Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 44
XLIV
Tant de représentations de combats, de luttes corps à corps, de duels héroïques éparpillés dans tout l’œuvre d’Hokousaï, racontant le passé militaire du Japon ne satisfaisaient pas le maître. Sur la fin de sa vie, il voulut des albums particuliers, consacrés tout entiers à ces hommes de guerre à la fois terribles et doux, dont les Annales du Japon, nous décrivent le type dans ce portrait de Tamoura-maro :
« C’était un homme très bien fait ; il avait 5 pieds 8 pouces de haut, sa poitrine était large de 1 pied 2 pouces. Il avait les yeux comme un faucon, et la barbe couleur d’or. Quand il était en colère, il effrayait les oiseaux et les animaux par ses regards ; mais, lorsqu’il badinait, les enfants et les femmes riaient avec lui. »
Oui, Hokousaï voulut dessiner des albums, montrant uniquement ces guerriers armés de sabres, au dire des légendes coupant des bœufs en deux, sous des masques de métal, dans des cuirasses, des épaulières, des brassards, des gantelets, des jambières, comme fabriqués sur le moulage du corps, et que l’acier le plus souple uni à la soie la plus résistante, — et plus tard les pièces articulées, sortant de l’atelier de la famille Miôtchin, — enfermaient dans un vêtement de fer, laissant aux membres toute la liberté des mouvements, que jamais ne donna l’armure moyenageuse de l’Europe.
Donc en 1835, Hokousaï publia un premier album, bientôt suivi de deux autres, où la mythologie guerrière se mêle à l’histoire batailleuse des premières dynasties de la Chine et du Japon. Ce premier album a pour titre : Wakan Homaré, les Gloires de la Chine et du Japon, et devrait avoir en tête la curieuse préface, que Hokousaï a écrite pour l’Illustration des personnages de Souikodén, et que voici.
« Je trouve que dans toutes les représentations japonaises ou chinoises de la guerre, il manque la force, le mouvement, qui sont les caractères essentiels de ces représentations. Attristé de cette imperfection je me suis brûlé à y remédier, et à y apporter ce qui manquait… Il y a indubitablement dans mes dessins, des défauts, des excès, mais tout de même, mes élèves veulent s’en servir comme modèles. »
Sur la première page des Gloires de la Chine et du Japon, est un Mars bouddhique, aux cheveux droits sur la tête, aux sourcils et aux moustaches coléreusement retroussés, se détachant d’un grand nimbe dans son armure ornementale.
Puis se succèdent les gravures de Isanaghi, le premier homme de la terre du Japon tuant Kagoutsouti, le mauvais génie de la contrée ; de Foumeitchôja, mettant en fuite le renard à neuf queues ; du soldat Sadayo, tout percé de flèches, et mourant, en enfonçant des deux mains son sabre dans le corps d’un ennemi, étendu sous lui ; du Dieu du tonnerre s’humiliant devant la hache monstrueuse de Kintoki ; de Yorimitsou, qui vient de trancher la tête du géant de la montagne de Ohyéyama : tête qui est en train de retomber, et d’aller se ficher sur les cornes du casque du jeune guerrier ; de l’intrépide explorateur, qui entra le premier dans la grotte du Fouzi-yama, et que l’on voit la parcourir, la torche à la main ; du cavalier Ogouri Hangwan, faisant assembler les quatre pieds de son cheval sur la tablette d’un étroit jeu de go ; du général Yoshisada demandant au génie de l’Océan, dans la logette faite par la courbe d’une vague, demandant de retirer la marée, pour laisser passer son armée.
Sur la dernière page, se voit un peintre, qui élève en l’air, d’une seule main, une masse ficelée de rouleaux de sapèques, au bout desquels est fiché son pinceau — une allusion d’Hokousaï, je crois bien, à la force qu’il dépense dans ses dessins.
L’année suivante, en 1836, un jour de printemps… mais écoutez Hokousaï lui-même : « Pendant que je profitais d’un beau jour de printemps, dans cette année de tranquillité, pour me chauffer au soleil, j’eus la visite de Souzambo (son éditeur), qui venait me demander de faire quelque chose pour lui. Alors j’ai pensé qu’il ne fallait pas oublier la gloire des armes, surtout quand on vivait en paix, et malgré mon âge qui a dépassé soixante-dix ans, j’ai ramassé du courage, pour dessiner les anciens héros, qui ont été des modèles de gloire. »
Le livre, pour lequel Hokousaï ramasse sa vieille énergie, s’appelle Yéhon Sakigaké, les Héros.
Et tour à tour défilent l’Hercule mythologique Tatikarao-no-mikoto, portant un rocher sur sa tête ; le premier Empereur du Japon regardant son héritier, dormant entouré d’un énorme dragon ; le ministre Moriya, battant un prêtre bouddhique, après avoir jeté à terre la table et les écrits religieux qu’elle portait ; le guerrier Hiraï-no-Hôshô tuant l’araignée monstre, ressemblant à une énorme pieuvre ; le guerrier Shôki en train d’étrangler un diable ; le mangeur d’enfants Mashukoubô, tenant par les pieds un enfant, dont il ouvre le ventre au-dessus d’une marmite, qui recueille le sang ; le guerrier Bénkei portant une cloche au haut de la montagne Ishiyama ; la divinité bouddhique Foudô, symbolisant la fermeté de la conviction que ne peuvent ébranler ni le feu ni l’eau, où son corps est à la fois plongé ; la guerrière Hangakou qui écrase un guerrier, sous un tronc d’arbre.
Une suite des Héros paraît, la même année, 1836, sous le titre de : Yéhon Mousashi Aboumi ; les Étriers du soldat, une suite où l’effort d’Hokousaï est d’étudier l’armure sur le corps du guerrier, et de montrer la vie, le mouvement, communiqués à cet habit de fer, par l’attaque et la défense de la vie : conquête que se vantait d’avoir faite Hokousaï dans le dessin.
Et rien dans les Étriers du soldat, que des hommes et des femmes sous l’armure. C’est l’impératrice Jingô, une tête coupée à ses pieds, en train de tendre son formidable arc ; c’est le prince Yamatodaké qui vient de tuer le chef ennemi, sous un déguisement de femme ; c’est un général japonais blessé par une flèche, qui est à ses pieds, et qui envoie dans le camp ennemi, à celui qui l’a blessé, un colossal taï et une cruche monumentale de saké : un acte de courtoisie militaire, très commune en ces temps ; et ce sont des combats, où sous le harnachement de fer des cavaliers, se cabrent des chevaux hirsutes et échevelés, aux yeux de feu, à la robe toute noire, pareils à des coursiers de l’Érèbe.
À ces planches consacrées à la guerre, il faudrait encore ajouter cinq feuilles de guerriers sur fond bleu, avec des verts, des rouges, des jaunes un peu criards, sur les armures.
Kamakoura Gongoro tuant Torino-oumi Yasabrô.
Watanabé-no-Tsouna tuant Yénokouma Raïyemon.
Kousounoki Tamomarou se battant avec Yaono Bettô.
Ohtomono Soukouné arrêtant Ohtomono Mahtori.
Onikojima Yatarô disputant une cloche avec Saïhô-in.