Historiettes (1906)/Vandy
VANDY
modifierFeu Vandy étoit un homme qui rencontroit assez bien. Son oncle, le comte de Grandpré, avoit été son tuteur, et on accusoit ce tuteur d’avoir un peu pillé son pupille ; il lui dit un jour : « Mon neveu, vous faites trop de dépense ; assurément, vous vous ruinerez. — Mon oncle, répondit Vandy, comment me ruinerois-je, si vous, qui avez plus d’esprit que moi, n’avez pu venir à bout de me ruiner ? »
Un gentilhomme de ses voisins lui demandoit une attestation pour faire déclarer son frère fou : « Mais, Monsieur, lui disoit-il, donnez-le-moi bien ample. — Je vous la donnerai si ample, répondit Vandy, qu’elle pourra servir pour votre frère pour vous. » Il étoit un homme fort froid, et il ne sembloit pas qu’il songeât à ce qu’il disoit. Un jour qu’il dînoit chez ce même comte de Grandpré, on servit devant lui un potage, où il n’y avoit que deux pauvres soupes qui couroient l’une après l’autre ; Vandy voulut en prendre une ; mais comme le plat étoit fort grand, il faillit son coup ; il y retourne et ne peut l’attraper ; il se lève de table et appelle son valet de chambre : « Un tel, tire-moi mes bottes. — Que voulez-vous faire, mon cousin ? lui dit M. de Joyeuse ; je crois que vous êtes fou. — Souffrez qu’il me débotte, dit froidement Vandy, je veux me jeter à la nage dans ce plat pour attraper cette soupe. »
Il étoit brave, mais n’alloit jamais à la guerre sans donzelles, et il disoit ordinairement : « Point de p…, point de Vandy. » On dit qu’étant à une foire de village il y rencontra une mignonne qu’il avoit entretenue autrefois ; il en vouloit user à la manière de Diogène, qui plantoit des hommes en plein marché ; la demoiselle le rebuta : « Hé quoi ? lui dit-il, ne sait-on pas que tu f… et moi aussi ? » Il avoit épousé une nièce du maréchal de Marillac.
Le cardinal de Richelieu voulut qu’il fît son testament ; lui s’en défendoit, disant qu’il n’avoit pas de biens ; enfin l’éminence l’emporta. « Ecrivez donc, dit-il, je donne mon âme à Dieu, mon corps à la terre, ma femme et mon fils à M. le cardinal (il fut son page), et ma fille au public. »
Une fois qu’il venoit de la guerre avec un de ses amis, il lui dit : « Nous irons descendre chez une dame bien faite, avec laquelle vous verrez que je ne suis pas mal ; mais je n’en suis point jaloux ; je vous laisserai ensemble avant que vous en partiez : vous pousserez votre fortune. » C’étoit chez sa femme qu’il fut descendre ; il lui présenta son ami. On dîna : après le dîner, il entra avec elle dans un cabinet, et ensuite il s’alla promener dans le jardin. Cet homme, demeuré seul avec elle, se mit à lui en conter, et après il lui voulut baiser la main. « Monsieur, pour qui me prenez- vous’ ? — Hé, Madame, M. de Vandy m’a tout dit. » Enfin, elle fut contrainte d’appeler M. Vandy par la fenêtre. Cet homme, voyant qu’on l’avoit fait donner dans le panneau, monta à cheval et s’enfuit.
Une autre fois qu’il couroit la poste, en passant par Lyon, on l’obligea à aller parler à feu M. d’Alincourt, père de M. de Villeroy, qui exerçoit cette petite tyrannie sur les courriers. Il y fut ; M. le gouverneur, sans autrement le saluer, lui dit : « Mon ami, que disoit-on à Paris quand vous en êtes parti ? — Monsieur, on disoit vêpres. — - Je demande ce qu’il y avoit de nouveau ? — Des pois verts, Monsieur. » Alors se doutant que ce n’étoit pas ce qu’il pensoit, il lui ôte le chapeau, et lui dit : « Monsieur, comment vous appelez-vous ? — Cela n’est pas réglé, reprit Vandy, tantôt mon ami, tantôt monsieur. » Et il s’en va. On dit après à M. d’Alincourt qui c’étoit. Il envoya après, mais en vain ; Vandy le laissa la pour ce qu’il étoit.