Chez l'auteur (p. 49).

VICTIME DU SORT


Il Y a des années, j’ai lu dans un journal un fait divers de vingt lignes qui aurait pu servir de thème à Maupassant pour un de ses admirables contes. Je veux le rappeler ici, car pour moi, cette petite histoire est comme un pur joyau que j’aurais ramassé sur ma route. Voici les faits :

Un ouvrier menuisier de Londres, était mort à quatre-vingt-six ans, laissant une fille assez âgée. Habituée à vivre du salaire de son père, elle se vit, celui-ci parti, dans la nécessité de gagner son pain. Elle se mit donc bouquetière, vendant des fleurs dans les rues de la grande ville. Par les journées d’accablante chaleur ou de pluie comme par les grands froids, elle allait avec son panier, invitant les passants à fleurir leur boutonnière. Le commerce était loin d’être florissant et son existence était précaire. Souvent même, lorsque les affaires allaient trop mal, elle travaillait comme femme de peine, faisant des lavages, des ménages dans des maisons privées. Pour tout dire, elle gagnait péniblement sa vie. Avec l’âge, ses forces diminuaient et son labeur devenait par suite de plus en plus dur. Puis, il vint un jour où, pauvre loque humaine, elle se trouva incapable d’exécuter la moindre tâche. Des gens qui s’intéressaient à elle, la firent alors entrer à l’hospice. Pour régulariser son admission, l’on avait besoin de certaines pièces administratives. On lui demanda alors, si elle avait des papiers. Elle répondit que son père lui avait laissé une boîte en fer, mais qu’elle n’en possédait pas la clé et n’avait jamais pu l’ouvrir. On brisa la serrure et on découvrit qu’elle contenait une fortune de $90,000 en obligations du gouvernement et en argent.