Horizons/Le Songe d’un soir rouge

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HorizonsEugène Fasquelle (p. 99-100).
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LE SONGE D’UN SOIR ROUGE


À Armande de Polignac-Chabannes.


Si le soleil pesant se couche quelque part
À travers des pins droits qui pleurent leur résine,
Moi, ce soir, je ne vois qu’à travers des usines
S’allumer le brandon de ce rouge départ.

J’ai rencontré, tombé dans l’herbe sèche et dure
Des talus de Paris, un homme pâle et mol
Écartelé par un sommeil au vitriol,
Qu’auréolait de noir une casquette obscure.

Il dormait. Ce couchant était autour de lui
Comme la mer de sang de quelque coup de lance
À son côté ; des bras en croix la Souvenance
Montait. Et sur la ville il faisait déjà nuit.


Ecce Homo !… Sur son sommeil, la pourpre brève
De l’heure déploiera son émerveillement.
Il verra l’incendie et le sang de son rêve,
Et ce sera la vérité pour un moment.

Car le leurre ancien s’est tu faute d’apôtres
Et nulle douce voix n’apaise plus les cris.
On avait dit : « Il faut s’aimer les uns les autres. »
Mais cela n’a pas pris… Mais cela n’a pas pris !…

Les ongles et les dents ont repoussé sans peine.
Il est temps de manger, pauvres gens ! Mangez-nous !
Réveille-toi ! Debout, homme en croix, Christ de haine !
Il est temps de traîner le monde à tes genoux.

Les Révolutions fermentent dans la cuve ;
Chaque porte fermée attend l’effort des poings.
Le vent du soir apporte un pathétique effluve :
Débordant l’horizon, Paris déferle au loin.

Que les soifs et les faims courent à la curée !
Cette nuit est la nuit du grand leurre du sang !
Les pavés qu’on oublie attendent la marée
Écarlate, pour boire au flot envahissant.