Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Paix


Paix. CXV.


ELle nous eſt repreſentée par vne Femme agreable, qui ſur la teſte vne Guirlande d’Oliuier, en la main gauche vne Corne d’Abondance, & des Eſpics en la droite.

Il n’eſt pas difficile d’expliquer cette Figure, puis qu’il n’y a celuy qui ne ſçache, Que l’Oliuier & les Eſpics ſont les vrays ſymboles de la Paix ; la Terre ne produiſant abondamment des oliues ny des grains, qu’aux lieux où cette Deeſſe permet aux hommes de la cultiuer,

M. de Malherbe.

C’eſt en la Paix que toutes choſes
Succedent ſelon nos deſirs ;
Comme au Printemps naiſſent les roſes,
En la Paix naiſſent les plaiſirs.
Elle met les pompes aux villes,
Donne aux champs les moiſſons fertiles ;
et de la majeſté des Loix
Appuyant des pouuoirs ſuprémes,
Fait demeurer les Diadémes
Fermes ſur la teſte des Rois.

C’eſt à raiſon de cela que dans les Fables des Poëtes la Deeſſe Minerue eſt loüée par Iupiter, pour auoir inuenté l’Oliuier ; comme Neptune l’eſt auſſi, à cauſe que ce fut luy qui le premier de tous apprit aux Hommes l’art de dompter les cheuaux ; l’vn pour l’vſage de la Paix ; & l’autre pour le ſouſtien de la Guerre, qui ſe la propoſe pour but ordinairement.

Et d’autant que la Paix a touſiours eſté les delices des peuples, auſſi ont-ils pris plaiſir de repreſenter diuerſement les biens qu’elle produit. Si cette verite n’eſtoit aſſez forte d’elle-meſme, ie rapporterois icy quantité de preuues pour l’appuyer ; Et les modernes m’en fourniroient abondamment. Mais ie me tiens à celles que l’Antiquité nous en a laiſſées en plusieurs Medailles, qui ſe voyent encore aujourd’huy.

La premiere eſt celle d’Auguſte, où elle eſt grauée tenant d’vne main vne branche d’Oliuier, pource qu’elle adoucit les courages les plus aigres ; Et de l’autre vn flambeau, dont elle bruſle vn trophée d’armes, pour ſignifier par là, qu’elle aneantit toutes les vieilles inimitiez, ſur le poinct meſme qu’elles ſemblent renaiſtre de la cendre de ceux qui les ont fomentées durant leur vie.

La ſeconde eſt celle de Philippe, qui luy fait tenir vne Lance en main, pour monſtrer qu’elle eſt acquiſe par la valeur propre, & par la force des armes.

La troiſieſme eſt celle de Veſpaſien, où elle ſe fait remarquer par vn Caducée, & par vne Corne d’Abondance.

La quatrieſme eſt celle de Titus, qui la repreſente en Femme guerriere, tenant d’vne main vne Palme, pour recompenſer les vertueux ; Et de l’autre une Hache d’armes, pour en punir les coupables ; Auſſi eſt-il vray que l’Eſperance & la Crainte ſont les deux choſes du monde qui peuuent le mieux eſtablir la Paix, & la conſeruer parmy les hommes.

La cinquieſme eſt celle de Sergius Galba, où elle ſe void aſſiſe en vn thrône, pour vne marque de ſa tranquillité merueilleuſe ; & appuyée ſur vne maſſuë, apres s’en eſtre ſeruie comme Hercule à punir l’audace des meſchans, qui ne ſemblent eſtre nez que pour troubler le repos des gens de bien.

La ſixieſme eſt celle de Claudius, repreſentant vne Femme qui s’appuye ſur vn Caducée, enueloppé d’vn effroyable Serpent, & qui ſe couure les yeux de l’autre main, pour ne luy voir point reſpandre ſon venin ; Où il eſt à remarquer, qu’on luy donne icy fort à propos le Caducée, ainſi dit du verbe Latin, cadere, qui ſignifie tomber, d’autant que cette enſeigne de Paix ne paroiſſoit pas pluſtoſt, qu’elle abatoit toutes ſortes de diſcordes & de diuiſions, de quelque nature qu’elles fuſſent ; Que ſi elles ſe voile les yeux, c’eſt pour monſtrer que la Guerre, qui eſt figurée par le Serpent, a des objets ſi tragiques, qu’ils font horreur la pluſpart du temps à quiconque, les ſçait bien conſiderer : ce qui fait que le plus illuſtre de tous les Poëtes s’eſcrie à bon droit, Æneid. I.

Vien nous donner ſur la terre
La Paix que nous demandons,
S’il est vray que de la Guerre
Rien de bon nous n’attendons.