Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Loüange


Lovange. XV.


CEtte Femme doüée de tant de beautez, & ſi proprement veſtuë d’vne robe blanche, eſt la figure de la Loüange. Elle porte ſur le ſein vn goyau de Iaſpe, luiſant & de couleur verte ; à la teſte vne Guirlande de roſes, en la main droite vne Trompette dont elle ſonne ; & de la gauche qu’elle tend, elle ſemble faire ſigne, & monſtrer quelque perſonne particuliere.

On la peint belle, pource qu’il n’y a point de charmes ſi agreables que les ſiens, ny point de concerts ſi doux à l’oreille, que ceux qui ſe forment de ſes paroles.

Son habillement eſt blanc, d’autant que la vraye Loüange doit eſtre pure, & mortelle ennemie des artifices de la Flaterie ; Surquoy il eſt à propos de remarquer, Que l’humaine Loüange eſt de deux ſortes, à ſçauoir, ou vraye, ou fauſſe. La vraye, eſt celle qui ſe donne legitimement aux hommes vertueux ; Et la fauſſe, celle qui s’attribuë malicieuſement aux perſonnes vicieuſes. De la premiere doiuent eſtre honorez ceux qui s’en rendent capables par leurs bonnes qualitez, qui ſont par exemple, l’integrité de vie, la douceur d’eſprit, la franchiſe, la doctrine, la ſageſſe, & autres choſes ſemblables ; mais principalement la crainte de Dieu, la charité enuers le prochain, & la pureté de cœur ; D’où vient qu’il eſt dit dans l’Eſcriture, Que l’homme ſage ſera combla de benedictions, & loüé de ceux qui le verront ; Et en vn autre endroit, Que la Loüange n’eſt pas bien ſeante en la bouche du pecheur. A quoy ſe rapporte encore le dire du Philoſophe, Qu’il n’eſt pas moins honteux d’eſtre loüé par des infames, que ſi on l’eſtoit pour des choſes deshonneſtes. Le joyau de Iaſpe qui pend à ſon col, eſt vn ſymbole de la Grace, ſelon les Naturaliſtes, qui diſent, Que par vne vertu ſpecifique, cette pierre rend agreable, & fait loüer celuy qui la porte.

Et d’autant qu’il n’eſt point de fleur, ny plus belle, ny de meilleure odeur que la roſe ; on luy donne vne Guirlande, pour demonſtrer la Loüange humaine, qui eſt comme vn doux parfum à ceux qui la reçoiuent, & la Diuine encore plus. Car comme la Couronne eſt vne figure ronde, qui n’a ny commencement ny fin ; ainſi la Loüange de Dieu, comme eternelle qu’elle eſt, n’a point de limites. Auſſi eſt-ce pour cela, Que tous les peuples du monde, & les Elemens qui ſont le chef-d’œuure de ſes mains, à ſçauoir le Ciel, la Terre, l’Air, le Feu, & les choſes qu’ils contiennent ne ceſſent de le loüer, comme le ſouuerain Autheur de leur eſtre.

Le merueilleux eſclat qu’on oit ſortir de la Trompette dont elle ſonne, ſignifie la ſplendeur du nom de ces ames vertueuſes, qui meritent de iuſtes Loüanges. C’eſtoit pour cela, Qu’au plus haut du Temple de Saturne, les anciens Romains ſouloient eſleuer les figures des Tritons, & des autres Dieux marins, dont les queuës ne paroiſſoient point ; pour monſtrer par là, Que l’Hiſtoire des euenemez paſſez ſous le regne de Saturne eſtoit ſi connuë, qu’il n’y auoit pas moyen d’en perdre le ſouuenir ; Comme au contraire, les choſes aduenuës auparauant, eſtoient cachées, & enſeuelies dans les tenebres.

Elle eſtend le bras gauche, comme ſi elle vouloit monſtrer 12. q. 22, art. 2 quelqu’vn, à cauſe, dit S. Thomas, Que la Loüange eſt vn diſcours, qui eſclaircit la grandeur de la Vertu, eſtant veritable que tout ce qui en a, merite d’eſtre loüé : Ce qui nous eſt confirmé 1. Rhet. par Ariſtote, quand il dit, Que loüer n’eſt autre choſe, qu’eſleuer en termes exprés les bonnes qualitez qui ſont en autruy : Et voila pourquoy l’on tient, que Caton merita plus de gloire pour auoir banny le vice de Rome, que Scipion pour auoir vaincu les Carthaginois, veu qu’à proprement parler, la Loüange, comme le remarque le meſme Philoſophe, regarde les actions.

Or pource qu’à le prendre en general, il y a deux ſortes de Loüanges differentes, à ſçauoir la vraye, & la fauſſe ; elles ſont auſſi diuerſement repreſentées.

La premiere eſt vne Femme qui tient vne Trompette en la main droite, & en la gauche vn Rameau d’Oliuier ; outre qu’elle a des aiſles au dos, & qu’elle porte au col vne chaiſne d’or, au bout de laquelle pend vn cœur en forme de joyau.

Par la Trompette, il eſt declaré, Que ce luy eſt vne choſe ordinaire de publier de tous coſtez les actions des gens de bien, afin d’en rendre l’eſtime vniuerſelle par toute la terre. Par le Rameau d’Oliuier, Qu’on s’efforce en vain de blaſmer ce qui eſt loüable de ſoy ; Car cét Arbre & ſon fruict ſont toûjours pris en bonne part. Voila pourquoy dans les ſaintes Lettres, le Nom de noſtre Seigneur Iesvs-Christ eſt myſtiquemnet comparé à de l’huille reſpanduë ; Et dans les Pſeaumes de Dauid, il eſt parlé de l’Oliuier, qui fructifie dans la Maiſon du Seigneur. Auſſi eſt-il vray-ſemblable, que les Anciens en couronnoient Iupiter, pource qu’ils le croyoient extrememement bon, & le plus parfait de tous les Dieux.

Et d’autant que l’homme de bien eſt animé quand on le loüe ; Cela ſe demonſtre par la figure du cœur, pendu au col, comme il ſe lit dans Orus Apollo ; De meſme que par les aiſles blanches il faut entendre la merueilleuſe viſteſſe, & la ſyncerité de la vraye Loüange.

Quant à la fauſſe, elle eſt dépeinte auec vn habillement bizarre, ſemé de petites figures noires, propres à denoter les actions baſſes & laſches des gens ſans merite ; qui pour eſtre loüez, bien qu’indignement, ont accouſtumé d’achetter les ſuffrages des Flatteurs, & des hommes mercenaires.

Au contraire de cecy, dans vne certaine Medaille d’Antinüs eſt repreſentée de cette ſorte l’illuſtre Loüange. C’eſt vn Mercure, auecque des aiſlerons à la teſte, & des talonnieres aux pieds ; tenant de la main droite le Cheual Pegaſe, & de la gauche vn Caducée.

Par ce Courrier celeſte, ſi fort eſtimé pour ſa viteſſe, & pour ſon bien dire, ſe doit entendre l’efficace de la parole, qui s’épend de tous coſtez par la bouche de celuy qui loüe ; Ce qui nous eſt encore ſignifié par les talonnieres de ce Dieu, & par le Cheual Pegaſe qu’il mene en main : Car cela veut dire, Que plus on fait aller viſte la Loüange des grands hommes, & plus elle prend d’accroiſſement. Ce que le peuple Romain voulut autrefois donner à entendre, par la Medaille qu’il fit battre à l’honneur de Domitian, où eſtoit graué le meſme Cheual, qui ſembloit courir & voler enſemble.