Histoires poétiques (éd. 1874)/Le Combat de Lez-Breiz
Bonheur de revivre aux temps primitifs,
D’écouter leurs chants joyeux ou plaintifs,
Les chants glorieux que le peuple encor
Conserve en son cœur, fidèle trésor !
J’en veux traduire un… Guerriers d’autrefois,
De vos tertres verts sortez à ma voix.
Entre deux seigneurs, un Frank, un Breton,
S’apprête un combat, combat de renom.
Du pays breton Lez-Breiz est l’appui,
Que Dieu le soutienne et marche avec lui ! —
Le seigneur Lez-Breiz, le bon chevalier.
Éveille un matin son jeune écuyer :
« Page, éveille-toi, car le ciel est clair ;
Page, apprête-moi mon casque de fer.
« Ma lance d’acier, il faut la fourbir,
Dans le corps des Franks je veux la rougir.
— Maître, vous avez mon cœur et ma foi ;
À cette rencontre irez-vous sans moi ?
— Que dirait ta mère, enfant sans raison,
Si je revenais seul vers sa maison ?
« Si ton corps restait au milieu des morts,
Ta mère viendrait mourir sur ton corps.
— Maître, au nom du ciel, maître, parlez bas,
Et marchons tous deux à vos grands combats.
« Moi, des guerriers franks je n’ai nulle peur :
Dur est mon acier et dur est mon cœur.
« Maître, où vous irez avec vous j’irai.
Où vous combattrez, moi, je combattrai. »
Le seigneur Lez-Breiz, des Bretons l’appui,
Allait au combat, son page avec lui.
Passant à l’Armor, tout près du saint lieu,
Il voulut entrer et prier un peu :
« Quand je vins chez vous, sainte Anne d’Armor,
La première fois j’étais jeune encor.
« Avais-je vingt ans ? Je ne le crois pas :
Pourtant j’avais vu plus de vingt combats,
« Combats où mon bras fit bien son devoir,
Mais gagnés surtout par votre pouvoir.
« Si dans mon pays sans mal je reviens,
Mère, vous aurez part dans tous mes biens.
« Un cordon de cire épais de trois doigts
Autour de vos murs tournera trois fois.
« Dame, vous aurez, pour prix de mes jours,
Robe de brocart, manteau de velours.
« Vous aurez aussi bannière en satin
Avec un support d’ivoire et d’étain.
« Sept cloches d’argent sur votre beau front,
Le jour et la nuit, gaîment sonneront.
« Puis j’irai trois fois remplir à genoux
Votre bénitier : Mère, entendez-vous ?
— Chevalier Lez-Breiz, va combattre, va !
Ton rival est fort, mais je serai là. »
« J’aperçois Lez-Breiz, suivi de ses gens,
Bataillon nombreux armé jusqu’aux dents.
« Bon ! un âne blanc est son destrier,
Beau licol de chanvre et même étrier.
« Il a pour escorte un page, un enfant ;
Mais ce nain, dit-on, vaut presque un géant.
— J’aperçois Lorgnèz suivi de ses gens,
Bataillon nombreux armé jusqu’aux dents.
« J’aperçois Lorgnèz tout cuirassé d’or.
Ils sont dix et dix, dix autres encor.
« Maître, les voilà près du châtaignier,
Contre eux nous aurons grand’peine à gagner.
— Quand j’aurai sur eux étendu mon bras.
Alors sur le pré tu les compteras.
« Que ton bouclier sur mon bouclier
Sonne ! puis marchons, mon jeune écuyer. »
« Hé ! bonjour à toi, chevalier Lez-Breiz !
— Hé ! bonjour à toi, chevalier Lorgnèz !
— Par l’ordre du roi, mon prince et seigneur,
Je viens t’arracher la vie et l’honneur.
— Chevalier Lorgnèz, retourne à ton roi :
De lui j’ai souci tout comme de toi.
« Retourne à Paris, il est temps encor,
Montrer dans les bals ta cuirasse d’or ;
« Sinon, chevalier, je rendrai ton sang
Froid comme la pierre ou l’eau de l’étang.
— Chevalier Lez-Breiz, au fond de quel bois
As-tu vu le jour, chevalier courtois ?
« Mon dernier valet, hobereau si fier,
Fera bien sauter ton casque de fer. »
À ces mots, Lez-Breiz tira vers le ciel
Son glaive d’acier, comme saint Michel.
« Le nom de mon père, on ne le sait pas ?
Eh bien, moi, son fils, tu me connaîtras ! »
« Page, où courez-vous à travers le champ ?
Vos bras sont couverts de fange et de sang.
« Dans mon ermitage il faut vous laver.
— Je cherche une source, où donc la trouver ?
« Je cherche de l’eau pour mon doux seigneur
Brisé de fatigue et tout en sueur.
« Treize combattants tombés sous ses coups !
L’insolent Lorgnèz le premier de tous.
« Treize autres guerriers sont tombés sous moi,
Et le reste a fui tout pâle d’effroi. »
Il n’eût pas été Breton dans son cœur
Qui n’aurait point ri d’un rire vainqueur,
À voir les gazons, en mai reverdis,
Tout rouges du sang de ces Franks maudits.
Lez-Breiz sur leurs corps s’en vient s’accouder
Et se délassait à les regarder.
Il n’eût pas été chrétien dans son cœur
Qui n’eût, ce soir-là, pleuré de bonheur,
En voyant Lez-Breiz seul agenouillé,
Devant lui l’autel de larmes mouillé ;
En voyant Lez-Breiz sur ses deux genoux,
Lui guerrier si fier et chrétien si doux :
« O mère sainte Anne, ô reine d’Armor,
Pour moi dans ce jour vous étiez encor !
« Voyez à vos pieds votre serviteur :
À vous la victoire, à vous tout l’honneur ! »
Pour le souvenir d’un combat si grand,
Un barde guerrier a rimé ce chant :
Que dans l’avenir il soit répété !
Que ton nom, Lez-Breiz, partout soit chanté !
Allez donc, mes vers, dans tous les cantons
Et semez la joie aux cœurs des Bretons !