Ingres d’après une correspondance inédite/XVIII

◄  XVII.
XIX.  ►

XVIII
Paris, ce 30 août 1826.

Mon cher ami, j’aurais trop à dire, pour m’excuser ; il faut que tu m’aimes à tort et à travers, c’est ton destin. Que tu soies le plus heureux possible, c’est le vœu le plus constant de ton ami qui ne cesse d’être toujours a toi, de fait et de pensée. Nous nous redirons tout cela, lorsque nous allons nous revoir ; et cette tant désirée époque approche et est très certaine. Disons toujours : « J’espère ! » car, dans la bagarre de mes occupations, il est bien souvent difficile de s’en tirer à son souhait. Adonc, cher ami, du 15 au 20 octobre, je me mets en route par le courrier ou autre occasion. Tout compté, voyage idem, je ne puis être absent de Paris que quinze ou vingt jours. Cela est vrai, en toute rigueur. J’écris, après celle-ci, à M. le Maire. Sois tranquille, tu peux l’aller voir pour ce sujet, et il aura ma lettre l’assurant de nouveau de tout le désir que j’ai de contenter son aimable personne. Il me plaît beaucoup, d’ailleurs.

Voici : le tableau va être, lundi prochain, entre les mains des restaurateurs, parce que les bords de la toile qui est très mince ont beaucoup souffert et auraient même besoin d’être rentoilés, mais nous verrons à faire pour le mieux. Ensuite, il passera aux emballeurs. Je puis te redire que cette peinture est, ici, fort regrettée des vrais amateurs du bon et du beau, disent-ils. Mais, avec quel plaisir, cher ami, je vais revoir ma patrie et vous en faire hommage ! Je m’empresse donc d’envoyer à notre ami Gentillon ce petit calque où j’exprime ma pensée, sur le placement du tableau ; et je te prie bien de me répondre le plus tôt possible sur ce, pour ma règle ici.

Comme tu le dis, mon ami, nous avons bien besoin de nous revoir pour tant de choses que nous avons à nous apprendre et à nous récapituler. Ce ne sera pas un petit plaisir pour moi, que de me retrouver avec toi, et je regretterai sûrement beaucoup de ne pouvoir faire à Montauban qu’une apparition. Mais à l’impossible, nul n’est tenu ; et je suis, en attendant, mon digne ami, celui qui compte les jours, pour arriver à t’embrasser ; et je le fais ici, de tout mon cœur.

Je t’écrirai au moins huit jours avant mon départ et tu sauras l’heure, le lieu et le moment de mon arrivée dans ma chère patrie. Le cœur m’en saute de joie et de tendresse ; car j’espère que les premiers regards seront pour toi, cher et bien cher ami. Mon beau-frère Déchy me presse et n’entend pas autrement que je n’aille loger chez lui, à l’hôtel de Puligneux. Avec quel plaisir je reverrai mes sœurs et lui que j’ai lieu de croire un homme distingue. Qu’en penses-tu ? Veuille m’en dire un mot. J’ai des moyens, par mes hautes connaissances, de pouvoir un jour améliorer son sort. Veuille bien lui dire que j’ai reçu sa bonne lettre et le paquet d’affaires et que, en réalité, je ne pourrai aller que demain le porter à sa véritable adresse, que je les embrasse tous du meilleur de mon cœur et que je lui écrirai bien sûr incessamment, pour eux et pour les affaires. Instruis-les, je te prie, de mes projets.

Adieu, cher ami. Que n’étais-tu là avec moi, à entendre la divine Pasta, il y a cinq jours ! Vrai, j’étais bien avec toi. La direction des Arts ici est… Mais à revoir.

Ferons-nous un quatuor ? Assure tous nos amis du plaisir indéfini que j’aurai à les revoir. Non, jamais, je n’ai éprouvé un si véritable désir. J’espère que ta respectable famille ne me boudera pas. Ma situation financière n’est encore que suffisante ; mais je m’étonne, cher ami, que tu me parles encore d’une somme qui n’est pas à moi et dont tu aurais déjà du disposer peut-être mille fois. Adieu et bonnes nouvelles ! Tu instruiras M. le Maire de nos dispositions et de ce qui concerne la Vierge. Je te prie surtout de solliciter Gentillon pour bien nous entendre sur ce que je lui demande ; et, une fois convenu, que les ouvriers ne vous manquent pas pour opérer avec célérité. Y a-t-il a Montauban un homme, pour tendre et monter une grande toile sur châssis ? J’apporterai une fiole avec du vernis et enfin des couleurs, pour ton usage. Il y a deux mois, que j’ai ici les tiennes.