Décarie, Hébert & Cie (p. 174-185).

XVI


Cette étrange conduite de Mamie dans le bateau avait frappé George, et il étudia longuement le problème qu’elle présentait. À en juger d’après les apparences, la jeune fille devait être éprise de lui ; mais comme cette idée ne lui plaisait pas, il se donna les plus grandes peines pour la chasser de son esprit. Dans les dispositions où il se trouvait, ce ne pouvait être une agréable surprise de découvrir une affection nouvelle, là surtout où il ne l’attendait pas. En outre, s’il s’assurait une fois que Mamie l’aimait, il trouverait probablement de son devoir de s’éloigner au plus vite. Une telle décision l’eût privé de tout ce dont il jouissait dans l’heure présente, et son égoïsme la reculait autant que possible.

En ce moment, du reste, il était repris par de besoin de travailler, qu’il avait pu perdre seulement pendant quelques semaines. Il n’avait pas oublié Constance et la blessure qu’il avait reçue n’était pas encore guérie. Cependant, après s’être remis à la besogne, il s’aperçut vite que son amour pour le travail n’avait pas diminué et que ses facultés ne s’étaient pas affaiblies. Pour lui, si ce n’était pas un bonheur d’écrire, c’était au moins une satisfaction. À cette époque, ses hésitations du début avaient disparu et sa main avait toute ‘son activité. Il ne restait plus assis des heures devant une feuille de papier, les yeux fixés sur le mur, à se fatiguer le cerveau dans l’espoir qu’un personnage imaginaire allait subitement prendre forme et vie en sortant du chaos qu’il entrevoyait. Jusqu’à ce que les premières difficultés qui accompagnent les commencements d’un roman fussent surmontées, il avait encore eu un vague et inconscient soupçon qu’il ne pouvait rien faire de bon sans l’encouragement journalier et la critique infaillible auxquels Constance l’avait habitué lors de ses premiers efforts. Dès qu’il fut bien lancé, il se sentit fier d’être en état de travailler sans elle. Pour la première fois, il n’avait à compter que sur son propre jugement, comme il avait toujours compté sur ses propres idées, et son jugement décida que son travail était bon.

Dans ces conditions, la vie lui parut alors supportable et souvent pleine d’agrément. Peu à peu, à mesure que son attention s’absorbait en des créations imaginaires, le visage de Constance Fearing apparaissait moins souvent dans ses rêves et les notes mélancoliques de sa voix ne résonnaient plus continuellement à ses oreilles. Il n’oubliait pas, mais les impressions allaient en s’amoindrissant rapidement. Quelques mois après, quand le livre qu’il écrivait alors eut été publié, ce fut une surprise nouvelle pour ses lecteurs. Ses premiers essais avaient été remarquables pour leur beauté naturelle, son dernier roman était un chef-d’œuvre d’art « vécu ».

Pendant ce temps-là, et à son insu, son intimité avec Mamie allait croissant. Durant les nombreuses heures de la journée où il n’avait pas d’occupation fixe, il était presque constamment avec elle et leur conversation ne s’interrompait chaque soir que pour recommencer l’après-midi suivante, quand, après avoir achevé son travail, il sortait de sa chambre pour chercher un peu de délassement. Il n’avait jamais trouvé d’explication à l’embarras qu’elle avait manifesté le jour de la promenade en bateau sur l’Hudson, et depuis quelque temps il avait renoncé à en chercher une. Son cerveau était trop occupé d’autres choses, et quand il était avec elle il désirait surtout du repos, malgré sa curiosité à essayer de résoudre les petites énigmes de ces pensées de jeune fille. C’était une très agréable compagne, et cela lui suffisait. Elle apportait autour de lui une atmosphère de sincère et affecttueuse admiration qui lui donnait confiance en lui-même et calmait son imagination surchauffé par le travail.

Mamie, de son côté, était plus heureuse qu’elle ne l’avait jamais été. Elle n’avait plus l’humiliation de prendre conseil de sa mère sur la conduite qu’elle devait tenir et pouvait jouir de la compagnie de George sans sentir qu’il lui avait été recommandé d’en jouir dans un but intéressé. À mesure qu’elle apprenait à l’aimer davantage, elle devenait plus prompte à comprendre ses idées. Des signes qui lui avaient échappé autrefois, étaient à présent aussi distincts pour elle que les paroles elles-mêmes. Elle savait, presque avant qu’il le sût lui-même, s’il désirait sa société ou la solitude s’il préférait causer ou garder le silence, si telle question qu’elle pensait à faire lui serait agréable ou le contrarierait. Un jour, elle se hasarda à prononcer le nom de Constance.

George n’était jamais allé faire visite à la maison de campagne des Fearing et ignorait même, avant d’être venu chez sa cousine, qu’elles habitaient de l’autre côté du fleuve. De la rive des Trimm on ne voyait pas leur maison cachée derrière les arbres, à un endroit où l’Hudson avait près de deux kilomètres de large. Totty, cependant, qui cherchait toujours à éviter quelque chose de désagréable à George, lui avait bientôt appris ce détail, d’une façon indifférente, en lui montrant du doigt et en nommant les diverses maisons de campagne que l’on pouvait voir de chez elle. Aussi, lorsqu’il traversait le fleuve et ramait le long de l’autre rive, George avait soin, pour éviter jusqu’à la possibilité d’une rencontre, de rester éloigné de la propriété des Fearing. Or, une après-midi, il remontait lentement le fleuve en se dirigeant vers un endroit où le courant était faible et où il amarrait quelquefois le canot à un ancien débarcadère, pour se reposer et causer plus à l’aise avec Mamie. Celle ci, assise à l’arrière, confortablement appuyée sur les coussins, tenait les cordes du gouvernail. Quoiqu’elle sût très bien gouverner et même assez bien ramer, pour marcher contre un courant moyen, George, qui avait l’habitude d être seul en bateau, ne lui laissait jamais prendre les avirons. Mamie observait indolente le mouvement régulier des rames ; mais à un moment, son regard se porta le long du fleuve, vers l’autre rive, et elle essaya de découvrir le toit de la maison des Fearing au-dessus des arbres.

« George, dit-elle tout à coup, seras tu fâché si je… ?

— Je ne suis jamais fâché, répondit son cousin. Qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? Si tu préfères descendre à terre, je t’arrangerai une ligne.

— Non ; je préfère rester dans le bateau. Mais j’ai bien peur que tu ne sois fâché tout de même. C’est quelque chose que je veux te demander et je suis sûre que cela ne te fera pas plaisir.

— Un moyen de ne pas se fâcher serait alors de ne pas faire ta question, observa George avec un calme sincère.

— Mais je voudrais tant te la faire ! » s’écria la jeune fille avec une expression si suppliante que le sourire de George se changea en un éclat de rire.

Il riait assez souvent depuis quelque temps et même très naturellement.

« Allons, dis, Mamie ! cria-t-il en plongeant vivement ses rames clans l’eau. Je ne me fâcherai pas, j’en suis sûr, et j’ai perdu y habitude de croquer les petites filles. Qu’est-ce que c’est ?

— Pourquoi ne vas-tu jamais voir les Fearing ? Tu y allais si souvent autrefois ! » La physionomie de George changea, mais il continua de ramer avec la même régularité. Son visage devint très grave, et, sans le vouloir, son regard se dirigea à travers le fleuve vers l’endroit où regardait Mamie.

« Je savais bien que tu serais fâché ! dit-elle d’un ton de repentir.

— Non, répondit George, je ne suis pas fâché ! Je réfléchis. »

Il se demandait, en effet, jusqu’à quel point la jeune fille savait la vérité, et il était assez méfiant pour s’imaginer qu'en faisant cette question elle pouvait avoir un but. Mais Mamie avait pas la diplomatie de sa mère. Ses pensées étaient simples et naturelles. Il lui jeta un coup d’œil et vit qu’elle était troublée par l’indiscrétion qu’elle venait de commettre.

« Ta mère ne t’a-t-elle jamais rien dit de tout cela ? demanda-t-il après une longue pause.

— Non. Je ne connais que ce que tout le monde a su,… au mois de mai dernier, quand on en a parlé. Je me demandais… voilà tout… je me demandais si tu avais été très chagrin à cause d’elle. »

Il y eut encore un long silence, interrompu seulement par le bruit régulier des rames et des gouttes d’eau qui s’en échappaient et retombaient dans la rivière.

« Oui, je l’ai été, répondit enfin George. Je l’aimais très tendrement. »

Il ne savait pas pourquoi il faisait cet aveu. Il n’en avait jamais dit autant à personne, excepté à son père. S’il avait deviné ce que Mamie éprouvait pour lui, il n’aurait assurément pas répondu de cette façon.

« Es-tu encore très malheureux ? demanda la jeune fille d’une voix rêveuse.

— Non. Je ne crois pas. Je ne suis plus le même qu’autrefois. Voilà tout… J’ai d’abord été malheureux, continua-t-il sans regarder sa compagne, dont il paraissait à peine se rappeler la présence. Oui, naturellement, je l’ai été. Je l’aimais depuis longtemps. J’avais cru qu’elle m’épouserait. Puis j’ai découvert qu’elle était indifférente. Je ne retournerai jamais la voir. Elle n’existe plus pour moi… C’est une autre personne, que je ne désire pas connaître. J’ai aimé et j’ai été déçu, comme l’ont été bien des hommes valant mieux que moi.

— Aimer et être déçu ! » répéta la jeune fille d’une voix très basse qui arriva à peine à l’oreille de George.

Elle avait les yeux baissés et nouait et dénouait nonchalamment le bout des cordes du gouvernail.

« Oui, c’est bien cela, dit-il, comme quelqu’un qui réfléchit à une chose passée depuis longtemps. Tu sais maintenant pourquoi je n’y vais plus. »

Puis il accéléra un peu son coup d’aviron, et son regard se remplit d’un feu sombre que Mamie ne put voir, car elle avait toujours les yeux baissés. Elle était contente d’avoir fait cette question en raison de la réponse qu’il avait donnée. Dans son ton il avait quelque chose qui lui disait qu’il ne se trompait pas sur lui même et que dans son cœur le passé était séparé du présent par une barrière qu’il serait difficile de renverser.

Crois-tu que tu pourras jamais aimer encore ? demanda-t-elle au bout de quelque temps en le regardant en face.

— Non, répondit-il en évitant ses yeux. Je n’aimerai jamais aucune femme… de la même manière, » ajouta-t-il après un temps d’arrêt.

Quand il la regarda, elle était très pâle. Il se souvint tout à coup comment elle avait changé de couleur et fondu en larmes quelques semaines auparavant, assise devant lui à cette même place. Quelque chose se passait dans son esprit qu’il ne comprenait pas. Il était très lent à s’imaginer qu’on pût l’aimer. Il était même si loin de le penser dans le cas présent, que tout à coup il lui vint à l’esprit qu’elle pouvait avoir plus d’affection pour Constance Fearing qu’il ne l’avait cru ; qu’elle était peut-être son amie, comme Totty, et que toutes deux l’avaient amené à leur maison de campagne dans l’espoir d’apaiser son ressentiment, de raviver ses espérances, et de lui faire renouer des relations avec la jeune fille qui l’avait refusé. Cette idée était ingénieuse dans sa folie, mais elle excita facilement sa colère.

« L’aimes-tu donc beaucoup, elle, Mamie ? » demanda-t-il en fronçant ses épais sourcils et d’une voix rude.

Le sang monta au visage de la jeune fille et ses yeux lançaient des éclairs quand elle répondit : « Moi… Je la hais ! »

George resta complètement atterré. Cette première explication de la conduite de Mamie s’était si soudainement présentée à lui qu’il l’avait acceptée comme bonne, sans essayer de la raisonner. Or elle était détruite en un instant par la réponse de la jeune fille. Quand une jeune femme dit qu’elle liait une autre, il est assez facile à son ton de juger de sa bonne foi. Quoiqu’il fût encore cruellement embarrassé, le nuage disparut du front de George aussi rapidement qu’il était venu.

« Voilà une révélation ! s’écria-t-il. Je croyais que ta mère et toi vous leur étiez très dévouées à toutes deux.

— Cela me ressemblerait bien, n’est-ce pas ? » Mamie appuya sur ses paroles avec un petit rire de colère.

« Cela ne te ressemble pas de haïr les gens, observa George en la regardant attentivement.

— Je haïrai toujours ceux qui te feront du mal… et je puis haïr de tout mon cœur !

— As-tu donc tant d’affection pour moi ? »

George trouvait que la jeune fille devenait à tout moment plus difficile à comprendre. Cette question lui avait paru toute naturelle puisqu’ils se connaissaient et s’amusaient comme frère et sœur depuis si longtemps. Mais il vit qu’il y avait autre chose. Les yeux gris de Mamie avaient un regard d’effroi qu’il ne leur avait jamais vu. comme si elle se trouvait tout à coup en présence d’un grand danger. Puis les contours de sa physionomie se détendirent soudain pour prendre une étrange expression de douceur. Elle n’avait jamais été jolie, sauf ses yeux et son teint d’albâtre : pendant un moment elle était devenue belle.

« Oui, dit-elle d’une voix hésitante, je t’aime beaucoup… plus que tu ne sauras jamais. »

Son secret venait de lui échapper. Alors, pour la première fois de sa vie, bien qu’il eût près de trente ans, George leva les yeux sur une femme qui l’aimait de tout son cœur et il sut ce que l’amour était chez une autre comme il l’avait su pour lui-même.

Le soleil descendait derrière les montagnes de l’ouest, et l’eau sombre, dans laquelle il replongea silencieusement ses avirons, était calme et unie. Pendant quelques minutes il continua de ramer sans parler. Mamie regardait l’eau, en laissant traîner sa main blanche dégantée dans ce miroir limpide.

« Je te remercie, Mamie, » dit-il enfin, très doucement et très affectueusement.

Le silence régna de nouveau pendant qu’ils avançaient rapidement par ce crépuscule empourpré.

« Et toi, m’aimes-tu ? » demanda la jeune fille en levant furtivement les yeux vers lui, puis rougissant et fixant encore ses regards sur les profondeurs du fleuve. George tressaillit légèrement. Il ne s’attendait pas à cette question.

« Oui, certainement, je t’aime, » répondit-il.

Il crut entendre un soupir dans la brise du soir.

« Je t’aime davantage tous les jours, » ajouta-t-il tranquillement, quoiqu’il sentît qu’il était très loin d’être calme.

Il disait vrai : chaque jour il s’attachait davantage à Mamie et elle commençait à prendre la place que Constance avait occupée dans ses actions sinon dans ses pensées. Mais dans cette affection croissante pour elle, il n’y avait pas une étincelle d’amour, et la découverte qu’il venait de faire le troublait extrêmement. Il n’avait jamais eu rien à se reprocher dans ses relations avec Constance Fearing, mais il s’accusa alors d’avoir trompé l’innocente jeune fille qui l’aimait et de lui avoir par une insouciante question arraché l’aveu de son amour. Il se rendit compte qu’il avait pris la place de Constance et que Mamie avait pris la sienne ; il avait été inconsidéré dans ses paroles et dans ses actions pendant les deux derniers mois, et, un jour, elle pourrait bien lui reprocher sa légèreté. Des incidents se présentèrent en foule à sa mémoire et s’accumulèrent dans son cerveau, amenant à leur suite mille piqûres à son sentiment d’honneur. Par inadvertance il avait causé un grand mal, depuis son arrivée à la campagne. Avant cela Mamie ressentait pour lui exactement ce qu’il ressentait pour elle, une simple affection à cœur ouvert. En se souvenant de la courte lutte qui s’était livrée dans son esprit avant d’accepter l’invitation de Totty, il s’accusait de ne pas avoir pensé à ce qui arriverait. Mais le plus surprenant, ce qui faisait perdre tout l’équilibre à son cerveau, c’est que Totty n’eût pas prévu cette catastrophe, la diplomatique Totty, la pratique Totty, l’avare Totty ! Cela dépassait sa compréhension. Cependant, malgré sa détresse, il eut peine à réprimer un sourire, en se figurant la fureur de Totty s’il arrivait à épouser Mamie. Sherrington Trimm lui. l’accepterait tout aussi bien que tout autre honnête homme, s’il était sûr de l’inclination de Mamie.

Il y avait cependant quelque chose à faire tout de suite. Il n’était pas comme Constance Fearing une faible créature hésitant pendant des mois et des années, pour finir par causer une déception cruelle. Il regrettait même les dernières paroles qu’il avait dites et qui n’étaient dictées pourtant que par un puéril désir de ne pas froisser les sentiments de la jeune fille. Il eût mieux valu qu’elles n’eussent pas été prononcées. Il fallait que la situation fût définie, le mal arrêté, s’il ne pouvait être défait, et, si c’était nécessaire, et ce le serait probablement, il quitterait la maison dès le lendemain matin. Il ouvrit la bouche pour parler, mais le sang lui monta au visage et il ne put articuler un mot. Il était accablé de honte et de remords, il aurait préféré subir toutes les humiliations, plutôt que celle-là. Mais ou bout d’un instant son énergique nature reprit le dessus, comme elle le faisait toujours on présence de grandes difficultés. Il regrettait déjà son hésitation comme une lâcheté.

« Mamie, » dit-il tout à coup.

Il s’étonna que sa voix pût être aussi douce.

« Mamie, je ne t’aime pas ! »

Il s’était attendu à tout, excepté à ce qui arriva. Mamie le regarda dans les yeux, puis de nouveau à la lumière du soir l’expression de son amour transfigura son visage et lui prêta une perfection de beauté qu’il ne lui avait jamais vue.

« Ne me l’as-tu pas déjà dit, mon cher George ? demanda-t-elle moitié tristement, moitié affectueusement. Ce n’est pas nouveau. Il y a longtemps que je le sais. »

George la regarda un instant.

« J’avais peur de ne pas l’avoir dit clairement, répondit-il à voix basse.

— Toutes tes paroles, toutes tes actions me l’ont dit. Ne le répète pas.

— Il faut que je m’en aille d’ici. Je partirai demain. »

Elle leva sur lui des yeux épouvantés.

« Partir ?… me quitter ?… Ah ! George, tu ne feras pas cela ! »

La situation était aussi étrange que nouvelle et George se sentait tout confus. Sa résolution resta. cependant, aussi inflexible qu’auparavant.

« Mamie, dit-il, il faut bien nous entendre. Les choses ne peuvent continuer à aller comme elles vont depuis si longtemps. Si je restais ici, saistu ce que je ferais ? J’agirais vis-à-vis de toi comme Constance Fearing a agi vis-à-vis de moi, seulement ce serait pire, parce que moi je suis un homme et que je n’ai pas le droit qu’ont les femmes de faire de semblables choses.

— C’est bien différent, dit la jeune fille en fixant les yeux sur l’eau.

— Non, ce n’est pas différent, insista George. Je n’ai pas le droit d’agir comme si je t’aimais, ni de te laisser croire seulement, d’après ce que je fais ou ce que je dis, que la chose est possible. Je suis brutal. Je le sais. Pardonne-moi, ma chère Mamie. Il vaut beaucoup mieux que la situation soit très nette. Nous nous connaissons depuis si longtemps et si bien que…

— Rien de ce que tu pourras dire ne me fera approuver ton départ.

— Soit ! néanmoins, si je ne pars pas comme l’exige mon devoir, je ne me le pardonnerai jamais…

— Je te pardonnerai.

— J’aurai horreur de moi-même…

— Je t’aimerai.

— Je me sentirai l’être le plus misérable de la terre.

— Je serai heureuse. »