Homélies sur les gloires de la Vierge mère/Deuxième homélie


Traduction par Abbé Charpentier.
Librairie de Louis Vivès, éditeur (2p. 593-604).

Seconde homélie.

Sur les gloires de la Vierge mère.

1. Personne ne doute que la reine des vierges ne chante un jour avec les autres vierges, ou plutôt la première entre toutes les vierges le cantique nouveau qu’il ne sera donné qu’aux vierges de faire entendre dans le royaume de Dieu. Mais je me figure que, non contente de chanter ce cantique qui ne sera chanté que par les vierges, mais qui lui sera commun avec toutes les vierges, comme je l’ai dit, elle réjouira la cité de Dieu par un chant plus doux encore et plus beau que celui-là ; par un chant dont nulle vierge ne sera trouvée digne de faire entendre et de moduler la douce mélodie, parce qu’il n’appartiendra qu’à celle que rehausse seule la gloire de la maternité, et d’une maternité divine, de le chanter. Mais si elle se glorifie de son enfantement, ce n’est point en elle, mais en Celui qu’elle a enfanté. En effet Dieu, car c’est un Dieu qu’elle a mis au monde, Dieu dis-je ne peut manquer de combler d’une gloire unique dans les Cieux, celle qui est sa Mère et qu’il a prévenue sur la terre d’une grâce unique par laquelle s’accomplit en elle l’ineffable merveille d’une conception virginale et d’un enfantement qui laisse la vierge intacte. D’ailleurs la seule naissance qui convenait à un Dieu, c’était de naître d’une vierge, et le seul enfantement qui convenait à une vierge était celui d’un Dieu. Aussi le Créateur des hommes voulant se faire homme et naître de l’homme dut choisir sa mère entre tous les hommes, ou plutôt dut la faire lui-même telle qu’il convenait qu’elle fût et qu’elle devait être pour lui plaire. Il voulut donc que celle qui devait donner le jour à un fils sans souillures, et qui venait pour effacer toutes les souillures, fût vierge et que celle qui allait mettre au monde celui qui devait être doux et humble de cœur fût humble elle-même, car il voulait montrer en sa personne un modèle aussi salutaire que nécessaire à tous les hommes de ces deux vertus. Il a donc donné la fécondité à la Vierge à qui il avait commencé par inspirer le vœu de virginité et par donner le mérite de l’humilité. Ce qui le Admirable convenance entre la mère et son Fils. prouve c’est que l’Ange, dans les paroles suivantes la proclame pleine de grâce, ce qu’il n’aurait pu faire si elle eut eu quelque bien si petit qu’il fût qu’elle n’eût pas tenu de la grâce.

2. Afin donc que celle qui devait concevoir le Saint des saints et lui donner le jour, fût sainte de corps, elle reçut le don de la virginité, et, pour qu’elle le fût d’esprit, elle reçut celui de l’humilité. Parée des précieux joyaux de ces deux vertus, brillant d’un double éclat dans son corps et dans son âme, comme jusque dans les Cieux pour son aspect et sa beauté, la royale Vierge attira sur elle les regards des citoyens du ciel, inspira même au cœur du Roi des Cieux, le désir de la posséder, et mérita qu’il lui envoyât d’en haut un céleste messager. C’est en effet ce que nous apprend notre Évangéliste, quand il nous dit qu’un ange fut envoyé de Dieu à une vierge : « De Dieu, dit-il, à une vierge, » c’est-à-dire du ciel à une humble femme, du Seigneur à Grande faveur de Dieu, grande excellence de Marie. une servante, du Créateur à une créature. Ô quelle insigne faveur de la part de Dieu, mais combien excellente aussi est cette vierge ! Accourez, vous qui êtes mères, jeunes filles, accourez aussi ; accourez toutes, vous qui, après Ève et à cause d’Ève, êtes enfantées et enfantez vous-mêmes dans la douleur. Venez à ce lit virginal, entrez si vous le pouvez, dans la chambre pudique de votre sœur. Voici, en effet, que Dieu envoie à une vierge, à Marie, un messager, un ange qui lui adresse la parole. Approchez l’oreille de la muraille, écoutez ce qu’il lui dit : peut-être les paroles que vous entendrez vous consoleront-elles.

Adam et Ève sont consolés par Marie. 3. Et toi, Adam, ô notre père, réjouis-toi ; livre-toi à l’allégresse, ô Ève, notre mère ; vous qui ne nous avez pas moins donné la mort à tous, que vous ne nous avez donné la vie ; que dis-je ? Vous qui nous avez voués à la mort avant même que vous nous eussiez mis au monde. Consolez-vous maintenant, l’un et l’autre, consolez-vous, dis-je en cette fille, puisque c’est une telle fille pour vous. Mais console-toi la première, toi d’abord, qui as été la source de tout le mal et dont l’opprobre est retombé ensuite sur toutes les femmes. Nous touchons à l’époque où cet antique opprobre va disparaître, au temps où l’homme n’aura plus rien à reprocher à la femme, l’homme, dis-je, qui n’a point hésité à t’accuser, en cherchant pour lui-même une mauvaise excuse, qui eut d’imprudence et la cruauté de dire : « La femme, que vous m’avez donnée, m’a présenté du fruit de l’arbre et j’en ai mangé (Gen., iii, 12). » Aussi viens vite maintenant à Marie, ô Ève ; ô mère, cours vers ta fille, elle répondra pour sa mère, elle effacera son opprobre et donnera pour elle à son père une juste satisfaction. En effet, si c’est par une femme que l’homme est tombé, ce n’est que par une femme aussi qu’il se relève. Qu’avais-tu donc à dire ô Adam : « La femme que vous m’avez donnée m’a présenté du fruit de l’arbre et j’en ai mangé ? » Ce sont là de méchantes Combien Marie l’emporte sur Ève. paroles ; elles ajoutent à ta faute, loin de la diminuer. Mais la sagesse a vaincu la malice, quand elle a trouvé, dans les inépuisables trésors de sa bonté, cette occasion de pardon que Dieu voulait par sa question, te donner le moyen de lui fournir, et qu’il te donna en vain. Voilà une femme qui prend la place d’une autre femme ; mais l’une est sage et l’autre était insensée, l’une est humble et l’autre était orgueilleuse ; aussi au lieu de t’offrir, ô Adam, du fruit de l’arbre de mort, elle te donne à goûter du fruit de l’arbre de vie, et à la place de l’amertume d’une nourriture empoisonnée, elle produit pour toi un fruit éternel d’une grande douceur. Change donc tes injustes accusations en paroles d’action de grâces, et écrie-toi : Seigneur, la femme, que vous m’avez donnée, m’a présenté du fruit de l’arbre de vie et j’en ai mangé, je l’ai trouvé plus doux que le miel à mon palais, parce que dans ce fruit vous m’avez donné la vie. Voilà en effet, pourquoi l’Ange a été envoyé à une vierge. Ô Vierge admirable et vraiment digne de tout honneur ! Ô femme singulièrement respectable, admirable par-dessus toutes les autres femmes, vous réparez le mal qu’ont fait nos aïeux et vous rendez la vie à tous leurs descendants.

4. « Un ange, dit l’Évangéliste, a donc été envoyé à une vierge ; » vierge de corps, vierge d’esprit, vierge de profession, vierge en un mot, telle que celle dont parle l’Apôtre, quand il dit : Elle est sainte de corps et d’esprit. Mais ce n’est pas à une vierge qu’on vient de trouver à l’instant et par hasard, elle a été choisie au contraire depuis le commencement des siècles, elle était connue longtemps d’avance par le Très-Haut qui l’avait préparée pour lui, elle était gardée par les anges, signalée par les La bienheureuse vierge Marie a été annoncée d’avance par les prophéties et représentée par les figures. patriarches et promise par les prophètes. Parcourez les Écritures et vous acquerrez la preuve de ce que j’avance. Voulez-vous que je vous cite ici quelques témoignages puisés à ces sources ? Pour n’en rapporter que quelques-uns entre mille, de qui vous semble-t-il que Dieu parlait, si ce n’est d’elle, quand il disait au serpent : « J’établirai des inimitiés entre toi et la femme (Gen., iii, 13) ? » Si vous hésitez encore à croire qu’il soit question là de Marie, écoutez la suite : « Elle t’écrasera la tête (Ibidem). » Or à qui pareille victoire fut-elle réservée, sinon à Marie ? Oui, c’est elle évidemment qui a broyé sa tête venimeuse, quand elle a réduit à néant toutes les suggestions du malin esprit qui prenaient leur source dans les appétits de la chair et dans l’orgueil de l’esprit.

3. Était-ce d’une autre que de Marie que Salomon voulait parler quand il disait : « Qui trouvera la femme forte (Prov., xxxi, 10) ? » Certainement, ce sage connaissait la faiblesse de la femme et savait combien fragile est son corps, combien faible son cœur ; mais pourtant comme il avait lu que Dieu avait promis, ce qui d’ailleurs lui semblait à lui-même parfaitement juste, que celui qui avait vaincu par le moyen de la femme serait vaincu de la même manière, il ne put retenir ce cri d’admiration : « Qui est-ce qui trouvera la femme forte ? » Marie est la femme forte. C’est comme s’il avait dit : Puisque notre salut à tous est entre les mains d’une femme, puisque d’elle dépend le rétablissement de notre innocence et la défaite de notre ennemi, évidemment il faut que ce soit une femme forte pour qu’elle soit apte à de si grandes choses. Qui donc trouvera cette femme forte ? Ne croyez point qu’il ne s’exprime ainsi qu’en désespoir de la pouvoir jamais trouver, car il ajoute, mais en prophétisant : « Il faut l’aller chercher bien loin, et on ne peut la tirer que de l’extrémité du monde (Prov., xxxi, 10) ; » c’est-à-dire ce n’est point quelque chose de peu de valeur, de petit, de médiocre, enfin ce n’est rien de semblable à ce qu’on peut trouver sur la terre, c’est dans le Ciel, non pas dans le ciel le plus rapproché de la terre qu’il faut l’aller chercher, mais c’est du plus haut des Cieux qu’elle doit venir.

Que signifiait encore cet antique buisson de Moïse Marie est le buisson incombustible, et la verge d’Aaron. qui lançait des flammes, mais sans se consumer (Exode, iii, 2), sinon Marie enfantant sans douleur ? Qu’est-ce encore que cette verge d’Aaron qui fleurit sans avoir été arrosée (Rom., xvii, 8) ? N’est-ce point Marie qui a conçu sans le concours de l’homme ? C’est de cette grande merveille qu’Isaïe prédit le mystère plus grand encore, quand il dit : « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé et une fleur naitra de sa racine (Isa., xi, 1) ; » le rejeton pour lui c’était la Vierge, et la fleur, son enfantement.

6. S’il vous semble qu’on ne peut voir le Christ dans la fleur sans être en contradiction avec ce qui a été dit plus haut quand j’ai avancé que ce n’est pas la fleur du rejeton, mais le fruit de la fleur qui représente le Christ, je vous ferai remarquer que dans cette verge d’Aaron qui produisit non-seulement des fleurs, mais des feuilles et des fruits, le Christ n’est pas moins représenté par les fleurs et par les fruits que par les feuilles elles-mêmes. De même dans Moïse, ce n’est ni le fruit de sa verge ni sa fleur, mais sa verge elle-même, cette verge dont un coup divisait les eaux de la mer pour laisser un passage aux Hébreux, ou faisait jaillir l’eau du rocher pour étancher leur soif, qui figure le Christ (Exod., xiv, 16). Après tout il n’y a aucun inconvénient que, pour des causes différentes, le Christ soit figuré de manières différentes aussi. Ainsi la verge est le signe de la puissance et la fleur représente la bonne odeur qu’il répand, le fruit désigne combien il est doux à ceux qui le goûtent, et les feuilles rappellent la protection parfaite dont il couvre, à l’ombre de ses ailes, ceux qui se réfugient vers lui, soit pour échapper aux ardeurs des appétits de la chair ou pour se soustraire aux coups des impies qui les persécutent. L’ombre qu’on goûte sous les ailes de Jésus est bonne et désirable, on y trouve dans la fuite un refuge assuré, le frais et le repos dans la fatigue. Ayez pitié de moi, Seigneur Jésus, ayez pitié de moi, parce que mon âme a mis en vous toute sa confiance, et que j’espérerai Le Christ et Marie sont diversement figurés. à l’ombre de vos ailes jusqu’à ce que l’iniquité de et Marie nos ennemis soit passée (Psalm., lvi, 1). Toutefois, dans le passage d’Isaïe que nous avons cité, la fleur est le fils et le rejeton est la mère, attendu que le rejeton a fleuri sans germe, comme la Vierge a conçu sans l’homme ; d’un autre côté l’épanouissement de la fleur n’a nui en rien à la verdeur de la verge non plus que la naissance du fruit sacré des entrailles de Marie n’a porté atteinte à sa virginité.

Marie est la toison de Gédéon. 7. Citons encore quelques autres traits des saintes Écritures qui sont applicables à la Vierge-Mère et à Dieu son Fils. Que signifie la toison de Gédéon (Jud., vi, 37) ? Elle est détachée de la peau de l’agneau, mais la peau elle-même demeure intacte, elle est étendue sur le sable, et tantôt c’est elle, tantôt c’est le sable qui reçoit toute la rosée du Ciel ; qu’est-ce autre chose que la chair qui naquit de la Vierge sans porter atteinte à sa virginité ? N’est-ce pas dans son sein que descendit la plénitude de la divinité, quand les Cieux la laissèrent descendre comme une rosée sur la terre ? C’est de cette plénitude que nous avons tous reçu, et sans elle nous ne serions tous qu’une terre aride. Au fait de Gédéon semble se rapporter assez bien aussi cette parole du Prophète : « Il descendra comme la pluie sur une toison (Psalm., lxxi, 6), » car ce qui suit : « et comme l’eau qui tombe goutte à goutte sur la terre, » parait désigner la même chose que le sable de Gédéon qui fut trouvé tout humide de rosée. En effet, la pluie volontaire que Dieu tient en réserve pour son héritage, a commencé à tomber tranquillement sans le concours de l’homme et à pénétrer sans effort dans la sein de la Vierge ; et plus tard elle se répandit partout l’univers par la bouche des prédicateurs, non plus comme la rosée qui tomba sur la toison, mais comme les gouttes de la pluie qui fondit sur la terre, accompagnée du bruit de la parole et du retentissement des miracles ; attendu que les nuées qui portaient la pluie dans leur sein se sont alors rappelé qu’il leur avait été dit le jour où elles furent envoyées par le monde : « Annoncez au grand jour ce que je vous ai confié dans les ténèbres, et prêchez sur les toits ce que je vous ai dit à l’oreille (Matth., x, 27.) » C’est, en effet, ce qu’elles firent, car « leur voix a éclaté dans toute la terre et leurs paroles ont retenti jusqu’aux extrémités du monde (Psalm., xviii, 5.) »

8. Écoutons aussi Jérémie qui ajoute de nouvelles prophéties aux anciennes, et qui ne pouvant pas encore nous montrer le Sauveur, signale sa venue avec le plus ardent désir, et l’annonce d’un ton plein de confiance : « Le Seigneur, dit-il, a créé quelque chose de nouveau sur la terre ; une femme enfantera un homme (Jérém., xxxi, 12.) » Or qu’elle est cette femme et de quel homme parle-t-il ? Et, s’il s’agit vraiment d’un homme, comment une femme pourra-t-elle l’enfanter ? Ou bien s’il peut être en effet, enfanté par une femme, comment se fait-il qu’il soit un homme ? En deux mots, comment, pour parler plus clairement, peut-il être homme et renfermé en même temps dans le sein d’une femme ? Car c’est ce qu’il faut entendre par ces expressions, une femme enfantera un homme. Ceux que nous appelons hommes ce sont ceux qui ont passé la première et la seconde enfance, l’adolescence et la jeunesse et sont arrivés à un âge voisin de la vieillesse. Or comment, arrivé à un pareil développement, un homme, peut-il encore être enferme dans le sein d’une femme ? Si le Prophète avait dit : une femme portera un enfant dans son sein, fût-il même déjà un peu grand, cela n’aurait paru ni nouveau ni étonnant. Mais comme il n’a rien dit de tel et qu’il a prédit, au contraire, qu’elle enfanterait un homme, je me demande quelle est cette nouveauté que Dieu a annoncée à la terre, quand il a dit qu’une femme enfanterait un homme et qu’un homme se renfermerait dans le sein d’une femme délicate ? Qu’est-ce que ce miracle ? » Est-ce que, pour me servir des paroles de Nicodème, un homme fait peut retourner dans le ventre de sa mère et recevoir une seconde naissance (Joan., iii, 4) ?

9. Je jette les yeux sur la conception et sur l’enfantement de la Vierge et je me demande si, par hasard au milieu des nouveautés et des merveilles sans nombre que découvre celui qui considère toutes ces choses attentivement, je n’apercevrai point aussi celle dont me parle le Prophète (Jérém., xxxi, 25). Or que vois-je là ? La longueur qui s’est raccourcie, la largeur qui s’est rétrécie, la hauteur qui s’est abaissée et la profondeur qui s’est nivelée. J’y vois une lumière qui ne luit plus, le verbe qui bégaye, l’eau qui a soif et le pain qui a faim. Oui, si vous faites attention, vous y verrez Paradoxes de l’incarnation. la puissance gouvernée, la sagesse instruite, la force même soutenue ; un Dieu allaité, et cependant réconfortant les anges ; un Dieu vagissant et en même temps consolant les malheureux ; on y voit, pour peu qu’on regarde avec attention, la joie être triste, la confiance trembler, le salut souffrir, la vie mourir, la force être faible. Mais, et ce n’est pas ce qui est le moins étonnant, on y voit aussi la tristesse inspirer de la joie, la peur rassurer, la souffrance sauver, la mort donner la vie, et la faiblesse rendre fort. Qui est-ce qui ne voit point à présent ce que je recherchais tout à l’heure ? Est-ce que vous ne voyez pas maintenant avec facilité, au milieu de toutes ces merveilles, une femme qui entoure un homme, quand vous voyez Marie porter Jésus dans son sein, Jésus cet homme goûté de Dieu ? Car j’appelle Jésus un homme non-seulement quand « il était proclamé prophète Jésus-Christ était un homme, même lorsqu’il était encore dans le sein de sa mère. puissant en œuvres et en paroles (Luc., xxiv, 19) ; » mais aussi lorsque tout petit enfant il était porté dans les bras de sa mère ou même encore enfermé dans son sein. Jésus était donc un homme même avant d’être né, non point par l’âge, mais par la sagesse ; non par les forces corporelles mais par la vigueur de l’âme ; non par le développement des membres mais la maturité des sens. En effet il n’y avait pas moins de sagesse en Jésus, ou plutôt Jésus ne fut pas moins la sagesse même lorsqu’il n’était que conçu que quand il fut né ; lorsqu’il était petit que lorsqu’il était grand. Par conséquent soit qu’il fût encore caché dans le sein de sa mère on vagissant dans la crèche, déjà jeune garçon interrogeant les docteurs dans le Jésus est parfait en tant que sagesse dès le premier instant de la conception. temple, ou homme fait instruisant le peuple, il était toujours également rempli du Saint-Esprit. Il n’y a pas une heure dans sa vie où il y eut quelque chose de plus ou de moins à cette plénitude qu’il reçut au moment de sa conception dans le sein de Marie. Dès le premier instant il fut parfait, oui, dès le premier moment de sa conception il fut rempli de l’esprit de sagesse et d’intelligence, de l’esprit de conseil et de force, de l’esprit de science et de piété, de l’esprit de crainte de Dieu (Isa., xi, 2).

10. Ne vous étonnez pas après cela si vous lisez dans un autre endroit des Livres saints : « Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes (Luc., ii, 52) ; » car pour ce qui est de la sagesse et de la grâce, il faut entendre ce que dit l’Évangéliste en ce sens, non qu’il croissait effectivement mais qu’il paraissait croître en sagesse et en grâce, ce qui ne veut pas dire qu’il acquérait chaque jour quelque chose de nouveau qu’il n’avait point auparavant, mais qu’il paraissait l’acquérir, quand il voulait lui-même que cela parût ainsi. Pour vous, ô homme, quand vous faites des progrès, vous ne les faites point quand vous voulez ni dans la mesure que vous le voulez, au contraire, c’est même à votre insu que ce progrès s’opère et que votre vie s’arrange. Quant à l’enfant Jésus, c’est lui qui dispose et qui disposait la sienne, et qui paraissait sage quand il le voulait et à qui il le voulait et très-sage enfin toujours, quand et à qui il le voulait, quoique en lui-même il ne fût jamais rien moins qu’infiniment sage. De même, n’ayant jamais cessé d’être plein de toutes grâces, il ne laissait voir pourtant, selon son bon plaisir, tantôt plus tantôt moins, d’après le mérite de ceux à qui il la montrait ou suivant qu’il savait convenir à leur salut, la grâce qu’il avait en Dieu ou qu’il devait avoir devant les hommes. Il est donc bien certain que Jésus-Christ a toujours eu une âme virile, quoique par son corps il n’ait pas toujours paru homme. Pourquoi douterai-je après cela qu’un homme ait pu se trouver enfermé dans le sein d’une vierge quand je ne fais aucune difficulté d’admettre qu’un Dieu y a habité. Évidemment il est moins grand d’être homme que d’être Dieu.

11. Mais voyons si le prophète Isaïe ne vient pas jeter une très-grande lumière sur la nouveauté de Jérémie, comme il nous a plus haut montré le sens des nouvelles fleurs de la vierge d’Aaron. « Voici, dit-il, qu’une vierge concevra et enfantera un fils (Isa., vii, 14.) » Nous avons donc une femme, puisqu’il nous parle d’une Vierge. Voulez-vous savoir maintenant de quel homme il est question ? Écoutez, le voici : « Et il sera appelé Emmanuel, dit le Prophète, ce qui veut dire Dieu avec nous (Ibid.). » Par conséquent, cette femme qui enfantera un homme, c’est la Vierge qui doit concevoir Dieu dans son sein. Voyez-vous quel bel et prodigieux accord il y a entre les miracles des saints et leurs paroles mystérieuses ? Voyez-vous combien est merveilleux ce miracle fait de la Vierge et dans la Vierge, mais que tant de miracles ont précédé et que tant d’oracles ont annoncé d’avance ? C’est que Accord des saintes Écritures dans les prédictions qui se rapportent au Christ. l’esprit des Prophètes est un, et, bien que ceux-ci diffèrent les uns des autres de manières, de signes et de temps, néanmoins ils sont animés du même esprit et s’accordent tous à voir et à prédire la même chose. Ce qui fut montré à Moïse dans le buisson ardent, à Aaron dans sa verge et sa fleur, à Gédéon dans la toison et la rosée, Salomon l’annonce clairement dans la femme forte et dans son prix ; Jérémie le dit plus clairement encore en parlant de la femme qui doit entourer un homme ; Isaïe le rapporte dans les termes les plus clairs à la Vierge et à Dieu ; et enfin l’ange Gabriel le montre en saluant cette Vierge même ; car c’est de cette Vierge-là que l’Évangéliste parle, quand il dit : « L’ange Gabriel fut envoyé de Dieu à une vierge qui était fiancée à Joseph. »

Pourquoi la sainte Vierge était-elle fiancée à un homme. 12. « À une vierge, dit-il, qui était fiancée. » Pourquoi était-elle fiancée, puisqu’elle était, comme je l’ai dit plus haut, la vierge élue, la vierge qui devait concevoir et enfanter, je me demande pourquoi elle était fiancée ; car elle ne devait point connaître le mariage. Qui oserait prétendre que cela se fit par hasard ? Non, le hasard n’a rien à voir là où une raison puissante agit de concert avec une manifeste utilité, avec la nécessité même, avec un motif tout à fait digne de la Sagesse de Dieu. Je vais exposer ce qui m’est venu à la pensée ou plutôt ce qui s’est présente sur ce point à l’esprit même des Pères. Au fond des fiançailles de Marie se trouve la même raison que dans le doute de l’Apôtre Thomas. C’était la coutume chez les Juifs que, à partir du jour des fiançailles jusqu’à la célébration des noces, les époux eussent la garde de leurs épouses ; c’était à eux de veiller sur leur chasteté, attendu que plus ils se conserveraient soigneusement leur chasteté, plus aussi ils devaient trouver dans leurs fiancées des épouses fidèles. De même donc que saint Thomas, en doutant, en touchant de ses propres mains, devint le témoin le plus sûr de la résurrection du Seigneur, ainsi Joseph en étant fiancé à Marie, et en veillant d’un œil plus attentif sur sa chasteté pendant le temps qu’elle était confiée à sa garde, devint le plus irrécusable témoin de sa pureté. Quel beau rapport il Comparaison entre le doute de saint Thomas et les fiançailles de Marie. V. aux notes. y a donc, en effet, entre le doute de saint Thomas et les fiançailles de Marie ! On aurait pu nous enlacer dans le filet de la même erreur, et nous rendre suspectes la foi de l’un et la charité de l’autre ; et voilà, au contraire, que, par un effet de la prudence et de la bonté de Dieu, la certitude se rétablit fermement dans nos âmes par le moyen même qui semblait devoir l’ébranler. En effet, pour ce qui est de la résurrection du Fils, je croirai bien plutôt, faible comme je le suis, à saint Thomas qui en a d’abord douté lui-même et qui a touché de ses propres mains le ressuscité, qu’à Cephas qui croit à cette résurrection au premier mot qu’on lui en dit ; de même je m’en rapporterai bien plus volontiers, pour la virginité de la Mère, au témoignage de son fiancé qui veillait sur elle et s’en est convaincu par lui-même, qu’aux assurances que la Vierge elle-même pourrait m’en donner en ne m’alléguant que le témoignage de sa conscience. Dites-moi, je vous le demande, quel homme, en la voyant enceinte sans être fiancée, ne la regarderait pas plutôt comme une femme de mauvaise vie que comme une vierge ? Or, il ne fallait pas qu’on pût s’exprimer ainsi au sujet de la Mère du Seigneur, et il était plus convenable et plus tolérable qu’on pût croire, pendant quelque temps, que ce Christ était le fruit d’une union légitime que de la fornication.

13. Vous me demanderez peut-être si Dieu ne pouvait point trouver un autre signe certain, pour empêcher qu’un soupçon injurieux planât sur sa naissance et que sa mère fût regardée comme coupable. Il le pouvait, sans aucun doute, mais les demons n’auraient point ignoré ce qu’ils auraient eu un moyen de connaître. Or, il fallait que le Prince de ce monde ne fût point instruit, pendant quelque Sagesse de Dieu dans le mystère de la rédemption des hommes. temps du moins, du secret des desseins de Dieu. Ce n’est pas que Dieu ait appréhendé, s’il agissait ouvertement, d’être entravé dans son entreprise par le démon, mais c’est que, faisant tout ce qu’il veut, non-seulement avec puissance, mais encore avec sagesse, il voulut, dans l’œuvre merveilleuse de notre rédemption, faire éclater sa prudence non moins que sa puissance, de même que, en toutes ses œuvres, il se plait à observer certaines convenances de choses et de temps dans l’intérêt de la beauté de l’ordre mêmes. Voilà pourquoi, tout en pouvant faire les choses autrement, s’il l’avait voulu, il aima mieux pourtant se réconcilier les hommes de la même manière et dans le même ordre qu’il savait qu’ils étaient tombés, et que, de même que le démon avait commencé par séduire la femme pour triompher de l’homme par elle, ainsi il commençât par être lui-même déçu par la femme pour être ensuite vaincu par l’homme qui est le Christ ; en sorte que, tandis que, d’un côté, l’art de la charité déjouait les ruses de la malice, de l’autre, la vertu du Christ brisât la force du démon et qu’il fût évident que Dieu est plus prudent et plus fort que Satan. Voilà comment il convenait que la sagesse incarnée vainquît la malice spirituelle, afin que, non-seulement elle atteignît avec force depuis une extrémité du monde jusqu’à l’autre, mais encore qu’elle disposât tout avec une égale douceur (Sap., viii, 1). Or, elle atteint d’une extrémité à l’autre, c’est-à-dire du ciel aux enfers ; car, selon le Psalmiste : « Si je monte dans le ciel, vous y faites votre demeure, si je descends dans l’enfer, vous y êtes présent (Psalm., cxxxviii, 8). » Mais aux deux extrémités il atteint avec force, car, du haut du ciel il a précipité les superbes et au fond des enfers il a dépouillé l’avare. Il était donc convenable qu’il disposât tout avec douceur, dans le ciel et sur la terre, d’une part en précipitant l’esprit inquiet pour affermir les autres dans la paix et de l’autre en commençant par nous laisser un exemple bien nécessaire de douceur et d’humilité, pour terrasser ici-bas l’esprit envieux, et qu’il devînt ainsi en même temps par un admirable arrangement de la sagesse aussi doux pour les siens que fort contre ses ennemis. En effet, à quoi aurait-il servi que le diable fût vaincu de Dieu, si nous étions restés orgueilleux ? Il était donc nécessaire que Marie fut fiancée à Joseph, puisque c’était le moyen de soustraire aux chiens un saint mystère, de faire constater par son propre époux la virginité de Marie, et de ménager en même temps la pudeur et la réputation de la Vierge. Est-il rien de plus sage, rien de plus digne de la divine providence ? Par ce moyen, les secrets desseins de Dieu ont un témoin, se trouvent soustraits à la reconnaissance de l’ennemi, et l’honneur de la Vierge mère est conservé sans tache. Autrement Joseph aurait-il été juste en épargnant l’adultère ? Or il est écrit : « Joseph son mari, étant un homme juste et ne voulant pas la déshonorer en la traduisant en justice, résolut de la renvoyer en secret (Matth., i, 19). » Ainsi, c’est parce qu’il était juste qu’il ne voulut point la traîner en justice ; mais de même qu’il n’eût point été juste, si, connaissant la faute de Marie il l’avait dissimulée, ainsi il n’est point juste non plus, si, connaissant son innocence, il l’eût néanmoins condamnée. Comme il était juste et qu’il ne voulait point la traduire devant les juges, il résolut de la renvoyer en secret.

14. Mais, pourquoi voulut-il la renvoyer ? Écoutez Pourquoi Joseph voulut renvoyer Marie. sur ce point, non pas ma propre pensée, mais la pensée des Pères. Si Joseph voulut renvoyer Marie, c’était dans le même sentiment qui faisait dire à saint Pierre, quand il repoussait le Seigneur loin de lui : « Éloignez-vous de moi car je suis un pécheur (Luc, v, 8), » et au centurion, quand il dissuadait le Sauveur de venir chez lui : « Seigneur je ne suis pas digne que vous veniez dans ma maison (Matth., viii, 8). « C’est donc dans cette pensée que Joseph aussi, se jugeant indigne et pécheur, se disait à lui-même, qu’il ne devait pas vivre plus longtemps dans la familiarité d’une femme si parfaite et si sainte, dont l’admirable grandeur le dépassait tellement et lui inspirait de l’effroi. Il voyait avec une sorte de stupeur à des marques certaines qu’elle était grosse de la présence d’un Dieu, et, comme il ne pouvait pénétrer ce mystère, il avait formé le dessein de la renvoyer. La grandeur de la puissance de Jésus inspirait une sorte d’effroi à Pierre, comme la pensée de sa présence majestueuse déconcertait le centurion ; ainsi Pourquoi voulut-il la renvoyer secrètement. Joseph, n’étant que simple mortel, se sentait également déconcerté par la nouveauté d’une si grande merveille et par la profondeur d’un pareil mystère ; voilà pourquoi il songea à renvoyer secrètement Marie. Faut-il vous étonner que Joseph se soit trouvé indigne de la société de la Vierge devenue grosse, quand on sait que sainte Élisabeth ne put supporter sa présence sans une sorte de crainte mêlée de respect ? En effet, « d’où me vient, s’écria-t-elle, ce bonheur, que la mère de mon Seigneur vienne à moi (Luc, i, 43) ? » Voilà donc pourquoi Joseph voulait la renvoyer. Mais pourquoi avait-il l’intention de le faire en secret, non point ouvertement ? De peur, sans doute, qu’on ne lui demandât la cause de ce divorce et qu’il ne fût obligé d’en faire connaître le motif. En effet, qu’est-ce que cet homme juste aurait pu répondre à un peuple à la tête dure, à des gens incrédules et contradicteurs ? S’il leur avait dit ce qu’il pensait, et la preuve qu’il avait de la pureté de Marie ? est-ce que les Juifs incrédules et cruels ne se seraient point moqués de lui et n’auraient point lapidé Marie ? Comment, en effet, auraient-ils cru à la Vérité muette encore dans le sein de la Vierge, eux qui ont méprisé sa voix quand elle leur parlait dans le temple ? À quels excès n’auraient-ils pas osé se porter contre celui qu’ils ne pouvaient pas voir encore, quand ils ont pu porter des mains impies sur sa personne resplendissante alors de l’éclat des miracles ? C’est donc avec raison que cet homme juste, pour ne point être dans l’alternative, ou de mentir, ou de déshonorer une innocente, prit le parti de la renvoyer en secret.

Joseph a-t-il douté de la pureté de Marie. 15. Si quelqu’un pense et soutient que Joseph eut le soupçon que tout autre homme aurait eu à sa place, mais que, comme il était juste, il ne voulut point habiter avec Marie, à cause de ses doutes mêmes, et que c’est parce qu’il était bon qu’il ne voulait point la traduire en justice, quoiqu’il la soupçonnât d’être coupable, et qu’il songeait à la renvoyer en secret ; je répondrai en deux mots qu’il faut pourtant reconnaître que les doutes de Joseph, quels qu’ils fussent, méritent d’être dissipés par un miracle d’en haut. Car il est écrit que « comme il était dans ces pensées, c’est-à-dire pendant qu’il songeait à renvoyer Marie, un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne craignez point de retenir avec vous Marie, votre épouse, car ce qui est né en elle est l’œuvre du Saint-Esprit (Matth., i, 20). » Voilà donc pour quelles raisons Marie fut fiancée à Joseph, ou plutôt, selon les expressions de l’Évangéliste « à un homme appelé Joseph (Luc., i, 27). » Il V. aux notes. cite le nom même de cet homme, non pas parce qu’il fut son mari, mais parce qu’il était un homme de vertu, ou plutôt d’après un autre Évangéliste (Matth., i), il n’est point simplement un homme, mais il est appelé son mari ; il était juste qu’il fût désigné par le titre même qui devait nécessairement paraître lui appartenir. Ainsi il dut être appelé son mari parce qu’il fallait qu’on crût qu’il l’était effectivement. De même il mérita d’être appelé le père du Sauveur, quoiqu’il ne le fût pas effectivement, afin qu’on crût qu’il l’était, comme l’Évangéliste remarque qu’on le croyait en effet : « Quant à Jésus, dit-il, il entrait dans sa douzième année, et passait pour être le fils de Joseph (Luc., iii, 23). » Il n’était donc en réalité ni le mari de la mère, ni le père du Fils, quoique par une certaine et nécessaire disposition, comme je l’ai dit plus haut, il reçut pendant un temps les noms de père et d’époux et fut regardé comme étant l’un et l’autre en effet.

10. Mais d’après le titre de père de Dieu que Dieu même voulut bien qu’on lui donnât et qu’on crût pendant quelque temps lui appartenir, et d’après son propre nom qu’on ne peut hésiter à regarder aussi comme un honneur de plus, on peut se faire une idée de ce que fut cet homme, ce Joseph. Rappelez-vous maintenant le patriarche de ce nom qui fut vendu en Égypte ; non-seulement il portait le même nom, mais encore il eut sa chasteté, son innocence et sa grâce. En effet, le Joseph qui fut vendu par ses frères qui le haïssaient et conduit en Égypte, était la figure du Christ qui, lui aussi, devait être vendu ; notre Joseph, de son côté, pour fuir la haine d’Hérode, porta le Christ en Égypte (Matth., ii, 14). Le premier, pour demeurer fidèle à son maître, ne voulut point partager le lit de sa maîtresse (Gen., xxxix, 12) ; le second, reconnaissant sa maîtresse dans la mère de son Seigneur, la vierge Marie, observa lui-même fidèlement les lois de la continence. À l’un fut donnée l’intelligence des songes, à l’autre il fut accordé d’être le confident des desseins du ciel et d’y coopérer pour sa part. L’un a mis le blé en réserve non pour lui, mais pour son peuple ; l’autre reçut la garde du pain du ciel non-seulement pour son peuple, mais aussi pour lui. On ne peut douter que ce Joseph, à qui fut fiancée la mère du Sauveur, n’ait été un homme bon et fidèle, ou plutôt le serviteur même fidèle et prudent que le Seigneur a placé près de Marie pour être le consolateur de sa mère, le père nourricier de son corps charnel et le fidèle coopérateur de sa grande œuvre sur la terre. Ajoutez à Joseph était de la famille de David, il méritait de descendre de ce roi. cela qu’il était de la maison de David, selon l’Évangéliste ; il montra qu’il descendait en effet de cette source royale, du sang même de David, ce Joseph, cet homme noble par sa naissance, mais plus noble encore par le cœur. Oui, ce fut un digne fils de David, un fils qui n’était point dégénéré de son père ; mais quand je dis qu’il était un digne fils de David, je dis non-seulement selon la chair, mais pour sa foi, pour sa sainteté et pour sa dévotion. Dieu le trouva en effet comme son aïeul David un homme selon son cœur, puisqu’il lui confia son plus saint mystère, lui révéla les secrets les plus cachés de sa sagesse, lui fit connaître une merveille qu’aucun des princes de ce monde n’a connue, lui accorda la grâce de voir ce dont la vue fut ardemment désirée mainte fois par une foule de rois et de prophètes, d’entendre celui qu’ils n’ont point entendu ; non-seulement il lui fut donné de le voir et de l’entendre, mais il eut l’honneur de le porter dans ses bras, de le conduire par la main, de le presser sur son cœur, de le couvrir de baisers, de le nourrir et de veiller à sa garde. Il faut croire que Marie ne descendait pas moins que lui de la maison de David, car elle n’aurait point été fiancée à un homme de cette royale lignée, si elle n’en eût point été elle-même. Ils étaient donc l’un et l’autre de la famille royale de David ; mais ce n’est qu’en Marie que se trouva accomplie la promesse véridique que le Seigneur avait faite à David, Joseph ne fut que le témoin et le confident de son accomplissement.

Explication du nom de Marie, éloge de ce nom. 17. Le verset de l’Évangéliste se termine ainsi : « Et le nom de la vierge était Marie. » Quelques mots sur ce nom de Marie, dont la signification désigne l’étoile de la mer : ce nom convient merveilleusement à la Vierge mère ; c’est en effet avec bien de la justesse qu’elle est comparée à un astre, car de même que l’astre émet le rayon de son sein sans en éprouver aucune altération, ainsi la vierge a enfanté un fils sans dommage pour sa virginité. D’un autre côté, si le rayon n’enlève rien à l’éclat de l’astre qui l’émet, de même le Fils de la Vierge n’a rien diminué à sa virginité. Elle est en effet la noble étoile de Jacob qui brille dans les cieux, rayonne dans les enfers, illumine le monde, échauffe les âmes bien plus que les corps, consume les vices et enflamme les vertus. Elle est belle, et admirable Exhortation au culte de Marie. cette étoile qui s’élève au dessus du vaste océan, qui étincelle de qualités et qui instruit par ses clartés. Ô vous qui flottez sur les eaux agitées de la vaste mer, et qui allez à la dérive plutôt que vous n’avancez au milieu des orages et des tempêtes, regardez cette étoile, fixez vos yeux sur elle, et vous ne serez point engloutis par les flots. Quand les fureurs de la tentation se déchaîneront contre vous, quand vous serez assaillis par les tribulations et poussés vers les écueils, regardez Marie, invoquez Marie. Quand vous gémirez dans la tourmente de l’orgueil, de l’ambition, de la médisance, et de l’envie, levez les yeux vers l’étoile, invoquez Marie. Si la colère ou l’avarice, si les tentations de la chair assaillent votre esquif, regardez Marie. Si, accablé par l’énormité de vos crimes, confus des plaies hideuses de votre cœur, épouvanté par la crainte des jugements de Dieu, vous vous sentez entraîné dans le gouffre de la tristesse et sur le bord de l’abîme du désespoir, un cri à Marie, un regard à Marie. Dans les périls, dans les angoisses, dans les perplexités, invoquez Marie, pensez à Marie. Que ce doux nom ne soit jamais loin de votre bouche, jamais loin de votre cœur ; mais pour obtenir une part à la grâce qu’il renferme, n’oubliez point les exemples qu’il vous rappelle. En suivant Marie, on ne s’égare point, en priant Marie, on ne craint pas le désespoir, en pensant à Marie, on ne se trompe point ; si elle vous tient par la main, vous ne tomberez point, si elle vous protège, vous n’aurez rien à craindre, si elle vous conduit, vous ne connaîtrez point la fatigue, et si elle vous est favorable, vous êtes sûr d’arriver ; vous comprendrez ainsi par votre propre expérience pourquoi il est écrit : « Le nom de la vierge était Marie. » Mais arrêtons-nous un peu, de peur que nous ne voyions aussi qu’en passant, la belle clarté de cet astre. Car, pour me servir des paroles de l’Apôtre : « Il est bon pour nous d’être ici (Matth., xvii), » et c’est un bonheur de pouvoir contempler en silence ce qu’un long discours serait incapable de bien expliquer. Mais en attendant, la pieuse contemplation de cet astre scintillant nous donnera une nouvelle ardeur pour ce qui nous reste à dire.