CHAP. LII.

De la découverte de la pourpre (1).

Hercule le philosophe Tyrien est celui qui découvrit la pourpre sous le règne de Phénix. En se promenant, un jour, sur le rivage de la mer qui baigne les murs de Tyr, il vit un chien de berger manger de cette espèce de molusque renfermé dans un petit coquillage marin, et le pâtre, qui croyait voir du sang, prendre un peu de laine sur le dos d’une brebis pour essuyer la gueule de son chien. Hercule ayant remarqué la teinte que la laine avait gardée, et voyant qu’elle ne venait point du sang, mais de la vertu colorante de quelque liqueur inconnue, s’assura qu’elle provenait de cette espèce de coquillage, prit cet échantillon de laine des mains du pâtre et l’offrit comme un présent distingué à Phénix, roi de Tyr (2) : le roi frappé à son tour à la vue de cette teinte extraordinaire et admirant le hasard qui l’avait fait découvrir, ordonna qu’on lui teignît de la laine de cette couleur, s’en fit faire un manteau royal et fut ainsi le premier qui vêtit la pourpre. La nouveauté de ce magnifique costume excita l’admiration générale. Ensuite le roi Phénix défendit qu’aucun de ses sujets affectât de porter ce splendide vêtement formé des dons de la mer et de la terre, le réservant exclusivement à son usage et à celui de ses successeurs, afin que l’armée et le peuple pussent toujours reconnaître le roi à la vue de ces insignes nouveaux et dignes de respect. Jusques-là on avait ignoré l’art de teindre les vêtements ; la laine des brebis était portée telle que la nature l’avait faite ; et il n’était pas facile de distinguer les rois d’avec les gens du peuple. Au reste les rois des diverses contrées, les princes et les gouverneurs ayant une fois connu le procédé, se firent faire des manteaux, des agraphes et des tuniques de pourpre ou au moins de couleur de feu, qu’ils obtenaient du suc des plantes, et se mirent aussi à les porter habituellement, pour se faire reconnaître de leurs sujets (3), ainsi que le sage Paléphate l’a établi (4).

(1) Ce sujet a été amplement traité par Goguet, de l’Origine des lois des arts et des sciences (tom. 2, p. 90-102, édition in-8o  P. 1820) et par Camus, 2e vol. de sa traduction de l’Histoire des animaux d’Aristote, p. 698 et suivantes. (2) Achilles Tatius (lib. II, cap. II, p. 61-62, édit. de Deux Ponts), raconte l’histoire de la découverte de la pourpre à Tyr, à peu près de la même manière, mais sans désigner l’époque : d’après Pollux (liv. 1, c. 4, § 5, p. 14, Francf. 1614, fo) qui attribue aussi cette découverte à Hercule de Tyr (sous le roi Phénix, c’est-à-dire un peu plus de 1500 ans avant J.-C.), le chien qui avait brisé le coquillage à la pourpre et dont la gueule se trouvait ainsi colorée, excita à tel point l’admiration d’une nymphe dont Hercule était épris, que celle-ci lui déclara qu’elle cesserait de le voir s’il ne lui procurait un vêtement de cette couleur : Hercule, pour satisfaire la fantaisie de sa maîtresse, ramassa un grand nombre de coquillages, et, par ce moyen, réussit à teindre une robe de la couleur qui avait séduit la nymphe. Goguet remarque, après Bochart, que, dans le Syriaque, le mot qui signifie chien, signifie aussi teinturier ; de sorte que ce chien qui figure dans les récits de Paléphate, d’Achilles-Tatius et de Pollux, pourrait fort bien avoir pris naissance dans un contresens fait par le premier Grec qui aura entendu raconter cette histoire à Tyr. Peut-être aussi l’intervention d’un chien dans cette découverte vient-elle de l’époque à laquelle se faisait cette pêche, avant et après la canicule : car les pourpres se cachaient au lever de la constellation du chien : Latent, sicut murices, circà, Canis ortum, tricenis diebus, dit Pline l’ancien (lib. IX, cap. 60, p. 143, tom. 4 de l’édit. de Lemaire) qui ne fait, en cet endroit, que traduire presque littéralement Aristote (Hist. des animaux, liv. V, chap. 15, tom. l, p.844 de la grande édit. in-fo de Paris 1629). Pline, qui continue à s’occuper de la pourpre, des diverses espèces de coquillages qui la renfermaient, des diverses teintes qu’elle produisait et des divers usages auxquels on l’employait (jusqu’à la fin du chapitre 65, p. 161 ibid.) dit que l’on était obligé de prendre cette espèce de molusque vivant, parce que le principe colorant qu’il contient en petite quantité, s’exhale avec la vie de l’animal : il ajoute que cette substance est renfermée dans une veine blanche, au passage de la gorge. M. Cuvier, dans ses notes sur Pline (p. 144 ibid) prétendait qu’on la trouvait dans le manteau, c’est-à-dire dans la partie membraneuse que recouvre la coquille ; mais M. Bosc, s’appuyant sur l’autorité même de Cuvier, qui avait fait sans doute de nouvelles expériences, dit que cette liqueur se trouve dans un petit réservoir placé au-dessus du col, à côté de l’estomac. Il ajoute qu’elle est ou blanche ou verte quand on la tire de son réservoir et qu’elle ne devient rouge qu’après avoir été étendue d’eau et exposée au soleil (Dict. d’hist. naturelle publié par Detterville en 36 vol. in-8o , tom. 28, au mot pourpre) et ces détails, comme on le voit, prouvent, entre mille autres, que les anciens ont souvent beaucoup mieux observé, qu’on ne le croyait autrefois.

(3) Les étoffes qui avaient reçu une double teinture de cette pourpre sont citées par tous les anciens comme la marque distinctive de la puissance et des grandes richesses.

              ........te bis afro
                            Murice tinctae
              Vestiunt lanae.

                                       (Horace lib. II, od. XVI, v. 35-37).

Sénèque (Natur. quæst. lib. 1, c. 3, p. 90, tom. 5 de l’édition de Lemaire) y fait aussi allusion. Athénée cite un passage de Théopompe, qui, en parlant d’une cérémonie dans laquelle mille colophoniens se montrèrent vêtus de pourpre, ajoute que la pourpre était alors très-rare et que les vêtements qui en étaient teints se payaient au poids de l’argent (lib. XII, chap. 21, p.455, tom. IV de l’édit. de Schweighœuser). Cette teinture, si précieuse jadis, ne vaut plus la peine d’être exploitée et ne l’est plus en effet depuis la découverte de la cochenille (V. Cuvier sur Pline, p. 143 et Bosc, au mot pourpre, Dict. d’histoire naturelle).

(4) Ce chapitre ainsi que le suivant, a été tiré des Fastes siciliens connus aussi sous le titre de Chronique d’Alexandrie (Opusc. Mytholog. de Thomas Gale) ou Chronique Paschale (Paléphate, de Fisscher) ou bien encore de Chronique de Constantinople (Observat. de Ménage sur Diogène de Laërte, liv. 1, no 48, p. 206, tom. 3, édition de Huebner, Leipsig 1830, in-8o ).