CHAP. XVI.

Europe (1).

On raconte qu’Europe, fille de Phénix, fut portée par un taureau qui traversa la mer depuis Tyr jusqu’en Crète. Pour moi je pense qu’il n’est ni taureau ni cheval qui puisse traverser une si grande étendue de mer, et qu’une jeune fille ne s’avise guères de monter sur un taureau sauvage. D’ailleurs si Jupiter avait voulu avoir Europe en Crète, il lui était facile de trouver une plus belle voie. Le vrai de cette histoire le voici : un habitant de Gnosse, nommé Tauros, faisait la guerre aux Tyriens. Il finit par leur enlever plusieurs jeunes filles et entr’autres Europe, la fille du roi. D’où il advint que l’on dit : « Europe la fille du roi a été enlevée par Tauros » (un taureau) qui l’a emportée à travers les mers » et telle fut l’origine de la fable (2).

(1) Ce sujet a été traité par une foule de poètes et de prosateurs. La plus belle idylle de Moschus est consacrée à dépeindre en 162 vers alexandrins, pleins de détails extrêmement gracieux, les jeux d’Europe, fille de Phénix, cueillant des fleurs avec ses compagnes, dans la prairie où Jupiter vint s’offrir à ses yeux sous l’aspect d’un taureau caressant. L’indication des sujets ciselés sur la superbe corbeille d’or dans laquelle elle mettait ses fleurs, la description du taureau, la traversée d’Europe au milieu des Néréides qui sortent de la mer pour accompagner Jupiter jusqu’à ’ile de Crète, sont des plus jolis morceaux descriptifs qu’on puisse citer (V. idylle 2 de Moschus, tom. 2, p. 37-43 de l’édition Théocrite Bion et Moschus, variorum de Valpy, Londres 1829). Tout le monde connaît le morceau d’Ovide (Métam. lib. 2, v. 834 874). La peinture qu’en fait Lucien est également très-gracieuse. Zéphyre qui a suivi le cortège des Tritons et des Néréïdes en raconte toute l’histoire à Nothus qui regrette beaucoup de n’avoir pas pu prendre part à pareille fête. (Dialogue XV des Dieux marins, tom. 2, p. 134-137 du Lucien de Lehman). Horace s’est plu à peindre au contraire, avec la plus grande énergie, les vives inquiétudes et les regrets amers d’Europe, au moment où elle se trouve sur une terre étrangère, loin d’un père qui la cherche, et l’accuse sans doute, exposée à devenir l’esclave ou la victime des caprices de quelque barbare, pour avoir eu l’imprudence de monter sur le dos de ce perfide taureau. (Liv. III, ode 27, v. 25-76).

Apollodore dit qu’Europe était, selon les uns fille d’Agénor (c’est ainsi qu’Ovide et Horace l’appellent), selon les autres fille de Phénix, et par conséquent sœur d’Agénor : elle eut de Jupiter Minos, Sarpédon et Rhadamanthe (biblioth. liv. 3, chap. 1er, p. 107 de l’Apollod. de Heyne). Hyginus donne les mêmes détails (fable 178, p. 295-296, mythogr. latins de Van Staveren).

(2) Hérodote rapporte, sur la foi des historiens de la Perse (liv. 1er, chap. 1 et 2 p. 1-9, tom. 1er de l’Hérodote de Baëhr, Lips. 1830) que les Phéniciens ayant enlevé des filles d’Argos et entr’autres Io, fille du roi Inachus qu’ils avaient emmenée en Égypte ; quelques Grecs, probablement des Crétois, se portèrent plus tard à Tyr, pour venger cette injure, et enlevèrent Europe la fille du roi.