Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 25

Charpentier (p. 140-144).
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En 1815, Hokousaï publie, avec la collaboration de Hokoutei Bokousén, le Jôrouri Zekkou, Morceaux de drames : une suite de scènes tirées des pièces les plus célèbres du xviie et du xviiie siècle, en cinquante-six impressions en noir, avec de très délicates demi-teintes, comme lavées.

Cette femme, la tête renversée, les deux mains s’étreignant au bout de ses bras tendus, dans un geste de désespoir : cette femme est la maîtresse d’un Japonais marié, que vient trouver le père de son amant, et qu’il décide à le quitter, en lui exposant qu’elle est la ruine de son ménage : pauvre femme qui bientôt ayant à subir les scènes de l’homme qui se croit quitté pour un autre, se tue.

Une autre planche curieuse est la représentation de la scène d’une pièce du xviiie siècle intitulée Ohana-Hanshiti, où deux femmes, deux apparentes amies sont sommeillant l’une contre l’autre ; l’une la femme d’un prince, l’autre sa maîtresse ; et il se trouve que l’ombre portée par les cheveux de la maîtresse dessine sur le châssis de papier, comme l’enlacement de deux serpents qui se battent. Et le prince, à la vue qu’il a de ces serpents à travers le châssis, pensant aux scènes que cette rivalité sourde a déjà amenées dans son intérieur, et des scènes qui suivront, abandonne son palais et se fait prêtre. Une pièce qui serait, au dire des Japonais, une étude psychologique de la femme très intéressante.

Une autre planche est la représentation d’une femme de la campagne parlant à une courtisane qui pleure à chaudes larmes. Or, voici le sujet. Une jeune fille dont le père a été tué par un malfaiteur, a été vendue au Yoshiwara, est devenue une grande courtisane, sans connaissance de son passé. Or, sa sœur cadette venue d’une province lointaine, apprend à l’aînée son histoire, et les deux sœurs se mettent à la recherche du malfaiteur, et comme autre fois existait au Japon le droit à la vengeance, le duel devant Dieu de l’ancienne Europe, les deux sœurs arrivent à tuer l’assassin de leur père.

Une autre planche vous montre un prêtre bouddhique, devant un kakémono représentant une femme, et sa tête aux cheveux rebroussés, et semblable à celle d’un diable, appuyée réfléchissante sur une main, est toute pleine d’une pensée fixe, soucieuse. Oui, ce prêtre de Bouddha, ce vertueux, ce savant, est devenu amoureux de l’image qui est devant lui, et indifférent au culte et ne remplissant plus ses devoirs religieux, est renvoyé de l’église et rencontre dans sa nouvelle vie une femme ressemblant à la femme du kakémono, qui dédaigne son amour et le rend le plus malheureux des hommes.

Cet album est vraiment l’album où les tristesses, les pleurs, les désolations, les crispations nerveuses, les affaissements, les désespoirs de la femme sont merveilleusement rendus avec toutes les grâces, les charmes, les coquetteries de la douleur féminine théâtrale.

La même année, paraît Odori hitori keiko, Leçons de danse par soi-même, un album représentant le dessinateur Hokousaï, s’étirant les bras au réveil d’un rêve, qui s’éloigne derrière lui, et laisse entrevoir, dans l’effacement de sa vision, deux danseurs et une danseuse. Et c’est, après l’impression de chants pour accompagner les danses, une série de planches représentant chacune quatre ou cinq petites figurines de danseurs, avec à la droite ou à la gauche de leur bras ou de leur pied, une ligne droite ou courbe indiquant le développement complet du geste, commencé par ce bras ou ce pied.

L’album débute par la Danse du Batelier, qui a 43 figures. Suit une danse comique, très gymnastiquement mouvementée. Puis une danse intitulée : la Danse du marchand d’eau fraîche. Mais la danse la plus originale, c’est la Danse du mauvais esprit, une danse diabolique avec des mouvements d’un disloquage anti-humain, et des expressions de têtes méphistophéliques, un moment sous des masques carrés aux caractères mystérieux, désignant les génies du mal, danse qui a 67 figures.

À la dernière page de l’album, Hokousaï, avec son ironie habituelle, dit : « Si dans l’exécution des mouvements et des mesures, il y a des erreurs, veuillez m’excuser. J’ai dessiné ainsi que j’ai rêvé, et comme le rêve d’un spectateur ne peut pas exactement tout donner, si vous voulez bien danser, apprenez-le, près d’un maître. Or, si mon rêve ne peut pas faire un vrai danseur, ça fait tout de même un album. Mais au fond, ce que je vous recommande quand vous voudrez danser, c’est de mettre en sûreté le tabako-bon (fumoir) et les bols à thé, car, même en les sauvant, vous aurez toujours dans vos nattes, un dégât bien suffisant.

Et Hokousaï signe : Katsoushika Oyaji (papa Hokousaï).


En 1817, dans un album édité par Yeirakouya Tôshiro d’Owari et intitulé Yéhon Riôshitzu, Album de dessins par deux pinceaux, Hokousaï collabore avec Rikkôsaï de Osaka, — lui se chargeant des personnages, animaux, oiseaux ; — et Rikkosaï dessinant les paysages et les arbres.

Un album, où les personnages disparaissent dans le paysage, mais où peut-être, Hokousaï s’est représenté léchant son pinceau dans la dernière planche.