Pour se damner/Idylle parisienne

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IDYLLE PARISIENNE


La floraison de juin éclatait dans les branches ; c’étaient des feux d’artifice de fleurs, des fusées de parfums, des symphonies dans tous les nids ; sous la feuillée, les insectes au corselet d’or s’envolaient avec des bourdonnements affairés ; les arbres des bois s’entrelaçaient pour former des voûtes sombres, et les hautes bruyères, qui cachent les jolis chemins où l’on va deux à deux et d’où s’envolent les baisers sonores, formaient des dentelures exquises découpées par les fées de la forêt.

Il cherchait une place pour se pendre et s’enfonçait dans le plus épais des taillis, une corde à la main ; par moments, il poussait de gros soupirs, parce qu’il est très dur de mourir par un beau soleil, alors que la terre a une si bonne odeur de sève et que les oiseaux jacassent des choses galantes ; mais il n’en pouvait plus, il était trop malheureux ; elle l’avait trompé, puis mis à la porte, la grande comédienne, et comme il avait eu les joies du paradis, il souffrait trop d’en être chassé à jamais.

Il arriva à une petite clairière, cherchant toujours une branche propre à son dessein. Tout à coup il s’arrêta : une jeune fille, du bout de son ombrelle blanche, agaçait une nuée de fourmis qui fuyaient en désordre ; ses lèvres, deux jolis pots de fraises, riaient goulûment, des cheveux blonds tombaient en frisons d’or sur deux yeux de velours foncé, et un petit nez mutin s’envolait un peu, en quête d’aventure extraordinaire.

La voilà, l’aventure extraordinaire ; il lâche sa corde et l’aborde poliment :

— Mademoiselle, vous êtes un Greuze, posez une minute, je vous en supplie.

Et il tire un album de sa poche, parce que tout en cherchant le trépas, on ne peut oublier qu’on est peintre, et qu’un album de plus ou de moins n’est pas embarrassant dans le dernier voyage.

Elle consentit à poser pour le Greuze, et les voilà babillant tous deux comme des merles ivres de rosée.

Il esquissait la mignonne dans sa robe claire, et elle, tout en continuant sa chanson, venait parfois voir par-dessus son épaule si l’ouvrage avançait.

Elle raconta qu’elle habitait la ville voisine chez une vieille tante qui ne s’inquiétait de rien ; elle avait dix-sept ans et se trouvait être pure comme les lys de la Bible. Lui avoua qu’il peignait dans ses moments perdus et qu’il était prêt à l’adorer dans les autres moments. Il ne prononça pas le nom de la comédienne ni ne parla de ses souffrances ; d’ailleurs, il ne voulait plus mourir puisqu’il aimait Margot maintenant.

Puis il était toujours temps ; après tout, l’amour n’est-il pas le plus doux des suicides ?

Et il adora Margot qui lui donna tout, et toute son âme.


Cela dura trois mois, trois mois d’ivresses exquises, de longs baisers, de tendresses folles ; on roucoulait sur les étangs, dans les bois, au haut des montagnes, au milieu des prairies ; tout était rayons et chansons, surtout la chanson des baisers, celle-là l’écho la répétait du matin au soir. L’autre était bien loin ! Comme c’était gentil d’aimer cette jeunesse en bouton, cette sincérité qui sentait bon comme un bouquet ; le diable avait emporté les pensées noires, lui qui d’ordinaire fait envoler les bonnes.

On revint à Paris, et ce furent d’autres surprises, des extases nouvelles ; les théâtres, les dîners dans les restaurants où grignottent les femmes à tapage, l’atelier encombré de curieux bibelots : les chimères à ventre énorme, les faïences d’un autre âge, les superbes tapisseries fanées, les toiles jetées pêle-mêle sur les vieux sièges de cuir, tout cela plongeait l’amoureuse fillette dans des ravissements qui avivaient sa passion et devaient la rendre éternelle ; l’amour fait son nid dans tous les coins du monde et sa litanie se trouve sur toutes les lèvres de vingt ans !

Et Lui ! comme il avait bien fait de ne pas se pendre dans le bois ! Il comprenait que l’âme est comme la nature ; elle ne meurt que pour ressusciter.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’était l’hiver ; il faisait chaud dans cet atelier tout capitonné d’art et d’ivresses ; au dehors, il neigeait et, par instants, de gros flocons venaient frapper les vitres.

Dans son peignoir de satin rose, elle se blottissait contre lui la mignonne câline, et ses jolis bras passés autour de son cou, elle lui faisait dire des vers de Musset.

La porte s’ouvrit toute grande et une femme entra.

Elle n’était plus jeune, mais très parée ; ses lèvres peintes avaient un méchant sourire.

— Je viens te chercher, dit-elle au jeune homme qui s’était levé en jetant un nom, ou plutôt je te prie de mettre dehors mademoiselle ; cette idylle a trop duré ; les amourettes n’ont qu’un temps, mon cher, sans cela elles deviennent ridicules ; allons, petite, habillez-vous et sortez ; il m’a plu de quitter mon amant, aujourd’hui il me plaît de le reprendre.

Elle ôta son chapeau, passa ses doigts dans ses fins cheveux teints, de couleur fauve, et regarda le peintre avec son sourire de sorcière faisant son charme ; lui enivré, fou, tendait les bras vers elle avec un cri d’amour que Margot n’avait jamais entendu. Margot le regardait de ses yeux suppliants et pleins de larmes ; elle avait joint les mains et attendait ; mais il ne la voyait plus, et elle se retira lentement, sans voix, écroulée, à reculons, comme une bête blessée qui va mourir au loin.

Arrivée à la porte, elle se retourna ; il s’était mis aux genoux de l’autre, et elle, de haut, avec un sourire de mépris, elle lui avait renversé la tête et le contemplait.