Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 27

Charpentier (p. 149-152).
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XXVII

En 1818, Hokousaï illustre Hokousaï Gwakiô, le Miroir des dessins d’Hokousaï, ou Dénshin Gwakiô, Miroir des dessins qui viennent de l’âme.

Ce livre qui contient cinquante pages de dessins, est avec le Shashin gwafou, l’album où Katsoushika Hokousaï se montre le plus magistral, le plus en possession de tout son talent.

La préface dit : « Les anciens ont dit que pour faire un grand peintre, il fallait trois conditions :

L’élévation de l’esprit ;

La liberté du pinceau (l’exécution) ;

La conception des choses.

Et généralement, il est difficile de trouver un artiste qui possède une de ces conditions ? Eh bien ! il y a un homme de Yédo, appelé Hokousaï, adonné depuis de longues années à la peinture, et qui remplit ces trois conditions. »

Et la préface n’exagère pas.

D’abord le titre dans un bel encadrement michelangesque, représentant des oni, des mauvais génies : — un encadrement qui a l’air de la première page d’un de nos beaux livres du xvie siècle.

Alors une série d’images du plus puissant dessin anatomique, où tous les muscles sont indiqués dans la chair, comme par une calligraphie savante, où se voit, dans le carré de leur forme, le rondissement des mollets, où dans les pieds, dans les mains, transperce l’ossature du squelette : du nu qui a quelque chose d’un Mantegna, animé par une fièvre de la vie. Et défilent, sous vos yeux, ces anatomies bossuées et ressautantes de Bénkéi, le représentant de la force, montant une cloche au haut de la montagne Ishiyama ; de Kintoki tuant à coups de hache un ours ; de Momotaro, écrasant sous lui un diable ; de ces deux aveugles se battant à coups de bâton, etc., etc.

Et le mouvement et la trépidation des muscles chez Hokousaï, s’étend aux vêtements, ainsi que, dans cette aérienne apparition d’un Darma au haut d’un rouleau de papier, et chez lequel, de la courbe de son corps sous sa tête rejetée en arrière, sous ses pieds en retraite, l’envolée derrière lui de sa robe, ressemble à des lanières de fouet.

Et à côté de ces représentations de la force, en sa tourmente musculaire, les jolies images de la grâce des enfants, de la gentillesse éveillée de ces petits Japonais, aux figures rondelettes, aux trois houppes de cheveux sur le front et les tempes. Il y a une charmante planche d’enfants faisant de la musique, une autre délicieuse planche d’enfants jouant à une espèce de jeu de dames ; mais la planche qui est tout à fait un chef-d’œuvre, est la réunion de quatre gamins japonais faisant du trapèze après les traverses d’une barrière, et dont l’un, la tête en bas, a son petit derrière à l’air : un dessin qui est le vrai dessin de la grâce gymnastique.

Une autre composition intéressante, est un gras Hoteï renversé sur le dos, et riant aux larmes, et qui fait danser au haut de ses pieds levés, ainsi que dans la Gimblette de Fragonard, un petit Japonais. Au milieu de ces dessins de l’humanité petite ou grande, des croquis d’animaux, comme ces deux grues penchées sur l’eau, comme ce groupe d’une poule et d’un coq, où le croquis n’a jamais été plus loin, par cette connaissance qu’a maintenant Hokousaï, de ce qu’on doit mettre, et de ce qu’on doit omettre dans un dessin, pour que ce dessin ait tout son effet. Et encore des planches de poissons de toutes les formes, au milieu desquels un cuisinier est renversé, cul sur tête, par la décharge d’un poisson électrique.

Et la grandeur et la puissance du dessin du maître, conservées dans des riens, comme une tige d’iris.