense jamais qu’on lui fasse tort.

7. Nous ne devons pas nous dépouiller de nous-mêmes, afin de demeurer nus, mais afin de nous revêtir de Jésus-Christ crucifié.

8. Il faut bien reconnoître notre néant, mais il n’y faut pas demeurer ; car nous ne devons jamais nous anéantir, sinon pour nous unir à notre tout, qui est Dieu.

9. Il ne faut jamais s’estimer de soi, selon le jugement des hommes, d’autant que pour l’ordinaire il est flatteur.

10. Ne regardez jamais vos croix qu’à travers la Croix du divin-Sauveur, et vous les trouverez si douces, ou du moins si agréables, que vous aimerez plus la souffrance, que la jouissance de toutes le consolations du monde.

11. Quand il arrive quelque notable difficulté, ne remuez rien que vous n’ayez premièrement regardé l’éternité, que vous ne vous soyez mis en l’indifférence.

12. En la maison du juste tout y travaille : il n’y a rien d’inutile, il n’y a rien de paresseux.

13. Les tentations, quelles qu’elles soient, nous troublent, parce que nous y pensons trop et que nous les craignons trop. Les tentations ne sauroient troubler un esprit qui ne les aime pas.

14. Soyez bien-aise que le monde tienne compte de vous. S’il vous estime, moquez-vous-en joyeusement, et tirez de son jugement votre misère : s’il ne vous estime pas, consolez-vous joyeusement.

15. Il faut haïr nos défauts, mais d’une haine tranquille, et non point d’une haine défectueuse et troublée.

16, Regardez souvent à la durée de l’éternité, et vous ne vous troublerez point des accidens de la vie, de cette mortalité.


Fin de l’Introduction à la vie dévote.