Historiettes (1906)/Madame de Courcelles-Marguenat

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 229-231).

MADAME DE COURCELLES-MARGUENAT modifier

Madame de Courcelles est fille d’un homme riche de Paris qui s’appeloit Passart : elle a un frère maître des comptes. On la maria à un maître des comptes, homme qui n’étoit point mal fait. Elle est petite et a les yeux petits, mais elle est fort jolie et fort coquette. Sa mère lui avoit tant fait entendre de messes qu’elle n’en fut guère friande quand elle fut mariée. Elle souffrit bien avec son beau-père, un vieux fou, chez qui il falloit aller passer tous les ans six mois, en Champagne ; mais en revanche elle en tiroit beaucoup. Le premier qui a fait galanterie avec elle est un conseiller au grand conseil, nommé Gizaucour ; il est de Champagne, et étoit voisin du beau-père, et frère de la première femme de Courcelles. Ce Gizaucour se jeta dans la débauche ; c’étoit avant que d’être conseiller ; et négligea la dame, ou bien en fut négligé ; mais il a eu la curiosité d’avoir toujours quelqu’un des gens de la belle à lui, qui lui conte tout ce qu’elle fait. Il dit que Brancas lui succéda, et que durant sa gueuserie madame de Courcelles répondoit pour lui aux marchands. Un soir que Courcelles vint par hasard, et contre sa coutume, dans la chambre de sa femme, il y trouva Brancas qui prenoit congé ; il le conduisit en bas. Un valet, favori du mari, dit assez haut pour être entendu de la femme : « Mordieu ! je ne saurois souffrir que monsieur fasse comme cela de l’honneur à un homme qui le fait cocu. » Elle le fit chasser ; mais il fallut six mois pour cela.

Ce bonhomme de mari, quand elle avoit fait bien des fredaines, se vouloit mêler quelquefois de l’admonester de son devoir. « Je vois bien, lui disoit-elle, que vous êtes d’humeur de prêcher. » Elle lui apportoit un grand fauteuil. « Mettez-vous là, lui disoit- elle, et prêchez tout votre soûl. » Puis, quand il avoit bien harangué : « C’est là, lui disoit-elle, le plus court chemin que sous puissiez prendre pour vous faire bien haïr. » Enfin le mari se rebuta, et ne couchoit plus avec elle ; mais elle couchoit avec Brancas, et elle se sentit grosse. Or, elle se prévalut de l’arrivée de leur fermier, appelé Fissier, qui étoit un paysan qui avoit bon sens et qu’ils aimoient assez ; ils le faisoient toujours manger avec eux. Le soir, quand il fut temps de se coucher, le mari dit : « Je m’en vais, adieu. — Hé ! où allez-vous  ? dit cet homme qui avoit le mot — Dans mon appartement. — Par ma foi, je sous trouve bien de loisir de faire ainsi lit à part : il ne faut jamais user quatre draps quand on peut n’en user que deux. » Tout en goguenardant, il les fit coucher ensemble. Une autre fois, en pareille rencontre, elle fit ôter toutes les vitres de sa chambre, et le soir, feignant que le vitrier lui avoit manqué de parole, elle dit à son mari : « Je m’enrhumerai bien cette nuit ; si vous vouliez, je demeurerois ici. — Ce que vous voudrez. » Elle le caressa bien, et il adopta encore cette fois-là l’enfant d’un autre.

Les coquetteries de cette femme firent tourner la cervelle à son mari. Quand elle eut lieu de le traiter un peu de fou, elle l’enferma dans une chambre sur le devant du logis, dont les fenêtres étoient grillées et même condamnées, de peur qu’il ne vît le beau monde qui alloit voir sa femme. On disoit qu’elle avoit Brancas pour brave, le chevalier de Gramont pour plaisant, Charleval pour bel esprit, et le petit Barillon pour payeur. Un jour elle et deux ou trois autres coquettes étoient au Cours avec le chevalier de Gramont, et autres. Le petit Coulon, enfant gâté, y étoit ; il est leur voisin ; elles l’avoient pris en badinant dans leur carrosse. Ces jeunes gens prirent leurs manteaux, à cause d’un vent frais qui s’éleva, et après, par-dessous leurs manteaux, portèrent la main à ces femmes où vous savez. Ce sont leurs belles façons de faire. Quelques jours après, cet enfant étoit chez madame la présidente de Pommereuil avec sa mère, et là, ayant froid, il prit son manteau. puis mit la main où vous savez à la présidente. Elle et sa mère le grondèrent. « Oy ! dit-il, je vis faire comme cela l’autre jour au Cours. » On approfondit l’affaire et la Pommereuil disoit : « Mais ce sont donc des perdues ! Il ne les faut plus voir. » cela se sut, il y eut une querelle de diable. Enfin on les accommoda.

Le maréchal d’Albret s’avisa, il y a quelque cinq ans, d’en conter à la Courcelles ; elle étoit éprise de Bachaumont comme elle l’est encore. Le bruit court qu’ils sont mariés. Le maréchal n’y fit rien, et Roquelaure en faisoit une plaisanterie. « Ce brave Miossens, disoit-il, ce conquérant, à qui rien ne résistoit, a été trois mois devant une bicoque, une méchante place qu’on appella Marguenat, et a levé le piquet honteusement. » Les goguenards disoient : « Il n’avoit garde de la prendre, il y a trop de gens dedans »

Son mari devint hébété. elle l’enferma fort bien dans une chambre. Cependant M. Bachaumont-le Coigneux s’en éprit, et, le mari étant mort, il vécut avec elle comme avec sa femme. Enfin, au bout de dix ou douze ans, ils firent jeter des bans, et se marièrent comme s’ils n’eussent jamais couché ensemble.