Texte établi par Léon SéchéRevue de la Renaissance2 (p. 141-145).

HYMNE CHRESTIEN

Seigneur Dieu, mon rempart, ma fiance
Repare moy du fort de patience
Contre l’effort du corps injurieux,
Qui veut forcer l’esprit victorieux.
L’ardeur du mal dont ma chair est attainte.
Me fait gémir d’une éterjielle plainte.
Moins pour l’ennuy de ne pouvoir guarir,
Que pour le mal de ne pouvoir mourir.
Certes, Seigneur, je sens bien que ma faute
Me rend coulpable à ta majesté haute :
Mais si de toy vers toy je n’oy secours.
Ailleurs en vain je cerche mon recours.
Car ta main seule invinciblement forte
Peut des enfers briser l’avare porte,
Et me tirer aux rayons du beau jour.
Qui luit au ciel ton éternel séjour.
Si je ne suis que vile pourriture
Tel que je suis, je suis ta créature
N’est-ce pas toy, dont la divine main
De vil bourbier, forma le corps humain
Pour y enter l’âme, que tu as feinte

Sur le portrait de ton image saincte ?
N’est-ce pas toy, qui forma la rondeur
De l’univers, tesmoin de ta grandeur,
Et qui fendis l’obscurité profonde,
Pour en tirer la lumière du monde ?
De rOcean, qui nous baigne à l’entour
Fichant aux cieux du jour la lampe claire,
Et le flambeau qui à la nuit esclaire.
Et toutefois ces grands œuvres parfaits.
Que ta main saincte heureusement a faits,
Doyvent périr, non ta parole ferme,
De qui le temps n’a point borné le terme.
Geste parole a promis aux esleus,
Dont les saincts noms en ton livre sont leus,
Ennuy, travail, servitude moleste,
Le seul chemin de ton règne céleste.
O trop ingrat, ô trop ambitieux.
Cil, qui premier nous defferma les yeux.
Et qui premier, par trop vouloir cognoistre
Fit le péché entre nous apparoistre ?
Ce fut alors que le ciel peu bénin
Vftmit sur nous sou courroux et venin,
Faisant sortir du centre de la terre
La pasle faim, et la peste, et la guerre.
Le monde alors d’une nue empesché
Vivait captif sous les lois du péché,
De qui l’horreur sur taut d’âmes immondes.
Fit déborder la vengeance des ondes :
Alors, Seigneur, d’un clin d’oeil seulement
Tu moissonnas la terre également
Ne reservant de tant de milliers d’hommes,
Qu’une famille en ces lieux où nous sommes.
O bien-heureux, et trois et quatre fois,
Qui a gousté le sucre de ta voix.
Et dont la foy, qui le péché desfie,
En ton effort sa force fortifie !
Certes celuy qui tel bien a receu.
De son espoir ne se verra deceu :
S’il est ainsi, que la foy sauva l’Arche,
Et d’Israël le premier Patriarche,
Ce fut celuy, Seigneur, à qui tu fis

Multiplier le nombre de ses fils.
Plus qu’on ne voit d’estoiles flamboyantes,
Ou de sablon aux plaines verdoyantes.
Le peuple alors contrainct de se ranger
Dessous les loix du barbare estranger,
Vivoit captif, quand ta main favorable
Luy fit sentir ton pouvoir secourable.
Pendant le cours de l’onde rougissant.
Dont à pied sec ton peuple fut issant,
Et vit encore’ loin derrière sa fuite
Flotter sur l’eau l’Egyptienne suite.
Puis au milieu des travaux et dangers
Tu le guidas aux peuples estrangers
Par les déserts, où vingt et vingt années
Furent par toy ces bandes gouvernées.
Là ta pitié pour leur soif amortir.
Fit des rochers les fontaines sortir,
Et fit encor’ de ta main plantureuse
Nager sur eux la manne savoreuse.
Là fut sous toy Moyse ton’ami
Chef de ta gent, qui murmuroit parmi
Les longs erreurs de ce désert sauvage,
D’avoir laissé l’Egyptien rivage.
Là maintefois le cours de ta fureur
Se desbrida sur l’obstinée erreur.
De ces mutins, et les loix engravées
Se virent là mile fois dépravées.
O quantefois de ton grave sourci,
Tu abismas ce faux peuple endurci.
Qui mesprisant de son Dieu les louanges
Idolatroit après les Dieux estranges
Justice adoncq’ sur le péché naissant
Faisoit brandir son glaive punissant,
Et la pitié loin du ciel exilée
Erroit çà-bas triste, et dechevelée.
Finablement, ce peuple belliqueur
Guidé par toy, haussa le chef vainqueur
Sur mile Rois, et peuples que la guerre
Fit renverser horriblement par terre,
Ains que les tiens par sentiers incognus
Fussent aux champs plantureux parvenus,

OÙ tu avois dès mainte et mainte année
Auparavant leur demeure bornée.
Qui contera les dangers et horreurs
Les tiers combats et vaillantes fureurs
De Josué ? et la brave entreprise
De Gedeon, que ta inain favorise ?
Qui descrira ce Guerrier ordonné
Pour le rempart de tou peuple estonné,
Va le forfait de la main desloyale.
Qui luy embla sa perruque fatale ?
Qui chantera loracle disraël
Ce grand prophète et prestre Samuel,
Saùl, Jonathe, et les despouilles vuides
Rouges du sang de tes Israelides ?
O Dieu guerrier, des victoires donneur.
Donne à mes doigts ceste grâce et bon-heur,
De n’accorder sur ma Lyre d’yvoire
Pour tout jamais, que les vers de ta gloire.
S’il est ainsi, arrière les vains sons,
Les vains soupirs, et les vaines chansons :
Arrière amour, et les songes antiques
Elabourez par les mains poétiques.
Ce n’est plus moy, qui vous doy fredonner :
Car le Seigneur m’a commandé sonner
Non rOdvssée, ou la grand’lliade.
Mais le discours de l’Israeliade.
Lors je diray ce grand pasteur Hebrieu,
Qui s’opposa pour le peuple de Dieu :
Les saincts accords de la Lyre faconde.
Le certain coup de sa fidèle fonde,
Avec l’honneur de son premier butin,
Et le grand tronc du brave Philistin.
Je chanteray par combien de traverses
Il sc^ut tromper les embusches diverses
De ses haineux, ains que Dieu leust assis
Pour commander au peuple circoncis.
Heureux vrayment si l’œil de Bersabée
Sa Liberté n’eust oncques desrobée
Et s’il n’eust mis en proye à l’estranger
Celuy, qui fut de sa mort messager.
Las, ce qu’on voit de bonheur en ce monde,

Jamais constant, et ferme ne se fonde,
Et nul ne peut suyvre d’un cours entier
De la vertu le pénible sentier.
Quel siècle encor’ ne porte tesmoignage,
Du Roy cogneu par le surnom de sage ?
Qui attrainant des plus barbares lieux
Lor et l’argent, et le bois précieux
Elaboura d’estoffe, et d’artifice,
Du temple sainct le superbe édifice.
Ce n’est ici, que descrire je veux
De ses vieux ans les impudiques feux.
De sa maison la grand’troppe lascive, « 
Sa vanité et sa pompe excessive,
Pour ses faux Dieux le vray Dieu mesprisé,
Et de son fils le sceptre divisé.
Je voy encor’ les campagnes humides
Rougir au sang de ces Abrahamides,
Peuple endurci entre tous les humains :
Qui adorant l’ouvrage de ses mains.
Parfume Bal d’encens, et sacrifice.
Peuples et Rois, apprenez la justice :
Et si de Dieu quelque peur vous ; avez
Dedans vos cœurs hardiment engravez
La mort d’Achap, et la serve couronne
De tant de rois captifs en Babylonne.
Mais toy, Seigneur, de qui le bras puissant
Decaptiva ton peuple languissant.
Si de bon cœur devant toy je lamente.
Romps le lien du mal, qui me tourmente
Ou mon esprit, pour de toy l’approcher,
Tire dehors la prison de la chair.
Je ne veux point par un autel de terre,
Encourtiné de vervaine, et d’hierre.
Par vers charmez, ni par prodigues vœus,
Mottes, encens, ou meurtre de cent bœufs,
De ma santé haster la course lente
Las, qui tant fut au partir violente.
Guaris, Seigneur, guaris moy du péché,
Dont le remède à tout autre est caché :
Alors mes vers, louant tes faicts louables
Te pourront estre offrandes aggreables.