Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II/De l’aage de l’Homme en general

Les Qvatre Aages
et premierement de celvy
de l’homme en general
.


LEs Aages ont eſté diuerſement diuiſées par diuers Autheurs ; les vns en ont fait trois ſeulement, & les autres quatre, cinq, ſix, & ſept. Mais quoy qu’il en ſoit, ſi nous conſiderons bien ces opinions, nous trouuerons qu’elles ne ſont point differentes entr’elles.

Le ſentiment des anciens Philoſophes a eſté, qu’il n’y auoit que trois Aages : d’autant qu’ils ont conſideré l’homme, I. de Cœl. & Mond. comme vne choſe naturelle ; laquelle, au rapport d’Ariſtote, a ſon commencement, ſon milieu, & ſa fin. A raiſon dequoy ils ont mis pour commencement l’Adoleſcence, pour milieu la Ieuneſſe, & la Vieilleſſe pour fin.

La ſeconde opinion la plus commune de toutes, eſt d’Hypocrate, de Galien, d’Auicenne, & c’eſt celle meſme que nous ſuions auec eux. Elle diuiſe l’Aage en quatre parties, qui ſont, l’Adoleſcence, la Ieuneſſe, la Virilité, & la Vieilleſſe, que Galien deffinit ainſi.

L’Adoleſcence eſt vn Aage où le corps prend accroiſſement, à cauſe qu’alors la chaleur & l’humeur reçoiuent force vigueur.

La Ieuneſſe eſt la fleur de l’Aage, ainſi dite du verbe Latin Iuuare, qui ſignifie aider, à cauſe qu’en ce temps-là l’homme ayant acheué de croiſtre, eſt capable d’aſſiſter autruy.

L’Aage Viril eſt celuy auquel l’homme eſt en ſa force, & où ce que la chaleur conſume eſt eſgal à l’aliment que l’on prend.

En la Vielleſſe, appellée de Latins, Senectus, à ſenſuum diminutione, l’homme diminuë en effet, parce que la chaleur & le ſeue lui manquent, & qu’en luy-meſme la froideur & la ſeichereſſe s’augmentent. Où il eſt à remarquer que les Philoſophes & les Poëtes comparent tous ces quatre Aages aux quatres Saiſons de l’année. Outre qu’il y en a qui les rapportent aux quatre Elemens, qui ſont des corps ſimples d’où ſe forme tout ce qui eſt compoſé.

Ceux qui tiennent la troiſieſme opinion, veulent qu’il y ait Lib. 7. cap. 10. cinq Aages, & entr’autres Fernel, qui les diſtingue en Adoleſcence, en Ieuneſſe, en Virilité, en Vieilleſſe, & Aage decrepit. A quoy nous pouuons reſpondre que ce dernier n’eſt pas un aage ſeparé, mais qui ſe peut appeller plus proprement la derniere partie de la vieilleſſe, & le temps le plus proche de la mort.

Lib. 2 cap. 2 La quatrieſme opinion eſt d’Iſidore en ſes Ethymologies, où il compte ſix Aages, qui ſont l’Enfance, la Puerilité, l’Adoleſcence, la Ieuneſſe, la Virilité, & la Vieilleſſe. En quoy veritablement l’authorité d’vn ſi grand homme ne deroge point au nombre des quatre, puis qu’il met l’Enfance, & la Puerilité comme parties de l’Adoleſcence.

La cinquieſme & derniere opinion eſt de pluſieurs Aſtrologues & Philosophes, qui font cét Aage de la vie de l’homme, à ſçauoir, l’Enfance, la Puerilité, l’Adoleſcence, la Ieuneſſe, la Virilité, la Vieilleſſe & l’aage decrepit, d’où ils veulent inferer, que comme toute l’eſtenduë du temps eſt compriſe en ſept iours, ainſi toute noſtre vie eſt referrée en ſept aages, ſuiuant les ſept Planettes, par le moyen deſquelles la generation & la corruption ſe font icy bas.

Ainſi le premier de tous ces Aages eſt l’Enfance, qui eſt gouuernée par la Lune, & qui dure iuſques à la ſeptieſme année, ſelon quelques-vns, & ſuiuant les autres juſqu’à la quatrieſme ſeulement.

Le ſecond eſt la Puerilité, commandée par Mercure, Planette de ſcience & de raiſon. Auſſi eſt-ce alors que les Enfans doiuent eſtre mis ſous la diſcipline des Maiſtres, pource qu’ils commencent d’eſtre capables d’apprendre.

Le troiſieſme Aage eſt ſous la domination de Venus, Planette de joye & de volupté, de qui l’empire ſur l’homme dure huict ans.

Le quatrieſme eſt reglé par le Soleil, à cauſe qu’il tient le quatrieſme lieu dans le monde, qui ſe peut dire par conſequent la plus parfaite de toutes les Planettes, qui s’eſtend au nombre de dix-neuf ans.

Le cinquieſme a Mars pour Aſcendant ; & cét aage-cy, dans lequel l’homme ſe maintient quinze ans, fait qu’il ſe picque d’honneur, & que par des actions glorieuſes, il taſche de laiſſer à la poſterité vne loüable memoire de ſoy.

Le ſixieſme, où l’homme ſubſiſte douze ans, deſpend de Iupiter ; & c’est alors que l’homme ne demandant qu’à viure en paix, ſe repent des fautes paſſées qu’il taſche d’amander par des bonnes & vertueuſes actions.

Au dernier de tous les Aages predomine Saturne, Planette froide, ſeiche, pleine de chagrin, qui accable l’homme d’incommoditez & de maladies, qui ne l’abandonnent point juſques à la mort.

Voila quelles ont eſté les opinions de pluſieurs grands Hommes touchant les diuers Aages de la vie. Or bien qu’auec beacoup de fondement on les puiſſe tous reduire à quatre, comme nous auons dit cy-deſſus, il faut remarquer pourtant qu’ils ne ſont pas touſiours reſerrez dans vn nombre d’années qui ſoit certain & prefix. Eſtant vray-ſemblable, comme dit Galien, que l’Aage ne ſe meſure point par les années, mais par le temperament.