Chez l'auteur (p. 71-72).

DANS LA NUIT BLEUE


Dans la prodigieuse nuit bleue le blond cadavre pendu à l’une des solives du plafond de la haute et vaste chambre semblait s’allonger hors de proportion, comme vu dans l’eau. Le corps était nu, d’une nudité glorieuse et la figure, celle d’un jeune homme de vingt ans. Sans la corde encerclant le cou, on eût pu croire à un envolement, et dans la pièce régnait un silence absolu, implacable. Pas même le tic tac du cadran doré qui gisait sur le plancher, car avant de mourir, il en avait brisé le ressort pour indiquer que le temps n’existait plus pour lui.

Beau de la beauté des êtres aimés, mais sentant déjà dans la radieuse jeunesse la vanité de toutes les joies, il avait voulu s’évader et, dans la nuit bleue entrant par les fenêtres, il était là accroché au plafond par une corde, insensible désormais à tous les regrets, à toutes les peines, à toutes les déchéances.

Comme un parfum, la jeune femme entra, rayonnante, dans la pièce, mais en un instant, une transformation tragique s’opéra en elle. À la vue de cette forme immobile suspendue là devant elle, sa raison sembla crouler. Avec un cri étouffé, elle se précipita sur le corps de l’homme aimé, l’étreignit, le pressa frénétiquement dans ses bras, palpa de ses fines mains les membres froids. Puis les sanglots, de lourds sanglots la secouèrent toute. Elle leva la tête et regardant la figure qui la dominait, ses lèvres prononcèrent son nom. Soudain, comme dans une crise d’hystérie, elle se mit à crier : Mort ! mort ! mort ! Et cette pensée la torturait au plus profond de son être. De nouveau, elle répéta : Mort ! Ce mot ainsi prononcé lui donnait l’impression d’un coup de couteau qu’elle se serait donné elle-même. Comme pour savourer l’âcre volupté de sa douleur, elle se mit à clamer : Mort ! mort ! mort !

Brusquement, elle se dévêtit, faisant en quelques instants tomber ses vêtements à ses pieds. Alors, nue comme l’homme aimé, elle se dressa devant lui, les bras tendus comme en offrande. Puis, prise d’une inspiration subite, elle courut à la cheminée du foyer, saisit un revolver placé en arrière d’un vase et revint près du cadavre attaché au plafond. Alors, d’une voix entrecoupée de sanglots, elle déclara : Je t’ai donné mon amour, je t’ai donné mon corps, maintenant, je te donne ma vie. À ce dernier mot, elle porta le canon de l’arme à sa tempe et tira. Au bruit de l’explosion, elle s’écrasa sur le carreau où le sang se mit à couler et à se répandre en lignes bizarres. De nouveau, le silence enveloppa la chambre que baignait la nuit bleue. Les heures devaient continuer de s’écouler, mais, pour les deux corps, l’un suspendu à une solive et l’autre étendu sur le plancher, il n’y aurait plus jamais de réveil, plus jamais de demain. Ils étaient entrés dans l’abîme sans fond de l’éternité.

Voilà l’étrange rêve que j’ai fait la nuit dernière.