Ingres d’après une correspondance inédite/XXXII

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XXXII
Paris, 12 août 1830.

Mon bien cher, je le donne bien tard signe de vie. C’est malheureux que je sois Ingres, du côté de la plume. Mais le cœur est bon, et, dans ces événements si éminemment glorieux et encore teints du sang le plus pur par le crime le plus exécrable surtout qu’un roi puisse commettre, j’ai senti et pensé souvent, comme toi, de concert avec ma femme en face de ton portrait, et nous avons eu plus d’inquiétude sur ta position à Montauban que tu n’en as eu pour moi, ici. Heureusement, Paris n’est pas une petite ville brutale et fanatique où il se trouve autant de « trestaillons » pour assassiner les honnêtes citoyens, gens que soudoie la plus inepte et coupable autorité. Qu’il vienne ici, ce Gironde !…

Mais laissons ces sortes de gens ; il n’y en a que trop d’assez stupides et méchants qui, aujourd’hui même, voudraient salir et troubler encore l’ordre et le bonheur d’une liberté si glorieusement, si divinement acquise. Cela est cependant ; il y a des cœurs qui n’ont jamais su ni senti que la vertu et tous les sentiments élevés dérivent d’elle. Jouissons de ces effets sublimes. Y a-t-il rien de comparable, dans toutes les histoires connues ? À qui ressemblons-nous ? À nous-mêmes !

À ce coup d’appel qu’à poussé la foudre, — œuvre divine vraiment, et qui grandit plus elle s’éloigne, — nous pouvons enfin nous redire Français et ne plus contenir notre longue indignation. La révolution opérée, finie, l’ordre partout, tout remplacé ! Honneur à ces hommes pleins de cœur, du plus pur patriotisme dans des moments si difficiles, mais si bien secondés par un peuple sage et humain, si grand dans sa victoire. Embrassons-nous, mon cher ami ! Il n’est pas, j’en suis sûr, un détail de ce grand événement qui ne mouille continuellement nos yeux. Nous nous connaissons : je ne te raconte rien, parce que je crois que tu es aussi instruit que moi de tout ce qui a été fait et de ce qui se passe. Si cependant tu veux quelque chose de plus, dis-le moi : on s’occupe de tout relater. Lorsque tu lis et que tu es ravi d’admiration, n’aie aucun doute ; rien n’est fardé, tout cela est vrai et au delà, si c’est possible.

Nous remercions de tout notre cœur ton aimable épouse, de son tendre intérêt pour nous. Le nôtre n’a pas été moindre pour vous. « Où sont-ils ? » disions-nous. Nous vous voyions entourés de dangers bien plus grands, dans une petite ville où tous se connaissent. Enfin on respire. Votre petit trésor se porte bien et vous donne un bonheur de père et de mère, nous nous en doutons bien. Je le parlerai plus tard de moi. Sois tranquille, je suis toujours Ingres aussi, du côté du pinceau, dette lettre n’est que le préambule de la très prochaine.

Ecris nous, cher ami, de suite, ce qui se passe. Le drapeau doit flotter, j’espère. Mille choses à tous nos amis. Je t’embrasse.