Chez l'auteur (p. 92-93).

LES PÈLERINS


J’ai reçu hier un pastel d’un ami. Il a comme titre « Les Pèlerins ». Le sujet en est d’une tristesse poignante. C’est un poème de douleur.

Dans le soir gris et blême qui tombe sur la campagne, deux êtres, l’homme et la femme, sont arrêtés sur la route. Ils sont vieux, laids et miséreux. Ils ont marché tout le jour et sont las, exténués. Appuyé sur son bâton, le corps légèrement penché en avant, l’homme enveloppé de lamentables loques et la tête nue, regarde devant lui. Son masque effroyablement douloureux, révèle toute une existence de rebuté et de paria. Il interroge anxieusement l’espace. Où trouvera-t-il le souper et le gîte ce soir ? Troublant et difficile problème qui est le problème quotidien. La morne et douloureuse expression que l’on voit sur sa figure nous montre clairement qu’il n’espère rien. On le sent par habitude, résigné à son sort, à sa misère. À côté de lui, sa compagne, la chair douloureuse, les jambes rompues de fatigue, et les pieds meurtris, semble vouloir s’affaisser. Elle est si épuisée, qu’elle ne peut plus avancer. Elle va choir.

Le soir couleur de cendre, sans un seul rayon, enveloppe les deux malheureux.

Vers quelque point du monde qu’ils se tournent, ils ne trouveront rien que rebuffades, humiliations et refus. Ils n’ont ni parents ni amis ; ils n’ont ni foyer, ni famille, ni asile. Leurs cœurs sont comme des outres gonflées d’amertume et de détresse. Ils ignorent la bonté et la pitié.

Ils vont depuis des jours et des jours, depuis des ans. Ils sont les Errants, les Déshérités, ceux qui ont reçu en patrimoine les routes de la terre, les routes sur lesquelles ils traînent et usent leurs pieds sans trêve, les routes hérissées des crocs de chiens hargneux, les routes bordées de maisons aux seuils inhospitaliers et hostiles, les routes qui traversent des champs que gardent jalousement Ceux qui Possèdent.

Ils sont les Sans Joie et les Sans Espoir. Et ce soir, comme hier, affamées et fourbues, ces deux épaves humaines reposeront leurs vieux os sur l’herbe humide, au fond d’un fossé.

Aucune étoile mystérieuse ne s’allumera jamais pour eux au fond du ciel infini pour les guider vers un toit ami, vers une table chargée de plats réconfortants, vers un lit chaud, reposant.

Ils sont les éternels pèlerins dont le refuge est la mort.

Et voilà le pastel que m’a fait remettre hier le peintre-poète Charles de Belle.