Idées républicaines, augmentées de remarques/55

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LV.

(Liv. III. chap. 9.) Les Cadis ont ſoutenu que le Grand Seigneur n’eſt point obligé de tenir ſa parole & ſon ſerment lorſqu’il borne par là ſon autorité.

Ricaut cité en cet endroit, dit ſeulement page 18. de l’édition d’Amſterdam 1671. Il y a même de ces gens-là qui ſoutiennent que le Grand Seigneur peut ſe diſpenſer des promeſſes qu’il a faites avec ſerment, quand pour les accomplir il faut donner des bornes à ſon autorité.

Ce diſcours eſt bien vague. Le Sultan des Turcs ne peut promettre qu’à ſes ſujets ou aux Puiſſances voiſines. Si ce ſont des promeſſes à ſes ſujets, il n’y a point de ſerment : ſi ce ſont des traités de paix, il faut qu’il les tienne comme les autres Princes, ou qu’il faſſe la guerre. L’Alcoran ne dit en aucun endroit qu’on peut violer ſon ſerment, & il dit en cent endroits qu’il faut le garder. Il ſe peut que pour entreprendre une guerre injuſte, comme elles le ſont preſque toutes, le Grand Turc aſſemblé un Conſeil de conſcience, comme ont fait pluſieurs Princes Chrétiens, afin de faire le mal en conſcience. Il ſe peut que quelques Docteurs Muſulmans ayent imité les Docteurs Catholiques qui ont dit qu’il ne faut garder la foi ni aux infideles, ni aux hérétiques. Mais il reſte à ſavoir ſi cette juriſprudence eſt celle des Turcs.

L’Auteur de l’eſprit des Loix donne cette prétendue déciſion des Cadis, comme une preuve du deſpotiſme du sultan. Il ſemble que ce ſeroit au contraire une preuve qu’il eſt ſoumis aux loix, puiſqu’il ſeroit obligé de conſulter les docteurs pour ſe mettre au deſſus des loix. Nous ſommes voiſins des Turcs, nous commerçons avec eux, & nous ne les connoiſſons pas. Le Comte de Marſigli qui a vécu vingt-cinq ans au milieu d’eux, dit qu’aucun auteur n’a donné une véritable connoiſſance ni de leur Empire, ni de leurs loix. Nous n’avons eu même aucune traduction tolérable de l’Alcoran avant celle que nous a donné Mr. Sale en 1734. Preſque tout ce qu’on a dit de leur Religion & de leur juriſprudence eſt faux, & les concluſions qu’on en tire tous les jours contre eux ſont trop peu fondées. On ne doit dans l’examen des loix citer que des loix reconnues.

LV.

L’erreur n’eſt pas des plus groſſieres. Au reſte ce que M. D. M. met ſur le compte des Cadis en général, Ricaut l’attribue aux Turcs ſans diſtinction[1].

Cet hiſtorien qui a long-tems vécu parmi ces infidéles ; qui s’eſt appliqué à en connoître le génie, les mœurs, l’hiſtoire, les principes de leur gouvernement, ne donne pas une grande idée de la bonne foi du Sultan dans l’obſervation des traités faits avec les Puiſſances.

  1. Ric. Tabl. de l’Emp. Ott. pag 4. Edit. de la Haie.