Ingres d’après une correspondance inédite/XXXIV

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XXXIV
Paris, ce 27 février 1832.

Mon cher et trop malheureux ami, si ma voix t’arrive si tard pour t’offrir ce que je ne sais appeler des consolations, c’est après en avoir senti l’impuissance.

Nous avons été frappés aussi terriblement que tu peux le penser par la lettre du bon ami Debia. Mon cher ami, pleurer avec toi, c’est tout ce que nous pouvons d’abord t’offrir, en rouvrant la plaie profonde. Pauvre Gilibert, et ta pauvre petite fille ? Je n’ose t’en demander des nouvelles. Et toi, pauvre ami, es-tu assez malheureux ? Cependant, anima, courage ! puisqu’elle vit, cette chère petite ! Alors et de toute manière, il faut tout supporter et continuellement combattre le sort le plus affreux et vaincre la mauvaise fortune. Lorsqu’on est armé d’honneur et d’une bonne conscience, on doit se remettre en route, avec l’espérance d’avoir épuisé tous les traits empoisonnés. Il faut tout faire, pour reprendre courage. De vrai bonheur, il n’en est pour aucun mortel.

Tu as une position qui assure ta liberté : apprécie l’étendue de ce bonheur. C’est par cela que, moi et tant d’autres, nous portons une chaîne au col, tirée continuellement par mille sujets de dépendance fatale. Quand nous voulons nous livrer à nos nobles penchants, à nos justes désirs, à l’amour de la vérité, quand nous voulons résister, notre chaîne se resserre de plus en plus et le supplice recommence.

Adonc, mon bien cher, réalise, puisque le malheur t’en donne l’occasion, ce projet désiré de nous rapprocher. C’est un désir d’égoïste, je le sens, puisque tu laisserais les amis que tu as à Montauban. Mais comment y vivras-tu heureux ? Tu peux, je le sais, me faire beaucoup d’objections sur ce point inattendu. Elles peuvent avoir quelque valeur, c’est possible. Mais crois-tu que nous ne soignerions pas la chère enfant qui deviendrait notre chérie, par les soins tendres de ma femme ? Et, toi à Paris et un peu à Montauban, est-ce que cela ne peut s’arranger ? Je ne presse rien : il faut de la discrétion, même avec ses amis. Viens au plus vite en causer avec tes amis. Distrais-toi un peu. Nous parlerons de tes regrets, de tout ce qui te touche, avec le sentiment de notre vive amitié. Au moins pour quelque temps, pour quelques jours, viens, cher ami, au milieu de nous, y pleurer même. Ma bonne femme, tu le sais, partage si bien notre amitié, qu’elle n’y sera jamais de trop. Je me mets tellement à ta place, que j’en éprouve une mortelle affliction. Nous vivons dans une si grande anxiété sur toi, que je te renouvelle ma prière de nous écrire. Quatre lignes suffiront même.


Malgré leurs dates différentes, nous faisons suivre ici les lettres qu’Ingres écrivit à Mgr l’Évêque d’Autun, à propos de son tableau du Martyre de saint Symphorien, commandé pour la Cathédrale de cette ville. M. Henry Lapauze les a extraites des archives de cet évêché.

À Mgr de Margerye, évêque d’Autun.

Paris, 20 avril 1831.
Monseigneur,

Mes nombreuses occupations, comme membre du jury d’admission à la prochaine Exposition, comme professeur à l’École et tant d’autres soins dont je suis, j’ose dire, accablé, ont pu retarder la fin de mon tableau, mais elles ne peuvent ôter de mon cœur l’obligation que j’ai à l’extrême complaisance avec laquelle vous m’avez attendu. J’espère n’en pas abuser longtemps encore, malgré que, pour surcroît de retard, j’aie pris pour maxime celle de notre grand poète législateur : « Vingt fois sur le métier, etc. ». Il sera fini pour être exposé à la fin du grand Salon. C’était le cas de mettre en pratique cette maxime, qui est ordinairement ma devise, puisqu’il s’agissait de faire un ouvrage digne de vous, Monseigneur, et de votre respectable prédécesseur, et que c’était la seule manière dont je pusse reconnaître la bienveillance que vous portez à mon ouvrage à moi.

Quant à l’argent, c’est avec le Ministre que j’ai toujours traité ; ainsi, je continuerai. C’est un soin que je puis vous épargner.

Je suis avec respect, Monseigneur, voire très humble et reconnaissant serviteur.

Ingres.

Paris, le 11 juin 1833.
Monseigneur,

Des contre temps, des travaux obligés, une assez grave indisposition m’ont forcé d’interrompre pendant quelque temps et à plusieurs reprises mon ouvrage chéri, celui que je fais pour Votre Excellence. Maintenant que la saison est favorable, j’espère qu’il sera terminé dans deux mois. Mais alors, Monseigneur, je ne serai pas maître de satisfaire votre désir, car le Ministre veut que ce tableau fasse partie de la prochaine Exposition, qui commencera au i ei mars i834-

Votre Excellence a eu tant de patience que je suis vraiment chagrin de vous annoncer ce nouveau retard. J’espère, Monseigneur, que vous voudrez bien me continuer vos bontés, ce dernier événement étant tout à fait hors de mon pouvoir et de ma prévision.

Je suis, avec le plus profond respect, Monseigneur, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur.

J. Ingres,
Membre de l’Institut.

Paris, le 22 avril 1834
Monseigneur,

Je vous prie de m’excuser si je n’ai pas répondu plus tôt à votre honorable lettre. J’étais en voyage, et, au retour, mille soins m’en ont empêché, quoique jamais mon zèle à servir vos désirs ne s’en soit ralenti. J’ai enfin terminé votre tableau avec tout le soin dont je puis être capable. Exposé, et bien malgré moi, à la critique d’un public fort mêlé et qui a peu de sympathie pour le beau, le grave et tout ce qui est sérieux et respectable, j’ai dû essuyer les traits de l’envie, de la cabale, de l’ignorance et de la mauvaise foi. Mais heureusement que j’ai été bien vengé par un bon nombre de bons esprits qui se sont hautement prononcés en ma faveur ; et iorce, comme on dit aujourd’hui, est restée aux doctrines et aux grands principes d’un art que j’exerce depuis longtemps.

Il serait absurde de penser qu’un ouvrage éminemment religieux dût figurer dans un musée profane et sans but moral ; et je dois vous assurer, Monseigneur, de la joie que j’envie de voir mon travail orner la vénérable église dont vous êtes le si digne pasteur, et je combattrai de toutes mes forces tout ce qui pourrait empêcher ou retarder l’envoi de ce tableau à sa légitime destination.

Je remercie Monseigneur de l’invitation qu’il veut bien me faire d’aller à Autun ; j’accepte ses offres avec une sensible reconnaissance, ne fût-ce que pour pouvoir lui exprimer de vive voix combien je suis touché de toutes les bontés dont il m’honore dans sa précieuse lettre et de l’attachement que m’inspire pour sa personne un prélat aussi distingué qu’éclairé.

J’ai l’honneur d’être, avec ces sentiments, Monseigneur, avec respect, votre très humble et très obéissant serviteur.

Ingres.

À Mgr l’Évèque d’Autun (dix ans apkès).

Château de Dampierre, 11 août 1844
: Monseigneur,

Vous m’avez toujours témoigné tant de bontés, que je prends la liberté de rappeler au souvenir de Votre Grandeur un de mes vœux les plus chers, dont elle m’a autrefois fait part, et qui serait de placer mon Martyre de saint Symphorien dans une des salles de son palais épiscopal. J’ai appris, Monseigneur, que d’importants travaux s’exécutent dans votre église-cathédrale et que mon tableau, par suite, avait dû être couvert, accident qui peut le jaunir ; mais aussi la poussière est on ne plus subtile ; elle s’infiltre partout et détériore promptement. L’occasion me paraît donc opportune pour effectuer un transport qui satisferait à la fois, Monseigneur, et aux désirs de votre Grâce et aux miens.

Je supplie Votre Grâce, Monseigneur, de daigner rendre ainsi à cet ouvrage la première illustration qui valut à son auteur des éloges dont il fut si flatté et qu’il doit aux Autunois ; le déplacement de ce tableau est, selon moi, le seul moyen de le leur conserver intact.

Je prie Votre Grâce, Monseigneur, de vouloir bien agréer, etc…

J. Ingres.

À Mgr l’Évêque d’Autun (onze ans après).

Paris, 14 mars i855.

Monseigneur,

Ne pouvant me refuser à faire partie de la grande Exposition de i855, je viens supplier Votre Grandeur de vouloir bien accorder la demande que M. le ministre d’État vient de lui adresser pour obtenir, pour le temps de l’Exposition, le tableau de saint Symphorien, sur l’effet duquel je compte beaucoup pour représenter de mon mieux, au grand concours qui se prépare. Ce tableau est un des plus importants que j’aie peints. Vous comprenez, Monseigneur, que je désire m’appuyer de mes plus grandes œuvres, en cette circonstance qui est une lutte nationale et artistique tout à la fois. À ces doubles motifs, je dois y apporter mes plus beaux titres et, surtout vis-à-vis des étrangers, la réputation que mes concitoyens ont bien voulu m’accorder et qui est la récompense des travaux de toute ma vie. Dans l’espoir d’une adhésion favorable, je supplie Votre Grandeur de croire, etc..

P. Ingres,
Membre de l’Institut.

À M. Dumont.

Rome, ce 9 mars 1835.

Cher ami, permettez-moi de prendre ce titre avec vous. Vous me donnez tant de preuves de véritable amitié, de sollicitude pour tout ce qui me touche que je suis heureux de vous en adresser la qualification, en vous priant de l’agréer comme celui qui aime et estime le plus votre personne. Ces sentiments ont toujours été les miens, du moment que je vous ai connu, et je ne fais aujourd’hui que vous en assurer de nouveau.

Vous êtes mon bon génie au ministère. Eh bien ! comment avez-vous débuté ? Grondez-moi, s’il y a lieu, et donnez-moi toujours vos bons conseils dont je sens que j’ai besoin plus que jamais, heureux lorsqu’ils partent de l’amitié. Je vous remercie de tous vos bons offices déjà rendus et je dois être content de ce que le ministre a fait pour le Louis XIII ; si par la suite on peut faire encore quelque chose, tant mieux. Que la beauté de l’ouvrage surtout fasse le reste. Je ne puis douter de la part que que vous avez dans l’affaire des pensionnaires. La lettre que vient de m’adresser l’Académie par M. de Quatremère me fait espérer que nous réussirons. J’ai fait de mon mieux pour en finir enfin ; mais la signature tarde bien et je l’attends avec une grande anxiété. La désorganisation du ministère nous donnait beaucoup d’inquiétude pour le pays et nos affaires ; j’espère et fais vœux pour qu’ils ne touchent en rien à votre personne et que vous soyez toujours là, puisque votre philosophie s’en contente, pour notre bonheur et comme notre bon ange.

Quand à ma situation ici vous la connaissez ; je désire pour mon bonheur qu’elle soit toujours ainsi, pour toutes choses. Mon prédécesseur avec qui au reste je me suis parfaitement quitté, m’aurait seulement un peu alarmé sur quelques embarras financiers qui l’auraient, dit-il, fort gêné dans l’exercice de sa gestion et dont sa dernière lettre au ministre se plaint. Vous devez en avoir connaissance, et comment j’ai entendu la chose.

Je suppose, par une grossière comparaison, que vingt sols soient accordés par jour à l’existence d’un individu et qu’on vienne lui dire : « Sur cette somme vous payerez cinq sols ici, trois sols là, quatre de ce côté, et cependant vous vivrez et vous vous arrangerez, par vos économies, à couvrir ces dépenses étrangères, etc. ». Je désirerais donc, s’il m’est permis de former un vœu avec vous, cher ami, et dans mon intérêt que (si cela est ainsi) la chose n’allât pas ainsi pour moi, et que toutes dépenses étrangères aux arts dont je pourrais être chargé par le ministre, fissent un compte à part et bien séparé du budget des dépenses spéciales à l’Académie.

J’ai déjà avancé ainsi pour un reste de moulage entrepris par M. Peisse 50 piastres, et 600 francs pour le voyage du secrétaire. Ayez la bonté de me dire votre sentiment sur tout ceci tout confidentiellement et en ami.

Autorisé enfin à taire copier les tableaux des Loges de Raphaël, je vais vous demander la somme de dix mille francs pour commencer, les frais d’échafauds, toiles et fonds pour payer de suite l’œuvre faite et n’avoir pas toujours à vous demander.

Je suis très content de notre secrétaire M. Lego : nous vivons bien ensemble et il n’y pas de raison pour qu’il n’en soit toujours ainsi. M. Mauduit dit hautement que c’est moi qui lui ai ôté sa place. Il a essayé de nous tourmenter en essayant de tout brouiller. C’est un homme vraiment malade et aussi de peu de portée, mais assez méchant et brouillon maladroit. Heureusement il s’en va et nous laisse en paix, lui et sa médiocrité.

Pardonnez-moi, mon cher, tout ce bavardage ; vous me l’avez permis, s’il était moins griffonné du moins ; mais je compte beaucoup sur votre indulgente amitié. L’excellent Gatteaux, qui me gâte aussi tant qu’il peut avec sa bonne amitié et qui vous remettra ma lettre cette fois, ne me rappelant pas assez bien l’indication que vous me donnâtes à mon départ, causera aussi de moi avec vous et vous dira combien je vous suis reconnaissant et attaché. Ma femme est bien sensible à votre souvenir ; elle est mon petit ministre de l’intérieur et présente ses bonnes amitiés à Madame, avec les miennes et toujours avec le regret de n’avoir pu faire un dessin assez digne d’elle et de son mari.

Je vous embrasse aussi du fond du cœur. Votre bien dévoué serviteur.

Ingres.

(Fonds Paul Bonnefon). À M. Vargollier.

Rome, 25 mars 1835.

Mon cher Varcollier, vous savez sûrement comment je suis arrivé à Rome et comment j’y suis ; il est donc inutile de vous en entretenir. J’ai plus hâte de vous dire que dans le grand nombre d’excellents amis que j’ai laissés, vous êtes de ceux que je regrette sensiblement. Je supporte difficilement ma transplantation, même à Rome. Encore qu’on ne se vît pas tous les jours, qu’on se vît même trop rarement, cette bonne et sincère amitié, liée à tant de sympathies d’art et de sensations harmonieuses, faisait que l’on se retrouvait toujours avec un plaisir dont je suis totalement privé ici, ce qui me donne peu de stimulant, pour y faire quelque chose d’artiste véritable, et je crois l’être. Si je ne me trompe, je suis devenu administrateur de la maison. Cependant je referais encore ce que j’ai fait, tant mon ressentiment est grand et profond ; et lorsque je veux m’étourdir sur mes chères pertes, je pense aux chagrins vrais ou imaginaires que j’ai soufferts, dans les dix ans que j’ai passés à Paris et qu’un peu de gloire et tant d’amitiés n’ont pu me faire supporter. Enfin, ici, j’ouvre une croisée ou je vais au Vatican.

Une chose me manque pourtant : je suis sans musique, par le manque de ma grande caisse dont je suis privé encore. Heureusement, la Providence est grande. Elle a eu pitié de moi en prolongeant le séjour à Rome d’un pensionnaire musicien compositeur, nommé Thomas : jeune homme excellent, du plus beau talent sur le piano, et qui a dans son cœur et dans sa tête tout ce que Mozart, Beethoven, Weber, etc., ont écrit. Il lit la musique, comme notre admirable ami Benoît, et la plupart de nos soirées sont délicieuses. Vous avez tout au Conservatoire : que vous êtes heureux ! Moi, j’en ai de sublimes extraits que je puis, ce qui n’est pas peu, réentendre deux et trois fois si je veux. En vérité, je crois que, pour bien connaître un chef-d’œuvre, c’est au piano qu’il faut l’entendre. Vous êtes de mon avis, je le sais. Vous voyez que je me dore la pilule et que je me console, comme je peux.

J’espère que vous et votre excellente femme, vous vous portez bien, ainsi que vos enfants, vos beaux enfants. Je vous vois chez vous, dans votre bonheur intérieur, avec le souvenir de nos bonnes petites soirées, la Sonate pathétique que l’on disait si bien, et tant d’autres, et le bon M. Roger et ses autres amis, et notre cher M. Defresne. Dites-leur bien comme je les aime et comme je les regrette… J’espère, cher ami, que les choses vont pour vous, selon votre désir. Tachons de nous trouver heureux dans notre position, pour traîner le poids de la vie à laquelle nous sommes condamnés. Il n’est pas qu’elle ne soit, par-ci par-là, semée de quelques fleurs. Jouissons-en, sans trop nous inquiéter de l’avenir. Mais, j’ai beau prêcher, n’est-ce pas ? Vous êtes, comme moi, nerveux, bilieux, impressionnable, malheureux par conséquent. Enfin, soyons ce que nous sommes ! Si les souhaits, cher ami, y peuvent quelque chose, recevez les miens pour tout Ce qui pourra vous rendre le plus heureux, dans votre chère femme, dans vos enfants, et rappelez-vous quelquefois, votre bien affectueux et bien sincère ami,

(Fonds Delaborde).
INGRES.

Les pièces suivantes ont été communiquées par la Direction des Beaux-Arts à M. Henry Lapauze pour Les Dessins d’Ingres au Musée de Montauban.

À M. le Ministre de l’Intérieur.

Rome, le 17 mars 1835.
Monsieur le Ministre,

J’ai reçu la lettre du 7 février dernier dans laquelle Votre Excellence m’annonce que, par arrêté du 31 janvier dernier, Elle m’a chargé de faire copier, pour le compte du Ministère de l’Intérieur, les 52 tableaux dits les Loges de Raphaël.

J’ai l’honneur d’informer Votre Excellence que je me suis mis aussitôt en devoir d’exécuter ses ordres, et par ma première demande j’ai obtenu, de l’autorité pontificale, la permission nécessaire à l’exécution de ce travail qui, malgré les difficultés qu’il présente par la dégradation de quelques-uns des originaux et le petit nombre d’artistes qu’on peut y employer, à cause de l’exiguïté du local, sera, je l’espère, mis à fin pour 1837, selon les désirs de Votre Excellence.

Les frais d’échafaudage pour copier ces fresques, qui sont de 35 pieds de haut, l’achat des toiles préparées que je veux avoir toutes de même qualité et les premiers paiements à faire aux artistes que j’emploierai à l’exécution d’une première série de copies, me mettent, d’après mes calculs, dans la nécessité de demander à Votre Excellence de vouloir bien ordonnancer aussitôt que possible, une somme de 10.000 fr. en avance et acompte de celle de 35. 000 francs, montant de la location fixée par Elle pour prix de ces travaux, afin qu’une fois commencés, ils puissent être continués sans interruption.

Votre Excellence me permettra de profiter de cette occasion pour la remercier, comme je le dois, de la souscription par laquelle Elle a bien voulu encourager la publication de la gravure de mon tableau du Vœu de Louis XIII ; et de joindre aussi l’expression de ma gratitude particulière pour la bienveillance avec laquelle Votre Excellence a accueilli la demandé que j’avais l’honneur de Lui adresser en faveur des trois pensionnaires mariés, MM. Garrez, Révoil et Baltard, vivant au dehors de l’Académie.

Je ne dois pas négliger d’annoncer à Votre Excellence que MM. Jourdy, Elwart et Salmon, qui ont obtenu les grands prix de peinture, de composition musicale et de gravure au concours de 1834, ne sont arrivés tous trois à Rome que le 8 février 1835. J’ai cru, néanmoins, devoir payer à deux des trois seulement, MM. Jourdy et Elwart, le mois de janvier de leur pension, contre l’usage établi par mes prédécesseurs et consacré par l’Administration, qui est de payer seulement le mois courant de l’arrivée ; mais parce qu’une lettre que ces deux pensionnaires m’ont écrite, du Lazaret de Villefranche où ils ont été retenus vingt-cinq jours pour mesure sanitaire, m’a paru suffisamment établir le cas de force majeure en faveur de leur réclamation. Quant à M, Salmon, il reste dans le droit commun par la date non motivée de son arrivée tardive ; sa pension n’a commencé à courir que du 1er février 1835.

Je suis, avec un profond respect, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence, le très humble et obéissant serviteur,

J. Ingres,
Directeur de l’Académie Royale de France, à Rome.

À M. le Ministre de l’Intérieur.

Rome, le 5 septembre 1835.

Monsieur le Ministre,

Me trouvant momentanément forcé de suspendre la copie des Loges de Raphaël dont j’ai été chargé par Votre Excellence, avant mon départ de Paris, je dois vous informer, Monsieur le Ministre, des motifs de cette interruption.

J’avais obtenu de l’Administration pontificale, à la recommandation de M. l’Ambassadeur de France, la permission de faire copier les Loges de Raphaël en me conformant, pour l’établissement des échafauds nécessaires à ce travail, aux prescriptions de MM. les Inspecteurs des peintures du Vatican. Je m’entendis immédiatement avec eux et je pris même la précaution, pour éviter tout malentendu sur cet objet, de confier à leur direction et à leurs ouvriers même la construction de ces échafauds. Ces mesures une fois prises, je fis commencer les copies.

Il y a six mois, à peu près, que les travaux s’exécutaient de cette manière, mais bien lentement au gré de mes désirs, à cause des difficultés imprévues que les jeunes artistes que j’emploie ont dû surmonter pour se préserver de tous les inconvénients d’un local mal commode, tels que reflets ou privations de lumière à certaines heures du jour, et surtout de l’ébranlement si facile des échafauds sur lesquels ils sont montés. Deux de ces jeunes gens ayant été pris par la fièvre pour avoir travaillé pendant les grandes chaleurs, je me suis vu forcé d être prudent pour eux, et de faire interrompre les travaux pendant les mois de juillet et d’août.

À la suite de cette interruption, l’un de MM. les Inspecteurs du Vatican m’a annoncé qu’il faudrait enlever les échafaudages à la Toussaint, époque à laquelle le Pape revient habiter le Vatican, et suspendre ainsi par ce fait les travaux pendant tout le temps du séjour de Sa Sainteté dans ce palais.

Je me suis mis en réclamation, me faisant appuyer pour cet objet auprès du Cardinal secrétaire d’État, par M. le Chargé d’affaires de France. La réponse de la Secrétairerie ne se fit pas attendre, mais elle changea la nature de l’injonction en établissant qu’il ne s’agissait pas d’une interdiction de travail, de la Toussaint à Pâques, comme me l’avait fait entendre M. l’Inspecteur des peintures du Vatican, mais d’un simple changement de construction des échafauds dont je me sers depuis six mois et sans lesquels il ne me serait plus permis de continuer les travaux.

Je dois faire observer à Votre Excellence que ce simple changement de construction des échafauds, outre le dommage matériel qu’il me porte par les dépenses considérables qu’il entraînerait, serait encore un préjudice incalculable à la bonne exécution des copies dont Votre Excellence m’a confié la surveillance, en ce que la mobilité des échelles qu’il faudrait substituer aux échafauds qui ont servi jusqu’ici, rendrait impossible, selon moi, tout travail consciencieux et me réduirait surtout à renoncer à l’espérance de continuer aussi dignement qu’elle a été commencée, l’œuvre dont Votre Excellence a eu la pensée de doter la France.

Je ne sais, d’ailleurs, aujourd’hui, comment juger ce nouveau caprice de l’Administration pontificale, et j’hésite à m’y soumettre jusqu’à ce que j’aie reçu les nouveaux ordres de Votre Excellence ; car je crains qu’il n’y ait sous cette nouvelle difficulté un mauvais vouloir caché que j’ai déjà eu bien des occasions d’entrevoir. M. le chargé d’affaires de France a informé M. l’ambassadeur qui se trouve actuellement à Paris du mauvais succès de ses démarches, pour me faire rendre justice par l’autorité pontificale. J’en réfère à vous, Monsieur le Ministre, pour avoir de nouvelles instructions sur la conduite que j’ai à tenir.

Je suis, avec un profond respect, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur.

J. Ingres,
Directeur de l’Académie nationale de France à Rome.

À Monsieur le Ministre de l’Intérieur.

Monsieur le Ministre,

Je m’empresse de répondre, article par article, à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 29 du mois dernier, en commençant par l’affaire des Loges, pour laquelle je suis obligé d’attendre le retour de M. de Maubourg (comte de la Tour-Mau-bourg, ambassadeur de France à Rome). Je dois vous dire qu’attendu les pertes de temps qu’entraînent à Rome les nombreux jours fériés, il ne faut pas espérer voir ce travail terminé avant deux ans. Il y avait, au moment de la suspension de ces travaux qui n’ont duré que deux mois environ, cinq copies terminées et trois autres très avancées.

Pour les dessins que vous m’avez chargé de faire exécuter pour votre cabinet particulier, je me suis hâté de choisir les artistes, qui ne sont autres, comme vous le semblez désirer, que ceux chargés déjà d’en faire les copies pour l’École des Beaux-Arts.. Je m’occuperai d’en régler le prix, et j’aurai l’honneur de vous en instruire. Je crois que tout sera de nature à vous satisfaire.

J’aborde enfin, Monsieur le Ministre, la proposition que vous me faites avec tant de bonté en me laissant toute liberté d’y répondre. Après avoir mûrement réfléchi, je n’ai à vous exprimer que le regret que j’éprouve à ne pouvoir me charger des peintures de la Madeleine. Tout en appréciant la beauté de ce travail qui n’effraie nullement mes forces, car je me sens plus jeune que jamais, sans dédaigner la gloire que je pouvais y acquérir comme artiste, je me sens peu de goût à remonter sur le théâtre du monde actuel avec lequel, d’ailleurs, j’ai toujours peu sympathisé et que j’ai quitté, du moment où j’ai demandé mon expatriation à Rome.

Ma position me plaît beaucoup ici ; j’y jouis d’une paix laborieuse, toute vouée à l’art que j’adore ; j’y satisfais au delà de toute expression mes goûts d’artiste que je chéris par-dessus tout. Après avoir surmonté le dégoût du déplacement et l’espèce de maladie du pays, je me suis enfin réacclimaté, je me suis attaché à ma nouvelle position pour le bien que je puis y faire, grâce aux facilités que me donne votre protection et j’y tiens encore davantage depuis que vous m’assurez que vous êtes content de mon administration. J’ai acquis, et sans peine, le respect et l’entière confiance de mes jeunes administrés qui sont, pour la plupart, d’habiles artistes. Je suis heureux de pouvoir assurer, — ceci non dit pour vous, Monsieur le Ministre, qui êtes le protecteur éclairé de l’Académie de France à Rome, — que cette École est non seulement une gloire pour la France et l’Etranger, mais aussi la seule et vraie source qui entretient essentiellement la suprématie de l’art français en Europe.

Pardon, Monsieur le Ministre, de vous avoir entretenu si longtemps de causes personnelles qui m’empêchent d’accepter ce que vous m’offrez. Je ne puis vous exprimer combien j’en suis touché et combien j’y suis sensible. Rien ne pouvait augmenter mes sentiments de reconnaissance pour vous, Monsieur le Ministre, si ce n’est la nouvelle preuve d’estime que vous venez de me donner.

Permettez-moi. Monsieur le Ministre, de vous adresser ici l’expression de ma profonde gratitude et de mon respectueux dévouement. Agréez aussi, je vous prie, les vœux que je forme pour votre santé et votre bonheur personnel, et ayez la bonté de mettre mes respectueux hommages aux pieds de vos dames. Je suis, avec respect, Monsieur le Ministre, votre très humble et très obéissant serviteur.

J. Ingres.

P. S. — Monsieur le Ministre doit être instruit en ce moment du retour anticipé de M. Signol à Paris où, en conséquence, il se trouve à sa disposition.

Note particuière du Directeur.
Rome, le 8 décembre 1835.

1° Les dépenses nécessitées par la construction des nouveaux échafauds destinés aux artistes qui font la copie des Loges de Raphaël, et l’étude plus approfondie des difficultés que présente ce travail, rendant l’allocution primitive de 35.000 fr. trop modique, un supplément de 5.000 francs paraîtrait indispensable.

2° La somme de 6.000 francs allouée pour traitement annuel du directeur ne suffit pas toujours à l’entretien et au décorum qu’il est obligé de tenir, la première année surtout, dans laquelle il faut qu’il s’installe, qu’il reçoive ; des frais de premier établissement devraient être comptés si l’on admet, comme dans ce cas présent, que le Directeur laisse, en s’expatriant, une école productive et une quantité d’ouvrages commandés pour être exécutés sur place.

En outre, la première année du traitement du Directeur est encore grevée par l’achat d’une voiture et d’une paire de chevaux qui devraient être au moins à la charge de l’Administration.

MM. Flandrin sont deux frères dont vous avez vu les ouvrages avec tant d’intérêt. L’aîné est pensionnaire, peintre d’histoire, et a exposé cette année un tableau, Dante parcourant avec Virgile le cercle des Envieux. Cet ouvrage a été couronné au Salon d’un brillant succès, et l’artiste est digne de toute votre bienveillance pour en obtenir l’acquisition.

Son jeune frère, paysagiste historique, par l’ouvrage qu’il a eu l’honneur de vous montrer, me paraît, s’il s’en trouve l’occasion, devoir partager aussi vos encouragements, et je les rappelle de tout mon possible à votre haute bienveillance.


À Monsieur le Ministre des Affaires Étrangères.

Rome, le 5 mai 1836.
Monsieur le Ministre,

Si quelque chose pouvait adoucir le regret que j’ai éprouvé à apprendre que vous aviez quitté le Ministère de l’Intérieur pour celui des Affaires Étrangères, c’était à penser que votre position, comme vous me faites l’honneur de me le dire, vous permettrait de donner plus d’attention à toute chose. Cette certitude est bien précieuse pour moi en particulier, Monsieur le Ministre, et je puis dire encore pour tous les artistes ; car elle nous assure que cette direction aussi active qu’éclairée et caractérisée par cette force de volonté qui vous a fait créer et terminer tant de belles choses, ne cessera pas entièrement à présider à la destinée des arts en France. C’est là ce qui nous console. Le choix de votre successeur, l’éloge que vous me faites de ses bonnes intentions pour nous, sont encore des gages de sécurité de l’avenir et je les accepte, pour ma part, avec une entière confiance.

Grâce au retour et à l’intervention protectrice de M. de Maubourg, je puis effectivement, après tant de démarches infructueuses et de temps perdu, faire reprendre la copie des Loges. Les mêmes facilités que j’avais obtenues d’abord, ne me sont point, il est vrai, toutes rendues ; car il me faudra me servir de nouvelles échelles qui ne me permettront d’employer que deux peintres au lieu de quatre ; mais les grandes difficultés sont levées, et avec une administration aussi stupide et d’aussi mauvaise foi que celle à laquelle j’ai le malheur d’avoir affaire dans ce pays, continuer la discussion, ce serait s’exposer à suspendre encore des travaux qui n’ont déjà été que trop de temps interrompus.

Je recommence donc, le quinze de ce mois, à ces conditions qui, nécessairement, retarderont l’accomplissement des engagements que j’avais cru pouvoir prendre pour l’exécution parfaite de ces copies, sur la foi des permissions qui m’avaient d’abord été accordées.

On s’est déjà remis aux quatre dessins commandés par vous. J’espère que vous ne serez plus longtemps sans en jouir. J’y fais mettre tous les soins possibles. J’ai arrêté le prix pour les 4. à 600 francs.

Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de vous renouveler l’assurance de mes respectueux dévouements et de mes sentiments de vive gratitude pour la bienveillance particulière que vous voulez bien me continuer. Je suis, avec respect et attachement, votre très humble et très obéissant serviteur.

J. Ingres.
Note du Cte de La Tour Maubourg.

Le majordome Massimo s’opposait à l’exécution de plus de la moitié ou les deux tiers des originaux. Le cardinal Lambruschini secrétaire d’État, fait lever l’interdiction.

28 mai 1840.
(Aff. Etr., corresp. T. 982).

À Monsieur Marcotte.
Rome, ce mai 1835.

…Mais je ne veux pas vous affliger davantage ; j’ai trop besoin moi-même de consolation pour ne pas chercher à consoler les autres. Je reviens à ce malheureux Robert : j’ai fait tout ce que j’ai pu, à Venise, pour l’ôter de cet état de torpeur où je l’ai vu. Je l’ai prié avec instance, je l’ai pressé de revenir à Rome, je n’ai rien compris à sa situation dans ce pays, le plus triste pays, pays où l’on doit se tuer de mélancolie. C’est ce qu’il a fait, mais comme par une fatale maladie de famille, car vous devez savoir qu’un de ses frères s’est tué de la même manière. Nous avons donc la consolation de penser que personne n’est pour rien dans cet affreux malheur. La fortune, l’honneur, la réputation, il avait tout ; pouvait-on ne pas le croire l’homme le plus heureux du monde ?…

(Fonds Delaborde).

À Monsieur Gatteaux.
Rome, ce 24 novembre 1835.

Je ne commencerai jamais mes lettres que par des remerciements pour tout ce que vous êtes et pour tout ce que vous faites pour nous. Quel ami nous avons en vous et comme nous vous sommes reconnaissants ! Continuez, cher ami, vos francs et parfois sévères avis, âpres, comme on dit, à la bouche, mais doux au cœur. Je les prise, croyez-le bien, et vous le savez, comme la marque la plus précieuse et la plus certaine de votre vraie amitié.

« Que diable allait-il faire dans cette galère ? » Voilà, il est vrai, un peu ma situation, touchant les Loges. Tout ce que vous me dites sur ces copies est vrai, très vrai ; mais enfin, si, comme je l’espère, ces copies, (et mon intelligence même ne serait pas de trop pour les faire, car, pour bien rendre, il faudrait être l’homme qui a créé, si cela se pouvait), si, dis je, ces copies viennent bien avec le soin que nous y mettons, nous aurons le droit de les défendre, parce que nous aurons été, mieux que personne, capables de les faire. Alors, en tenant à ce que leur place soit, comme celle des originaux, à vingt pieds de l’œil du spectateur, nous pourrons tout braver et, par de bonnes raisons, envoyer paître cette tourbe qui n’a ni le goût ni le secret des arts.

Cependant, voilà qu’ici on commence à me tourmenter quant aux moyens d’exécution, si bien que je suis obligé de montrer les dents. Si je n’avais commis la faute de faire venir et de demander trop positivement deux enfants à leur père qui n’a bientôt qu’eux pour soutiens, tous ces dégoûts, (quitte même à perdre les avances d’échafauds et autres), m’auraient déterminé à rendre par démission cette affaire. Elle ne laisse pas, d’ailleurs, de me prendre beaucoup de iemos, comme administrateur et comme régenteur des ouvrages. Me voilà donc, moi qui suis venu à Home pour chercher un repos d’artiste, me voilà déjà en butte à des chagrins et à des contrariétés ! Voilà, mon ami, une de mes plaies, et la plus poignante, quand, dans cette affaire, je n’ai ni honneur ni profit ; quand je ne l’ai acceptée que pour le seul amour de l’art. Pour la gloire et l’immortalité des chefs-d’œuvre, j’étais et je suis encore d’avis, malgré tout, qu’on doit toujours les copier, oui, tous les jours, et toujours recommencer. Quoi que vous en disiez, vous êtes, au fond, de mon avis. S’il en avait été ainsi de tout temps, nous aurions (mal ou bien, qu’importe ?) nous aurions au moins l’idée, et certainement plus que l’idée des ouvrages d’Apelle et de tant d’autres grands maîtres de la Grèce. En voilà bien long, mais telle est ma pensée.

Quant à Sigalon, je l’ai loué, non outre mesure, mais je l’ai loué pour ce qu’il vaut. Je me suis plu à lui rendre justice, par la raison que je n’avais jamais loué en lui ce que je n’ai jamais pu aimer, sa propre peinture : mais ce qui m’a profondément surpris, c’est le talent et le courage qu’il a mis a copier Michel-Ange. Quoi qu’il puisse y avoir encore à désirer, il n’en a pas moins fait une œuvre presque impossible à mieux faire, une œuvre vraiment très belle et très mérite v oie. Je vous avoue que, comme peintre et comme Français, je lui en sais le plus grand gré, et je ne puis penser que cet ouvrage placé à son effet n’ait le droit de produire une immense sensation : ou bien alors nous serons tout à fait nel buio de la barbarie. De plus, vous saurez que ce n’est pas aux Thermes de Dioclétien qu’il le peint, mais bien dans la chapelle Sixtine où je le vois souvent, moi, de mes deux yeux, travailler. Il a aux Thermes un très mauvais hangar pour y déposer ses incroyables grandes toiles, puisqu’il est obligé de faire son ouvrage en trois morceaux. Ainsi, grande est la calomnie, comme, toujours au reste… (Fonds Delaborde).

J. Ingres.
Ingres aux Frères Balze.

Mes chers amis, encore sous l’impression de vos belles copies, je ne puis venir à vous exprimer de nouveau mon entier contentement, mon admiration pour votre religieux courage, et je puis bien féliciter notre pays de posséder enfin l’émanation la plus parfaite, la plus complète de cet apogée de l’art au Vatican.

Que les hommes d’aujourd’hui vous en sachent bon gré pour leur avantage, et malheur à l’ignorant audacieux qui osera blasphémer là contre ! Oui, que malheur lui arrive ; car, non seulement il sera un âne, mais aussi un méchant !

Pour moi, comme Français, artiste, le cœur me bondit de plaisir. Et donc, mes amis, soyez heureux de votre conscience, vous avez bien mérité de la Patrie ! Il me reste un vœu à faire : qu’elle vous soit reconnaissante !

Mais il y a une chose qui me fait de la peine : c’est le projet que l’on aurait de poser les Sibylles colossales et encore plus le Jugement dernier. Ce serait vous faire un véritable tort et cela diminuerait l’intérêt que l’on doit uniquement porter à Raphaël, à lui seul, sans parler de l’encombrement que cela occasionnerait. D’ailleurs, les copies de Michel Ange sont un fait accompli : elles ont leur place respective à l’École.

Si vous pouvez, sans blesser M. Cave dont je respecte les sentiments et le goût, lui présenter ma pensée dans votre intérêt, faites-le. Il sait, d’ailleurs, l’intérêt que je vous porte et il a un si bon esprit.

Le Journal des Débats, (le feuilleton de M. Jules Janin), s’est occupé de vous. Mettez leur votre carte avec invitation, de même qu’à M. de l’Écluze (sic). N’oubliez pas M. Thiers, tâchez de le voir et faites ressortir l’honneur mérité qu’il a eu seul à faire copier ces chefs-d’œuvre à Rome. Dites-lui que c’est moi qui vous envoie à M. Armand Bertin, rédacteur en chef. Je prie Raymond de passer à mon atelier d’en bas et de voir s’il n’y a pas un petit portefeuille de dessins, — vues d’Italie. On le remettrait bien enveloppé à M. le Comte qui doit venir, vendredi.

Au revoir, mes bons et chers enfants. Je vous aimais bien, mais je vous aime encore davantage, depuis hier. Tout à vous, de tout mon cœur.

(Fonds Delaborde).
Ingres.

Rome, ce 10 mai 1836.

Bien bon ami, ne devrais-je pas me fâcher que vous ayez pu douter un instant du plaisir que j’éprouvais de vous voir faire partie de l’Institut et que je ne vous y appelle de tous mes vœux ? Et si j’ai un regret c’est que vous n’en soyez pas depuis longtemps et que mes amis aient devancé en quelque sorte mon si juste assentiment.

Je vous remercie du trop d’honneur que vous attachez à mon suffrage ; il n’est pour moi qu’une simple justice rendue à votre honorable caractère et à votre mérite éclairé sur les arts que si peu comprennent bien, même (entre nous) à l’Académie. Et j’aurais tant à dire sur l’avantage d’une telle admission aussi favorable à l’art par vos saines doctrines qu’aux artistes qui les professent. Vous êtes le digne délégué d’une administration dont [vous] êtes véritablement l’âme et le sens le plus parfait, artiste vous-même et d’une éducation autrement grave que celle qui n’a produit, chez la plupart, qu’un peu de joli paysage. Il est donc, et dans ma plus sincère conviction, heureux pour l’Institut de vous y admettre vous et notre ami Gatteaux au plus vite, si cela se peut, sans tuer personne cependant ; et ce sera alors deux choses bien faites, ce qui malheureusement n’arrive pas assez souvent. Ainsi donc, cher ami, profitez et avec conscience et assurance de l’événement. Vous aurez, je le pense, de plus, à la tête de vos nombreux amis, le respectable M. Quatremère et M. Thévenin. Je suis seulement fâché de n’y être que par l’expression de tous mes vœux que, s’il y avait lieu, je vous prie de rendre aussi puissante que possible. Car combien j’ai des raisons pour voir votre bonheur augmenté en toutes choses, et je vous assure que j’y prendrai toujours la part la plus vive et la plus sensible.

J’en viens à moi et me confesse de mes péchés. Paresseux, comme vous le savez, je suis depuis longtemps avec une si pauvre tête, si malade en pleine santé. En un mot, mes nerfs me tuent depuis six mois, au point de ne pouvoir souvent m’occuper, tant je souffre de spasmes à l’estomac, au cœur, et cela finit par des vomissements qui me fatiguent horriblement, au point que je suis quelquefois bien près du découragement. Et voilà enfin pourquoi je n’écris pas, pourquoi je ne peins pas, et avec tout cela toujours occupé de choses et autres, enfin pourquoi ni le tableau du duc d’Orléans[1], qui doit passer le premier toujours, bien entendu, n’est pas terminé et par conséquent aussi celui de Pradier[2]. Je plains de tout mon cœur ce brave ami ; mais, comme je lui ai dit cent fois : à l’impossible nul n’est tenu, malgré les vagues promesses que j’aie pu lui faire. J’ai cent raisons à donner, plus fortes que la volonté que j’ai de le servir ; mais je n’en sens pas d’autres, et je ne peux être la cause qu’il ne fait rien. Un artiste doit avoir toujours à faire, et il a tort de m’accuser de son inaction ; il est d’un art si facile à prendre et à reprendre ! J’espère, cher ami, que vous sentirez la justice de mes raisons, et que, lui conservant toujours ma protection dont à tous égards il est digne, vous voudrez bien le lui faire entendre. Je crois donc, si je puis travailler comme je l’espère, pouvoir le rendre possesseur à l’automne prochain.

Du reste, ma situation ici me plaît toujours de plus en plus, excepté le regret toujours sensible de ne pas vivre avec tous les excellents amis que j’ai laissés à Paris. Cette privation est toujours sensible à mon cœur, et il ne me faut rien moins que le bonheur intérieur dont je jouis ici pour m’aider à supporter mon bel exil volontaire, car mes yeux se tournent souvent du côté de notre belle France. Je suis cependant bien résolu de passer encore ici quatre ans et sept mois, terme de mon directorat, heureux alors d’y avoir fait quelque bien comme je l’espère. Je suis bien secondé par les pensionnaires qui ne me donnent jusqu’ici que du contentement, tant ils sont tous aimables pour moi et véritablement occupés de l’art, et du bon côté. Aussi je ne crains pas de vous prier de leur continuer votre aimable sollicitude, comme vous le faites au patron (sic). De notre côté, nous dirigeons notre affaire pour vous la présenter claire et consciencieuse. Vous avez dû recevoir nos comptes ; vous les aurez plus tôt, l’année prochaine, attendu qu’il nous a fallu faire notre apprentissage.

Dieu pardonne à mes prédécesseurs, mais ils auraient pu s’occuper davantage de la bâtisse : ils m’ont laissé tout à faire ; on a laissé tomber les murs et avec danger. J’ai dû récurer tout le palais et y remettre tout en ordre, malgré son ordre apparent. J’ai trouvé les pensionnaires souvent plus mal en meubles que des domestiques, et ma bonne femme, dont l’intelligence est grande, j’ose le dire, m’a secondé dans sa grande connaissance de ménage, à réformer mille abus qui y jetaient un grand désordre. Enfin tout marche parfaitement à présent et mon successeur m’en aura quelque obligation. Mais pour cela il a fallu y donner les soins attaches à nos devoirs, tout simplement, et il n’y a pas de mérite à cela. — Ceci est entre nous, je vous prie. — Nous n’allons pas dans le monde, qui est trop ennuyeux, au reste ; j’y apparais, le moins que je puis et par convenance. Nous ne voyons que des Français et artistes. Je suis parfaitement secondé, comme vous devez vous en apercevoir, par M. Lego, notre secrétaire, avec lequel nous vivons très bien.

Effectivement, l’arrivée de M. de Maubourg a levé les difficultés qui m’ont si injustement privé de continuer les copies des Loges. Nous voilà partis, mais au lieu de quatre copistes que je pouvais avoir je n’en ai plus que deux, ce qui retardera nécessairement la confection de ce travail, et cela sans qu’il y ait de ma faute. Au reste, je vous ferai peut-être bientôt une autre petite saignée.

Obtenez donc un congé et venez nous voir avec Madame, à qui je vous prie de présenter nos bien affectueux hommages. Nous serions si heureux de vous posséder avec nous ! Ayez la bonté de nous rappeler au souvenir de M. et Mme Mérimée [3], dont nous ne parlons jamais qu’avec tendresse et reconnaissance pour toutes les bontés qu’ils ont eues pour nous.

J’écris incessamment à l’ami Gatteaux.

Votre recommandation du jeune Bridoux lui est honorable et il la mérite à tous égards. C’est un bien aimable jeune homme, qui a beaucoup de talent et que nous aimons beaucoup. Ayez la bonté d’assurer son maître, notre ami M. Forster, des soins bien naturels que nous aurons en toute occasion de son élève, et assurez-le de toute l’expression de notre amitié.

Adieu, mon bien excellent ami. Je crois bien que,. malgré tous les changements de ministres, on aura la justice et le bon sens de bien reconnaître tout ce que vous valez, pour vous bien traiter et conserver, et bien plutôt vous mettre à la place de bien d’autres qui devraient être au-dessous de vous. En attendant je vous embrasse, vous remercie de votre bonne amitié et je fais des vœux pour votre plus parfait bonheur dans un monde si tourmenté et si tourmentant.

Ma femme se joint à moi pour nous rappeler au souvenir de Mme Dumont.

Votre bien affectionné ami et dévoué serviteur.

Ingres.

M. Lego me charge de vous présenter ses compliments empressés et remerciements communs.

(Fonds Paul Bonnefon).


Rome, ce 15 juin 1836.
Mon cher Gatteaux,

……J’ai été très incommodé de tourments de tête qui, pendant très longtemps, m’ont privé de m’occuper et même de lire. Je suis mieux, mais il m’est revenu mon rhumatisme aux genoux. Je marche difficilement et suis peu leste pour agir ; ce qui fait qu’avec l’air du pays et son apathie, je mène absolument la vie de paresseux, ou de laborieux contemplatif seulement, à peu près dégoûté du monde et des choses, nullement touché ni d’argent ni de gloire, mais non privé de l’amour de l’art avec lequel je vis plus intimement que jamais, sans éprouver le moindre désir d’en faire. À propos, ceci nous mène à vous parler d’une vieille rancune, amicale toujours, bien entendu, dont je vais vous entretenir avec autant de franchise que vous en avez mis dans votre lettre du 6 février dernier, touchant ma situation morale. Il y a peu de vrais amis ; on est si heureux d’en avoir, de votre bon et loyal caractère. J’ai tant de confiance en vous, vous regardant comme le plus sincère de tous ceux que je connais au monde, (je n’excepte personne), que, de mon côté, je crois utile et j’ai le devoir de vous instruire avec la plus grande effusion de sincérité de ce que je suis présentement et de ce que j’ai sur le cœur.

Jai refuse de peindre la Madeleine : je refuserais encore, mais pas du tout pour les motifs que vous mettez en avant. Une fois engagé, j’aurais su arriver, malgré tout ; car je suis capable, tout comme un autre, d’exécuter en • peu de temps, ainsi que cela est arrivé pour le Plafond d’Homère, qui n’est encore que trop fini. Dans le conseil que vous me donniez de refuser, vous ne me laissiez pas le droit de penser qu’en acceptant je trouvais l’occasion unique, cette occasion grâce à laquelle nos grands peintres ont créé tant de belles choses, l’occasion qui a fait Napoléon… Eh bien ! cher ami, (et je ne vous en veux nullement, mais je pense que vous avez manqué en ceci de patriotisme, vous qui en avez tant et qui en donnez tous les jours les plus grandes preuves), vous auriez dû, par ce sentiment méme, m’engager le premier à accepter cette noble mission pour l’avantage et la gloire du pays…

Selon vous, j’ai fait « une faute grave » d’aller à Rome. La faute grave est bien plutôt à ceux qui m’ont laissé partir, l’administration la première. Mais comme les causes existent et sont toujours les mêmes, je referais encore ce que j’ai fait, dussé-je souffrir encore tout ce que j’ai souffert…

Voilà, mon cher ami, tout ce que je voulais vous dire avec une franchise amicale, égale à la vôtre. Vous êtes le seul au monde, à qui je puisse à ce point ouvrir le fond de mon cœur et en confier les plus intimes pensées. Aussi je dois croire que cette lettre ne sera lue que par vous… Ma bonne femme et moi, nous vous embrassons de tout notre cœur. Mille vœux et hommages à votre bonne et digne mère. Soyez heureux.

(Fonds Delaborde).
Votre ami dévoué,
Ingres.

Rome, 10… machin, 1836.

… Vous me parlez de réputation à continuer à l’avenir dans des élèves et, aujourd’hui, dans les pensionnaires soumis à ma direction.

Quant aux premiers, il y a longtemps que j’en suis justement dégoûté. Imbécile que j’ai été ! Je me suis dépouillé de mon talent, pour les en revêtir ; j’y ai peut-être perdu une partie de ma santé, et, pour quelques bons, (comme les hommes, d’ailleurs, supportent les bienfaits et la reconnaissance), j’ai fait d’horribles ingrats. Quant aux seconds, je fais ici le bien par conscience et par état, mais nullement par inclination … Soyez tranquille cependant. L’habitude de bien parler de mon art, mes principes sûrs, mes doctrines sévères, amèneront naturellement le bien que vous attendez de moi. Soyez content : je crois être assez bien compris, assez bien secondé, et cela sans le moindre effort.

… Je ne vous parle presque jamais de nos Expositions de pensionnaires, parce que je veux toujours vous laisser libre quand vous verrez les ouvrages à Paris. Je puis vous dire cependant que mon Flandrin s’est surpassé et que c’est véritablement un jeune maître qui vous arrive. Son beau talent et les qualités si honorables de ce digne jeune homme me le font chérir, comme un ami.

… À propos de Flandrin, je vous remercie des soins que vous avez eus de ce jeune noble artiste. Certes, on aurait pu être plus généreux, quant au prix qu’on a mis à son tableau Jésus et les petits Enfants ; mais c’est toujours ainsi que fait la grande nation. Ceci est une réflexion d’Ingres. Le modeste Flandrin, suivant ses sentiments, ne songera à rendre que des actions de grâces [4]. (Fonds Delaborde).

Ingres.

À M. Duban.
Rome, 8 octobre 1836.

Par prédilection pour toutes nos belles copies des grands maîtres, je me suis avisé, moi aussi, de rêver un projet pour les rassembler ; et voici, au reste, ce qui m’en a fait naître l’idée. Avant de quitter Paris, M. Thiers m’ayant demandé un rapport particulier aux copies des Loges de Raphaël que je fais exécuter présentement, je crus devoir penser aussi à leur destination à Paris, et je lui indiquai votre église des Petits Augustins comme le lieu le plus convenable sous tous les rapports, non seulement pour y placer, au fond du sanctuaire, le Jugement dernier de Michel Ange, mais encore pour y placer les Loges de Raphaël en face, au-dessus des tableaux copiés d’après les Sept Actes des Apôtres du même maître.

Depuis, et comme on dit que l’appétit vient en mangeant, il me vint dans la pensée de donner encore plus de développement à cette idée en couronnant cette décoration des bas-côtés par les Sibylles de Michel-Ange, enfin de consacrer ce lieu, comme chapelle du Palais des Beaux-Arts, par la copie exacte de la tribune des chanteurs à la chapelle Sixtine, et de réunir là, par ce moyen, l’art divin de la musique à ses divines sœurs dont votre beau palais est le temple. Cependant je n’aurais jamais osé vous montrer ce petit travail, qui n’est point de ma compétence, si M. Thiers, qui l’a vu, n’avait insisté pour que je le lui remisse, voulant absolument vous le faire voir et en causer avec vous.

Je jouis, mon cher monsieur Duban, de tous vos succès, de votre belle position que votre seul talent vous a méritée ; je m’en réjouis avec le plus grand cœur. (Op. cit.)

Ingres.
À M. Thomas.
Rome, 1837

Mon bien bon ami, je devrais couvrir cette page d’excuses, mais je vois par tant de preuves de bonne amitié de votre part que vous connaissez toute celle que mon cœur vous porte, et cela me rassure. Ah ! cher ami, que de choses que vous nous avez ravies par votre départ ! Plus rien, ou peu de chose, depuis vous. Je vis, nous vivons des souvenirs du bon Thomas, dont la personne m’est aussi chère que le beau talent. Le refrain ordinaire en toute occasion, et que nous aimons à recommencer avec l’excellent Flandrin et son frère, est Thomas et toujours Thomas. Nous n’entendons plus résonner sous vos admirables doigts les divins Mozart, Beethoven et tant d’autres, et vos propres œuvres. Cependant nous sommes, depuis quelques jours, arrivés à quelque chose ; c’est à vaincre la timidité de Madame Baltard, qui nous a révélé un charmant talent en disant vos délicieuses valses que l’on n’entend jamais assez, et que l’on aime, que l’on admire toujours davantage…

Nous avons su ici vos succès, non par vous qui êtes bien trop modeste, mais par d’autres. Vous avez du génie, mon brave ! Ainsi donc, un peu plus de confiance en vos propres forces, et produisez ! Je suis sûr de vous. Allons, mon cher, voilà un bien petit poème ; rendez-le grand par l’excellence de votre musique. Faites en un Cosi fan tutte, qui fasse courir tout Paris et vous mette bien à votre place. Après cela, arrivons à Don Juan. Voilà ce qu’il faut se dire, comme émulation

Je vous désire, mon cher ami, ce beau succès pour lequel vous êtes fait. Quant à moi, je revis après une maladie dangereuse que je viens d’essuyer et une longue convalescence, et certes je ne puis vous dire combien les douceurs de l’amitié de mes chers Flandrin m’ont été précieuses, après les soins de ma femme, ma bien bonne femme, qui vous aime autant que moi. Ces pauvres amis ont été désolés de la fièvre ; mais leur talent va toujours croissant. Nous nous réunissons pour vous embrasser et pour appeler de tous nos vœux l’avenir, par l’espoir de nous voir un jour tous rassemblés à Paris, au foyer amical de vos amis Ingres, là où j’espère nous passerons de beaux et bons moments. En attendant, soyez heureux, cher ami, et croyez-moi votre ami le plus sincère et le plus attaché… (Op. cit.)

J. Ingres.

À M. Gatteaux.

Rome, 22 avril 1837.

……Quoique je travaille beaucoup, je n’ai pu encore finir ma grande miniature historique (la Stratonice). Cependant, j’en entrevois le terme. Cet ouvrage, suscité par quelque mauvais génie, me rend, outre beaucoup de dépenses qu’il m’a coûtées, l’homme le plus malheureux par la longueur du temps que j’y consacre. Mais, comme on dit, l’espérance soutient l’homme jusqu’au tombeau, et je ne désespère pas de faire un ouvrage 4 que l’on pourra louer, et assez neuf…

(Op. cit.)
Ingres.

À Monsieur Dumont, chef du bureau des beaux-arts au Ministère de l’Intérieur, etc., rue de Grenelle, à Paris.

Rome, 31 août 1837.

Cher ami, excusez-moi de vous écrire si rarement ; ce n’est point un défaut du cœur, je vous prie de le croire, et je vous assure avec toute sincérité que mon affection et mon attachement ne l’ont qu’augmenter, s’il est possible, pour vous et tout ce qui vous touche. Je vous suis d’autant plus attaché que le sentiment de la reconnaissance pour tous vos offices jamais démentis, à commencer du premier jour que je vous ai connu, me rend ces sentiments bien doux et bien faciles Je joins aussi les vœux les plus empressés pour votre parfait bonheur en toutes choses. Je vous remercie de l’intérêt que vous prenez à ma santé. Grâce à Dieu, depuis le commencement des chaleurs, tous mes maux ont cessé, et j’ai pu me remettre à faire quelque chose. C’est même à ce travail que je dois de ne pas m’attrister plus qu’il ne faut de l’état pernicieux où nous jette le choléra à Home. Espérons que nous sommes dans le plus fort de sa colère, et puissions-nous nous en tirer comme la Providence l’a voulu jusqu’ici.

La villa continue à être encore inattaquée, frappée de terreur par la mort de notre pauvre et bien regretté Sigalon[5], la mort de six de nos voisines, les dames du Sacré-Cœur, dont la villa Médicis n’est séparée que par un jardin, et les soixante ou quatre vingts cas journaliers, dont vingt-cinq ou trente morts, et bien plus, dit-on, car, dans ce bienheureux pays, tout se cache, est mystérieux et, par conséquent, rien d’officiel. Cependant, depuis quelque temps, le moral de ces messieurs est bien calmé, et comme ils sont tous très bons, facilement je les amène comme moi à faire bonne contenance, espérant que Dieu aura pitié de nous. Il ne faudra pas être étonné si, par cette malheureuse circonstance, les travaux en auront souffert un peu. Trois d’entre eux, MM. Flandrin, Boulanger, musicien, et Bridoux, graveur, se trouvent arrêtés à Florence, où je leur avais permis d’aller faire passer la fièvre qui ne les quittait pas, surtout les deux premiers. Toute ma sollicitude est donc de les amener à se distraire par un travail attachant, et j’espère y réussir. D’ailleurs, il est impossible de sortir de Rome ; le fléau l’environne presque. Je vous avoue, mon ami, que, sans être terrorisé, cela ne m’amuse pas. J’avais demandé dans le temps un médecin au Ministre, vous vous le rappelez ; heureusement qu’une bonne hygiène comme celle que nous suivons nous sauvera peut-être. Ma bonne femme va bien aussi et partage aussi mon état moral ; elle fait bien des amitiés à son bon M. Dumont et à Madame [6].

Notre brave secrétaire me seconde toujours bien. Vous avez de nos nouvelles administratives. Nous faisons tout pour le mieux, et, à propos d’affaires, s’il est vrai que les Chambres aient voté, comme il le paraîtrait, les fonds demandés pour l’entretien urgent de la belle villa, auriez-vous la bonté de me l’apprendre. Je vous prie, s’il y a lieu, de nous en donner le plus tôt possible votre assurance officielle, attendu que la bâtisse et les besoins de l’école en souffrent, et que voici le moment propice pour le travail des ouvriers. Et bien que je commençasse les travaux avant l’année 1838, ils ne seront toujours imputés que sur la dépense de cette année-là. N’avons-nous pas quelques droits à la munificence des Ministères de l’Intérieur et de l’Instruction publique ? Ayez donc la bonté, s’il y a lieu, de nous en envoyer la plus lourde charge que vous pourrez, attendu que, comme vous le savez, nous sommes bien pauvres de ce côté-là, chez nous. Enfin, je recommande ces nouveaux soins à notre aimable avocat, vous priant de recevoir d’avance tous mes sensibles remerciements.

À propos, on me fait, dit-on, partir pour Paris, à cause de ma santé. Je n’ai prié personne de cela et je désire, comme toujours, finir ici mon directorat ; c’est un devoir pour moi et une tâche que je veux remplir. Vous me rendez, d’ailleurs, mon cher, par vos encouragements cette tâche bien douce, et je me plais à croire que c’est en grande partie à votre amitié et amicale sollicitude que je le dois.

Je vous renouvelle de tout mon cœur ma vive reconnaissance et me dis à jamais votre ami de cœur.

J. Ingres.

Mes hommages respectueux et tendres à votre excellente Madame.

Je recommande à votre juste sollicitude M. Numa Baucoiron, le malheureux ami de Sigalon et le collaborateur le plus intelligent. Ayant partagé tous les travaux de la Chapelle, il est ce qu’on appelle dressé à cette haute intelligence de traduire un maître pareil. Et, en conscience, je crois qu’on ne pourrait mieux faire que de le charger, lui tout seul, de continuer ce bel ouvrage dont, j’en suis sûr, papa Dumont doit être content. (Fonds Paul Bonnefon).

À M. Gatteaux.
Rome, ce 5 septembre 1837.

Vous avez dû recevoir une longue lettre de moi ; mais ne croyez pas que ce soit par exigence que je vous le rappelle, avec tout le plaisir que me fera votre réponse. C’est que je suis tout fier, comme paresseux, de vous écrire encore celle-ci ; c’est qu’enfin, dans ces moments si tristes pour nous à Rome, je ne veux pas vous laisser ignorer tout ce qui est de notre situation. Tous, nous nous portons bien ; voilà l’essentiel. Voiei, après cela, l’état de la maladie au jour même où je vous écris. Les cas (de choléra) sont de quatre cents à six cents par jour, et les morts à deux cents environ. La maladie paraît décroître puisque, il y a huit jours, les morts n’étaient qu’au nombre de trois cents et plus. La plèbe est plus maltraitée. Aucun secours n’est organisé, une grande partie des médecins se refusent au service, et, par le malheureux système de la contagion, tous les Romains se fuient les uns les autres ou se fumigent, à se donner par cela seul la maladie. Jusqu’ici, le peuple du Borgo et du Transtevère meurt et ne dit rien. Quelques Français et les Jésuites se sacrifient par un effet de leur vive charité, sans succomber cependant, en soignant jusque dans les rues des malades dénués de tout. Tous les cholériques morts sont portés sans exception, bien encaissés, (seul bienfait du Gouvernement), au cimetière de Saint-Laurent, hors les murs. Et voilà ! Nous, nous faisons groupe à la villa Medicis ; nous nous tenons, comme des oiseaux effrayés, mais sans l’abri d’un grand arbre, jusqu’à ce que l’orage soit passé, vivant sobrement et le plus tranquillement possible. Moi, non pour chasser l’inquiétude, car je suis calme dans ce danger, mais pour chercher une forte distraction, je travaille toujours et j’y pense moins. Ma bonne femme est comme moi, mais trop attentive à me cacher ce qui se passe. J’étais mal instruit sur la vérité lorsque j’ai écrit à notre ami Dumont, à qui j’ai fait le portrait le plus anodin de notre situation. Instruisez-le mieux, si vous en avez l’occasion. Les pensionnaires, presque tous, ont voulu fuir, et, dans ce cas, pour ne pas me compromettre dans ce danger, je leur avais permis d’aller à Ancone, à Florence ou à Bologne, vivre en corps ; mais nous sommes bloqués à Rome. Personne ne peut en sortir, pas même un cardinal, qui serait d’ailleurs reçu dans les pays environnants à coups de fusil, ce qui est arrivé. Adonc. mon ami, que Dieu nous conserve, n’est-ce pas ? C’est ce que nous espérons ; mais tout cela n’est pas très gai… Les journaux, qui feraient bien mieux de ne plus s’occuper de moi, ont annoncé faussement que j’avais demandé mon retour. Bien au contraire, je désire et je veux rester. (Op. cit.)

J. Ingres.

À M. Dumont.
Rome, 24 lévrier 1838.

Excellent ami, il y a bien longtemps que je veux vous écrire pour vous exprimer, et toujours avec le même sentiment de reconnaissance, tout ce que votre amicale sollicitude me fait de bien et combien j’en suis heureux, et en même temps vous offrir, bien bon ami, tous les bons vœux que nous faisons, moi et ma femme, pour votre bonheur et celui de Mme Dumont dont le souvenir nous est toujours cher. J’ai donc mis mes pinceaux de côté et je joins à ces sentiments de cœur et affectueux attachement un courrier d’affaires énorme pour moi, souvent paresseux et sans secrétaire, mais que mon devoir, autant que mon plaisir cependant a le remplir, m’a fait vous expédier.

J’espère n’être pas trop hardi pour mes observations, que je vous prie d’apprécier d’abord en faveur du sentiment qui me les a dictées. Au reste, si j’avais le malheur qu’elles déplussent, je vous prie d’être mon avocat intime, car vous devez savoir comme en tout je suis fait et pourquoi je suis ainsi intentionné. J’y ai joint des devis qui, quoique écrits en italien, vous seront intelligibles. D’abord. M. Lego serait là pour les expliquer. À propos de lui, vous devez l’avoir vu et beaucoup causé ensemble. Je lui suis très attaché et voudrais le savoir plus heureux pour sa famille et ses affaires. Enfin, il nous revient, et tant mieux pour tous. J’ai cru devoir aussi répondre à la lettre du Ministre, touchant les affaires de l’école, et y joindre la réponse à celle qui concerne son jeune protégé. Au reste, cher ami, je vous adresse le tout et vous en ferez, en sage ordonnateur, tout ce que vous jugerez convenable.

Je dois vous dire ce que je vais cependant ajouter à la lettre du Ministre : que je n’ai pas encore vu M. Faisse ni entendu parler de lui, ni directement ni indirectement. Cela m’étonne cependant ; est-ce qu’il ne voudrait pas entendre ? P]st-ce que j’aurais des difficultés désagréables avec lui ? Au reste, je l’attends de pied ferme et tranquille sur les attributions que l’on me donne sur lui. Je n’en démordrai pas, jusqu’à ce que, cependant, il ne me donne de trop forts ennuis ; mais j’espère que non. Aurons-nous des livres pour l’école ? M. Lego me le fait espérer ; nous sommes bien pauvres sur ce point.

Pauvres gens de Paris, si le froid vous tue, la pluie et les ténèbres nous font croire être, non à Rome, mais bien dans quelqu’une des îles de la Scandinavie. Cependant, nous travaillons tous avec ardeur, et l’école est en ce moment au grand complet. La bâtisse va son train, et il nous faut de l’argent ; ayez la bonté d’en dire un petit mot, je vous prie. Mais, à propos, que veut-on faire du moulage des portes de Pise, et qu’a besoin l’art pour sa perfection et même sa curiosité, de ces ouvrages qui n’ont aucune espèce de caractère décidé, de la sculpture enfin de Jean de Bologne [7], et surtout lorsqu’on a celles de Ghiberti ? Excepté que l’on ne fût curieux de comparer l’art veule, maniéré et dégénéré, à ces portes bien nommées du Paradis. Eh ! mon Dieu, il y a de belles choses dans cette Renaissance, sans sortir du berceau de Florence. Le tombeau de Mazzupini, par exemple, serait bien autre chose à se procurer, et tant d’autres… Enfin j’attends, s’il en est encore temps, de donner aussi mon opinion.

Et vous, mon cher, vous êtes on peut dire au milieu de la bataille, au milieu des hommes qui ne s’entendent pas toujours, parce que l’un tire d’ici et l’autre de là, ne connaissant la plupart ni ne voulant des grands principes de l’art qu’ils devraient toujours conserver purs et sans atteinte, surtout ceux que la haute administration et la réputation ont chargés d’instruire cette jeunesse presque indocile à accepter ce qui est sage et sensé. Comment faites-vous avec votre esprit sage et éclairé et si fin observateur des hommes et de leurs actes… Vous devez souffrir ; mais toujours est-il heureux que vous soyez là. La Providence vous a donné à nous, pour empêcher ou du moins retarder l’effet des choses très mal faites. Dieu vous garde donc, mon excellent ami, et croyez à l’amitié bien sincère et bien reconnaissante et à l’estime profonde de votre bien dévoué et attaché,

Ingres.

M. Lego a fixé, je crois, son départ de Paris vers le il mars. Il nous apportera de vos nouvelles fraîches et de vive voix sur tant d’intérêts qui nous touchent dans ma position et dont vous êtes lame et le bon conseil. Conservez-les-moi toujours, je m’en trouve si heureux. !

Permettez-moi, mon cher, de vous recommander un de mes élèves, M. Desgoffes, peintre paysagiste, dont je vous prie de voir les ouvrages au Salon. Il a fait un grand tableau où il y a Argus gardant la vache Io. J’estime, moi, beaucoup son talent et sa personne est trop modeste ; il n’a que son talent pour sauvegarde. Je vous serais bien obligé de lui porter intérêt et justice s’il le mérite, et si, par suite, on pouvait, par cette considération, faire quelque chose pour lui et par vous, je vous en serais aussi obligé que pour moi-même. Permettez-moi donc de l’engager à se présenter en mon nom chez vous, je vous en serai bien reconnaissant. (Fonds Paul Bonnefon).

À Monsieur, monsieur Dumont, chef du bureau des Beaux-Arts et des Belles-Lettres au Ministère de l’Intérieur.

Rome, ce 14 août 1838.

Excellent ami, il y a bien longtemps que je ne vous ai donné de mes nouvelles, et certes le désir ne m’a pas manqué ; mais,… et je ne finirais pas de dire, sur ce mais, tout ce que je devrais. J ai trop de choses à vous écrire, et je commence par les bien affectueuses pour vous et tout ce qui vous touche. J’espère que Madame et vous jouissez d’une bonne santé et de tout le bonheur que doit donner votre belle et honorable position, et surtout votre sage et aimable philosophie, mais que je ne regarderai complète que lorsque je vous serai encore une fois confrère et collègue. Quant à celle-ci, je dis comme Jésus sur la croix : « Pardonnez-leur, grand Dieu ! ils ne savent ce qu’ils font ». Mais à une autre occasion. Toujours bon pour moi et ma gloire administative, mon cher Mentor et digne guide ! Je vous en remercie toujours bien sensiblement. Je fais de mon mieux, depuis six mois ; je viens enfin de quitter, d’hier presque, la truelle. Oui, la restauration de cette villa m’a fait apprendre ce métier ; oui, vraiment mes soins les plus assidus y étaient devenus indispensables. Nous avons enfin fini pour le moment, et nous allons vous expliquer l’emploi de ces 22.000 francs au menu. Mais en même temps, notre école me donne pas mal de tintouin, je vous assure, et c’est comme une petite administration ; mais je vous assure que je le fais de bien bon gré, et que je suis heureux de m’en faire honneur en participant à enrichir l’école et le pays de tant de chefs-d’œuvre nouveaux. Vous en jugerez. Déjà, je vous ai expédié le premier envoi et le second marche. Tout cela vous est véritablement adressé. Je vous dirai que, quant à ce que l’école me demande de Florence, j’ai tranché la question en ne demandant que ce que veut l’école, car celle ci ne spécule pas, je crois. M. Lego est sur les lieux et arrangera bien le tout. J’écris au ministre, en lui annonçant l’envoi et les reçus et quittances, comme il l’a demandé. J’écris aussi à l’école avec la nomenclature numérotée de ce premier envoi. Vous verrez tout cela et toutes mes raisons, et pardon si je vous en accable et suis toujours à vous demander.

Je me recommande de votre appui pour l’affaire de mon élève et pensionnaire graveur Salmon, que vous devez avoir en main. Il serait juste d’y avoir égard. M. Flandrin, dont je n’ai pas besoin de louer tout ce qu’il vaut et tout ce qu’il est personnellement, est pour moi, de plus, un ami rare et sûr. Je ne pense pas que, lorsque vous le connaîtrez, vous ne vous y intéressiez de toute votre sagace et bonne bienveillance. Vous me ferez en cela un bien grand plaisir. Il doit, bien entendu, aller vous voir et causer un peu de moi avec vous, ce qui plaira peut-être à votre bonne amitié pour moi et aussi aux intérêts de cette académie à laquelle vous faites tant de bien, mon très cher.

L’ami Gatteaux vous parlera et vous entretiendra de ce que je vous propose pour M. Roger : je voudrais que cela pût s’arranger pour les intérêts de l’art et de tous. M. Roger pourrait s’en occuper à son retour en France, sorti de sa pension. Vous auriez la bonté de m’en dire votre avis, d’abord, et de me dire ce qu’il faudrait faire si. Auriez-vous la bonté aussi de nous faire passer ici les livraisons de l’Archéologie nouvelle de Bunsen, destinée pour l’Académie, et aussi tout ce que vous pourriez faire en faveur de notre pauvre bibliothèque, qui a faim et soif d’ouvrages,

Antiochus ! Antiochus ! ce nom me perce toujours le cœur. Eh ! bien, cher ami, je vous dirai que premièrement je n’ai jamais pu accommoder, malgré le travail le plus obstiné, cette noble composition dans le cadre donné de la gravure ; si incertain, d’ailleurs, moi-même sur l’original que je travaille depuis une année à Rome et qui n’est pas encore terminé, à beaucoup près. Si ce tableau me fait enrager, Dieu le sait ! mais, malgré ce, tous ceux qui le voyent m’engagent et me pressent à le terminer, le regardant comme bien digne de tout ce que je puis taire. Ainsi donc, tout désespéré que je sois pour mon pauvre ami Pradier et pas plus heureux que lui sous ce rapport, je ne puis toujours que lui offrir le droit de graver cet ouvrage, avec le droit de profiter d’ailleurs de ce qui est déjà fait sur le petit et que je compléterai dans ce qui est le fond, sitôt le grand fini. Voilà tout ce que je puis dire et faire, car à l’impossible nul n’est tenu.

Excusez-moi de vous entretenir si longtemps de mes affaires, qu’il ne me reste que trop peu de temps et de place pour vous assurer de nouveau, excellent ami, combien je suis heureux de devoir à votre amitié tant de bonne sollicitude pour moi et pour tout ce qui nous touche ici, aimant à penser et à dire tout ce que je dois à d’un si bon ami que j’embrasse de tout mon cœur.

Votre tout dévoué,
J. Ingres.

Moi et ma femme vous prions de faire agréer à Madame l’expression sincère de notre attachement et combien nous nous trouverons heureux, un jour, de nous voir près de vous. Mais pour tant d’affaires et pour en finir, de l’argent, de l’argent. (Fonds Paul Bonnefon).


À M. Gatteaux.

Rome, 5 décembre 1838.

… Vous saurez qu’à mon arrivée à Paris, en 1824, la sollicitude de l’excellent M. Coutan me força de recevoir d’avance 3.000 francs, acompte sur des tableaux qu’il désirait de moi. Je ne lui en ai jamais fait qu’un, au prix de 1.000 francs. Restent donc 2.000 francs à remettre au frère de Mme Goutan, décédée. Cet ange de femme, que nous aimions tant, n’a jamais voulu recevoir le reste de la somme due, s’imaginant peut-être que cela me gênait, ou bien parce qu’elle comptait que je lui peindrais quelque chose. J’ignore si elle a prévenu son frère de cette affaire, mais je ne veux pas différer de m’acquitter.

Le croiriez-vous ? Cette excellente amie a encore, pardessus tout, tellement pensé à moi qu’elle m’a légué, comme souvenir, le dessin des Sabines de David. (Op. cit.)

Ingres.

À Monsieur, monsieur Dumont, chef du bureau des beaux-arts et belles-lettres au ministère de l’intérieur, secrétaire perpétuel de l’école des beaux-arts, etc., à Paris.

Rome, ce 2 février 1839.

Excellent ami, il y a bien longtemps que je veux vous écrire pour doublement vous embrasser en vous souhaitant bonne année et tous les bons vœux qui peuvent vous rendre bien heureux. Bonheur à tout ce qui vous touche, et comme collègue secrétaire perpétuel de l’École, de laquelle promotion j’ai ressenti une bien vive joie. L’assentiment général qui l’a accompagnée ne me surprend nullement, mais me fait grand plaisir. Qui, d’ailleurs, y eût pu trouver à dire ? Puis, il est des choses si justes et si bien faites qu’elles doivent toujours, et malgré tout, être faites. J’ai regret seulement de n’en avoir pu être le témoin participant. E viva ! Une seule chose me donnait quelque inquiétude : c’était votre double position. Mais, grâce à Dieu, le Ministère n’a rien perdu ; nous surtout, et moi surtout, mon bien cher !

Car je sens bien que si je suis heureux directeur, c’est en partie à votre appui bienveillant, à votre aimable sollicitude que je le dois ; et tous vos soins me deviennent encore plus chers, si je puis penser qu’ils sont l’expression de votre assentiment particulier et de votre approbation éclairée sur l’administration que l’on m’a confiée et qui est aussi la vôtre. Je fais de mon mieux, et ma femme aussi, mon fidèle ministre des finances et surintendante de l’intérieur. Mais si jamais vous aviez quelques observations à nous faire, vous me le diriez et je m’empresserais d’y acquiescer, croyez-le bien ; car je n’ai d’autre désir que de bien remplir mes engagements et me faire honneur avec une honorable administration, désirant même y garder enfermés tous mes pinceaux. Mais je crois cependant que nous pourrions, des ce moment-ci, concilier tous les intérêts, moi une fois débarrassé de mes vieux travaux et commandes qui me rendent si malheureux. D’autant plus malheureux, que je viens de faire arranger le grand atelier de directeur et que [je] grille d’impatience de m’y voir, pour l’aire sortir enfin de ma tête et de mon cœur et de mes doigts deux ou trois tableaux nouveaux. Adonc, je vous prie de consoler de nouveau ce pauvre Pradier sur le terme reculé de son tableau. Mes raisons sont toujours les mêmes : les mêmes causes ont toujours existé jusqu’ici. Conservez-lui, je vous prie, toute votre bienveillance ; je vous en serai bien obligé. Cette fois-ci, le terme de six mois ne se passera pas sans qu’il soit heureux.

M. Thiers, que nous avons possédé à Rome, a été bien aimable pour nous et la villa qu’il a parfaitement appréciée. Il a bien voulu se charger de mes notes envers les adversaires. Il m’écrit lui-même que M. Cave y a mis de l’obligeance ; je ne puis l’ignorer et l’en remercie par une lettre. Certes, oui, que notre villa a besoin que l’on s’y intéresse matériellement aussi ! Vous l’aimez, sans la connaître. Venez donc la voir : vous y serez, cher ami, comme chez vous. Mais si vous ne pouvez vous dérober encore, envoyez-nous, en attendant, Madame ; elle nous ferait bien plaisir, et vous pourriez être bien tranquille sur elle par nos soins. Ceci vous est offert sincèrement de cœur. — Que de ravages, de soustractions, a fait le temps depuis deux ans, en commençant par le bon Mérimée ! Sa pauvre veuve, nous n’en avons aucunes nouvelles. Veuillez bien nous rappeler à son bon souvenir.

Et mon pauvre petit projet ne servira donc à rien ? J’en suis fâché, je le crois bon, j’en ai la conviction. L’avez-vous lu ? Enfin, je ne suis pas satisfait sur le papier au moins, et j’aurai la satisfaction de voir figurer l’œuvre de Michel-Ange bien placée. Je vous ai. dans le temps, annoncé cette copie comme très remarquable, je n’en rétracte rien ; vous en jug-ez, d’ailleurs, vous-même peut-être dans ce moment-ci, et je ne doute pas que vous ne rendiez cette même justice à son auteur, Sigalon. Cette belle œuvre doit être bien coriace pour certains esprits relâchés. Puisse-t-elle être le véritable fléau qui assomme, et détruire enfin le mauvais goût dans notre belle patrie, digne de recevoir la belle impression des arts et y être supérieure comme toujours ! Et puisse-t-elle, la patrie, être délivrée une fois des assassins qui souillent et arrêtent son bonheur et sa gloire ! Que Dieu sauve toujours le Roi, et par conséquent la France !

Je remercie le Ministre des moyens qu’il me donne, en augmentant de deux mille francs le prix des copies des Loges. Je vous prie donc, cher ami, de faire remettre à notre ami Gatteaux les dix mille francs qu’il vient de m’accorder, comme dernier acompte. J’ai déjà 17 tableaux de faits, auxquels j’ai donné les soins les plus tendres. Ils sont faits avec toute la conscience du fac simile, avec autant de soin que l’humanité le peut faire.

À propos, il m’est arrivé ces jours derniers un pensionnaire marié qui, à ce qu’il paraît, n’a jamais bien su, quoique averti, sa véritable position à Rome. Mais puisque ces messieurs veulent ignorer la loi qui les concerne, faites, je vous prie, cher ami, qu’ils en soient bien avertis de bonne heure dans leur propre intérêt par l’Institut et l’Ecole. En attendant, je ne puis que sévir. Vous savez que la fièvre a habité pour trop la villa ; deux ou trois pensionnaires en sont encore atteints et peut-être jusqu’au printemps. De reste, je suis très content d’eux et vous le dis avec vérité ; je n’ai jamais vu l’École si studieuse et si forte de talents. Ils me rendent tous la vie heureuse, ici, et ils sont vraiment tous dignes de toute bienveillance et je les tiens, comme mes enfants.

Comme tout ce qui vous touche m’intéresse, êtes-vous logé à l’École changée en beau palais, n’est-ce pas ? Nous serons donc plus voisins. Vous voyez que je pense cependant aux charmes du retour, et je suis à Rome ! Mais c’est que je ne jouis pas ici de tous mes vrais et bons amis. Permettez-moi de vous embrasser avec ce titre, mon cher et digne ami.

Ingres.

Je vous prie de bien nous rappeler au bon souvenir de Madame, que nous aimons de tout notre cœur et qu’elle veuille bien agréer nos hommages. (Op. cit.)


{d|Rome, ce 11 juillet 1839.|3}}

Mon Cher Gatteaux,

Je vous écris, accablé du plus profond chagrin. Mon pauvre ami, notre pauvre Lefrançois, je ne puis vous l’apprendre que les larmes aux yeux, n’est plus ! Il s’est noyé dans la mer, à Venise, ou son mauvais destin l’avait retenu. Il avait depuis quelque temps l’habitude d’aller se baigner, le matin. Ce jour fatal, arrivé sur la rive et accompagné de deux de ses amis, il les devance, se jette à l’eau et disparaît au même instant. Ses amis, ne le voyant pas nager, se jettent à l’eau sans le trouver, et, une demi-heure après, le flot l’a rejeté mort. Non, mon cher, il ne m’est pas possible de vous dire combien, depuis hier, nous sommes malheureux, moi, ma femme et tous ses amis. Il était si digne d’en avoir ! Il nous aimait véritablement ; il avait pour son maître et ami autant de tendresse que de respect, un attachement à toute épreuve. Je suis désolé ; je suis furieux contre le sort qui s’acharne presque toujours à détruire ce qui est bon, tandis qu’il épargne tant de monstres nuisibles ou inutiles au genre humain. Lui, un homme si honorable, d’un esprit orné d’une si belle instruction, bon, généreux, content de sa fortune, se trouvant heureux (chose rare) et sachant l’être, ayant un talent fort distingué vraiment dans la carrière qu’il s’était choisie ! Enfin, vous le connaissiez, vous l’aimiez comme nous l’aimons et le regrettons. Ses amis seront bien malheureux et nous pensons à eux aussi ; mais moi, je fais dans ce bon et excellent jeune homme une grande perte pour le présent et pour l’avenir. (Op. cit.)

Ingres.

À Monsieur, Monsieur Dumont, membre de l’Institut, de la légion d’honneur, secrétaire perpétuel de l’école royale des beaux-arts, rue des petits-augustins, à Paris.

Rome, ce 25 juillet 1840.

Mon bien excellent et trop malheureux ami, je ne viens pas rouvrir votre plaie, ce que je voudrais éviter ; mais comme nous devons toujours un tendre culte à ceux qui nous ont été si chers à tant de titres, je me joindrai à votre douleur d’aujourd’hui pour pleurer Madame, un moment, avec vous. Ma femme, qui partage le regret du malheur irréparable qui vous a frappé, se joint à moi.

À présent, recevez mes consolations, cher et digne ami. Vous les trouverez dans votre courage, dans l’amitié à toute épreuve des vrais amis, à la tête desquels nous voulons être, dans le travail qui ne vous manque pas, je crois, dans le temps et je dirai aussi quelques distractions : celle-ci, par exemple, de venir nous voir à Rome. Vous savez que ç’a toujours été notre plus grand désir, que votre chambre et tous nos soins donnés ne vous y manqueront pas. Pensez-y peu, mon cher ami, mais arrêtez de suite votre place et, dans huit jours, vous êtes parmi nous. Allons, allons, faites ainsi et ensuite toutes les affaires se font après. J’y suis d’abord intéressé, vous le croyez bien, de cœur, mais encore par le désir que j’ai toujours eu que vous connaissiez, et par moi, le bel et noble établissement auquel, (excusez ma coquetterie), je n’ai point fait de mal, il s’en faut, depuis ma direction. Et, en ceci, je n’oublierai de ma vie la part essentielle et affectueuse que vous y avez prise, sous plus d’un rapport. Ainsi, comme vous me l’annonciez dans votre dernière qui m’a été remise par cet excellent M. Lequeux, vous voulez nous surprendre. Eh ! bien, il est toujours temps, ami !

J’aurai toujours le regret de n’avoir pu faire que des vœux pour votre arrivée à l’Académie, puisque vous y avez trouvé du bonheur. Et, certes, ce jour-là l’Académie a bien fait. Mais le sentiment de ce regret est moins vif, depuis que je ne fais moralement plus partie de ce corps ingrat et méchant qui m’a frappé au cœur.

Vous devez avoir, aujourd’hui, sous les yeux mon tableau d’Antiochus. Je ne puis vous dire autre chose d’ailleurs que, quoiqu’il m’ait bien fait enrager, je serais heureux qu’il vous fît quelque plaisir. Tout n’est pas perdu pour Pradier, à qui je vais écrire pour le consoler de mon mieux, en lui faisant part des possibilités de pouvoir faire sa gravure.

Les tableaux des Loges sont, depuis longtemps, à votre disposition. Dites-moi si je dois les envoyer sous leurs châssis ou bien sans. J’ai toujours désiré les envoyer en même temps que mon retour, car qu’en fera-t-on jusqu’à ce qu’on leur ait trouvé leur véritable destination monumentale ? Ce ne sont point des tableaux à voir, comme un bijou de peinture ; elle est de décoration. Donc j’ai toujours désiré qu’on les vit placés respectivement à la hauteur de 19 à 20 et 25 pieds, comme les originaux, et collectivement d’ensemble.

Faut-il refaire et vous envoyer la statue de Ménandre ?

Vous êtes instruit à présent de l’indécent retard de toutes mes opérations d’art près cette cour dominée, dans l’administration, par de méchantes et ignorantes médiocrités. Mais enfin mes jeunes élèves sont en position de copier les Stanze ; ils prennent leurs mesures, tont leurs dessins préparatoires dans le temps que l’on fait les chevalets machinés pour exécuter. L’un des frères Balze est actuellement à Paris, où il a dû aller pour sa conscription ; et, par bonheur, grâce aux soins de l’ami Gatteaux, il vient d’être réformé. Je vais lui dire de se présenter à vous ; ils sont comme mes enfants, et ils méritent en tout de l’être.

La lutte des directeurs doit être dans sa vive action, dans ce moment. Je fais des vœux pour Alaux, puisqu’il y tient tant ; mais il a, je crois, en M. Delaroche un puissant compétiteur.

Nous voici aux envois de l’École. En fait de malheur d’arrivage, je puis vous assurer, mon cher, que d’abord les plâtres ne s’encaissent que parfaitement secs ; qu’ils sont emballés tous avec le plus grand soin ; et que, malgré les soins nouveaux que je puisse prendre d’après vos avis, je mets tous les malheurs sur la tête de ceux qui embarquent et débarquent. Ces malheureux ne font aucune attention aux choses que leur incurie cause dans le maniement de ces caisses, et le moindre coup en faux doit nécessairement fendre les plâtres. Je n’ai écrit dernièrement, ni cette fois, pour ce cinquième envoi à l’École ; ce qui est, je crois, à peu près égal, du moment que j’écris au Ministre et à vous. Je vais donc vous parler du plus considérable des envois, le quatrième. M. Lequeux m’a annoncé sa bonne arrivée de vingt-sept caisses environ en bon état, excepté le malheur irréparable de la figure en marbre de M. Ottin et le bas-relief de M. Chambard, déjà réparé. Et je ne puis, à cette occasion, m’empêcher de m’écrier que les encaisseurs font bien, car il n’y a pas de raison qu’ils n’arrivassent tous en bruignes ; et presque jamais on n’accuse le peu de soin des embarcations que je fais cependant surveiller ici, jusqu’à ce que le bâtiment se perde à notre vue. Je crois aussi que, pour éviter ces malheurs, il faudrait être assez riche pour faire accompagner le convoi jusqu’à Paris, par un homme ad hoc.

Revenant donc à cet envoi, je crois vous avoir enrichi de tant de belles choses et nouvelles ; j’observerai religieusement, surtout d’après votre avertissement, de ne pas passer la somme. Quant à mouler encore au Vatican et au Capitole, indigné des propositions indignes de ces Musées, je laisse cela à mon successeur et je remplace, bien entendu, par d’aussi belles choses ce qu’il y a encore à mouler dans ces deux musées. Car tôt ou tard votre Ministre sera assez aimable pour nous faire encore ce cadeau, et je remplirai tout jusqu’à la concurrence de la somme allouée. Et, à ce propos, donnez-moi donc un conseil pour obtenir et disposer de cette somme afin d’indemniser les soins considérables que m’ont prêtés de leurs courses et de leurs écritures le secrétaire de l’Académie et surtout l’architecte de ce lieu, M. Marini. Je ne puis aujourd’hui régler ces espèces d’honoraires, mais après avoir bien vu et réglé ce qui me reste, je vous en ferai part.

Cinquième envoi. Le capitaine étant revenu à Home et étant prêt, je vous expédie en ce moment dix caisses qui ne vous intéresseront pas moins par ce qu’elles renferment. J’écrirai de suite au Ministre qui vous instruira de tout ce qu’elles contiennent, et, vers le 4 octobre, je vous expédierai en dernière opération le sixième et dernier envoi où se trouveront alors les Loges de Raphaël. Mais, par grâce, pensez donc de les placer convenablement, ces Loges. M. Thiers a peut-être égaré mon projet écrit pour les placer dignement, et ce projet n’était cependant pas mal. Vous le rappelez-vous écrit ? Je regretterai toute ma vie cette occasion, rare peut-être, où, parlant raison, personne ne vous écoute, pas plus que Cassandre avec ses Troyens.

Je me suis mêlé, mon bien cher, moi aussi, de taire un projet pour le tombeau de Napoléon, dont il ne sera encore rien fait, et cependant il n’est peut-être pas plus bête qu’un autre. Ce que j’ai eu surtout le soin de bien arrêter, c’est d’associer à un homme tel que Duban, M. [déchiré]. Tout cela est du bavardage. Ce qui est la réalité pour moi, c’est mon pauvre tableau à qui, en tremblant, j’ai donné la volée. Je serais bien heureux que, malgré ses imperfections, il pût malgré cela plaire assez aux bons esprits, rares, oui, mais que j’ai le bonheur de trouver dans tous nos amis amants d’un certain beau que je me suis efforcé d’exprimer.

Adieu donc, mon digne et excellent ami. J’aime mieux vous dire : à revoir à Rome, que je quitte d’ici à cinq mois, le 28 décembre 1840. Vous voyez qu’il y a encore le temps de nous voir ; c’est le plus cher de nos vœux, à moi et à ma bonne femme à laquelle vous ferez un sensible plaisir, et qui vous présente toutes ses amitiés.

Et moi, mon bien cher, je vous embrasse de tout mon cœur avec l’expression de ma constante et vive amitié. Votre sincère ami,

J. Ingres.

(Fonds Paul Bonnefon).

  1. La Stratonice, aujourd’hui au Musée de Chantilly.
  2. Le graveur C.-S. Pradier, frère du statuaire J.-J. Pradier.
  3. Léonor Mérimée, le père de Prosper.
  4. Après Ingres, un mot de sa femme peindra bien le caractère d’Hippolyte Flandrin. Il fut dit par Mme Ingres à l’élégant Amaury Duval et rapporté par lui dans son Atelier d’Ingres.

    — Oh ! vous…, vous êtes un lion ! Voyez Flandrin : il sort dans la rue en casquette…

    — Si, pour avoir le talent de Flandrin, lui répondis-je, il ne fallait que cela, je sortirais aussi en casquette, et même nu-tête. Malheureusement, je crois que le costume n’y fait pas grand’chose.

  5. Xavier Sigalon, chargé en 1833 de la copie du Jugement dernier de Michel-Ange.
  6. Si l’on en croit une prochaine lettre d’Ingres à Gatteaux (5 septembre 1837), le tableau tracé ici est trop « anodin » et la situation fut encore plus grave.
  7. Qu’aurait donc pensé M. Ingres de l’installation du beau Mercure de Jean de Bologne, au milieu de la terrasse intérieure de la villa Medicis. Cette heureuse initiative ne date évidemment pas de son Direclorat.