Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Memoire des biens faits receus


Memoire des biens-faicts recevs. XCVII.


L’Agreement & la Beauté ſe remarquent également dans le viſage de cette Fille. Elle porte ſur la teſte vne guirlande de Genevre, auec vn grand clou à la main, & ſe tient debout entre vn Lyon et vne Aigle.

On la couronne de Genevre pour trois raiſons. La premiere, Lib. 6. cap. 40 à cauſe que cette Plante, comme dit Pline, ne vieillit point, & ne ſe pourrit iamais ; & que de cette meſme façon la memoire d’vn bon office receu n’eſt point effacée par le Temps. La ſeconde, d’autant qu’en quelque ſaiſon que ce ſoit, ſes ſueilles ne peuuent tomber, ce qui denote la fermeté d’vne ame pleine de reconnoiſſance ; Et la troiſieſme, pource que des grains de Genevre diſtillez, il s’en tire vne liqueur qui ayde grandement à la Memoire.

De plus, elle tient en main vn gros clou, pour monſtrer, Qu’il ne s’enfonce pas plus auant dans vne piece de bois, que fait vne obligation receuë, dans le ſouuenir d’vne ame bien née.

Elle eſt entre vn Lyon & vne Aigle, d’autant que ces animaux, bien que priuez de raiſon, ont monſtré ſouuent, combien ils eſtoient reconnoiſſans, & ennemis de l’Ingratitude : Lib. 5. cap. 24. Teſmoin le Lyon d’Androde, rapporté par Aulu-Gelle, & par Lib. 6. cap. 48 Elian, qui diſent tous deux, Qu’aux jeux publics qui furent faits dans le grand Cirque de Rome, en la preſence de tout le peuple, vn ſi genereux animal ſauua la vie de cét Eſclaue, pour recompenſe qu’il luy auoit tiré vne eſpine dupied, dans vne foreſt où il s’eſtoit ſauué, pour ſecoüer le joug de ſon Maiſtre : Teſmoin encore cette Aigle reconnoiſſante, qui pour ſe reuancher de la nourriture qu’vne fille de Ceſte luy auoit donnée, luy fit part depuis de tout le gibier qu’elle prenoit ; & la voyant morte, en fut ſi faſchée, qu’en la preſence du peuple elle ſe jetta dans le meſme bucher qu’on auoit allumé pour bruſler ce corps, qui luy eſtoit ſi precieux & ſi cher. Que ſi nous conſiderons maintenant, que le Lyon eſt le Roy des Quadrupedes, & l’Aigle la Reyne des Oyſeaux, nous conclurons de là, Que plus vne perſonne eſt noble, & plus elle conſerue cherement le ſouuenir des biens-faits qu’elle a receus.