Introduction à l’étude de la paléontologie stratigraphique/Tome 2/Chapitre VIII


CHAPITRE VIII


PREUVES DE L’EXISTENCE DE L’HOMME AVANT LES TEMPS HISTORIQUES.



Observations générales.

Il y a peu d’années encore nous eussions pu terminer, par les sujets traités dans le chapitre précédent, l’examen des faits de l’époque actuelle qui se rapportent directement ou indirectement à notre Cours ; mais des recherches entreprises récemment dans des voies nouvelles ont conduit à des résultats, peu complets sans doute, mais que nous devons néanmoins exposer, en mettant dans nos conclusions une réserve que commande tout ce qui reste à éclaircir.

Jusque dans ces derniers temps, la contemporanéité de l’homme avec les espèces éteintes de grands mammifères dont les débris sont enfouis dans les sables, les graviers et les cailloux qui remplissent le fond des vallées comme dans le limon des cavernes, avait été non-seulement révoquée en doute, mais encore niée complètement. Cuvier avait dit, il y a quarante ans : « L’homme fossile n’existe pas, » et il avait alors parfaitement raison dans le sens propre du mot tel que nous l’entendons ; mais il n’en fallut pas davantage pour que ses élèves et ses continuateurs répétassent cette assertion comme une vérité qui ne pouvait être mise en doute et que l’avenir ne pouvait infirmer, pour qu’ils élevassent à la hauteur d’un dogme ce qui n’était que l’expression pure et simple de l’état des connaissances à ce moment. On avait bien, il est vrai, signalé quelques exemples d’ossements humains ou de restes d’industrie humaine dans certaines cavernes de l’Europe et de l’Amérique du Sud, mais ils avaient été attribués à des mélanges accidentels, postérieurs aux dépôts dans lesquels se trouvaient les débris d’animaux éteints, ou bien à des erreurs d’observation, et la parole du maître conservait toute sa valeur, comme si une simple négation devait prévaloir contre des faits et arrêter la marche de la science. Mais ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’il ne s’éleva aucune opposition, lorsque, contrairement aussi à ce qu’avait dit Cuvier d’une manière très-péremptoire, on annonça la découverte de quadrumanes fossiles dans plusieurs terrains et dans plusieurs pays ; aussi pourrait-on croire que la question scientifique n’est pas la seule dont se préoccupent les personnes qui s’abritent ainsi derrière l’opinion de notre grand anatomiste.

Quoi qu’il en soit, l’attention des géologues a été appelée depuis quelque temps, non pas seulement sur l’existence d’ossements humains mélangés avec des restes d’espèces perdues, ce qui est encore un fait très-rare, mais sur la présence plus ou moins fréquente de pierres, ordinairement en silex, grossièrement taillées en forme de coin arrondi ou de hache, ou bien sous d’autres formes, au milieu de dépôts de transport des vallées, ayant tous les caractères de ceux de l’époque quaternaire.

Ces objets, par leur multiplicité sur certains points, leur ressemblance, leur identité même dans des pays fort éloignés, par l’impossibilité d’attribuer leurs formes à une autre cause qu’à la main de l’homme, ont fait naturellement conclure que l’espèce humaine avait apparu sur la terre avant la formation de ces dépôts et avait été par conséquent contemporaine des Éléphants, des Rhinocéros, des Hyènes, des Ours, des Hippopotames, du grand Cerf et autres espèces perdues qui s’y trouvent enfouies. Nous ajouterons toutefois que, excepté dans les cavernes dont les gisements n’ont pas toute la certitude ni toute la régularité des grands dépôts de sable et de cailloux des plaines et des vallées, aucun reste d’os humain n’avait été authentiquement trouvé associé à la fois à des traces d’industrie humaine et à des restes de grands mammifères éteints[1].

L’examen de cette question qui nous intéresse si vivement, puisqu’elle tend à faire remonter l’arrivée de l’homme sur la terre plus haut qu’on ne le pensait, appartient par conséquent à l’époque quaternaire, et nous en traiterons, en effet, lorsque nous nous occuperons des dépôts de cet âge. Mais il est arrivé qu’à peu près vers le même temps les archéologues de certains pays découvraient de leur côté de nombreux objets d’industrie humaine, de beaucoup antérieurs à toute tradition écrite, quoique certainement plus récents que les phénomènes diluviens, de sorte qu’il y a pour nous nécessité de connaître les caractères de ces objets travaillés, et surtout les circonstances dans lesquelles ils ont été et sont encore journellement recueillis, afin de pouvoir les comparer et de saisir les relations, s’il en a existé, entre les populations humaines qui auraient été antérieures aux dépôts de transport des vallées et celles qui sont venues ensuite.

On voit que l’archéologie, la géologie et la paléontologie se trouvent ici sur leurs limites respectives et qu’elles peuvent s’éclairer mutuellement. Nous ne devons donc négliger aucune des ressources que chacune d’elles peut nous offrir pour nous aider à résoudre le problème de l’origine de l’homme et de ses premiers établissements à la surface de notre planète. Pour cela nous examinerons successivement et comme appartenant encore à l’époque actuelle :

1° Les restes d’industrie humaine enfouis dans des dépôts marins aujourd’hui plus ou moins élevés au-dessus de la mer ;

2° Des amas de débris provenant du mode de nourriture des premières populations du nord de l’Europe ;

3° Les marais tourbeux du Danemark, dont les périodes de végétations successives, distinctes, servent de chronomètres naturels ;

4° Les habitations lacustres de divers pays, et particulièrement de la Suisse ;

5° Les ouvrages en terre des peuplades primitives de l’Amérique du Nord


§ 1. Reste d’industrie humaine dans les anciens dépôts marins.


Nous avons déjà signalé des plages soulevées dans la période actuelle, le long du littoral des îles Britanniques, de la Suède, de la Méditerranée, de la mer Rouge, sur le pourtour de plusieurs îles de la Nouvelle-Guinée, aux îles Sandwich, sur la plupart des côtes d’Amérique, etc., (antè, p. 306-312). Nous avons même cité des poteries et d’autres objets d’industrie humaine dans des roches de formation moderne, associés avec les coquilles qui vivent encore dans le voisinage, particulièrement sur les côtes de l’Afrique septentrionale et de la Grèce. Mais ces preuves de l’existence de l’homme, antérieures à ces dépôts, pouvaient être rapportées à une date historique plus ou moins ancienne, tandis qu’il n’en est pas de même des faits dont nous allons nous occuper et auxquels ne se rattache aucune tradition locale.
Écosse.

En 1848, M.. Robert Chambers publia un ouvrage intitulé Anciens bords de la mer, ou preuves des changements de niveau relatif de la mer et des terres, ouvrage dans lequel il rassembla de nombreuses preuves à l’appui de son opinion. Il avait constaté, particulièrement le long des côtes d’Écosse, l’existence d’un ancien niveau de la mer à 13m,50 au-dessus de son niveau actuel, et de plus un certain nombre de niveaux intermédiaires entre ce maximum et celui de nos jours. Peut-être l’auteur s’est-il un peu hâté de généraliser ses vues, mais tout semble concourir à les faire adopter au moins en principe. Les dépôts de sable, de gravier et de coquilles modernes qu’on remarque sur beaucoup de points du littoral des Iles Britanniques ne permettent pas de douter du peu d’ancienneté des changements de niveau dans diverses localités. Cependant, jusqu’en 1861 on n’avait guère de preuves que ces changements fussent contemporains de l’établissement des hommes dans le pays ; ou plutôt on n’avait pas appliqué à cette idée celles que le hasard avait fournies.

Le long des bords de la Clyde, à Glasgow, on remarque une sorte de terrasse, parfaitement nivelée, de largeur variable et à 7m,82 au-dessus de la haute mer. Elle est composée d’argile alluviale, de vase, de sable avec des lits de coquilles. C’est évidemment un dépôt d’estuaire, de sorte qu’on est en droit d’en conclure que le lit de la rivière et ses bords ont été élevés depuis sa formation, et, dit M. Geikis[2], si l’on trouve enfoui dans ce dépôt, sans aucune apparence de dérangement, des traces de l’industrie humaine, on sera autorisé à croire que l’élévation est contemporaine de l’homme.

Eh bien, depuis 80 ou 90 ans, 18 canots ont été retirés de ce dépôt, et quelques-uns mêmes sous les rues de la ville en faisant des fondations. Les découvertes les plus importantes eurent lieu lors de l’agrandissement et du creusement du port. On en tira 12 qui, à deux exceptions près, étaient faits chacun avec un tronc de chêne ; 2 avaient été creusés au moyen du feu, d’autres à l’aide d’instruments grossiers, tels que des haches en pierre. Quelques-uns, qui avaient été travaillés, évidemment avec des outils en fer, permettaient de suivre les progrès de la construction de ces canots depuis les temps les plus barbares jusqu’à un certain degré de civilisation. La profondeur moyenne à laquelle ces barques se trouvaient au-dessous de la surface du sol était de 5m,76, et elles étaient à 2m,12 au-dessus des plus hautes marées de nos jours. La dernière que l’on ait retirée de ce dépôt était sous l’emplacement d’un ancien hôtel de la ville, à 6m,70 au-dessus de la plus haute marée de la rivière. Elles étaient toutes à plus de 100 mètres en arrière de l’ancien bord de celle-ci et entourées d’une masse de sable épaisse et divisée en lits minces.

Deux de ces canots étaient construits avec des planches ; celui qui était le plus perfectionné dans toutes ses parties avait 5m,46 de long sur 1m,52 de large ; lorsqu’on le découvrit, il était renversé la quille en dessus et la proue tournée vers la rivière. Les planches étaient fixées à la membrure par des chevilles, et sans doute par des clous de métal dont les trous étaient carrés et dont on voyait encore l’empreinte de la tète à la surface du bois, mais tous avaient disparu. Celles des chevilles qui restaient étaient d’ailleurs fort ingénieusement travaillées et fixées. Quelques objets d’industrie ont été recueillis au fond de ces bateaux.

De la place qu’ils occupaient on ne pouvait pas conclure absolument ni leur contemporanéité ni leur ancienneté relative, à cause des circonstances très-variables de leur enfouissement dans un golfe où, comme l’embouchure de la Clyde, le mouvement des grandes marées déplace souvent les vases et les sables du fond avec les objets qu’ils renferment. Mais d’après leurs caractères, on peut juger que la plupart de ces barques appartiennent à l’époque primitive où les hommes de ces contrées n’avaient pas encore appris à travailler les métaux et ne connaissaient que les instruments de pierre les plus grossiers, tandis que quelques-unes datent d’une époque sans doute plus récente où déjà le bronze et le fer étaient employés.

Un bateau trouvé à Boukton, en 1853, dans les mêmes circonstances, avait la forme des galères de l’antiquité, et des restes de morceaux de liège qui étaient au fond ont fait penser à l’auteur que be pouvait être un bâtiment venu des bords du Tibre ou des côtes d’Italie. Néanmoins le soulèvement de tout l’estuaire de la Clyde, à 7 mètres au-dessus des plus hautes marées, est un fait évidemment postérieur à l’établissement de l’homme dans le pays.

Sur la côte orientale de l’île, dans le firth de Forth, on observe une zone d’alluvion soulevée, semblable à celle de la Clyde ; c’est particulièrement la plaine appelée Carse de Falkirk qui se trouve à 6 et 7m,50 au-dessus des hautes marées. Une autre plaine partant de Stirling, et désignée sous le nom de Carse de Stirling, suit les bords de la rivière l’espace de 16 à 18 milles. À diverses reprises, on a trouvé près de Stirling, à Dunmore, à Blair-Drummond, à 7 mètres au-dessus des plus hautes marées et dans l’intérieur des terres, des squelettes entiers de baleines. Sur ce dernier point, et à Airthrey, également dans la vase ou l’argile endurcie, on a rencontré des bois de Cerf perforés, deux harpons, dont l’un avait encore un manche en bois qui servait à le manier.

Les circonstances dans lesquelles tous ces restes ont été observés ne laissent point douter que le sol de cette région n’ait été soulevé, depuis l’arrivée de l’homme, comme celui des environs de Glasgow, et, en effet, les alluvions du Forth renfermaient des canots dont quelques-uns étaient semblables aux précédents. Ainsi on en a déterré, non loin de Falkirk, à 9 mètres de profondeur. Plus anciennement, dans la berge de la rivière Carron, à 4m,57 au-dessous du sol superficiel et recouvert de lits parfaitement réguliers d’argile, de tourbe, de coquilles et de gravier, gisait un canot de 11 mètres de long sur 1m,21 de large, bien travaillé dans toutes ses parties, formé d’un seul tronc de chêne avec l’éperon pointu ordinaire et la poupe carrée.

Le firth ou embouchure de la Tay, situé au nord du précédent, est aussi bordé de plaines unies, désignées sous le nom de Carse de Gowrie, et dont l’élévation au-dessus de la mer est la même que celle des plages soulevées de la Clyde et du Forth ; elle est aussi composée d’argile, de sable, de gravier et de lits de coquilles, témoignant d’un soulèvement récent de 6 à 9 mètres. On y a trouvé de même des preuves que ce phénomène est postérieur à l’établissement de l’homme. Un crochet de bateau en fer a été retiré de 2m,50 de profondeur dans un gravier parfaitement stratifié. Il provenait d’un bâtiment marchand ou peut-être d’un petit bâtiment de guerre de 3 ou 4 tonnes.

Les traditions du pays, les noms des parties élevées du sol rappelant toujours par leur étymologie une position insulaire, les caractères des objets trouvés dans le sol, comme la composition et la situation de celui-ci, tout concourt à démontrer que ces plaines de niveau ont été gagnées sur le domaine de la mer dans la période moderne et peut-être en partie depuis les temps historiques.

Suivant M. Smith de Jordan Hill, aucun changement relatif de niveau ne se serait produit depuis la construction de la muraille d’Antonin ; mais M. Geikis s’attache à faire voir que de la position qu’occupent aujourd’hui les extrémités de cette muraille on pourrait en déduire une élévation du sol, et il conclut à la fois des données archéologiques et des observations directes, que le soulèvement de ces côtes doit avoir eu lieu longtemps après l’établissement des hommes dans l’île, après l’introduction des instruments de métal et même de fer ; enfin il ne voit aucun motif pour qu’il ne soit pas regardé comme postérieur à l’occupation romaine qui marquerait la limite de son ancienneté.

Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéressait ici était l’existence de traces de l’homme paraissant être antérieures à l’usage des métaux et particulièrement du bronze, qui nous servira de chronomètre marquant un âge intermédiaire entre celui où les pierres seules étaient en usage et celui où le fer fut connu.

D’autres lignes indiquées par des plages soulevées s’observent encore sur la plus grande partie des côtes de l’Écosse, mais on n’a cité de produits d’industrie que dans les trois districts décrits par M. Geikis. Cette élévation se serait d’ailleurs également produite dans les parties centrales de l’île qui joignait celles dont nous avons parlé.
Scandinavie.

Dans son mémoire Sur les preuves d’une élévation graduelle du sol de certaines parties de la Suède[3], M. Lyell a d’abord rappelé que l’abaissement des eaux de la Baltique et même de tout l’Océan du Nord avait été signalé par Celsius, il y a plus de cent ans, et estimé alors à 40 pouces suédois (Om,989) par siècle. En 1802, Playfair pensa que ces changements devaient être attribués plutôt au sol qu’aux eaux, et L. de Buch émit la même opinion en 1807. Des observations faites ensuite régulièrement mirent le fait hors de doute, et M. Lyell en a trouvé de nouvelles preuves au pied du château de Calmar, et surtout autour de Stockholm.

Ainsi il a recueilli, dans des monticules de sable et de gravier stratifiés, des coquilles identiques avec celles qui vivent dans les mers actuelles, telles que le Cardium edule, la Tallina baltica et le Mytilus edulis. Cette dernière espèce forme à elle seule des bancs que sa décomposition colore en une teinte violette très-prononcée. Plusieurs de ces amas de coquilles se trouvent à 21 et même 27 mètres au-dessus du niveau actuel de la mer. Dans la vallée de Sœdertelje, dont les pentes sont de gneiss, le dépôt coquillier récent constitue une plate-forme horizontale de 21 mètres au-dessus du canal et qui offre la même disposition que celle des marnes sub-apennines.

En ouvrant les canaux qui font communiquer le lac Mœler avec la mer, on trouva plusieurs vaisseaux qui y étaient enterrés et qui paraissaient être d’une haute antiquité. Une colline. coupée pour creuser le canal inférieur, renfermait une habitation construite en bois, et qui fut découverte à 15 mètres de profondeur, ensevelie sous des sables, des argiles et du gravier stratifiés. D’après l’examen des lieux, le célèbre géologue anglais pense que cette cabane a été submergée par les eaux de la Baltique, à une profondeur de 19m,50, et que, avant d’être soulevée à sa hauteur actuelle qui se trouve à peu près au niveau de la mer, elle avait été recouverte de couches de plus de 18 mètres d’épaisseur totale.

Des strates argileux, avec Tellina baltica, ont été reconnus jusqu’à une distance de 80 milles des côtes, et les environs d’Upsal, qui, comme ceux de Stockholm, sont formés de granite et de gneiss, sont en partie recouverts par des dépôts plus récents et des blocs erratiques. On y voit également des ösars dirigés N. S., s’élevant à plus de 30 mètres au-dessus de la rivière et composés de couches minces de sable, d’argile et de gravier, tantôt horizontales, tantôt très-inclinées et traversées par des fissures verticales. Près du château d’Upsal et vers le haut de la colline, se trouvent des coquilles modernes placées entre des lits de gravier, et des blocs erratiques couronnent le sommet. C’est d’ailleurs la seule localité en Suède où M. Lyell ait observé des coquilles dans les ösars. Les caractères stratifiés de ces dépôts et la présence de ces coquilles intactes les lui font regarder comme résultant, non d’une débâcle venue du nord, mais d’une accumulation de sédiments formés au fond du golfe de Bothnie, parallèlement à l’ancienne, côte, et pendant le soulèvement successif du pays. La pente rapide des deux, côtés des ôsars résulterait aussi du mode de formation et non d’une dénudation postérieure ; enfin les blocs erratiques y auraient été déposés. par les glaces flottantes.

Le sol de la Finlande parait s’élever comme celui de la Suède, et l’on a trouvé près d’Abo, à 18 mètres au-dessus de la mer, une marne composée, comme celles de Stockholm et d’Upsal, de détritus des mêmes coquilles récentes.

Passant ensuite à l’examen des dépôts également peu anciens des côtes occidentales de la Scandinavie, M. Lyell y signale des coquilles très-différentes de celles dont on vient de parler sur les côtes de la Baltique, et, de la position des lieux où se trouvent les coquilles d’espèces récentes, tant de ce même côté de la Baltique, entre Gofle et Sœdertelje, que sur les côtes de l’Océan, entre Uddevalla et Gothenbourg, il conclut que l’espace existant entre les deux mers dans cette partie de la Suède était, à une époque comparativement moderne, beaucoup plus étroit qu’il ne l’est actuellement. Des coquilles semblables à celles d’Uddevalla ont été reconnues jusqu’à près de 50 milles dans l’intérieur des terres, à Tussenddalersbacken, près du lac Rograrpen, sur le bord occidental du lac Wener, etc., comme nous le dirons en traitant des dépôts quaternaires de ces pays[4]. En résumé, M. Lyell admet un soulèvement graduel, mais inégal, sur les divers points de la côte, et nul dans 1 le midi de la Scanie. Uélévation de 1 mètre par siècle°a été constatée à Lœfgrundet, à Marstrand, etc.

En 1837, M. Nilsson[5] fit connaître que la Scanie, partie méridionale de la Suède, paraissait avoir éprouvé, comme le Groenland, un mouvement d’abaissement pendant plusieurs siècles. Il n’y a point d’ailleurs, dans cette province, de dépôts coquilliers récents analogues à ceux du Danemark. Linné, vers 1749, avait mesuré, près de Talleborg, la distance d’une grande pierre à la mer ; aujourd’hui cette pierre se trouve de 30m,50 plus rapprochée de l’eau qu’elle ne l’était alors. Une tourbière, formée de plantes terrestres et d’eau douce, est actuellement sous la mer, dans un endroit où l’on ne peut pas supposer que ces végétaux aient été transportés par les rivières. Enfin, dans les villes maritimes de la Scanie, il y a des rues au-dessous du niveau de la mer, et, dans quelques cas, au-dessous des plus basses marées.

M. Eugène Robert[6] ne croit pas qu’il y ait un véritable abaissement du sol dans cette province, au moins suivant le sens qu’on attribue à ce mot, et les faits observés résulteraient, suivant lui, du tassement ou du déplacement du dépôt de transport. Mais, d’un autre côté, M. Domeyko[7] a signalé des documents historiques qui établissent d’une manière positive qu’une province, appelée Witlandu, est aujourd’hui recouverte par les eaux du golfe de Kœnigsberg. À l’époque de l’ordre Teutonique, elle se trouvait placée entre Pillau, Brandebourg et Bolga. M. Zeune[8] a réuni aussi quelques observations relatives à des points du pays et à des monuments élevés que l’on n’aperçoit plus de certaines positions, et vice versa, et il en a conclu des soulèvements et des affaissements du sol dans les provinces littorales du sud de la Baltique. Cependant ces résultats sont encore douteux à cause du manque de précision dans les moyens employés pour les constater.

M. Élie de Beaumont, dans son Instruction pour l’expédition du Nord[9], travail qui peut être regardé comme un résumé de tout ce que l’on sait sur les parties boréales de l’Europe, a fait remarquer que le changement de niveau actuel et le changement ancien étaient sans doute très-différents l’un de l’autre. L. de Buch, qui a toujours regardé les deux phénomènes. comme distincts, a démontré que l’élévation de la Suède était étrangère aux parties de la Norwége que recouvrent les couches coquillières dont nous venons de parler. Ainsi, il y a près de Luuroê des pierres runiques placées sur ces couches, si peu au-dessus de la mer, qu’il n’y aurait pas encore eu de fond pour poser ces pierres, qui sont d’une très-haute antiquité, si la règle de 1m,50 d’élévation par siècle, reconnue pour la Suède, était appliquée à la Norwége.

M. Keilhau[10] a décrit les dépôts d’argile et de sable coquilliers que l’on observe dans les fiords de ce dernier pays, et qui, s’étendant jusqu’à une certaine distance dans les terres, atteignent aujourd’hui une altitude de 182 et même de 243 mètres. Mais l’indépendance des phénomènes sur les côtes orientales et occidentales de la Scandinavie, et l’absence de preuves que, sur ce dernier côté, le soulèvement appartienne réellement à l’époque moderne ou historique, nous ont engagé à renvoyer l’étude de ces dépôts au temps où nous traiterons spécialement des plages soulevées (raised beachs), si nombreuses sur les côtes de l’ancien comme du nouveau monde et qui appartient à l’époque quaternaire. Nous ne nous occuperons donc ici que des soulèvements contemporains, prouvés par des observations directes ou par documents incontestables de l’industrie humaine.

À l’appui des mouvements inverses qui se manifestent dans le nord et le sud de la Suède, M. Forchhammer[11] a fait connaître que l’île de Saltholm n’a pas sensiblement changé depuis 600 ans, tandis que celle de Bornholm paraît s’être élevée de 1 pied par siècle, et que son soulèvement doit remonter à 1 600 ans. L’auteur signale ensuite, dans le Danemark, le Schleswig et le Holstein, des bancs de coquilles, sur lesquels nous reviendrons, leur contemporanéité ne paraissant pas bien établie ; mais des restes de l’industrie des habitants, recueillis dans les détritus charriés par les eaux sur les îles de la côte occidentale du Schleswig, et à 20 mètres au-dessus de la mer, ne permettent pas de douter qu’elles n’aient été soulevées depuis que ces îles ont commencé à être habitées.

La différence de la proportion du soulèvement, suivant les temps et les lieux, a été constatée aussi par M. Almloef[12], qui recherché les anciennes marques du niveau de la mer sur la côte, entre Haparanda et Sœderkoeping. Quoique la Baltique n’ait pas de marées, elle paraît être soumise à-des variations. périodiques dans la hauteur de ses eaux. Dans l’été de 1845, i suivant M. Beamish[13], un abaissement se serait manifesté d’une manière plus prononcée, et depuis lors elle n’aurait pas repris son ancien niveau. Ce phénomène pourrait être en rapport avec le soulèvement de la côte de la Suède, qui est peu régulier, comme nous l’avons dit, mais qui, d’après le même observateur, serait plus considérable qu’on ne l’avait admis d’abord, malgré l’immobilité de la Norwége depuis les temps historiques. M. Haagen[14] pense que l’abaissement continu des eaux s’étend à tout le périmètre de la Baltique.

Dans son discours à la Société géographique de Londres[15], sir R. Murchison a signalé l’existence certaine d’une ligne E. O., traversant la Suède sous le parallèle de Solvitsborg et le long de laquelle le sol immobile n’a éprouvé aucune oscillation depuis plusieurs siècles. Au nord de cette ligne, le sol s’est élevé sensiblement dans ces derniers temps et s’élève encore, tandis qu’au sud, dans la Scanie, il s’abaisse, comme l’ont prouvé MM. Nilsson et Lund. Ainsi l’on ne peut se refuser à admettre que le mouvement de la Scandinavie ne ressemble à celui d’une planche ayant au milieu un point d’appui immobile et élevé, et dont l’une des extrémités monte tandis que l’autre descend.

D’après des traditions locales et l’examen attentif des lieux, le célèbre auteur du Système silurien est porté à regarder l’île de Gothland comme ayant éprouvé une élévation assez prononcée depuis l’époque actuelle, et même depuis un petit nombre de siècles. Les habitants, à la vérité ; attribuent ce changement de niveau à l’abaissement de la mer, et non au soulèvement de l’île, mais on sait combien il est facile, dans ce cas, de prendre un effet pour l’autre[16].

M. Murchison rappelle ensuite que M. Nilsson a trouvé, au dessous de 3 mètres de tourbe, près d’Ystadt en Scanie, un squelette de Bos urus ou primigenius, dont les cornes étaient profondément ensevelies dans l’argile bleue sous-jacente. Il y avait dans la même couche des ossements de l’Aurochs, qui vit encore dans la Lithuanie, de Daims et d’autres mammifères terrestres. Un trou qui pénétrait obliquement à travers la première, la seconde et même la troisième vertèbre lombaire de l’Urus a été reconnu par M. Nilsson pour avoir été fait avec la pointe d’un javelot d’un ancien aborigène. Ainsi l’homme se trouverait contemporain d’animaux perdus et d’autres qui existent actuellement, et les marais qui renferment ces débris auraient été recouverts de gravier et de sable depuis cette même époque.

M. G. Bischof[17], à la suite de ses recherches sur la cause des volcans, des tremblements de terre et des sources thermales, a essayé d’y rattacher les soulèvements contemporains tels que ceux dont nous nous occupons. M. Berzelius avait cru que les vides produits entre la croûte solide du globe et le noyau liquide, par suite du refroidissement de la masse, pouvaient donner lieu à des plissements et à des courbures de certaines portions de cette croûte qui s’élèverait ainsi d’un côté et s’abaisserait de l’autre ; mais le savant chimiste de Bonn fait voir, contrairement à l’opinion de son illustre confrère de Stockholm, que les masses solides peuvent être soulevées très-lentement lentement par le même agent qui élève les laves liquides dans les cheminées volcaniques. Cet effet peut se continuer encore après que l’action de |a vapeur a cessé, et cela par suite de l’expansion qu’occasionnerait le calorique dégagé de la vapeur pendant sa condensation. Si l’on suppose, par exemple, que sous la Scandinavie l’écorce de la terre ait une épaisseur de 139,840 pieds et que son expansion par la chaleur soit dans le même rapport que dans la poterie, une augmentation de température d’environ 2°,9 R. pendant 100 ans suffira pour produire une expansion de 4p,26 dans une couche de l’épaisseur supposée, ce qui est la proportion indiquée pour le soulèvement. En outre, le sol de la partie de la Scandinavie qui s’élève est formé par le granite, tandis que celui de la Scanie qui s’abaisse est occupé par les couches crétacées. Le granite de Bornholm, quoique situé en face de la côte de Shonen qui s’abaisse, ne s’élève pas moins que celui du nord. L’idée d’attribuer à la différence de conductibilité et de dilatabilité des roches les oscillations du sol avait été déjà proposée plusieurs années auparavant..


§ 2. Kjökkenmöddings du Danemark.


Âges de pierre, de bronze et de fer.


De ces divers témoignages de l’industrie humaine trouvés enfouis dans les dépôts marins de l’ouest de l’Europe avant ces soulèvements si récents, passons à ceux que les premières populations des îles du Danemark ont laissés à la surface même du sol émergé alors.

D’après les recherches qui ont été faites dans les tumuli ou anciennes sépultures du Danemark, dans des amoncellements de restes d’animaux, dont les hommes se nourrissaient, et de l’examen des tourbières du même pays, il est résulté une prodigieuse quantité de produits de l’industrie des premiers habitants du pays, lesquels, étudiés, comparés et arrangés par les archéologues, forment à Copenhague un des plus curieux musées d’antiquités qui se puissent voir. MM. Thomsen, Nilsson, Lund et plusieurs autres savants, par la comparaison attentive de tous ces matériaux et des divers gisements d’où ils provenaient, ont cru y distinguer les résultats de trois ages de civilisation différents et successifs, caractérisés chacun par la principale, substance employée dans la confection des instruments, outils, armes, ornements, etc., et ils ont désigné le premier ou le plus ancien de ces âges sous le nom d’âge de pierre, celui qui lui a succédé sous le nom d’âge de bronze, le troisième sous celui d’âge de fer, et le quatrième daterait de l’introduction du christianisme dans le pays.

Mais hâtons-nous de faire remarquer que tout à étant successifs, ces âges ne peuvent être comparés à des périodes géologiques, non-seulement à cause de leur faible durée, mais surtout parce qu’ils sont relatifs à tel ou tel pays, et que dans des pays différents ils ne se correspondent point quant au temps. Un peuple pouvait en être encore à l’âge de pierre pendant qu’un autre avait atteint l’âge de bronze, et un troisième l’âge de fer. C’est ainsi qu’aujourd’hui que nous pourrions, pour suivre la même expression figurée, appeler notre époque l’âge du platine et de l’aluminium, il y a encore des populations sauvages qui en sont à l’âge de pierre.

Dans cet âge de pierre, antérieur à toute tradition historique, à toute expression de la pensée traduite par des signes ou caractères alphabétiques, phonétiques ou hiéroglyphiques, âge qui doit le plus nous occuper, parce que c’est celui qui se rapproche aussi le plus des temps géologiques, les hommes n’employaient encore aucun métal ; les os d’animaux sauvages, les cornes, les pierres et surtout les silex, diversement taillés, en tenaient lieu. On en faisait des instruments tranchants de première nécessité et des armes offensives. La découverte du feu dut amener l’introduction du bronze, composé de 9 parties de. cuivre et de 1 d’étain. Il reste encore à expliquer comment ce dernier métal, connu et exploité sur si peu de points en Europe, a pu être sitôt répandu, qu’on le retrouve partout dans cet alliage. Nous verrons que dans l’Amérique du Nord un âge de cuivre aurait précédé l’âge de bronze, ce qu’explique la grande quantité de minerais de cuivre connue aujourd’hui dans ce pays. Quoique le fer soit de tous les métaux usuels le plus répandu dans la nature, la réduction de ses minerais exige des traitements plus compliqués qui n’ont pu être trouvés qu’à une époque de civilisation avancée.
Kjökkenmöd-
dings

Dans la Séelande, les îles de Fyen, de Moen, de Samsoe, dans le Jutland, le long du Lumfjord, du Mariagerfiord, etc., dit M. de Morlot[18], se trouvent des amas de coquilles marines, pris d’abord pour des bancs formés naturellement au fond de la mer, mais qui sont en réalité les restes de mollusques et d’autres animaux dont se nourrissaient les premiers habitants du pays. Cette origine est démontrée par les débris d’industrie grossière qu’on y trouve disséminés. Ces amas ont reçu le nom expressif de Kjökkenmöddings composé de deux mots danois, kjökken, qui veut dire cuisine, et möddings, rebuts, restes, ordures. C’est à MM. Forchhammer, Worsaœ et Steenstrup que sont particulièrement dues les recherches dont ces singuliers amas ont été l’objet.

On ne les observe guère que le long des fiords et des bras de mer où l’action des vagues est faible. Ils sont généralement placés sur le bord même de l’eau ; quelques-uns cependant en sont actuellement à 2 milles de distance, soit qu’il y ait eu un soulèvement de la plage depuis leur formation, soit qu’ils s’étendissent réellement jusque-là.

L’épaisseur des Kjökkenmöddings varie de 1 mètre à 1m,60 ; quelquefois elle atteint 3 mètres. Leur longueur est parfois de plus de 300 mètres, et leur largeur varie de 50 à 65 mètres. l’intérieur n’offre aucun caractère de stratification ; quelques-uns montrent des matériaux roulés, disposés par lits et prouvant ainsi des invasions locales et temporaires de la mer. Le charbon et les cendres trouvés dans ces amas proviennent, en grande partie, de Zostera maritima. Les coquilles qui les constituent sont, suivant leur abondance, l’Ostrea edulis, le Cardium edule, le Mytilus edulis et la Littorina littorea, qui servent encore aujourd’hui de nourriture à l’homme. Les individus sont constamment adultes. Le Buccinum undatum, le B. reticulatum, la Venus pullastra sont plus rares, ainsi qu’une coquille terrestre, l’Helxi memoralis. L’Ostrea edulis a disparu de tout l’intérieur du Catégat, circonstance attribuée à la diminution de la salure de l’eau depuis cette époque, et dans laquelle aujourd’hui les Cardium et les Littorina offrent une taille moindre que ceux des Kjökkenmöddings.

Les restes de poissons y sont assez fréquents (Harengs, Cabillaux, Limandes, Anguilles), ainsi que ceux d’oiseaux terrestres et aquatiques (Coq de bruyères, Canard, Oie), mais il n’y en a point de Poules, d’Hirondelles, de Moineaux, ni de Cigognes. Le grand Pingoin, qui y a laissé des traces, n’existe plus dans le pays.

Partout on trouve avec ces restes des ossements de Cerfs, de Chevreuils, de Sangliers dont se nourrissaient aussi les habitants. Ceux d’Urus, de Castor, de Phoques y sont également fréquents. Le Castor a depuis longtemps disparu du pays, et l’Urus, qui, suivant l’auteur, serait le Bos primigenius, est tout à fait éteint. Des restes de Loup, de Renard, de Lynx, de Chat sauvage, de Marte, de Loutre s’y rencontrent encore, et le Chien aurait été le seul animal réduit à l’état de domesticité chez ces peuplades primitives.

On a remarqué que les têtes des os longs manquent toujours, et l’on ne trouve ni côtes ni vertèbres ; des os de la tête, il ne reste que la mâchoire inférieure, circonstance qui, suivant M. Steenstrup, prouverait que ces portions d’os sont celles que les chiens n’ont pu détruire. Un autre caractère particulier que présentent ces os, c’est qu’on les a fendus dans leur longueur pour en extraire la moelle, très-recherchée comme le mets le plus délicat.

Des armes ou instruments grossiers fabriqués avec des silex, substance très-répandue dans les couches crétacées du pays, avec des os et des bois de Cerf, sont les restes d’industrie les plus communs dans ces accumulations de débris d’animaux. Ces témoins, laissés par les premières réunions d’hommes qui ont vécu sur les côtes du Danemark, s’observent avec les mêmes caractères de l’autre côté de l’Atlantique, sur les rivages des États-Unis[19], aussi bien qu’à l’extrémité opposée du nouveau continent à la Terre-de-Feu où, suivant M. Ch. Darwin[20], les naturels vivent aujourd’hui comme ces populations primitives du Nord. Un dépôt de coquilles, d’une tout autre origine et beaucoup plus récent, puisqu’il appartient à l’ère historique, est celui que signale M. Aucapitaine dans la partie sud du port de Saïda, l’ancienne Sidon, en Syrie. Il est entièrement formé de Murex brandaris, tous brisés près du canal, et qui étaient recueillis pour l’extraction de la couleur pourpre si renommée et l’une des branches de l’industrie du pays. (Journ. de conchyliologie, vol. III, p. 393 ; 1863.)

Ce qui distingue les Kjökkenmöddings des dépôts coquilliers naturels, c’est que leurs coquilles sont presque toutes adultes, n’appartiennent qu’à un petit nombre d’espèces, les mêmes partout, et à celles que l’on mange encore aujourd’hui, sans qu’elles en offrent les divers âges et les variétés, et sans qu’elles soient associées avec d’autres espèces et un mélange de sable et de gravier, comme on l’observe toujours dans les dépôts formés par la mer. On peut aussi supposer que ces amas indiquent l’emplacement ou le voisinage des habitations.

Les hommes de ces temps reculés étaient donc exclusivement pêcheurs et chasseurs, vivant comme ceux de l’extrémité de l’Amérique méridionale de nos jours. Les armes en pierre les mieux travaillées ont été trouvées dans les anciens tombeaux, et la forme des haches différait un peu suivant les pays. On y trouve encore des pierres d’une forme qui fait présumer qu’elles devaient être lancées avec une fronde. Les tombeaux sont des espèces de chambres formées par d’énormes blocs de pierre. Les cadavres y étaient placés assis, le dos appuyé contre la paroi. Il y en avait quelquefois plusieurs dans la même pièce, et le tombeau était recouvert de grandes dalles au-dessus desquelles on amoncelait de la terre. La base de ce monticule était ensuite entourée d’une rangée de pierres[21]. Les crânes de ces populations étaient très-arrondis, ressemblant à ceux des Lapons de nos jours, avec l’arcade sourcilière plus avancée, Comme chez les Groenlandais actuels, les incisives ne se croisaient pas en mangeant à la manière des autres peuples, mais se rencontraient en se superposant simplement.

Les races de l’âge de pierre durent être soumises et en partie remplacées par des nations plus civilisées venues d’Orient, et qui, au lieu d’ensevelir leurs morts, les brûlaient et, recueillaient les ossements dans des urnes funéraires. Aussi trouve-t-on beaucoup de squelettes du premier âge et point du second. La petitesse de la main chez les hommes de l’âge de bronze est constatée par la dimension de la poignée des armes, semblable à celle des Indous actuels. Les tumulus n’ont plus aussi les dimensions de ceux de l’âge de pierre ; ce sont des amas de terre ou de petites pierres recouvrant les restes des cadavres brûlés, enfermés dans des vases en poterie avec des objets de métal. Avec la population de l’âge suivant ou de fer, les animaux domestiques se multiplient, l’agriculture se développe et l’industrie se manifeste par des produits particuliers.

Ces divisions, on le conçoit, sont surtout relatives au pays que l’on considère et n’ont point partout des limites ni des caractères absolus correspondants. Ces phases ont été plus rapides ou plus lentes dans un pays que dans un autre ; ainsi nous verrons qu’en Suisse les animaux domestiques étaient connus dès l’âge de.pierre, que dans la Scandinavie le bronze a été plus rare et le fer découvert plus tôt qu’en Danemark, etc.


§ 3. Marais tourbeux du Danemark[22].


Dans un mémoire publié dès 1842 par M. Steenstrnp[23], ce savant a distingué, parmi les amas de végétaux qui remontent aux premiers temps de la période, actuelle en Danemark, et en prenant en considération les circonstances de lieux ou de leur emplacement, puis leur étendue et leur composition intérieure :

1° Les Kjaermoses ou Engmoses (Heidemoor, allem.), ou marais de prairies ; 2° les Lynmoses, Svampmoses ou Hocimoses (Heidmoor, allem.), marais à Bruyères ou hauts marais ; 3° les Skovmeses (Walmoor, allem.) ou marais à forêts.

Les Kjaermoses ou marais de prairies occupent les parties inférieures des larges vallées, le long des cours d’eau et bordent souvent les lacs et les côtes basses. Ils sont formés surtout de plantes herbacées, de roseaux avec quelques mousses. Certaines parties sont au-dessous de l’eau, d’autres au-dessus. Ils sont moins profonds que les autres amas de ce genre et leur épaisseur est de 1m,60 à 4 mètres.

Les Lynmoses, marais à Bruyères ou hauts marais, s’étendent souvent dans de vastes plaines. Formés au-dessus de l’eau par des Sphaignes et des Hypnum, ils ont de 2m,60 à 3 et 4m,50 de profondeur, et finissent par être envahis par les bruyères.

Les Skovmoses ou marais à forêts, les plus curieux de ces différents dépôts, occupent des dépressions dans les sédiments quaternaires. Ils ont jusqu’à 10 mètres de profondeur et même davantage. Les arbres qui croissaient sur leurs bords tombaient dans le marais, s’y accumulaient de manière que leurs têtes étaient plus ou moins régulièrement tournées vers le centre et les pieds vers la circonférence. Lorsque le marais a peu d’étendue, le milieu est occupé par la tourbe proprement dite, semblable à celle des Lynmoses ou marais de Bruyère, mais la zone d’arbres couchés qui l’entoure le distingue de cette dernière. Nous avons essayé de représenter dans la figure ci-jointe, la coupe théorique d’un de ces marais à forêts ;


Fig. 14. — Coupe théorique d’un Skovmose.

1. Tourbe amorphe, infusoires siliceux et tufs calcaires. ─ 2. Tourbes de mousses (Hypnum), et Pins rabougris. ─ 3. Bruyères, Bouleaux, Aunes. ─ 4. Bouleaux verruqueux. Noisetiers. ─ 5. Puma silvestris. ─ 6. Quercus robur, puis Q. peduncuculatus, Bouleaux et Noisetiers. — 7. Hêtres (Fugus silvcatria).

Si l’on étudie le centre des Skovmoses, on voit que le fond est une couche argileuse que recouvre un lit de tourbe de 0m,50 à 1m,25 d’épaisseur, formant avec l’eau une sorte de bouillie noire. C’est la tourbe amorphe de M. Steenstrup. On y trouve parfois des lits d’infusoires siliceux ou de tuf calcaire en quelque sorte subordonnés. Puis vient un lit de tourbe de 1 mètre à 1m,50, composé d’Hypnum et des troncs de Pins qui ont vécu sur place, mal venus, mais nombreux et dont on distingue 2 ou 3 lits superposés.

Aux Sphagnum ont succédé les Bruyeres, au fur et à mesure que le sol s’élevait et se desséchait ; puis les Pins ont été remplacés d’abord par des Bouleaux, et ceux-ci par des Aunes et des Noisetiers, le tout formant une sorte de clayonnage naturel lorsque le marais à peu d’étendue. À ce moment la formation du centre du Skovmose est terminée, sa surface est ferme et solide. On estime que cette formation a dû exiger environ 4000 ans ; mais peut-être serait-ce tout aussi bien 6 ou 8000 ans, car c’est un chronomètre dont l’exactitude est difficilement appréciable.

La partie extérieure ou forestière des Skovmoses offre une composition un peu différente de celle du centre : Au-dessus du dépôt argileux du fond viennent des troncs de Pins couchés, d’une magnifique végétation, très-rapprochés les uns des autres. Ces Pins sont de l’espèce actuelle, le P. silvestris, mais qui n’existe plus dans le pays[24]. Ils ont diminué peu à peu pour être remplacés par les Chênes (Quercus robur) de nos forêts, lesquels finissent par régner exclusivement à leur tour en prenant un grand développement. Dans la partie supérieure du dépôt apparaît la variété désignée sous le nom de Quercus peduncutalus, accompagnée du Bouleau verruquieux et du Noisetier (Coryllus avellana). Aujourd’hui le Chêne lui-même tend à disparaître du Danemark, dont la végétation forestière est le Hêtre, constituant à lui seul des bois magnifiques.

Ainsi, depuis l’époque quaternaire, ce pays nous offre les résultats de trois végétations arborescentes distinctes : la plus ancienne, celle des Pins, la seconde, celle des Chênes, et la troisième, celle des Hêtres. Ces modifications, en apparence si profondes, se sont cependant produites sans aucun cataclysme, sans aucun changement apparent de quelque importance dans les conditions physiques du pays. Le climat n’en a point éprouvé non plus de bien sensibles, puisque toutes les coquilles marines des Kjökkenmöddings, et les coquilles fluviatiles et terrestres des tourbières, sont identiques avec celles qui vivent encore dans le pays.

Ces changements dans la végétation forestière sont attribués à un desséchement successif du sol et à l’amélioration de celui-ci par les détritus de ces mêmes végétations ; mais ces motifs nous semblent peu concluants, car l’amélioration du sol des contrées actuelles où les Pins végètent le mieux ne les fait point disparaître, et les Chênes peuvent y exister simultanément De même le Hêtre croît concurremment avec le Chêne dans la plupart de nos grandes forêts, et l’on ne voit pas qu’une de ces essences de bois tende à y disparaître au profit des autres.

D’une autre part, le Peuplier-tremble a vécu pendant toute la période des tourbières, et il prospère encore dans le pays, tandis que le Bouleau (B. alba) des couches inférieures est remplacé dans les supérieures par le B. verrucosa, qui vit encore dans les mêmes lieux.

Quant aux objets d’industrie humaine, ils sont très-communs dans les tourbières, mais ne descendent pas jusque dans la tourbe amorphe des Skovmoses. L’homme ne semble avoir commencé à habiter le pays que lors de la végétation des Pins de la zoné extérieure. On y trouve en effet des produits de l’âge de pierre, qui paraît s’être continué jusqu’au commencement de la végétation du Chêne, car l’âge de bronze correspondrait plus particulièrement à cette dernière, aucun objet de ce métal n’ayant été rencontré au-dessous. L’âge de fer et les traditions historiques appartiennent essentiellement à la dernière période de végétation, celle du Hêtre ; de sorte que la végétation forestière du Danemark aurait trois phases bien distinctes en rapport avec trois degrés de civilisation de ses habitants.

M. Worsäe, considérant que les haches trouvées en France dans les dépôts de transport de la vallée de la Somme, puis en Angleterre et ailleurs, dans des gisements analogues, doivent appartenir au terrain quaternaire, est disposé à admettre deux âges de pierre : l’un antérieur aux phénomènes diluviens et l’autre postérieur, opinion que tous les faits acquis depuis à la science nous semblent rendre très-probable. En effet, aucune arme danoise en silex ne ressemble aux plus anciennes formes des pays et des dépôts que nous venons de rappeler ; et il est certain, d’un autre côté, que les Kjökkenmöddings sont postérieurs au grand phénomène erratique du centre et du nord de l’Europe, sans quoi ils auraient été détruits pour la plupart, et ce qui en resterait porterait des traces évidentes de ce phénomène. Néanmoins les Kjökkenmöddings sont d’une très-haute antiquité, probablement les plus anciennes traces de l’existence de l’homme dans le pays, et l’on n’y rencontre aucun débris de Rhinocéros ni d’Éléphants avec les restes de son industrie, circonstance qui tend encore à distinguer les deux âges de pierre, comme on vient de le dire.

En outre, dit M. Lubhock (p. 294), il est évident que l’homme est originaire de pays plus chauds que le Danemark, et qu’il n’a pu supporter le climat du Nord qu’après avoir atteint un certain degré de civilisation relative, au moins jusqu’à ce qu’il ait appris à se procurer et à se servir du feu, à se vêtir et à s’abriter. D’après cela, les antiquités du Danemark. n’auraient encore, comme nous le disions tout à l’heure, qu’une ancienneté relative et indépendante de l’ancienneté absolue de l’espèce humaine, dont le berceau ou les berceaux restent à découvrir. Les traditions locales de certains peuples ne sont que des documents d’une faible valeur, l’amour-propre des uns et l’ignorance des autres s’unissant en quelque sorte pour épaissir le voile qui entoure notre origine première.


§ 4. Habitations lacustres.


Suisse. Pfahlbauten. Distribution géographique.


Si nous redescendons actuellement au S., vers le centre de l’Europe, nous y verrons les premiers établissements de l’homme montrer d’autres caractères : ce sont ceux que l’on a appelés en Suisse Pfahlbauten, c’est-à-dire ouvrages ou constructions sur pilotis.

Pendant l’hiver de 1853 à 1854, le froid prolongé et la sécheresse qu’il occasionna firent diminuer les eaux des rivières et des torrents qui descendent des montagnes, et par suite abaissèrent le niveau des lacs à un point où on ne les avait pas vus depuis 1674. Une large zone fut ainsi mise à sec sur leur littoral, dit M. Lubbock[25], tandis que sur d’autres points des îles apparurent. Sur la rive nord du lac de Zurich, dans une petite baie située entre Ober-Meilen et Dallikond, M. Æppli observa le premier des restes de constructions.

C’étaient, dit M. Troyen[26], de nombreux pilotis au milieu desquels se trouvaient des dalles brutes provenant d’anciens foyers, du charbon, des ossements brisés et des ustensiles divers qui prouvaient que ce point avait été fort anciennement occupé. Les recherches dirigées°d’abord par M. F. Keller ne tardèrent pas à se généraliser, et l’on put bientôt se convaincre que les anciens habitants de la Suisse construisaient une partie, sinon toutes leurs demeures, au-dessus des eaux, comme le font encore de nos jours plusieurs peuplades, telles que les Papous de la Nouvelle-Guinée[27], et comme le pratiquaient dans l’antiquité historique les Pæoniens du lac de Prasias, au rapport d’Hérodote[28].

Après M. Keller, qui publia les résultats de ses observations en 1854-58-60 dans les Mémoires de la Société des antiquaires de Zurich, M. Troyon a donné un ouvrage plus considérable que nous venons d’indiquer, accompagné de 17 planches représentant un grand nombre d’objets de l’industrie des habitants des Pfahlbauten. En 1856, à la suite du desséchement partiel du petit lac de Moosseedorf, situé à 2 lieues de Berne, MM. Albert John et le docteur Uhlmann entreprirent des fouilles qui ont été très-fructueuses[29]. M. Rütimeyer a de son côté publié deux ouvrages importants sur les restes organiques trouvés dans les emplacements de ces anciennes bourgades[30] M, Heer en a étudié la flore ; M.Keller a fait paraître un nouveau mémoire, fruit de ses dernières recherches, et M. de Morlot une notice que nous rappellerons ci-après. On doit aussi à M. Desor[31] une note sur les constructions lacustres du lac de Neuchâtel, et à M. Gilliéron[32] une notice sur celles de Pont-de-Thielle.

Ces restes d’habitations, poursuit M. Lubbock, qui a résumé une partie des faits connus, ont été constatés dans les lacs de Zurich, de Constance, de Genève, de Neuchâtel, de Bienne, de Morat, de Sempach et dans quelques autres plus petits (Inkwyl, Pfaffikon, Moosseedorf, Luissel, Nussbaumen, Wanwyl). M. Keller signale 11 établissements de cette sorte dans le lac de Bienne, 26 dans celui de Neuchâtel, 24 dans celui de Genève, 16 dans celui de Constance, et il en reste sans doute beaucoup d’autres à découvrir.
Emplacement des populations et constructions.

Ces huttes sur pilotis étaient circulaires, comme on peut en juger d’après des portions de parois en terre qui ont été retrouvées, portant les empreintes de branches entrelacées. Elles et devaient avoir de 3 à 5 mètres de diamètre, exiger un travail considérable, et elles supposent une population nombreuse. Aussi a-t-on essayé d’évaluer celle-ci d’après les traces de ce qu’il en reste. Ainsi M. Troyon (loc. cit., p. 403) a constaté que l’établissement de Morges, l’un des plus grands du lac de Genève, s’étendait, parallèlement au rivage, sur une longueur de près de 5 kilomètres et une largeur de 50 mètres, donnant une surface de 150,000 mètres carrés. En supposant des cabanes de 5 mètres de diamètre, occupant la moitié de la surface, on trouve qu’il pouvait y en avoir 311. En les supposant en moyenne habitées par 4 personnes, elles donnent pour ce village sub-aquatique une population de 1244 personnes. En s’appuyant sur des données analogues, on aurait une population de 9000 âmes pour les bords du lac de Neuchâtel ; et, d’après les autres recherches, la population de la Suisse à l’âge de pierre, auquel ces constructions sont rapportées, aurait pu être de 31,879 habitants. Les restes de 68 villages de la période suivante ou du bronze, observés dans la partie occidentale du même pays, devaient contenir 42,900 âmes.

Quant au motif qui a pu faire choisir ce mode de constructions et ces emplacements de préférence à la terre ferme, qui semblait offrir plus de commodité, on doit le chercher dans la nécessité où étaient les habitants de se soustraire aux attaques des bêtes fauves, sans doute fort nombreuses alors, telles que les Loups, les Ours, les Sangliers, l’Urus, et peut-être pour se défendre plus facilement contre les hommes eux-mêmes.

Au Steinberg, dans le lac de Bienne, une ile semblable aux crannoges d’Irlande, dont nous parlerons tout à l’heure, a été construite dès l’âge de pierre et continuée dans le suivant.

M. Pupikofer a fait connaître près de Frauenfeld (Turgovie) un système particulier de construction lacustre consistant en une accumulation de fascines ou de radeaux superposés, touchant au fond de l’eau et s’élevant jusqu’à la surface, de manière à présenter un sol immobile et sur lequel pouvait être élevée l’habitation[33].

Des recherches et des. observations très-attentives ont fait connaître le mode de construction de ces habitations lacustres de la Suisse, et l’on trouve à cet égard, dans l’ouvrage de M. F réd. Troyon[34], des détails très-intéressants et fort instructifs ; tels sont la grande quantité de pilotis qui leur servait de fondation, et qui, dans la seule localité de Wangen, a été évaluée à 40,000 ; le nombre des couches d’arbres constituant la plate-forme qu’ils supportaient, mais sans qu’on ait encore pu constater comment celle-ci était fixée, aucun trou, aucune entaille, mortaise ou trace de liens ne subsistant.
Restes d’industrie.

Tous les objets trouvés autour ou sur l’emplacement de ces habitations, et ils sont en quantité prodigieuse, à Wangen, dans le lac de Constance, à Wanwyle, Robauhensen (lac de Pfaffikon), sont en pierre, en bois ou en os. Les armes de bronze proviennent d’autres habitations lacustres qui avaient une civilisation plus avancée.

Les armes de pierre sont grossièrement façonnées avec des matériaux du pays. Quelques-unes, en silex, ont probablement été apportées de la France. À Wangen et à Moosseedorf, les pierres ont été travaillées sur place. Quelques échantillons de néphrite orientale, roche qui n’est pas connue en Suisse, feraient supposer que des rapports existaient avec des nations éloignées.

Les instruments de l’âge de pierre sont ici des marteaux, haches, couteaux, scies, pointes de lances, de flèches, des pierres à écraser le grain, des polissoires, etc. Quelques marteaux sont en serpentine avec un trou à l’une des extrémités. C’est une circonstance d’ailleurs fort rare de trouver une pierre percée, si ce-n’est tout à fait à la fin de la période.

La hache doit être regardée comme l’arme primitive par excellence ; c’est le principal instrument, l’outil usuel de l’antiquité. Elle servait à la guerre, à la chasse, aux usages domestiques. Celles de Wangen et de Concise (lac de Neuchâtel) étaient fort petites, comparées surtout à celles du Danemark. La serpentine était la roche la plus généralement employée. On ajustait la pierre à des poignées en corne ou en bois. Les pointes de flèches étaient en silex, quelques-unes en quartz, de formes variées d’après trois modèles principaux. Les os des animaux, étaient aussi travaillés et employés à plusieurs usages (harpons, poignards, têtes de flèches, javelots, épingles, aiguilles, ornements divers). Les planches III à VII de l’ouvrage de M. Troyon représentent une multitude de ces objets et peuvent donner une idée de leurs formes, de leurs dimensions et de leur emploi.
Restes d’animaux.

Les débris d’animaux rencontrés dans les Pfahlbauten ont été principalement. étudiés par M. Rütimeyer, qui a publiué, comme nous l’avons dit, deux ouvrages importants sur ce sujet, et dont M. Lubbock a exposé les principaux résultats.

Les os longs sont dans le même état que ceux des Kjökkenmöddings, c’est-à-dire qu’ils ont été fendus pour en extraire la moelle. Certains os manquent tout à fait, et dans d’autres certaines parties ont complètement disparu, de sorte qu’on ne peut reconstruire un seul squelette complet, malgré la multitude des matériaux que l’on possède. 66 espèces de vertébrés ont pu être déterminées, dont 10 poissons, 3 reptiles, 17 oiseaux et 36 quadrupèdes. 8 de ces derniers ont vécu à l’état de domesticité (le Chien, le Porc, le Cheval, l’Ane, la Chèvre, le Mouton et deux Bœufs). Les débris de Cerf et de Bœuf égalent en nombre tous les autres ensemble, et même ceux de Cerf dépassent ceux de Bœuf dans les anciens établissements de Moosseedorf, de Wanwyl, de Robenhausen, ce qui est l’inverse dans les établissements plus récents des lacs de l’Ouest (Wangen, Meilen).

Le Cochon vient ensuite. Les restes de Chevreuil, de Chèvre, de Mouton sont plus rares. Pendant l’âge de pierre, on mangeait les Renards, mais on n’en trouve pas de débris dans les habitations de l’âge de bronze. Le Chien, dans le premier âge, était plus rare que le Renard, mais moins cependant que le Cheval et l’Âne. Dans le petit lac de Moosseedorf on a recontré les restes de trois Chiens, de 4 Renards, de 5 Castors, de l 6 Chevreuils, de 10 Chèvres, de 10 Moutons, de 16 Vaches, de 20 Porcs et d’autant de Cerfs.

La Souris, nos deux espèces de Rats, le Chat domestique et nos oiseaux de basse cour n’ont été jusqu’à présent trouvés ni dans les habitations lacustres de la Suisse, ni dans les Kjökkenmöddings du Danemark. Les os de Cerf et de Sanglier indiquent souvent des animaux plus forts et de plus grande taille que ceux de nos jours, tandis que ce serait l’inverse pour ceux du Renard. Les Chiens, peu variés alors, devaient ressembler à nos chiens d’arrêt et à nos chiens couchants. Les Moutons différaient des nôtres par leur petite taille, les jambes grêles, les cornes courtes, semblables à celles de la Chèvre, caractères que l’on retrouve dans les variétés du Nord et des montagnes (îles Shetland, Orkney, pays de Galles, les Alpes).

Les restes de Chevaux sont très-rares dans L’âge de pierre, mais fréquents dans celui de bronze ; ils appartiennent d’ailleurs à l’espèce actuelle. M. Rütimeyer désigne sous le nom de Sus scrofa palustris l’espèce ou la variété la plus abondante qu’il croit pouvoir séparer du Sanglier et du Porc domestique actuel. Il distingue parmi les ossements du genre Bos ceux du B. primigenius, du Bison europæus et des races du Bœuf domestique. Il y a comparativement peu de restes humains, et le plus grand nombre de ceux qu’on a rencontrés provenaient d’enfants sans doute tombés dans l’eau par accident. Dans les tombeaux de cet âge, les corps étaient placés assis, les genoux ramenés sous le menton et les mains croisées sur la poitrine.

Ainsi, à l’exception des coquilles et autres produits marins qui manquent nécessairement ici, la faune, dont les débris ont été retirés des lacs de la Suisse, s’accorde avec celle des Kjökkenmöddings. Dans l’une et l’autre se montrent l’Urus, le Bison (Aurochs), l’Élan, le Cerf commun et le Sanglier. Suivant quelques auteurs, l’Urus ou grand Bœuf fossile, aujourd’hui, éteint, aurait seulement disparu vers le seizième siècle, si c’est celui que mentionne César. L’Aurochs se serait éloigné de l’Europe occidentale, car en Suisse on ne le vit plus après le dixième siècle. Il existait encore au douzième dans la forêt de. Worms ; en Prusse, le dernier fut tué en 1779, et l’on sait que, s’il n’a pas été complètement détruit en Lithuanie, c’est seulement à cause des mesures administratives particulières et conservatrices dont il est l’objet. L’Élan s’est aussi retiré du reste de l’Europe ; le Bouquetin ne se rencontre plus que dans les massifs qui entourent le mont Iseran. L’extermination de l’Ours comme celle du Bouquetin aurait commencé par l’Est, car il vit encore dans le Jura, l’Unterwald et les parties sud-est de la Suisse. Le Castor, au contraire, a disparu plus récemment, ainsi que le Cerf.

Les animaux des Plahlbauten avaient commencé à vivre. avec les Éléphants, les Rhinocéros, l’Ours et l’Hyène des cavernes, espèces aujourd’hui éteintes, et la plupart d’entre eux habitent encore les mêmes lieux. Cependant il ne peut résulter de ces faits aucune confusion géologique. Les phénomènes physiques quaternaires, et probablement un laps de temps très-considérable, séparent l’âge de pierre anté-historique de l’époque où vivaient paisiblement, dans l’Europe centrale et occidentale, l’Elephas primigenius, le Rhinoccros tichorkinus et les autres grands mammifères éteints, qui manquent dans les Pfahlbauten aussi bien que dans les Kjökkenmöddings et les marais tourbeux du Danemark. Le Renne, aujourd’hui relégué dans le Nord, avait également disparu de l’Europe occidentale à-cette époque.

Quant à l’ancienneté relative probable de ces divers établissements, M. L. Rütimeyer regarde la petite localité de Moosseedorf comme offrant le plus ancien, puis viendraient ceux de Wanwyl, de Wangen, de Meilen, et en troisième lieu les habitations lacustres de la Suisse occidentale.
Restes de végétaux.

Relativement aux restes de végétaux, des grains de froment ont été recueillis à Meilen, à Moosseedorf et à Wangen. L’Hordawn hexastichon (espèce cultivée par les Égyptiens, les Grecs et les Romains) y a été rencontré. On a même découvert des espèces de pains ou galettes rondes, plates, de 0m,10 à 0m,15 de diamètre sur 2 à 3 centimètres d’épaisseur. On a trouvé des grains qui avaient été grillés, broyés entre deux pierres, puis entassés dans des vases de terre, coutume qui existait encore aux îles Canaries lorsqu’elles furent découvertes. Cependant, hormis la faucille, aucun instrument aratoire n’a été rencontré.

Des poires et surtout des pommes sauvages, entières ou coupées en 2 ou en 4, des noyaux de prunes sauvages ont été observés, mais aucune trace de l’existence de la Vigne, du Cerisier ni du Prunier de Damas n’a été constatée. Des graines de Framboisiers, du Mûrier, des noisettes et des faines ont été trouvées dans des vases ; de sorte qu’on peut conclure que les habitants de ces âges reculés se nourrissaient en Suisse de grains. de fruits, de poissons et de la chair des animaux sauvages ou domestiques et sans doute aussi de lait.
Poterie.

La poterie, très-grossière alors, n’est connue que par des fragments ou un petit nombre de vases entiers dont la cuisson était fort imparfaite. Leur forme est souvent cylindrique, quelques-uns sont arrondis à la base ; on n’y remarque aucun ornement représentant des animaux, mais seulement des lignes droites ou courbes.

Plus récemment, M. F. Troyen a fait connaître le résultat des fouilles exécutées dans l’emplacement lacustre de Concise, sur le bord du lac de Neuchâtel[35], emplacement dont l’étendue était de 140 mètres de long sur 76 de large. Plus de 750 objets d’industrie de l’âge de pierre en ont été retirés sans aucune pièce de métal ; celles de cette nature, trouvées en 1859, provenaient d’une des extrémités de l’établissement et probablement d’habitations moins anciennes. L’auteur estime que le nombre des pièces retirées lors des dragages exécutés pour le chemin de fer qui passe près de cet endroit n’est pas moindre de 24 000, à en juger par les sommes qu’elles ont rapportées aux ouvriers attachés à ces travaux.
Âges de bronze et de fer.

On a vu quels étaient les lacs où avaient été découvertes des habitations de l’âge de pierre. Disons quelques mots de celles de l’âge de bronze, quoiqu’elles puissent rentrer dans la période de l’histoire. Ces établissements existent dans les lacs de Genève, de Luissel, de Neuchâtel, de Marat, de Bienne et de Sempach, c’est-à-dire dans la partie occidentale et le centre de la Suisse ; ils sont ordinairement situés à une grande distance du rivage, dans des eaux plus profondes, et sont plus solidement construits. On y trouve des épées, des poignards, des haches, des pointes de lance et de flèches, des couteaux, des épingles et des objets d’ornement toujours en bronze. Pour donner une idée de la quantité de ces objets, nous dirons que dans l’établissement d’Estevayer, sur la rive orientale du lac de Neuchâtel, on a recueilli 36 épingles à grosse tête sphérique et ornée, 92 à tête ordinaire, 26 couteaux, 15 bracelets, 27 petits anneaux, 2 boutons, etc. À Morges, sur la rive nord du Léman, on a retiré 42 hachettes et 15 épingles ; au Steinberg, dans le lac de Bienne, 500 épingles à cheveux et divers ornements de la même forme que ceux recueillis dans d’autres parties de l’Europe. Les épées y sont aussi caractérisées par la petitesse de la poignée. On a d’ailleurs acquis la certitude qu’on les fabriquait sur les lieux mêmes.

Les poteries, plus variées et plus soignées dans leur exécution que celles de l’âge de pierre, étaient faites avec la roue. Des anneaux en terre cuite sont fréquents. Quant aux. matières mêmes du bronze, le cuivre et l’étain, il fallait qu’elles fussent apportées par le commerce, puisqu’elles n’existent point en Suisse.
Disparition de Pfahlbauten.

Ces Pfahlbauten ont diminué graduellement en nombre, depuis l’âge de pierre, où elles s’étendaient sur tous les lacs du pays, depuis l’âge de bronze, où elles étaient confinées dans la Suisse occidentale, jusqu’à celui du fer, où il n’en existait plus que dans les lacs de Bienne et de Neuchâtel. Pendant ce dernier âge, les formes des instruments et des armes étaient différentes ; la poignée des épées est plus large, plus ornée, les couteaux ont les bords droits, les faucilles sont plus grandes aussi ; les poteries, plus soignées, sont ornées de diverses couleurs, et le verre apparaît pour la première fois. Sous la domination romaine, les habitations lacustres n’étaient plus que des exceptions, et elles durent disparaître tout à fait peu de temps après.

De ce qu’on ne trouve point dans les Kjökkenmöddings des restes d’animaux domestiques comme dans les Pfahlbauten de la Suisse, il serait prématuré d’en conclure avec M. de Morlot qu’ils sont plus anciens que ceux-ci ; il n’y a pas, comme nous l’avons dit au commencement, nécessairement contemporanéité entre deux civilisations analogues et non-contemporanéité entre deux civilisations différentes.

Quant aux traces d’habitations lacustres de l’âge de pierre, signalées dans divers pays, elles sont jusqu’à présent beaucoup moins importantes que celles dont nous venons de parler. Elles sont purement locales, accidentelles, et n’offrent point ce caractère de généralité qui, en Suisse, constituait tout un système de constructions contemporaines, propre au pays.
Irlande.

Les crannoges d’Irlande sont des îles artificielles, composées de pierres et de terre, soutenues par de nombreux pilotis, et qui servaient en même temps de forteresses. On y a trouvé une prodigieuse quantité d’ossements qui ont été exploités et employés comme engrais. Leur origine remonte certainement à l’âge de pierre ; mais, ayant été habités et modifiés par les populations de tous les âges jusqu’au dix-septième siècle, les restes des civilisations qui s’y sont succédé s’y trouvent mélangés. M. Wilde a publié un ouvrage spécial sur ce sujet en 1856.
Angleterre.

En Angleterre, dans le comté de Norfolk, à six milles au nord de Thetfort, on a trouvé, dans un bassin tourbeux, des produits de l’industrie de l’âge de pierre, des pieux nombreux plantés verticalement, dont l’extrémité supérieure était taillée en pointe, le tout paraissant provenir d’un ancien établissement lacustre. Des indications de constructions analogues ont encore été données sur divers points du Hanovre et de la Hollande.
France.

Des traces de l’âge de pierre ont été signalées par MM. Garrigou et Filhol dans les cavernes de là vallée de Tarascon (Ariége)[36], particulièrement dans celles de Pradières, de Bedeillac, de Sabart, de Niaux, d’Ussat et de Fontanet. Dans la terre qui en constitue le sol on a rencontré, à une certaine profondeur, des restes de foyer, des cendres, du charbon, des os d’animaux cassés et fendus pour en extraire la moelle, d’autres calcinés, des amas d’Helix nemoralis ayant dû servir à la nourriture des habitants, des objets divers travaillés en os de Bœuf, de Mouton, etc., tels que des poinçons, des pointes de flèches et de lances, des fragments de silex, des schistes siliceux taillés en grattoirs, et d’autres usés en forme de couteaux, des haches en leptynite et en serpentine, des meules piquées comme celles de nos moulins, en granite, en syénite et de diverses grandeurs, des fragments de quartzite taillés, enfin de nombreux débris de poteries grossières, dans la pâte desquelles on reconnaît les grains de quartz, les paillettes de mica, etc. Les animaux dont les ossements ont été déterminés sont le Cervus elaphus, deux Bœufs, un Mouton, une Chèvre, une Antilope, un Chamois, un Bouquetin ? le Sus scofa et un autre plus petit, domestiqué, le Cheval ? le Loup, le Chien, le Renard, le Blaireau, le Lièvre et deux oiseaux.

De ces faits les auteurs concluent « qu’il y a eu dans cette partie des Pyrénées, et sans doute aussi dans le reste de la chaîne, une population anté-historique dont les mœurs et le degré de civilisation étaient semblables à celles des populations de l’âge de pierre, en Suisse. Ces peuples habitaient l’entrée des cavernes les plus saines et les plus spacieuses, se nourrissaient de la chair des animaux qui abondaient dans le pays, faisant des armes de leurs os les plus résistants, ainsi que des roches les plus dures. Ils cultivèrent probablement le froment, comme leurs frères de la Suisse, et c’est à sa trituration qu’étaient sans doute destinées les nombreuses meules que nous avons découvertes. Les métaux leur furent inconnus. »
Italie.

L’usage des habitations lacustres n’était pas moins répandu en Italie qu’en Suisse. M. Gastaldi[37] a publié les découvertes de ce genre faites dans les tourbières, marlières ou marnières de Mercurago, près d’Arona, où se trouvent des instruments de l’âge de pierre ; les poteries de Castellazzo di Fontanelato, dans le duché de Parme, d’Enzola et de quelques autres localités sont surtout très-curieuses. M. Keller[38] en a signalé dans le lac de Garde, près de Peschiera ; M. de Mortillet[39] dans le lac de Varèse, d’après M. Desor. Dans l’Italie centrale, les recherches de M. Pellegrino Strobel et de M. L. Pigorini[40] ont beaucoup contribué à faire connaître les restes d’habitations et les objets d’industrie primitive de l’Émilie et du Parmesan. M. Scarabelli[41] a trouvé aux environs d’Imola des bouts de lances et de flèches en silex et des haches en diorite ou en diaspro noir ; M. Forel[42], des instruments en silex avec des ossements de Cerfs, Chevreuils, Brebis, Bœufs, Chevaux, Cochons, Loups, Chats, des coquilles et du charbon dans les cavernes de Menton ; M. Capellini[43], une flèche en diaspro de la Spezia.

Les terremare, disent MM. Strobel et Pigorini, sont des accumulations naturelles ou artificielles de terres plus ou moins marneuses contenant des cendres, du charbon, des débris d’animaux et de végétaux, avec des armes, des ustensiles d’une haute antiquité. Les polafitte sont des constructions sur pilotis analogues à celles de la Suisse. Ce sont surtout les fouilles exécutées par M. Strobel dans l’ancien établissement de Castione, près Borgo San Donnino, qui ont apporté la plus grande quantité d’objets intéressants et ont donné lieu à des publications accompagnées de planches, auxquelles nous ne pouvons que renvoyer le lecteur.

Jusqu’à présent, il ne semble pas cependant que ces anciennes habitations au pied sud des Alpes aient jamais offert un développement aussi considérable qu’au nord, ni suggéré aux archéologues des distinctions d’âges ou chronologiques aussi tranchées. Nous devons donc nous borner à ces indications, en attendant que le zèle et la science bien connus des personnes qui s’occupent de ces recherches soient parvenus à des résultats plus précis..


§ 5. Ouvrages en terre de l’Amérique du Nord.


Si nous poursuivons actuellement ces études dans le nord de l’Amérique, nous verrons combien sont différents les travaux exécutés par les premiers peuples qui ont habité le bassin du Mississipi, combien les traces de ces premiers établissements humains, dans ce que nous appelons le nouveau monde, diffèrent de ce que nous venons de décrire dans une partie de l’ancien ; néanmoins, nous n’avons encore aucune preuve de la contemporanéité des uns et des autres ; mais nous voyons qu’ils ont cela de commun d’être antérieurs à toute tradition historique, à toute reproduction de la pensée par des signes conventionnels et postérieurs aux derniers phénomènes quaternaires.
Observations générales.

Nous extrairons d’abord du grand travail de M. S. F. Haven, sur l’archéologie des États-Unis[44], quelques généralités sur ce sujet, et nous donnerons ensuite des détails plus circonstanciés puisés dans l’ouvrage spécial de MM. Squier et Davis.

Les monuments les plus anciens et caractéristiques de l’industrie humaine aux États-Unis sont des constructions ou plutôt des ouvrages en terre, plus ou moins élevés, plus ou moins étendus, de formes très-diverses, et souvent bordés en dehors par un fossé. Ils manquent dans les États qui longent l’Atlantique au nord-est ; à peine quelques exemples peu importants et d’une ancienneté douteuse s’observent-ils dans le Maine et le New-Hamsphire ; dans l’État de New-York, ils commencent à être plus nombreux, surtout vers l’ouest ; au delà des Alleghanies et à l’est du Mississipi, ils s’étendent depuis les bords des grands lacs, au nord, jusqu’aux plages du golfe du Mexique, au sud. Ils existent en plus ou moins grand nombre dans les parties méridionales, vers l’Atlantique, remontent jusque dans les Carolines, et sont connus sur la péninsule de la Floride. À l’ouest du Mississipi, on en a constaté jusqu’à 1,300 milles de son embouchure, et il y en a le long de la Kansas et de la rivière Platte. On n’en cite point au Texas, au Nouveau-Mexique, le long du pied oriental des Montagnes-Rocheuses, ni sur les deux rives du Missouri.
Contemporanéité de l’homme avec les espèces perdues ?

M. Haven rapporte quelques faits qui tendraient à prouver la contemporanéité de l’homme avec certaines espèces de grands mammifères éteints ; mais si cette contemporanéité n’est pas absolue, du moins l’extinction de ceux-ci paraît-elle avoir été très-rapprochée de l’arrivée des premiers hommes dans le pays. On sait qu’au Brésil l’association d’os humains avec ceux d’espèces perdues, signalée par M. Lund dans les cavernes, a été attribuée à une circonstance locale. Aux États-Unis, les exemples cités sont d’une autre sorte.

Nous avons déjà dit, en traitant de l’histoire de la paléontologie (Première partie, p. 216), que les restes de Megatherium et de Mastodonte se rencontraient presqu’à la surface du sol, et ne montraient aucune preuve qu’ils eussent été transportés ni roulés par des eaux torrentielles ; que de l’estomac d’un Mastodonte trouvé dans un petit marais du comté de Warren (New-Jersey), on avait retiré sept boisseaux de substances végétales dont il s’était nourri, et qui provenaient du Cèdre blanc, qui végète encore sur les lieux ; que les os d’un squelette presque entier, provenant de Newbury (New-York), contenaient encore presque toute leur gélatine ; qu’un Megatherium déterré lors du creusement du canal de Brunswick était tellement près de la surface que les racines des Pins se prolongeaient parmi les os ; enfin que toutes les coquilles fluviatiles et terrestres recueillies non-seulement avec les ossements, mais encore au-dessous d’eux, sont celles qui vivent aujourd’hui dans le pays, de sorte que ces divers motifs tendraient à prouver que les conditions du climat n’avaient pas sensiblement changé depuis que ces grands mammifères habitaient la contrée.

M. Haven rappelle que l’on a signalé dans le comté de Gasconnade (Missouri) un Mastodonte que l’on supposait avoir été tué à coups de pierres par les Indiens et en partie consumé par le feu. Il y avait auprès, avec des os et des bois brûlés, des haches, des couteaux et des pointes d’armes en pierre. Les cendres et les charbons, en plus grande quantité sur la tête et le cou de l’animal, semblaient prouver que le feu y avait été entretenu plus longtemps. Par la position du squelette, on pouvait présumer que le Mastodonte s’était enfoncé dans la vase par son train de derrière, que, n’ayant pu s’en retirer, il était tombé sur le côté droit, et que c’est dans cette situation que les indigènes l’auraient tué. Entre les pierres et les cendres, on trouva de grands lambeaux de peau ressemblant à celles qui ont été récemment tannées et beaucoup de petits fragments de parties molles (nerfs, artères) de la grandeur de la main qui ont été recueillis et conservés dans l’alcool[45].

Mais peut-être n’y a-t-il ici qu’un de ces exemples que nous avons cités et auquel l’imagination du voyageur aura ajouté quelques circonstances pour lui donner plus d’intérêt. Nous avons dit, en effet (Première partie, p. 216), que dans certains marais on avait trouvé des squelettes entiers de Mastodontes, debout, ensevelis dans la vase ; or on conçoit qu’il aura suffi de rencontrer un de ces squelettes dans la position indiquée, avec quelques pierres dans son voisinage, et même des traces de feu et de la présence de l’homme, pour en conclure une contemporanéité que les faits ne suffisent pas à démontrer.

De son côté, M. Eichwald[46] rapporte, sans citer la source où il l’a puisé, un autre fait que voici : à l’embouchure de la rivière Pomme-de-Terre, affluent du Mississipi, on a trouvé dans un dépôt d’alluvion un squelette entier de Mastodonte et tout près quelques pointes de flèches en silex de la forme de celles qu’emploient les Indiens actuels, quoique beaucoup plus grandes. L’une de ces flèches était placée au-dessous de l’os du bassin sur lequel elle avait laissé des traces. L’auteur suppose que l’animal aura été tué à la chasse par les naturels. Il était recouvert d’un dépôt de transport de 1 mètre à 1m,25 d’épaisseur, renfermant beaucoup de végétaux des tropiques (Cyprès, Cannes, Strelitzia, Palmiers, etc.), puis venaient au-dessus une argile de diverses couleurs et des couches très-modernes remplies de feuilles de Chêne, de Saule et d’autres arbres de la flore de nos jours, « ce qui prouve, dit l’auteur, que le Mastodonte habitait encore l’Amérique septentrionale pendant les temps historiques. » Il y a dans ces faits comme dans la conclusion des contradictions trop évidentes avec ce que l’on sait d’autre part, pour qu’on ait besoin de les faire ressortir.

M. le colonel Smith, dans son Histoire naturelle de l’homme[47], dit aussi qu’au Brésil les os de Megatherium se rencontrent à la surface du sol, ayant l’apparence d’os tout à fait récents (in a recent state), et, ajoute-t-il, peut-on concevoir qu’ils aient ainsi résisté à la destruction, exposés pendant quatre ou cinq mille ans à l’action du soleil et des pluies tropicales ? Les indigènes se servent des os du bassin de ces grands animaux pour établir leurs foyers temporaires.

Dans l’Amérique du Nord, les légendes ou traditions des naturels font mention de grands mammifères qui auraient disparu, tels que le grand Élan ou Buffalo, le Mastodonte appelé le Père aux Bœufs, et d’autres détails fournis par les Indiens se rapporteraient au Megalonyx.

Dans la Nouvelle-Zélande, nous savons aussi, d’après M. J. Haast, que des instruments en pierre indiquent l’existence d’une population primitive antérieure aux Maories actuels.

Quoi qu’il en soit de ces divers exemples, il n’y a pas encore, dans le nouveau monde plus que dans l’ancien, de preuve irrécusables de la contemporanéité des espèces de grands animaux éteints avec l’espèce humaine postérieurement aux phénomènes de l’époque quaternaire. Nous rechercherons plus tard si cette contemporanéité a en lieu auparavant, mais nous avons dû rappeler ce qui avait été dit à ce sujet avant de nous occuper plus particulièrement des ouvrages en terre auxquels nous revenons actuellement en prenant pour guide le grand et important mémoire de MM. E. G. Squier et E. H. Davis sur les anciens monuments de la vallée du Mississipi[48].
Recherche de MM. E. Squier et E. H. Davis

Distributions géographiques.

Après avoir jeté un coup d’œil sur les recherches qui ont précédé les leurs, MM. Squier et Davis font remarquer que les anciens monuments de l’ouest des États-Unis consistent pour la plupart en élévations et en ouvrages en terre et en pierre, exécutés avec une grande dépense de travail, et avec un but déterminé. On y trouve aussi réunis divers objets qui ont servi d’ornements, d’armes, d’instruments ou ustensiles de toute, sorte, quelques-uns en métal, mais le plus grand nombre en pierre. Ces ouvrages sont répartis dans le bassin entier du Mississipi et de ses nombreux affluents, puis sur les plaines fertiles qui bordent le golfe du Mexique. On connaît, en outre, une multitude de petits tumulus sur le territoire de l’Orégon ; il y en a sur le Rio Gila de la Californie, sur les tributaires du Colorado de l’ouest, mais il reste à décider s’ils sont semblables à ceux du Mississipi et s’ils ont la même origine.

On observe particulièrement ces travaux en terre dans les vallées des rivières et des grands ruisseaux, rarement très-loin des cours d’eau ; quelquefois ils se trouvent sur les collines ou dans des pays accidentés, mais ils sont alors peu fréquents et toujours de petites dimensions.

Malgré leurs analogies, qui témoignent d’une origine commune, ils peuvent être considérés, relativement à certains caractères, comme répartis dans trois régions géographiques, où ils se montrent très-différents, mais dont les limites n’ont rien d’absolument tranché, car ils passent graduellement de l’une à l’autre.

Dans la région qui borde les grands lacs, à une certaine distance, dans les États de Michigan, d’Iowa, du Missouri et surtout dans celui du Visconsin, les monuments en terre affectent une série de formes singulières et n’offrant qu’une ressemblance éloignée avec ce que l’on voit ailleurs. Le plus grand nombre sont des représentations grossières de quadrupèdes, d’oiseaux, de reptiles et même d’hommes, de dimensions gigantesques, et semblables à d’immenses et informes bas-reliefs épars ou couchés à la surface du pays. Souvent ils sont disposés en longues rangées ; ils constituent aussi des monticules (mounds) ou tumulus, et des lignes de fortifications formant des enceintes. Ces effigies d’animaux sont surtout nombreuses dans le Visconsin, le long de la rivière de ce nom et de la rivière Rock. Dans l’Iowa et le Michigan elles sont alignées comme les bâtiments d’une ville moderne ; et occupent une surface de plusieurs acres[49].

Plus au sud, dans le bassin de l’Ohio, les anciens travaux en terre sont plus grands et mieux caractérisés ; il y a peu de formes d’animaux, et ils semblent avoir été élevés sur des principes différents et pour un objet également différent des précédents. Il y a beaucoup de monticules coniques ou pyramidaux, parfois de très-grandes dimensions. Les pyramides sont toujours tronquées au sommet et les faces sont taillées en gradins. De nombreuses clôtures ou enceintes en terre ou en pierre sont eu relation avec ces tumulus. Ce sont de beaucoup les travaux les plus remarquables qu’aient laissés les peuplades aborigènes et ceux qui donnent la plus haute idée du nombre et de la puissance des habitants qui les ont construits.

Plus au sud encore, dans les États qui bordent le golfe du Mexique, les buttes, les monticules ou tumulus augmentent de grandeur, sinon en quantité, et leurs formes sont plus régulières. Les formes coniques deviennent comparativement rares, celles qui sont en pyramides tronquées et garnies de gradins pour atteindre le sommet, comme les Teocallis du Mexique, sont plus fréquentes et affectent une certaine dépendance dans la position qu’elles occupent les unes par rapport aux autres. Les enceintes, au contraire, diminuent de dimension ; elles sont moins nombreuses et perdent beaucoup du caractère qu’elles avaient au nord, tout en conservant néanmoins une ressemblance générale. Ici on commence là trouver des restes de briques dans les monticules et les murs de clôture.
Nombres des ouvrages en terre.

Le nombre de ces constructions en-terre est si considérable qu’on les avait attribuées, sinon toutes, au moins pour la plus grande partie, à des causes naturelles, à des résultats d’actions diluviennes, modifiés peut-être ensuite par l’homme, mais dans aucun cas n’étant dus à lui seul. Cependant cette opinion n’a pu se maintenir après un examen attentif de la composition, de la structure, de la forme de ces ouvrages et des divers objets qu’on y a trouvés.

Si l’on prend pour exemple, avec MM. Squier et Davis, la i vallée de la rivière Scioto, aux environs de Chillicothe (Ohio), on y voit les clôtures en terre de diverses formes géométriques, régulières ou non, telles que le cercle, le carré, le demi-cercle, le trèfle, etc., entourant un plus ou moins grand nombre de monticules ou buttes (mounds). Dans le comté de Boss (Ohio) on ne compte pas moins de 100 enceintes de diverses grandeurs et 500 tumulus. Dans tout cet État il y a environ 10,000 tumulus et 1000 à 1500 enceintes. Quelques-unes de ces dernières ont jusqu’à 2 milles et demi de tour.

Ces ouvrages ne sont guère moins répandus sur la Kenhawa, en Virginie, que sur la Scioto, sur les bords de la Miamie, la White-river, le Wabash, le Kentucky, le Cumberland, le Tennessee et les autres tributaires de l’Ohio et du Mississipi.
Formes et dimensions.

Quant à leurs dimensions, elles sont aussi remarquables que leur nombre. Certaines lignes d’enceinte ont de 1 mètre 50 à 10 mètres de hauteur, circonscrivant des espaces de 1 à 50 acres. Ce sont les plus communs. Ceux de 100 à 200 acres sont moins fréquents. On cite des enceintes comprenant des espaces de 400 et même de 600 acres de superficie. Il n’y a pas d’ailleurs toujours de rapport entre l’espace entouré et la grandeur ou l’importance des travaux exécutés autour. Les tumulus (mounsd) sont de toutes les dimensions, depuis 1m,50 de hauteur sur quelques mètres de diamètre jusqu’à 21 mètres sur 100, comme celui qui est à l’embouchure du Grave-Creek (Virginie). Le tumulus de Miamisburgh (comté de Montgomery, Ohio) a 20 mètres de haut et 260 mètres de circonférence à la base. La pyramide de Cahokia (Illinois) a 27m,56 de hauteur et 600 mètres de circonférence. Son sommet a plusieurs acres de surface. Le grand monticule de Selserstown (Mississipi) occupe une surface de 6 acres ou près de deux hectares et demi. Les ouvrages de cette dimension sont plus fréquents dans la région sud, quoiqu’il y en ait aussi quelques-uns au nord. Les plus communs ont de 2 à 10 mètres de hauteur sur 12 à 50 de diamètre à la base.

Toutes ces constructions sont en terre ou en pierre, et quelquefois les deux sortes de matériaux ont été employées dans le même ouvrage. Lorsqu’il n’y a point de fossé intérieur ou extérieur qui ait fourni les matériaux du terrassement, on remarque dans le voisinage les anciens trous d’où la terre a été tirée. Quelquefois cependant elle a été apportée de loin.

La plus grande partie de ces enceintes présente des formes régulières, parmi lesquelles le carré prédomine ainsi que le cercle. Il y a des parallélogrammes, quelques ellipses, des polygones réguliers et irréguliers.
Enplacements.

Les travaux réguliers sont presque invariablement placés sur terrasses de niveau qui bordent les rivières. Les travaux irréguliers ont particulièrement le caractère de ligues de défense, se conformant aux accidents du sol et suivant les contours de la crête des collines. Les carrés et les cercles sont souvent combinés de diverses manières. Les lignes détachées parallèles sont également fréquentes. Ou observe en outre des chaussées et des gradins descendant aux rivières, aux courants ou allant d’une terrasse à l’autre.

Les plus grands et les plus singuliers de ces ouvrages se trouvent dans les vallées les plus ouvertes et les plus fertiles. Les points choisis par les Européens dans le dernier siècle et dans celui-ci pour l’établissement des villes, des bourgs et des villages sont souvent ceux qu’avaient aussi préférés les premiers habitants du pays. Ainsi Marietta, Newark, Portsmouth, Chillicothe, Circleville et Cincinnati (Ohio), Franquefort (Kentucky), Saint-Louis (Missouri) sont des centres de populations actuelles qui l’étaient déjà lorsque florissait la race mystérieuse des tumulus.
Destination.

Les monuments des aborigènes de la vallée du Mississipi, soit en terre, soit en pierre, sont des enceintes bordées de parapets de circonvallation ou de murs. On y distingue les enceintes de défense, les enceintes sacrées, les tumulus des sacrifices, les tumulus des temples, ceux des sépultures, etc., dans lesquels ont été trouvés de nombreux restes d’industrie, tels que poteries, ustensiles et outils, armes et objets d’ornements en pierre, en os, en métal, des ossements humains, etc. MM. Squier et Davis étudient successivement ces divers sujets, dont ils donnent de nombreux dessins, des plans et des descriptions détaillées. Nous citerons comme exemples un tumulus destiné aux sacrifices et un autre qui avait servi de sépulture.

Les autels ou monticules qui servaient aux sacrifices se trouvent presque toujours dans les enceintes ou à une faible distance. Les matériaux qui les constituent sont stratifiés ou ont été disposés par couches. Ils contiennent dans leur intérieur ou à leur base des autels de forme symétrique, en argile cuite ou en pierre, sur lesquels sont déposés des débris qui ont toujours conservé les traces du feu. La disposition stratifiée des matériaux de ces ouvrages les distingue de tous les autres. Les couches ne sont jamais horizontales, au moins dans les tumulus à autels du nord et du centre, mais courbées parallèlement aux surfaces extérieures, ce qui dénote suffisamment leur origine artificielle.

Les bassins trouvés dans l’intérieur sont de formes diverses arrondis, elliptiques, carrés, en parallélogramme, etc. Il y en a de Om,60 de large seulement, d’autres ont 15 mètres de long sur 3 ou 4 de large. Leurs dimensions les plus ordinaires sont de 1m,50 à 2m,80.

La coupe d’un de ces tumulus de sacrifice, de 2m,25 de haut, a présenté les détails suivants : 7 ou 8 couches superposées et arquées régulièrement étaient de haut en bas composées successivement de gravier, de sable et de cailloux, de sable fin, de terre, de sable et de terre recouvrant un bassin en argile. cuite de 3m de diamètre à la base et de 1m,00 à sa partie supérieure, déprimé en forme de coupe et contenant des cendres sèches, fines, mélangées de fragments de poterie d’une forme élégante. Sur les cendres était un lit de feuilles de mica. Au-dessus et au milieu du bassin des os humains en partie brûlés, circonstance particulière qui ne s’est présentée qu’une fois.

On trouve fréquemment, au contraire, des restes humains, même des squelettes entiers, des populations actuelles, qui ont été ensevelis plus ou moins profondément dans les tumulus anciens ; mais les restes reconnaissables des populations contemporaines de ces travaux sont extrêmement rares. Lorsqu’on atteint le centre des tumulus qui ont servi de sépulture, on rencontre les ossements écrasés ou tombant en poussière au moindre contact. Le seul exemple d’un crâne un peu complet et incontestablement de la race contemporaine des monuments a été observé dans un tumulus situé au sommet d’une colline qui domine la vallée du Scioto, à 4 milles au-dessous de Chillicothe. Le monticule, de 2m,50 de hauteur sur 15 de diamètre à la base, était formé d’une couche d’argile dure, jaune, recouvrant un. amas de pierres disposé en dôme, et au sommet duquel était une large plaque de mica ; au-dessous et au centre se trouvait un dépôt charbonneux, de terre cuite et de petites pierres entourant quelques os et un crâne assez bien conservé. Le caractère le plus remarquable de celui-ci était sa forme arrondie. Son diamètre vertical était de 6 pouces 2 lignes, le diamètre longitudinal de 6 pouces 5 lignes, et la distance entre les pariétaux de 6 pouces. Ce seraient, suivant M. Morton, les caractères du type de la race américaine, particulièrement de la famille des Toltèques, et dont la tête des Péruviens est le modèle.
Métaux et objets d’industrie.

Le cuivre a été le métal le plus anciennement employé par ces populations primitives de l’Amérique du Nord ; l’argent, qu’on y trouve et ses autres caractères prouvent qu’il provient des mines si riches encore des bords du lac Supérieur. Le minerai n’était point d’ailleurs fondu, mais battu à froid.

Les poteries trouvées dans ces ouvrages sont très-perfectionnées, et, quant, aux armes en pierre, on remarquera que celles qui ont été recueillies en Asie, en Europe et en Amérique sont tellement semblables par la forme et le genre de travail, qu’on pourrait les regarder toutes comme fourrage d’un seul et même peuple.
Populations arborigènes.

MM. Squier et Davis résument ensuite leurs nombreuses recherches et terminent leur travail par les considérations suivantes : Ces travaux sont, disent-ils, la preuve de l’existence d’une population nombreuse et agricole. Les instruments en pierre, en bois, en os et en cuivre qui nous restent n’ont cependant pu être que de faibles moyens pour les constructeurs, qui ont dû principalement se servir de leurs mains et de ressources étrangères bien peu puissantes pour creuser le sol et accumuler jusqu’à 20 millions de pieds cubes de matériaux comme ceux qui constituent, par exemple, le seul tumulus de Cahokia. Ces ouvrages sont, en outre, presque exclusivement confinés aux vallées fertiles, aux plaines alluviales productives des bords des lacs et du golfe du Mexique, là où la culture du sol était le plus avantageuse. Aussi les auteurs voient-ils dans ces travaux, comme dans les objets d’industrie, les poteries, les armes et une culture supposée assez avancée, la preuve que ces populations auraient eu des lois, des coutumes et une religion.
Ancienneté.

Maintenant, quelle peut être l’ancienneté relative de ces nombreux travaux ? sont-ils tous contemporains ? ou bien pourrait-on y découvrir une certaine succession ? tous ces monuments, qui occupent de si vastes surfaces, sont-ils l’œuvre d’une seule race ; sont-ils le résultat d’une seule pensée, d’une seule impulsion, d’une seule coutume ? à cet égard, les auteurs ne nous paraissent pas concevoir le moindre doute ; ils sont pour l’affirmative.

Cependant il sera permis, à la distance où nous sommes des. lieux et des temps, de ne pas avoir une certitude aussi compléte, si l’on songe surtout qu’à l’époque des recherches de MM. Squier et Davis, l’idée, qu’il y avait eu une certaine succession dans les peuplades qui avaient habité un pays avant toute tradition historique, n’était pas encore répandue parmi les archéologues. Lorsque l’on compare les produits de l’industrie humaine dans cette partie du monde, ou reconnaît qu’il y en a qui sont certainement plus récents que d’autres, et les poteries à contours réguliers ornées de dessins symétriques ne peuvent pas provenir du premier état sauvage de ces populations : Il faut que la civilisation, quelque imparfaite qu’elle ait été, qui a tracé et construit ces travaux dont les formes sont géométriquement exactes, ait été précédée d’un état beaucoup plus barbare où n’existaient encore aucune des notions nécessaires pour les exécuter. Nous sommes donc porté à regarder les populations qui occupaient alors.le bassin du Mississipi comme étant déjà loin de l’homme primitif, ou bien il y aurait dans les divers faits observés une succession ou une chronologie qui n’a été ni distinguée ni caractérisée.

Il faut remarquer, d’un autre côté, que, malgré tout ce développement de force, d’industrie, d’intelligence appliquée et de civilisation supposée par MM. Squier et Davis, on ne voit encore cités, parmi les objets trouvés dans ces ouvrages si nombreux et dont plusieurs des plus remarquables ont été fouillés en tout sens, aucune médaille, aucune monnaie de métal, aucune inscription sur la pierre, symbolique ou autre, aucune manifestation de la pensée traduite par des signes quelconques et transmise de générations en générations. Bien plus, on ne mentionne pas de restes caractérisés des habitations de ces peuples ; aucune des constructions qui les abritaient n’a survécu, n’a résisté à l’action du temps ; on ne signale pas une pierre, pas une brique, pas un morceau de bois qui provienne évidemment de leurs maisons, dont la forme, les dimensions, les caractères et les matériaux nous sont complètement inconnus. Ainsi, rien n’est resté pour nous guider à cet égard dans la profondeur des temps où vivaient ces peuplades, dont tout ce qui pouvait se détruire a disparu.
Moyens d’évaluer leur ancienneté.

Non-seulement l’histoire est muette envers eux comme pour les établissements de l’Europe, mais encore les données archéologiques, comme on le voit, ne peuvent nous fournir, jusqu’à présent du moins, de chronomètre de quelque valeur. De ce que ces travaux et les divers objets qu’on y a trouvés semblent indiquer une civilisation plus avancée que celle qui a construit les habitations lacustres de la Suisse et accumulé les Kjökkenmöddings du Danemark, ce n’est point, comme on l’a dit, un motif suffisant pour les rapporter à une époque moins ancienne.

Cherchons donc si, par l’examen des phénomènes naturels, il ne serait pas possible de suppléer au silence des traditions et à l’absence de tout document écrit.

MM. Squier et Davis font remarquer qu’aucun des anciens monuments dont on vient de parler ne se trouve sur la terrasse la plus récente des diverses vallées du bassin de l’Ohio, et si les terrasses marquent l’abaissement successif du niveau des rivières, celle-ci, qui est la quatrième, s’est formée depuis que ces cours d’eau suivent leur lit actuel. Or on ne voit pas pourquoi les habitants n’auraient pas construit ces ouvrages sur cette dernière aussi bien que sur les trois autres, et, s’il y en avait eu, pourquoi on n’en retrouverait pas les traces.

Si l’on suppose, par exemple, que la terrasse inférieure de la rivière Scioto ait été formée depuis l’âge des monuments en terre, on peut admettre que le pouvoir d’excavation des rivières de l’ouest diminue dans le temps à mesure que le pays environnant s’approche davantage du niveau général. Sur le Mississipi inférieur, où seulement les anciens travaux sont quelquefois envahis par l’eau, le lit du torrent s’élève par les sédiments apportés des régions supérieures, où l’excavation se produit. Cette puissance d’érosion est d’ailleurs inverse du carré de la profondeur, c’est-à-dire qu’elle diminue comme le carré de la profondeur s’accroît ; par conséquent la dernière terrasse, due à l’action des mêmes causes, doit avoir exigé pour sa formation, toutes choses égales d’ailleurs, plus de temps que chacune des trois autres. Ainsi le temps depuis lequel les rivières suivent leurs directions actuelles semble pouvoir être divisé en autant de périodes qu’il y a de terrasses. Ces périodes auraient été d’inégales longueurs, et la dernière, celle que l’on suppose formée depuis que vivaient les populations qui ont construit les ouvrages en terre, est aujourd’hui la plus basse, et ferait remonter ces constructions à une haute antiquité, si l’on en juge par la marche actuelle des choses.

Mais un fait d’où l’on peut tirer peut-être une conclusion plus directe, c’est que ces travaux sont aujourd’hui recouverts de forêts qu’il est impossible de distinguer de celles qui les entourent, sur des points où il n’est pas probable qu’aucun défrichement ait été fait, et qui ont par conséquent tous les caractères des forêts que l’on peut supposer être primitives, comme si la nature s’était plu à voiler elle-même toutes les traces de ces peuples sans nom.

Ici nous ne trouvons rien de comparable à ces flores forestières qui, dans le nord de l’Europe, succédant à l’âge de pierre, semblaient y accompagner chaque âge des premières civilisations humaines. En Amérique, la nature reste uniforme : les arbres des forêts se succèdent sans modifier leurs essences ; ceux qui recouvrent les travaux des hommes ne diffèrent point de ceux qui les avaient précédés ; l’apparition de ces races perdues n’a été qu’un accident momentané après lequel la même végétation a repris tout son empire.

Quelques-uns des arbres de ces forêts qui couvrent les monuments ont une ancienneté certaine de 600 à 800 ans, et si l’on accorde un temps convenable pour le développement général de ces mêmes forêts, après que ces ouvrages eurent été abandonnés par ceux qui les avaient élevés, et pour la période sans doute fort longue qui a dû s’écouler entre cet abandon et la date de leur construction, nous nous trouvons reportés encore, comme par l’autre moyen d’évaluation, à une très-grande ancienneté.

Non-seulement les forêts qui ont succédé à ces populations sur les lieux mêmes qu’elles occupaient présentent les mêmes essences d’arbres que celles qui n’ont jamais été exploitées, mais encore ces essences y sont exactement dans les mêmes proportions et offrent le même aspect tout à fait primitif, circonstance qui avait vivement frappé le président Harrison. Lorsqu’une surface de pays a été défrichée, puis abandonnée de nouveau à elle-même, on a calculé qu’il fallait au moins cinq siècles pour que l’état de la forêt fût rétabli, et lorsqu’on observe l’aspect actuel de celles qui recouvrent les monuments en terre, on reste convaincu qu’il a fallu plusieurs de ces périodes de cinq siècles pour imprimer à ces forêts comparativement nouvelles tous les caractères des anciennes.

Enfin, MM. Squier et Davis pensent qu’il devait y avoir des communications entre les diverses parties de la vallée du Mississipi, puisqu’on trouve à la fois dans les mêmes tumulus le cuivre natif du lac Supérieur, le mica des Alléghanies, les coquilles marines du golfe du Mexique et l’obsidienne des massifs ignés des régions montagneuses de ce dernier pays. Il n’y aurait point eu alors, comme quelques auteurs l’ont supposé, de migrations de ces peuples soit au N., soit au S.[50].


§ 6. Réflexions générales sur l’ancienneté de l’homme.


Les détails que nous avons rapportés relativement aux restes des premières populations de l’ancien et du nouveau monde avaient pour but de nous faire remonter aussi loin que possible dans la période actuelle, afin de nous rapprocher de celle qui l’a immédiatement précédée ; mais nous devons faire remarquer que les régions dont nous nous sommes occupé ne sont précisément ment pas celles qui pouvaient être regardées, avec le plus de probabilité, comme ayant été le berceau de l’humanité. Pour nous éclairer à cet égard, il faudrait posséder, sur les diverses parties de l’Asie qui ont été le théâtre des plus anciennes civilisations, des documents analogues à ceux dont nous venons de parler, car ces civilisations pourraient fort bien être contemporaines de l’âge de pierre du nord et du centre de l’Europe, comme les populations sauvages de l’Amérique centrale, de la Polynésie et de l’Australie le sont de notre civilisation moderne.

Les plus anciens monuments de l’Inde et de l’Asie orientale, dus à des nations dont les noms sont restés inconnus, sont les preuves d’un art déjà très-avancé et témoignent d’une longue application de l’intelligence, aussi bien que les caractères gravés sur la pierre, destinés à reproduire et à transmettre la pensée. c’est dans ces pays surtout qu’il serait curieux de retrouver des traces de l’existence de l’homme, antérieures à tous ces produits de la civilisation, qui sont pour nous la limite extrême de l’histoire, des traces d’un âge de pierre qui pourrait avoir précédé de beaucoup l’âge de pierre des nations primitives de l’Europe et du nord de l’Amérique, enfin, de constater leurs relations avec les dépôts quaternaires de ces mêmes pays supposés avoir vu naître l’homme ; là peut-être trouverait-on la solution du problème que nous cherchons ?

Ainsi les grottes grossièrement creusées sur les flancs des collines de la vallée de Cachemire, les temples souterrains d’Ellore, de Salsette et d’Elephanta[51], avec leurs myriades de figures et de statues sculptées dans la roche, l’antique cité de Mavalipouram, en face de Ceylan, les bas-reliefs taillés sur les parois des montagnes de la Perse et couverts d’inscriptions cunéiformes, les splendides et bizarres constructions de Khorsabad, de Persépolis, de Pasargade et de Babylone, les temples excavés dans le grès d’Ipsamboul, en Nubie[52], ces innombrables et prodigieux monuments de l’Égypte, qui nous paraissent si anciens, étaient probablement aussi éloignés eux-mêmes des premiers établissements de l’homme en Asie et en Afrique, d’un âge de pierre réellement primitif dans ces régions, que le Parthénon, Saint-Pierre de Rome et le Louvre sont éloignés des Kjökkenmöddings du Danemark, des habitations lacustres de la Suisse, etc.

L’étude de l’Asie sous ce point de vue doit donc être le grand desideratum de la géologie et de l’archéologie. Déjà les recherches récentes de M. de Filippi[53], qui était attaché en qualité de savant à l’ambassade envoyée en Perse par le gouvernement italien, ont fait connaître dans la vallée de l’Abhar des dépôts fort anciens renfermant, à divers niveaux, des restes de charbon végétal, des os et des fragments de poteries en pâte noire très-grossière. Les Tepés, ou monticules coniques, isolés, composés de matériaux incohérents, renferment les mêmes traces d’industrie primitive, de beaucoup antérieures sans doute à la fondation de Ninive et de Babylone. D’un autre côté, l’interprétation des caractères cunéiformes, déjà si avancée, ne peut manquer, si l’on parvient à recueillir tout ce que le temps a épargné, d’apporter aussi quelques éclaircissements sur les commencements de ces nations, dont nous ne connaissons encore que très-imparfaitement les temps de prospérité et d’éclat.

La simultanéité des civilisations n’existant pas, nous pouvons seulement penser qu’il y a toute probabilité pour que l’établissement des premiers hommes ait commencé en Asie, où se montrent aussi les restes des civilisations les plus anciennes ; mais une remarque qui s’applique à tous ces premiers établissements connus, c’est la rareté des débris humains comparés à l’abondance de ceux des animaux qui ont servi de nourriture à ces peuplades. Ces ossements, pour la conservation desquels les habitants ne prenaient certainement aucun soin, se trouvent par milliers, et ceux de l’homme lui-même, lorsqu’on fouille la terre, ne présentent que quelques spécimens incomplets.

Un autre résultat de ces recherches sera de faire disparaître du langage ordinaire ces dénominations de celtiques, druidiques, etc., appliquées longtemps, dans l’ouest de l’Europe, à des ouvrages et à des objets d’industrie, dont les noms des constructeurs ou des fabricants nous sont complètement inconnus, puisqu’ils remontent à des temps antérieurs à toute tradition historique sur ces pays. Les peuples dont nous savons quelque chose ne sont déjà plus de l’âge de pierre, et beaucoup peut-être sont plus récents que l’âge de bronze, car nous ne possédons encore aucune notion ni sur le moment où ces diverses populations ont commencé à fixer leur pensée par des caractères ou signes représentatifs, ni sur ces caractères eux-mêmes ; on ne connaît que des systèmes paléographiques complets, et l’on ne sait ni quand ni comment chacun d’eux s’est formé dans l’origine, pas plus que les langues qu’ils traduisent.

Nous pouvons donc, comme résultat de ce coup d’œil rapide sur ses premiers établissements dans quelques parties de la terre, entrevoir combien a été longue l’enfance de l’humanité, enfance que tant de peuples n’ont pas encore dépassée et ne dépasseront sans doute jamais, puisqu’un si grand nombre d’autres ont déjà disparu de la terre sans avoir atteint l’âge adulte. Combien de siècles ont dû s’écouler avant que les races prédestinées à y arriver soient parvenues à ce qui nous semble aujourd’hui si simple, à transmettre leurs idées par des signes ?

Les traces matérielles de l’industrie naissante de l’homme, la marche si lente et presque incommensurable de ses progrès à travers tant de générations qui se sont d’abord succédé, le développement à peine sensible de son intelligence appliquée aux choses les plus usuelles de la vie, et qui ne dépassait pas de beaucoup l’instinct de certains animaux, tandis que toute idée élevée sommeillait profondément, que toute application de cette idée à un but immatériel semblait être inconnue, sont sans doute, dans l’ordre intellectuel, un phénomène bien curieux. Que pouvaient faire présager ces premières manifestations de la présence de l’homme, alors que les produits de ces facultés, qui plus tard devaient tenir du merveilleux, étaient loin d’atteindre l’alvéole d’une abeille, l’élégant tissu d’un arachnide et l’habitation d’un castor. Comment la perfectibilité, cet apanage exclusif de certaines races, et dont tant d’autres devaient être à jamais déshéritées, pouvait-elle être soupçonnée ?

Aussi, comme nous l’avons dit en commençant, dans l’ordre physique de la nature, l’apparition de l’homme ne fut marquée par aucune circonstance particulière. Ses premières générations durent vivre entourées des animaux que nous voyons encore aujourd’hui, et sans apporter parmi eux d’autres changements que ceux qu’exigeait la nécessité de vivre, de se nourrir, de se vêtir et de s’abriter. Rien ne dénotait encore chez lui cette suprématie qu’il a successivement acquise par un phénomène psychologique tout particulier, et dont les diverses phases ne semblent pas avoir beaucoup fixé l’attention des philosophes qui ont toujours considéré l’homme comme s’il avait été créé contemporain de Périclès ou d’Auguste.

Combien de milliers d’années ont dû se passer avant l’invention de l’écriture, et si l’on songe que ses signes diffèrent, presque comme les langues, chez les diverses nations, il a fallu que ce moyen de transmettre et de perpétuer, la pensée se produisit indépendamment chez un certain nombre d’entre elles, et par conséquent sans que les progrès de l’une pussent toujours servir à d’autres ! Que de siècles n’a-t-il pas fallu ensuite pour qu’à l’idée de succession du temps on ait joint le moyen de le mesurer, d’en exprimer la durée, de l’appliquer aux choses de la vie et de la transmettre d’une manière intelligible et durable aux générations futures ! Les premiers éléments de la mesure du temps, déduits de l’observation du cours des astres, supposent déjà des études suivies, multipliées, un esprit d’observation et de combinaison dont nous n’apercevons aucune trace dans les monuments de l’âge de pierre et de bronze.

Toute l’antiquité, telle que nous la connaissons, avec ce qu’elle nous a transmis de science, d’art, de littérature, de philosophie, de politique et de dogmes religieux, est donc relativement très-moderne et c’est ce dont il faut bien que se persuadent les philologues les plus érudits et les archéologues les plus versés dans la connaissance des monuments de ses diverses civilisations.

Les dernières découvertes prouveraient seulement que la représentation, surtout des animaux, par le dessin est antérieure à celle de la parole par des caractères d’écriture et que l’homme a reproduit et transmis les objets qu’il voyait avant ses propres idées.

Mais peut-être, demandera-t-on, la création est-elle finie parce que l’homme est arrivé ? Les lois qui ont régi sur la terre l’apparition et la succession des corps organisés depuis la première flore et la première faune ne sont-elles plus aujourd’hui que des lois de conservation ? La nature, si féconde jusqu’ici, a-t-elle épuisé toutes ses combinaisons de formes, d’organes et de fonctions ? Le Chêne de nos forêts, le Cèdre du Liban, le Baobab du Sénégal, le Dragonnier des Canaries, le Séquaïa de la Californie, les Cyprès d’Oaxaca et les Eucalyptus de l’Australie seraient-ils le dernier terme de sa puissance créatrice pour le règne végétal, et l’homme aurait-il été destiné à marquer la limite extrême de son pouvoir dans l’autre règne, de manière à ne plus laisser d’intervalle à remplir entre lui et le Créateur ?

L’observation directe ne peut encore répondre à aucune de ces questions. Mais l’induction d’une part, comme nous l’avons déjà dit, et de l’autre un regard jeté sur le passé de la terre pourrait nous faire entrevoir que la création n’est pas finie. Le tableau de l’état actuel de notre planète n’est probablement pas le dernier qu’éclairera notre soleil, tant que son action d’où dépendent aujourd’hui tous les phénomènes biologiques conservera les propriétés qui les produisent.

Mais si, comme tout semble le prouver, la terre a été successivement à l’état gazeux, de fluidité ignée et enfin solide par suite de son refroidissement graduel, le soleil, s’il à la même, origine et la même composition que les planètes qui se meuvent autour de lui, subira nécessairement aussi les mêmes phases de refroidissement. C’est donc une simple question de masse et de temps ; et lorsque, à son tour, il sera devenu un soleil encroûté, tout notre système n’en continuera pas moins de se mouvoir suivant les lois de la mécanique céleste, dans un milieu qui ne sera plus éclairé et échauffé que par le rayonnement stellaire. La vie alors sera depuis longtemps éteinte à la surface de la terre, sans lumière et sans chaleur, sans phénomènes météorologiques et sans saisons, et la création, comme sur les autres corps de notre système, y aura parcouru son vaste cycle dans l’immensité des temps.


Appendice.


Cône de déjection de la Tinière.


Nous reproduirons ici une observation omise par inadvertance (antè, p. 444) et qui a un véritable intérêt pour la chronologie des premiers établissements de l’homme en Suisse.

Le cône de déjection torrentiel, formé par la Tinière, à son embouchure dans le lac de Genève, à Villeneuve, ayant été coupé transversalement par les travaux du chemin de fer, a montré, dit M. Morlot[54], intercalée dans les alluvions du torrent et à 1m,29 de profondeur, une couche représentant un ancien terreau de l’époque romaine. À 5m,25 une seconde couche correspondait à l’âge de bronze, et à 6m,50 une troisième, de même nature, à l’âge de pierre. En combinant les diverses circonstances qui accompagnent ces faits et en admettant une latitude très-grande soit en plus, soit en moins, on arrive à trouver une ancienneté de 29 siècles aux moins et de 42 au plus pour la seconde couche, de 47 à 70 siècles pour la troisième, et un laps de 74 à 100 siècles pour l’âge total du cône depuis qu’il a commencé à se former, évaluation qui serait plutôt au-dessous qu’au-dessus de la probabilité. Chacun de ces anciens sols ne représente pas d’ailleurs la durée totale de chacun des âges correspondants, mais seulement une portion quelconque de chacun d’eux. Ainsi la couche de 3m,25, d’après les objets d’industrie humaine qu’elle a fournis, appartiendrait plutôt à la fin qu’au commencement de l’âge de bronze.

Les données historiques les plus anciennes, en Europe, ne remontent guère au delà de l’âge de fer.


  1. Cette leçon est antérieure à la découverte de la mâchoire fossile dans le dépôt de Moulin-Quignon, près d’Abbeville. Voy. sur ce sujet : Du terrain quaternaire et de l’ancienneté de l’homme dans le nord de la France. Broch. in-8. F. Savy, 1863.
  2. Quart. Journ. geom. Soc. of London, vol. XVIII, p. 218 ; 1862.
  3. Transact. phil. Soc. of London, 1835. — Traduction française, par M. Coulon (Mém. de la Soc. d’hist. nat. de Neuchâtel, vol. I. Bull. bibliographique, p. 1 ; 1836.) — Rep. 4th Meet. brit. Assoc., p. 652. Voyez aussi de Meyendorf, Bull. Soc. géol. de France, 1re série, vol. X, p. 79 ; 1837.
  4. Voyez Hisinger, vol. IV, p. 42, et sa carte géologique de la Suède méridionale.
  5. Voyage en Laponie et en Scandinavie, etc.
  6. Lyell, Address delivered, etc. (Proceed. geol. Soc. of London. vol. II, p. 506.) — Voyez aussi Nilsson, Sur des soulèvements et des affaissements alternatifs de la surface du sol dans le midi de la Suède (Forhandling vid. det af Skandinav. naturforsk. Travaux de la réunion des naturalistes et médecins scandinaves à Gotbenbourg en 1839. Gothenbourg, 1840, p. 129).
  7. Compt. rend., vol. IV, p. 965 ; 1838.
  8. Ann. d. Erd. volk. de Berghaus, vol. XV, p. 221 ; 1836.
  9. Compt. rend., vol. VI, p. 560 ; 1838.
  10. Bull. Soc. géol. de France, 1re série, vol. VII, p. 21 ; 1836. — Voyez aussi : Preuves des soulèvements de la Scandinavie dans les temps modernes (Magaz. for. Naturvidenskaberne, Christiania, 2e sér., 1835, p. 82 ; 1836 et Om Lonjardens, stigning Norge. Mémoire sur les exhaussements de la côte de Norwége, ibid. ; 1837).
  11. Lettre à M. Ch. Lyell, Sur quelques changements de niveau qui ont en lieu en Danemark dans la période actuelle (Transact. geol. Soc. of London, vol. VI, p. 157 ; 1841).

    Voyez aussi : Forhandling. vid det af Skandinav. naturf., etc. Travaux de la réunion des naturalistes et médecins scandinaves à Gothenbourg en 1839. Gothenbourg, 1840, p. 46 et 57. ─ Isis, 1843, p. 207, 212. — Sur les changements de niveau et les traces d’inondation sur la côte occidentale du Schleswig (Tidssk. f. naturvid. de Kroeyer, vol. II, p. 201). — Neu. Jahrb., 1838, p. 94. ─ Ch. Kapp, Sur les bancs de sable de Goodwin, dans la mer du Nord, formes par le soulèvement, comme certaines côtes de la Scandinavie (Almanach de Kaupp, 1856, p. 154. — Neu. Jahrb., 1836, p. 222). — Berzelius, Sur le soulèvement des côtes scandinaves et les roches polies et sillonnées des montagnes du Nord (Forhand. vid det af Skandinav. naturf., etc. Travaux de la Soc. des nat. scandinaves en 1842. Stockholm, 1843, p. 45-67). — Forchhammer, Sur les inégalités des oscillations de la Scandinavie (Bull. Soc. géol. de France. 1re sér., vol. IX. p. 100 ; 1838).

  12. Kongl. Vatensk. Acad. Handl., etc. — L’Institut, 19 mai 1812.
  13. Report 13th Meet. brit. Assoc., 1845. — Amer. Journ., vol. XLVII, 184.
  14. Acad. de Bertin, 1844. — L’Institut, 14 août 1844.
  15. Address to the roy. geogr. Soc. of London, 1845. — Cet abaissement a été confirmé depuis par M. Nilsson. Il est indiqué par des marais tourbeux à 14 et 20 pieds au-dessous de la Baltique, et où se trouvent des squelettes humains, des armes, des os d’Aurochs et d’autres animaux vivants. (Rep. 17th Meet. brit. Assoc. at Oxford, 1847. — L’Institut, 23 février 1848). — Voyez aussi : Neu. Jahrb., 1850, p. 471. Bibl. univ. de Genève, Sc. Phys., 1851, p. 149. Quart. Journ. geol. Soc. of London, vol. VII, p. 112. Dans un ouvrage sur l’apparition de l’homme en Scandinavie avant l’ère historique, par Nilsson, l’auteur cite une roche qui, en 1532, était à 2 pieds au-dessous du niveau de la mer, et qui, en 1844, était à 4 pieds au-dessus. Total : 6 pieds en 300 ans ou 1 pied en 50 ans. Le mouvement a été successif.
  16. Quart. Journ. geol. Soc. of London, nov. 1846, p. 562.
  17. On the natural history of volcanos, etc. (Edinb. new phil. Journ., vol. XXVI, n’ 5, janvier 1839).
  18. Bull. de la Soc. vaudoise des sc. natur., vol. VI, n° 46, p. 263, mars 1860.
  19. Vanuxem, Amer. Journ., vol. XLI, p. 168. — Lyell, A second visit, etc., vol. I, p. 338 ; II, p. 106, 115 ; 1850.
  20. Journ. of researches, p. 228 ; 1840.
  21. Lubbock, Natur. hist. review, n° 4, p. 489 ; 1861. Trad. par Alph. Milne Edwards, Ann. des sc. natur., 4e sér., vol. XVII ; 1862.
  22. Nous traitons ici de ce sujet à cause de ses relations avec les divers âges dont nous avons parlé. et avec ce qu’il nous reste encore à en dire, sans quoi nous eussions dû mentionner ces dépôts en parlant de la tourbe, dont ils ne sont que des modifications locales.
  23. Mém. de l’Acad. des sc. de Copenhague, vol. IX ; de Morlat. Bul de la Soc. vaudoise, vol. VI, p. 263 ; 1860.
  24. Il est à remarquer que le Coq de bruyère, qui se nourrit surtout de bourgeons de Pins, était commun à l’époque des Kjökkenmöddings.
  25. Note sur les anciennes habitations lacustres de la Suisse (Natur. hist. review, n° 5, janvier 1862. — Trad. française par M. Alph. Milne-Edwards, Ann. des sc. nat., 4e sér., vol. XVII ; 1862.
  26. Habitations lacustres des temps anciens et modernes, p. 3, in-8o avec planches. Lausanne, 1860.
  27. Dumont d’Urville, Voyage autour du monde, vol. IV, passim.
  28. Histoire d’Hérodote, vol. I, p. 409. Trad. de Larcher, éd. de 1850.
  29. Die Pfahlbau-Alterthümer von Moosseedorf im Kanton Bern, 1857. ─ Arch. de la Bibl. univ. de Genève, mai 1857.
  30. Un tersuch d. Thierreste ans d. Pfahlb. Schweiz, 1860.
  31. Biblioth. univ. de Genève, 1862, p. 16.
  32. Porrentroy, 1862.
  33. Der Pfahlbau bei Frauenfeld. Frauenfeld, 1862.
  34. Loc. cit., p. 254-262.
  35. Nouvelliste vaudois, 31 déc. 1861.
  36. Comptes rendus de l’Académie des sciences, vol. LVII. p. 839 ; 1865.
  37. Nuovi cenni sugli oggetti di alta antichita trovati nelle torbiere e nelle marniere dell’Italia, in-4 avec 6 pl. Turin, 1862. — Voyez aussi : Cenni su alcune armi di pietra e di bronzo trovate nell’ Imolese, etc. (Atti della Societa ital. di scienze naturali, vol. III, p. 11 ; 1861.)
  38. Bericht über der Pfahlbauten. Zurich, 1863.
  39. L’Italia, 6 mai 1863. — Revue scientifique italienne, 1re année. p. 19 ; 1863.
  40. Le terremare dell’Emilia. Prima relazione, in Nuovi cenni, etc., vid. suprà. — Die Terramara-Lager der Emilia. Erster Bericht, in-4. Zurich, 1863. — Avanzi preromoni raccolti nelle terremare e palafitta dell’Emilia. Fascicolo 1°, avec 4 pl., in-8. Parme, 1863. — Lettera scritta al Sign. Rabbeno, direttore della Gazzetta di Parma, 10 août 1865. — Palafitta di Castione ; Gazzetta di Parme, n° 234, 235 ; 1862. — L. Pigorini, Terramara di Casoroldo in Somboseto. Ib., n° 277.
  41. Annali delle scienze nat. di Bologna, 1830.
  42. Notice sur les instruments en silex, etc., in-8. Lausanne, novembre 1860.
  43. Le scheggie di diaspro dei monti della Sperzia, in-8. Bologne, 1862.
  44. Archæology of the United States or sketches historical and bibliograph., etc., of the U. States ; Smithsonian contributions to knowledge, 1855.
  45. Amer. Journal de Silliman, vol. XXXVI, p. 199.
  46. Lethæa rossica, p. 352.
  47. Nat. Hist. of the human species, p. 104.
  48. Ancient monuments of the Mississipi valley, etc., avec 48 pl. et 207 dessins insérés dans le texte. (Smithsonian contributions to Knowledge, vol. I, 1848.)
  49. L’acre anglais équivaut à 40 ares.
  50. Voyez aussi : Ab original monuments of the state of New-York, par M. E. G. Squier (Smithsonian contributions, vol. II, 1851).
  51. Hist. des progrès de la géologie, vol. III, p. 509.
  52. Ib. vol. V, p. 427.
  53. Acad. r. des sciences de Turin, 14 déc. 1862. — De Mortillet, Revue scientifique italienne, 1re année, p. 178 ; 1863.
  54. Bull. de la Soc. géol. de France, 2e série, vol. XVIII, p. 829 ; 1860.