Historiettes (1906)/Champagne

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 232-233).

CHAMPAGNE modifier

Champagne le coiffeur contoit, il y a long-temps, une chose de madame de Choisy que personne n’a crue : il disoit qu’étant une fois allé trouver la princesse Marie à Notre- Dame-des-Vertus, où elle prenoit l’air chez Montelon, son avocat, il étoit entré dans la chambre de madame de Choisy, qui y étoit aussi, et que, l’ayant rencontrée au lit, il avoit été assez heureux pour trouver l’heure du berger ; mais que ce n’étoit pas ce qu’on pensoit, et qu’elle avoit les cuisses fort maigres. Un des parents de la dame, qui m’a conté cela, dit qu’il chercha quelque temps Champagne pour le rouer de coups, mais que le coquin se cacha. Je ne sais comment, après une chose comme celle-la, la reine de Pologne a pu emmener Champagne avec elle.

Ce faquin, par son adresse à coiffer et à se faire valoir, se faisoit rechercher et caresser de toutes les femmes. Leur foiblesse le rendit si insupportable qu’il leur disoit tous les jours cent insolences : il en a laissé telles à demi coiffées ; à d’autres, après avoir fait un coté, il disoit qu’il n’achèveroit pas si elles ne le baisoient ; quelquefois il s’en alloit, et disoit qu’il ne reviendroit pas si on ne faisoit retirer un tel qui lui déplaisoit, et qu’il ne pouvoit rien faire devant ce visage-là. J’ai ouï dire qu’il dit à une femme, qui avoit un gros nez : « Vois-tu, de quelque façon que je te coiffe, tu ne seras jamais bien tant que tu auras ce nez-là. » Avec tout cela elles le couroient, et il a gagné du bien passablement ; car, comme il n’est pas sot, il n’a pas voulu prendre d’argent, de sorte que les présents qu’on lui faisoit lui valoient beaucoup. Lorsqu’il coiffoit une dame, il disoit ce que telle et telle lui avoit donné, et quand il n’étoit pas satisfait, il ajoutoit « Elle a beau m’envoyer quérir, elle ne m’y tient plus. » L’idiote, qui entendoit cela, trembloit de peur qu’il ne lui en fît autant, et lui donnoit deux fois plus qu’elle n’eut fait. Avec cela il étoit médisant comme le diable : il n’y avoit personne à sa fantaisie. De Pologne il alla en Suède, et revint ici avec la reine Christine.