Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II/Diuerſes Fortunes
Diverses fortvnes.
Velqves-vns appellent Fortune cette vertu dite
operatrice, par le moyen de laquelle les Eſtoilles
par leurs influences font agir diuerſement les humeurs
& la nature des hommes, en eſbranſlant
l’appetit ſenſitif, & meſme le raiſonnable, ſans le forcer neantmoins,
& ſans qu’en ſon operation il y ait aucune ſorte de violence.
Mais nous prenons icy la Fortune pour cét euenement
caſuel qui ſe peut rencontrer dans les choſes, qu’on void rarement aduenir contre l’intention de l’agent. D’où arriue la
pluſpart du temps ou beaucoup de bien, ou beaucoup de mal
aux hommes, qui pour n’auoir pas l’eſprit de comprendre que
rien ne ſe peut faire icy bas ſans l’intention de quelque agent, ſe font accroire follement qu’vne imaginaire Deeſſe qu’on
nõme Fortune produiſent ces effets qu’ils diſent ne deſpendre
que d’elle. Tous les Autheurs nous l’ont peinte aueugle, pour
monſtrer qu’elle traitte indifferemment tous les hõmes, en les
haïſſant ou les aiment comme bon luy ſemble, & qu’en vn mot
c’eſt fortuitement qu’elle les oblige ou deſoblige. D’où il n’aduient
que trop ſouuent qu’elle fauoriſe ceux qui meriteroient
mieux des ſupplices que des recompenſes ; Et qu’au contraire
elle rend miſerables ceux que leurs propres merites deuroient
rendre bien-heureux. Mais apres tout, il faut aduoüer, contre l’opinion de ces Payens, qui eſt ſuiuie encore aujourd’huy du
vulgaire ignorant, que la Diuine Prouidence, comme nous
Lib. 3. contra gentes. cap. 91.
l’enſeigne S. Thomas, regle & gouuerne elle ſeule toutes les
choſes du monde.