Ingres d’après une correspondance inédite/LXIII

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LXIII
Ingres à Pauline Gilibert.
Paris, 11 avril 1850.

Il n’est que trop vrai : par suite de tant de préoccupations douloureuses pour le moment, décourageantes pour l’avenir si sombre, j’ai pu me laisser aller au point de vous tant négliger. J’en suis affligé moi-même.

Je n’ai pas le talent d’écrire des lettres courtes ; j’ai tant de choses à vous dire, verser des larmes sur tant de sujets, et de bien douloureux ! Malheurs publics et personnels… Mais à quoi bon tant s’affliger ? La mesure sera bientôt à son comble.

J’aime mieux m’occuper de toi, chère enfant. Mais, dis-moi, où as-tu appris, qui est-ce qui a pu Rapprendre, à Montauban, à faire un aussi délicieux portrait que celui de Madame de Gondrecourt ? Combien j’ai eu de plaisir à le voir, à l’admirer. Cette admiration a été partagée également par tous mes amis ; et on m’a dit, depuis, que tu en as fait d’autres encore mieux. Mais cela est étonnant : une belle inspiration d’une belle personne bien posée, le tout d’un beau caractère. Que je t’embrasse en idée, ma chère fille !

Et toi, heureux père, fais-en autant. Et sans compter qu’elle dit la musique à merveille. Courage donc, chère enfant ! Mais il n’y a plus d’enfant, dans tout cela, elle prend l’art au sérieux…

Je t’envoie une lettre que ma pauvre femme te destinait et que tu garderas, j’en suis sûr, avec un tendre souvenir. Elle vient de rouvrir toutes mes plaies !

De Mme Ingres à Mlle Gilibert.

Tu as bien raison, ma chère Pauline, de compter sur mon indulgence pour excuser ta paresse à écrire, car j’ai le même défaut. Cependant j’ai plus d’excuses que toi ; et, d’ailleurs, tu vois combien je si is heureuse de recevoir de tes nouvelles et de celles de ton bon père. J’apprends avec plaisir qu’il ne souffre pas trop. Il est bien aimable de s’être occupé de l’envoi du baril qui est arrivé à bon port.

Je veux maintenant te parler de nos santés. Ingres va bien : il continue toujours à travailler. Quant à moi, je voudrais pouvoir te dire que je vais bien aussi. Mais, depuis quelque temps, j’ai un mal au pied qui me fait souffrir par moment et me retient dans ma chambre. Je suis un traitement qui, j’espère, me fera du bien. Cependant, ces jours-ci, je souffre davantage. Je pense bien que mon séjour à Dampierre, à cause du repos forcé que j’y prendrai, accélérera ma guérison. Nous comptons partir vers la fin de ce mois. Les journaux te tiennent au courant des affaires politiques ; je ne t’en dirai rien.

Je t’embrasse bien tendrement. Ingres aussi t’embrasse.