Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I/Chapitre IV

Wilson & Cie (Ip. 69-84).


CHAPITRE IV


Origine des Sauvages de l’Amérique. — Sauvages du Canada, de 1492 à 1665.



A
plus d’une reprise, nous avons parlé des Sauvages. Quels étaient ces gens ? D’où venaient-ils ?

Nous nous permettrons d’affirmer que leur présence en Amérique n’a rien d’étrange. Remontons un instant le cours des siècles.

Au commencement, dit l’Écriture, l’esprit de Dieu flottait sur les eaux. Il n’y avait pas de terre visible.

La croûte solide qui retient captifs les feux du centre de la boule n’avait pas encore subi la pression des forces renfermées dans ses flancs.

Quand les secousses, les déchirures, les étirements se produisirent, une déformation eut lieu dans cette enveloppe. Des plateaux, des pitons apparurent au-dessus de la mer universelle.

C’est l’Amérique qui surgit la première des profondeurs de l’abîme, n’en déplaise au « vieux » continent d’Europe.

Le Canada possède, dans les Laurentides, les indications les plus manifestes et les plus anciennes de ces bouleversements.

Notre pied-à-terre en ce monde réputé « nouveau » est d’une date qui fait pâlir la géologie du reste des continents.

Alors, pourquoi le sol d’Amérique, préparé de si bonne heure, n’aurait-il pas été peuplé sans retard par les premières familles qui se détachèrent du groupe primitif ? Ce qui s’est fait si aisément plus tard ne devait pas être impossible aux fils d’Adam qui se partageaient le monde.

Qu’une branche soit venue en Amérique et qu’elle y ait prospéré, rien en cela qui puisse surprendre.

L’Asie et l’Amérique ont pu, et ont dû être unies autrefois. Elles se tiennent encore de si près, malgré les tremblements de terre et les cataclysmes de l’eau et du feu, que le point de jonction n’est presque pas rompu.

Les peuplades ainsi émigrées vivaient sans doute dans l’état primitif que la science nous fait connaître aujourd’hui par ses recherches sur les premiers hommes qui peuplèrent l’Europe. Leur nombre grossissait ; ils eussent fini par se fixer et améliorer leur sort. Le déluge vint anéantir ce mouvement.

Qu’est-il arrivé ensuite ? On le sait ; l’espèce humaine dût se remettre à croître. Des années et des siècles s’écoulèrent. C’est vers le bassin de la Méditerranée que les peuples les plus connus se sont avancés ; mais une forte branche, Noé lui-même, probablement, s’empara de la Chine et s’y est maintenue à l’aide d’un système de gouvernement admirable, incarnation d’une pensée qui surpasse celle de nos législateurs les plus célèbres : le talent anobli.

Pour repeupler la terre, la famille humaine prenait deux chemins différents : l’un à droite, l’autre à gauche. Ils devaient se croiser en Amérique.

Depuis Platon, qui vivait il y a deux mille trois cents ans, et qui nous entretient de choses devenues alors très anciennes, jusqu’au lieutenant Maury qui vient de s’éteindre, on s’est occupé d’une île, ou de plusieurs îles, ou, peut-être, d’un continent qui aurait existé entre l’Europe et l’Amérique, en plein Atlantique. De nos jours, les traces en sont visibles. Notre pauvre terre a été tant secouée, tant bosselée, tant ratatinée, même après le déluge, que tout est croyable.

Au Pérou, à Panama, aux Florides, au Mexique, se voient des monuments nombreux qui ont surtout un air de parenté avec l’architecture égyptienne. Ont-ils été construits par des gens de la Méditerranée ? C’est à peu près certain, car, sans cela, d’ viendrait leur ressemblance avec une architecture aussi distincte que l’est l’art égyptien entre tous les autres ? Prenons, par exemple, l’époque du roi David, ou de Salomon, son fils, qui envoyait des vaisseaux dans les mers lointaines, il y a trois mille ans ; prenons les navigateurs de la Méditerranée, et supposons que, d’une île à l’autre, à travers l’Atlantique, ou mieux, à l’aide du continent décrit par Platon, ils aient atteint les rives de notre continent américain, quoi d’étrange ? Un climat superbe les retenait dans les Florides, le golfe du Mexique et au Pérou. L’amour des aventures pouvait les amener à s’y établir tout autant, pour le moins, que nous autres Européens, qui avons peuplé le Canada, il y a deux siècles et demi, en des conditions bien moins favorables.

Les courants océaniques qui ont porté Cabral sur le Brésil, l’année 1500, et dont on tire parti pour abréger la traversée d’Europe en Amérique, n’étaient peut-être pas inconnus des pilotes des Pharaons. Un accident a pu jeter un vaisseau, une flotte entière dans ces courants. Revenir, par exemple, n’était pas la même chose.

On ne nous dit pas au juste la date de l’effondrement de l’Atlantide, comme l’appellent les anciens ; mais on pense que cela eut lieu il y a près de trois mille ans. Les chroniques de l’Égypte, entrevues par Platon, nous le donnent à supposer. Il n’est pas impossible que les communications entre l’Amérique et l’extrémité occidentale de la Méditerranée aient été soudainement interrompues depuis ce cataclysme, et qu’une terreur superstitieuse ait retenu les marins en dedans des colonnes d’Hercule. À quoi, du reste, peut-on attribuer la répugnance qu’eut à vaincre Christophe Colomb pour décider les hommes du métier à franchir ce redoutable passage et à faire voile sur la mer de l’Ouest qui, selon la croyance populaire, engloutissait ceux qui voulaient en sonder l’étendue et les mystères ?

Si des peuples très-anciens n’ont pas habité notre continent, expliquerons-nous la provenance des monuments remarquables qui s’y trouvent sur tant de lieux divers ?

Les plaines de l’Ouest, la Californie, le Nouveau-Mexique et l’isthme de Panama sont les dépositaires de ces merveilles des temps oubliés. Des villes étendues, des constructions géantes, des travaux d’une origine fabuleuse, nous offrent les traces d’une civilisation qui n’a pas laissé d’annales ni d’histoire ; mais c’est de l’histoire que ces amas de pierres sculptées dont le voyageur cherche vainement la cause autour de lui, et que les Sauvages découverts par Colomb et Cortez ne pouvaient expliquer.

Les enfants de notre premier père avaient de ces allures de fondateurs. Ils en ont donné des preuves en Asie. Pourquoi pas également en Amérique, puisqu’ils pouvaient y atteindre ?

Ce qui montre qu’ils sont venus en ce pays directement du berceau du genre humain, par conséquent de l’ouest à l’est, c’est qu’ils n’ont occupé que la moitié ouest de notre continent. Leurs travaux n’existent que là.

Les Florides, Panama et le Mexique, ouverts sur l’Atlantique, sont riches aussi en vestiges archéologiques ; mais ces ruines témoignent d’un autre genre de goût, de civilisation, de peuples postérieurs aux ouvriers de l’ouest.

Le versant de l’Atlantique n’a pas dû être habité par les Américains de l’époque de Noé.

Ces hommes, successeurs assez rapprochés de ceux qui construisirent la tour de Babel, ne devaient être privés ni des talents ni des moyens d’exécution que l’on reconnaît aux contemporains de Noé. Ils ont pu bâtir les palais étonnants qui sont encore sous nos yeux.

En ce cas, la marche des peuples autour du monde aurait commencé à l’inverse de la course du soleil.

Il y eut aussi les mound builders, ces constructeurs de villages entourés de terrasses, qui peuplaient les vallées du Wisconsin, du Missouri et du Mississipi, et dont la disparition remonte à peu près au temps où Charlemagne régnait en Europe. Moins avancés en civilisation que les peuples dont nous venons de parler, ils n’étaient pas ignorants de certaines industries, et se gouvernaient d’après des lois plus fermes que celles des nomades.

Mais, dira-t-on, vous laissez de côté une population immense qui n’a aucun rapport apparent avec ces royaumes, dont quelques-uns remonteraient à près de trois mille ans. N’y avait-il pas, à l’époque de la découverte du Nouveau-Monde, outre les peuples extraordinaires du Pérou et du Mexique, des races à l’état sauvage ?

Oui, mais sans parenté avec ces autres peuples, si ce n’est qu’elles étaient descendantes d’Adam et d’Ève, ou plutôt de Noé.

D’où venaient-elles ?

Il ne faut pas regarder les Sauvages comme ayant tous passé par le même sentier pour venir en Amérique. Il ne faut pas non plus poser en principe que leur présence sur ce continent est un fait inouï, dont l’explication dépasse la portée de l’entendement humain.

Les deux sources déjà mentionnées ont pu fournir leurs contingents pour les races sauvages, comme elles ont fourni les éléments des nations civilisées du Pérou et du Mexique.

De tous temps ce contraste a existé sur la terre. On a vu des Sauvages non loin des cités de Jérusalem, de Babylone, de Troie ; on en a vu près de la Grèce artistique, non loin de Rome conquérante ; bref, il suffit de lire l’Histoire pour apprendre à ne pas s’étonner de ces choses si souvent les mêmes.

Cinquante émigrations peuvent avoir peuplé l’Amérique de Sauvages. Çà et là, une catastrophe, un besoin de déplacement y ont amené des colonies plus fortes les unes que les autres. Une grande crise n’est pas étrangère à ces mouvements habituels des flots de l’humanité.

Une date se présente : la destruction de l’empire romain, il y a quatorze siècles. Le coup est parti des hauteurs qui confinent l’Europe à l’Asie. Un débordement de hordes féroces et incultes s’est abattu sur l’univers éclairé par la civilisation. Non-seulement Rome et la Grèce ont été dévastées, éteignant ainsi le flambeau des arts, des sciences et des lettres, mais un ébranlement se fit sentir par toute l’Asie, qui trembla sous les pas des barbares. Ne peut-on pas supposer que des races alarmées ont cherché refuge en Amérique par le détroit de Behring ? La route devait leur en être connue. Qui sait encore si des peuplades considérables n’étaient pas déjà rendues à la Colombie anglaise, la Californie, les plaines de l’Ouest ? On s’accorde à reconnaître chez les Sioux et les Iroquois les traits de la race tartare. Il n’y a pas plus de deux cents ans, un missionnaire du Canada retrouva en Tartarie une Sauvagesse qu’il avait baptisée à Montréal. Elle lui dit que ses parents l’avaient amenée par le détroit de Behring, selon l’itinéraire habituel de ces familles nomades.

Quant au mouvement d’émigration de l’est à l’ouest, à travers l’Atlantique, on le croirait moins facile à cause de l’immensité de cet océan. C’est l’effet trompeur d’un premier coup d’œil. L’histoire nous affirme que, depuis des siècles, les pêcheurs de l’Europe fréquentent les côtes de l’Amérique. En voilà assez pour donner naissance à vingt peuplades diverses, illettrées, se refaisant une langue à mesure que la leur se corrompait et que des besoins nouveaux se présentaient. Puisque des langues si différentes les unes des autres ont pu se former en Asie et en Europe, parmi des races qui se trouvaient en contact, à plus forte raison des groupes isolés comme l’étaient inévitablement, à l’origine, ceux des Sauvages américains se sont-ils fait chacun les créateurs d’une langue particulière, opération lente si l’on veut, mais qui n’est pas en désaccord avec ce que l’on connaît du reste de la famille humaine par tout le globe.

Certains ethnologistes pensent que les barbares ravageurs de Rome et de l’Europe ont laissé sur le littoral de l’Espagne et de la France des détachements qui s’y sont fixés d’une manière permanente, et qui, poussés par l’esprit aventureux de leur race, ont équipé des navires pour la guerre, la flibusterie, le commerce : les Basques, par exemple, dont il est

MME. DE LA PELTRIE.
impossible de rattacher l’origine ni le langage à aucune nation connue. Les Basques ont devancé de plusieurs siècles Colomb et Cartier.

Il est certain que les Scandinaves ont connu et habité l’Amérique depuis l’avénement de Jésus-Christ. La même chose a pu avoir lieu longtemps auparavant.

Si, d’une part, on admet que les Asiatiques ont pu traverser en Amérique par le détroit de Behring, ce qui ne saurait être mis en doute, on peut soutenir avec non moins de raison que les Européens ont pu franchir l’Atlantique sur cinq ou six points, et jeter, sans le vouloir, les germes des nations sauvages que nous avons trouvées en Amérique il y a près de quatre cents ans.

Rien d’étonnant si ces colonies perdues n’ont pas repris le chemin de leur patrie. Rien d’étonnant qu’elles se soient développées dans des conditions qui les transformèrent avec le temps. De pauvres pêcheurs peuvent ainsi devenir des Sauvages. Notons bien que la plupart des Sauvages n’avaient de barbare que le costume. Des mœurs simples, un caractère doux et craintif sont les traits qui nous les signalent presque tous. Les races guerrières, comme les Iroquois, les Sioux et les Algonquins, se vantaient de n’avoir jamais eu rien de commun avec les tribus timides qui les avoisinaient, et cela paraît véritable. Leurs origines différaient complètement. Tout peuple chassé de ses foyers, tous les coureurs d’aventures qui vont prendre possession d’un pays nouveau, ne ressemblent pas au malheureux naufragé qui tombe isolément sur la côte de ce même pays et que l’impossibilité du retour force à vivre en ce lieu. La trempe de la race, comme celle de l’individu, ne saurait s’altérer notablement sous ces circonstances.

Une peuplade tartare aborde en Amérique et marche droit devant elle les armes à la main, selon sa coutume, ravage, conquiert, écrase tout ce qui lui fait obstacle et va s’établir sur un site de son choix.

Un certain nombre de familles, débris d’anciens postes de pêche sur la côte, égarées à la suite d’un naufrage, se constituent, avec le temps, en tribus, en un peuple, pour tout dire ; croit-on que ces gens ressembleront aux premiers ? Cela ne semble guère plausible.

Et maintenant, pourquoi l’Amérique n’a-t-elle pas renfermé que des Sauvages ? Pourquoi trois ou quatre sièges de civilisation y ont-ils fleuri à côté de la barbarie et de la décadence de peuples nombreux ?

Parce que ces divers groupes d’immigrants sont venus ici dans des conditions contraires les unes aux autres.

Les vigoureux enfants de Noé cherchaient à s’ennoblir. Le travail était regardé par eux comme devoir et honneur.

Leurs instincts les portaient à établir, bâtir, prospérer. Avec de tels hommes s’édifient des empires : Palanqué, la Californie, le Nouveau-Mexique.

Plus tard, des navigateurs, des explorateurs, envoyés par les chefs instruits de nations puissantes, formèrent, sur les rivages de l’Atlantique, des établissements durables. La discipline, la civilisation, l’orgueil des arts, le sentiment d’un progrès général les animaient. D’eux sont sortis les Incas au Pérou, les Montézuma au Mexique, sans compter la puissance, inconnue même de nom, qui ne se révèle à nous que par les ruines semées dans la Floride.

Cela ressemble-t-il aux tristes épaves de peuples persécutés et ignorants, ou aux ravageurs stupides abordant une contrée lointaine, se trouvant dépourvus de ressources et à la merci d’une existence si peu propre à les relever ? De là naissent les Sauvages, ceux que nous avons découverts. C’est la thèse renversée de « l’homme de la nature ; » car, au lieu d’être l’expression du commencement de la société, le Sauvage présente le spectacle de sa décrépitude morale.

Il appartient à la science d’approfondir toutes ces questions. Depuis quelques années, les théories les plus diverses sont mises au jour. Tout le monde a la parole. Si quelqu’un prouve que nous avons fait fausse route, tant mieux ! c’est qu’il aura en main des renseignements que bon nombre de chercheurs ne connaissent pas encore.

Même en se trompant, il est agréable de remonter le cours des siècles oubliés, et, à l’aide des jalons dispersés dans ce vaste espace, de refaire par la pensée la marche et l’existence d’une partie des enfants d’Adam.

Ce qui paraît incontestable, c’est que la zone embrassée aujourd’hui par la confédération canadienne, d’un océan à l’autre, n’a jamais été habitée par des peuples civilisés. Ici était la contrée des barbares du nord, comme les hauts plateaux de l’Asie. Ces tribus de chasseurs devenaient parfois trop nombreuses, alors elles se jetaient sur le midi qu’elles dévastaient, tout comme en Europe.

Les empires croulaient sous leurs coups ; la hache et le feu effaçaient du sol les nations et les villes ; la solitude se faisait quelque temps, puis un certain nombre de ravageurs prenaient racine dans les lieux conquis, s’y créaient une sorte de civilisation, en attendant que leurs frères du nord vinssent les détruire à leur tour.

Aussi loin que l’on peut remonter, c’est-à-dire au XVe siècle, les vallées du Saint-Laurent et de l’Ottawa étaient occupées par deux grandes races, parlant chacune sa langue propre : la race iroquoise et la race algonquine.

Elles se subdivisaient en de nombreuses tribus portant des noms particuliers.

Les Algonquins habitaient le long de la rivière Ottawa, que les Français désignèrent longtemps sous le nom de rivière des Algonquins ou Algoumequins, selon la manière d’écrire de Champlain.

Ils avaient non-seulement la rivière Ottawa et les terres qui la bordent, mais leurs courses pouvaient s’étendre facilement, d’un côté vers le lac Huron et la baie Georgienne, et de l’autre à la hauteur des terres où l’Ottawa, le Saint-Maurice et le Saguenay ont leurs sources communes. Ces peuples chasseurs devaient, en effet, se répandre sur une grande étendue de pays.

La tradition des Agniers, tribu iroquoise, porte que le pays des Algonquins était situé à cent lieues à l’ouest des Trois-Rivières. Nous savons que, dans les premiers temps des Français, l’île des Allumettes, sur le haut de l’Ottawa, était regardée comme le quartier général des Algonquins, et que d’ordinaire l’on désignait un certain nombre de ceux-ci sous le nom de gens ou Sauvages de l’Île, pour signifier que leur demeure était en cet endroit.

Au XVe siècle, les Iroquois possédaient les Trois-Rivières et Montréal. Le lieu de leur rendez-vous le plus ordinaire paraît avoir été le lac Saint-Pierre. Ce territoire assez restreint leur suffisait, parce qu’ils menaient une vie sédentaire.

Avant d’occuper les rives du Saint-Laurent, les Iroquois avaient vécu dans l’Ouest, selon ce que rapportaient leurs vieillards. Cela donnerait à supposer que les Algonquins, suivant la même marche, de l’ouest à l’est, vinrent après eux et s’arrêtèrent juste aux confins ouest des territoires iroquois, sur l’Ottawa.

Les Iroquois étaient les premiers orateurs sauvages ; ils déployaient parfois assez d’esprit et de science d’argumentation pour déconcerter les Européens instruits. On les nomma Iroquois parce qu’ils terminaient leurs harangues par le mot hiro : j’ai dit. Parmi les nations sauvages, on les nommait Toudamans.

Entre les deux races existaient des différences marquées, quant au caractère, au tempérament, aux mœurs et coutumes, ce qui peut fortifier l’opinion déjà émise de l’arrivée des Algonquins, dans cette partie du monde, à une autre époque que celle où les Iroquois y sont venus.

Nous avons déjà dit que leur langage était différent l’un de l’autre, autant, par exemple, que le grec et le latin.

Connaissant l’humeur et les mœurs pacifiques des Iroquois dans l’origine, et la jactance et les dispositions querelleuses des Algonquins, nous pourrions conjecturer que ces derniers ont dû se rendre en Canada, après avoir traversé le continent de l’ouest à l’est les armes à la main, tandis que les Iroquois y avaient été attirés, avant eux, par le besoin de se soustraire au voisinage de quelque peuple de l’ouest incommode ou conquérant.

Si toutes les nations sauvages du Canada sont venues du côté du soleil couchant, nous croyons que notre hypothèse est assez juste ; si, au contraire, les races algiques proviennent directement de l’Europe, par la voie de l’Atlantique, elle tombe d’elle-même. Ces deux opinions sont aujourd’hui en présence ; il paraît bien difficile de dire de quel côté penchera l’histoire.

Les tribus iroquoises, peu belliqueuses d’abord, mais qui devaient finir par porter la terreur et la dévastation sur presque tous les points de l’Amérique du Nord, cultivaient la terre et dédaignaient la chasse. Elles vivaient réunies en villages ou bourgades. On comprend qu’il résultait de ces dispositions naturelles des individus une forme de gouvernement plus stable, mieux ordonné, exerçant plus d’empire que chez les races moins sédentaires ; aussi l’autorité des chefs et des Conseils était-elle grande parmi les Iroquois. Ce germe se développa à la faveur des événements dont nous allons dire un mot, et devint le nerf du redoutable pacte fédéral des cinq nations iroquoises. Quant au caractère de la plupart de ces tribus, il est célèbre par ses fourberies. Les Iroquois en général étaient doués d’une imagination vive et d’un tempérament passionné.

Les Algonquins offraient à peu près tous les traits opposés. Ils s’adonnaient à la guerre et à la chasse, conséquemment menaient une vie nomade. Leur mode de gouvernement s’en ressentait ; on peut même dire qu’en dehors du pouvoir déféré au chef de chaque famille, il n’existait pas d’autorité dans la nation, et, par suite, très peu d’ensemble dans la conduite des affaires publiques. Fiers de leur indépendance exagérée, possédant une intelligence sinon faible du moins ordinaire, habitués à porter les armes et à mépriser le travail, ces Sauvages se croyaient les maîtres de la contrée, et ils ne perdaient aucune occasion de témoigner leur mépris aux Iroquois et de les molester.

On ne saurait douter que les Iroquois aient habité les bords du fleuve.

Nicolas Perrot dit positivement : « Le pays des Iroquois était autrefois le Montréal et les Trois-Rivières. » Le Père Le Jeune écrit : « Voyageant de Québec aux Trois-Rivières, les Sauvages m’ont montré quelques endroits où les Iroquois ont autrefois cultivé la terre. »

Voici comment est rapportée l’origine des guerres entre les deux races :

De jeunes Iroquois, invités par un parti de jeunes Algonquins fanfarons à les suivre à la chasse, furent assez heureux pour les surpasser et abattre plus de gibier que ces chasseurs. L’amour-propre des Algonquins s’en trouva froissé. Ce fut la cause d’une série de différends qui aboutirent à la guerre ouverte.

La supériorité des Algonquins dans les armes se manifesta dès les premières rencontres ; il ne paraît pas non plus qu’ils aient éprouvé d’échecs considérables dans le cours de cette première guerre. Ayant vaincu aisément les Iroquois, ils s’emparèrent de leur pays.

Après leur défaite, écrit un auteur, les Iroquois rongèrent leur frein. Au printemps suivant, ils retournèrent dans leurs premières terres, qui étaient aux environs de Montréal et le long du fleuve, en montant au lac Ontario.

Peut-être s’agit-il ici non de toute la race iroquoise, mais de quelque tribu (les Hurons ?) qui aurait réussi à reprendre possession de ses terres, comme nous le verrons par la suite.

Toutefois, s’il s’agit de la race entière, ils ne restèrent pas longtemps dans les environs de Montréal ; car il est certain qu’ils se retirèrent vers le lac Érié, d’où une nation du voisinage les chassa presque aussitôt. Ils se réfugièrent sur la rive Est du lac Ontario, de manière à s’étendre sur le lac Champlain, aux sources de la rivière Sorel, dont l’embouchure leur ouvrait une porte en plein lac Saint-Pierre, entre les Trois-Rivières et Montréal.

Il n’est guère possible de préciser l’époque où commença cette division entre les deux races, mais tout nous porte à croire qu’elle eut lieu vers le temps (1492) où Christophe Colomb découvrit l’Amérique, ou même un peu plus tard.

Les Houendats (les Hurons), forte tribu iroquoise, paraissent avoir cherché les premiers à reprendre possession du pays perdu. Ils battirent la tribu algonquine des Onontchataronnons (plus tard la tribu de l’Iroquet), qui s’était installée sur l’île de Montréal. Cela dût avoir lieu entre 1500 et 1530 à peu près.

La tribu de l’Iroquet prétend, disent les Relations des Jésuites, avoir occupé l’île de Montréal et les terres qui sont du côté de Chambly et de la ville de Saint-Jean.

« Voilà, disait en 1644 l’un de ces Sauvages, voilà où il y avait des bourgades très peuplées. Les Hurons, qui pour lors étaient nos ennemis, ont chassé nos ancêtres de cette contrée. Les uns se retirèrent vers le pays des Abenaquis (le Nouveau-Brunswick), d’autres allèrent trouver les Iroquois, et une partie se rendit aux Hurons mêmes et s’unit à eux. »

« Les Hurons qui étaient alors nos ennemis, » cela ne donne-t-il pas à penser qu’il s’agit d’une époque antérieure à la découverte du Canada ? Nous ne connaissons aucune circonstance qui nous permette de supposer que les Hurons furent en armes et luttèrent contre des tribus de la nation algonquine. Il est vrai que l’orateur dont les paroles viennent d’être citées ajouta que son grand-père avait cultivé du blé-d’Inde dans l’île de Montréal ; mais, comme les Sauvages ne remontent point au delà d’une trentaine d’années sans embrouiller toute la chronologie, et que le mot grand-père s’applique aussi bien, dans leur bouche, à un ancêtre éloigné qu’à un simple aïeul, ce témoignage ne saurait suffire pour fixer la date de la conquête de Montréal par les Hurons.

La haine du nom algonquin et l’espoir de reconquérir leur ancienne patrie réveillèrent le génie des Iroquois. Ils apprirent à faire la chasse et la guerre, à conduire habilement des expéditions, à harceler sans cesse l’ennemi dans ses marches, dans ses retraites et dans ses campements. Ils se révélèrent enfin sous une face nouvelle.

Ils se donnaient le nom de Ilottinonchiendi, qui signifie « cabane achevée ». Leurs forts étaient en effet les mieux construits au point de vue de la solidité et des besoins de la guerre.

L’ordre qui régnait ordinairement dans leurs affaires publiques se consolida, prit les formes de véritables lois, et contribua pour beaucoup au succès de leurs armes.

Lorsqu’au bout de quelques années, ils reparurent sur le grand fleuve, les Algonquins virent qu’ils allaient avoir sur les bras un ennemi qui ne serait plus à mépriser.

La plupart du temps, les maraudeurs iroquois se contentaient de « faire coup » sur un campement, puis ils se retiraient avec adresse dès que les Algonquins se montraient en nombre. Le lac Saint-Pierre, avec ses îles et son étendue, offrait un refuge aux flottilles de guerre, comme aussi des points de repère et des embuscades toutes préparées.

Avant l’arrivée de Cartier, les Iroquois descendaient ainsi la rivière Sorel, qui porta longtemps leur nom, et étendaient leurs ravages jusque dans le bas du fleuve, au delà de Québec. Les premiers navigateurs qui visitèrent le Canada les connurent sous le nom de Toudamans que leur avaient imposé les autres nations sauvages. Le mot Iroquois, dont on se sert à cette époque, paraît désigner le principal groupe, et Toudamans, une tribu de cette nation.

Par la terreur que répandaient les Toudamans, on s’explique l’absence de villages que le découvreur du Saint-Laurent remarqua entre Montréal et Achelaï, près des rapides du Richelieu, à mi-chemin entre Québec et les Trois-Rivières.

Le mot Toudamans semble être une corruption de Touandouahs, Tsoundouans. « Les Toudamans furent, plus tard, connus sous le nom d’Iroquois, » dit M. l’abbé Ferland.

Cartier parle des Toudamans, gens du sud, qui menaient la guerre aux Sauvages de Québec, et qui poussaient leurs courses jusqu’au golfe.

La carte de Lescarbot (1609) place les Toudamans sur la rive sud du fleuve, entre Québec et les Trois-Rivières. Cependant, cet auteur n’ayant jamais visité le fleuve, il ne faut pas attacher trop d’importance à sa carte. Les mots « gens du sud, » dont se sert Cartier, et ce que nous savons du site où étaient les cantons iroquois, nous donnent l’assurance que ce ne pouvait être entre Québec et les Trois-Rivières, mais bien en haut de la rivière Sorel, comme nous l’avons dit. Du reste, cette même carte de Lescarbot indique la rivière Sorel sous le nom de rivière des Iroquois, et quelque part, vers Saint-Hyacinthe, sont placés des campements avec le mot Iroquois. Sans être très correct, Lescarbot est encore ici un bon guide.

Les Sauvages visités par Cartier à Hochelaga (1535) avaient des habitations à la mode iroquoise. Les mots recueillis chez eux en cette occasion sont des mots iroquois. Or, comme ils paraissent avoir été détachés des Toudamans qui faisaient la guerre aux Algonquins de Québec, l’on peut voir en cela une preuve que toutes les tribus iroquoises n’avaient point été chassées d’abord par les Algonquins, ou que l’une de ces tribus avait réussi à reprendre possession du haut du fleuve ; c’est la tradition des Onontchataronnons rapportée plus haut. Néanmoins, les gens d’Hochelaga étaient ennemis de ceux de Québec.

« De la relation de Cartier et des récits des Sauvages, dit l’abbé Ferland, l’on peut inférer qu’un parti de Hurons, après avoir chassé les Onontchataronnons, était resté avec quelques-uns de ces derniers dans l’île de Montréal et y avait établi la bourgade que les Français trouvèrent, au pied de la montagne, en 1535. Plus tard, les Hurons, harcelés par les anciens possesseurs de l’île, et peut-être par les Agniers, auront été forcés de se replier vers le gros de la nation. »

C’est de cette manière, croit-on, que le peuple de langue huronne-iroquoise, que Cartier avait visité, disparut de l’île, entre 1535 et 1608.

Au temps de Cartier, les Toudamans (ou Tsounontouans) figurent seuls du côté des Iroquois.

Pendant la seconde moitié du même siècle (1550–1600) la lutte se fait entre les Algonquins et les Agniers principalement.

Il faudrait donc croire que les Tsonnontouans d’abord, et les Agniers ensuite, soutinrent les premiers la guerre de représailles contre les Algonquins, sans parler de la reprise de Montréal par les Hurons avant la découverte de Jacques Cartier.

La rivière de Sorel s’appelait rivière des Agniers, nation iroquoise, du temps de Sagard (vers 1625).

Les Houendats ou Hurons, dont les instincts pacifiques s’accommodaient mal du régime guerrier adopté par presque toutes les tribus de leur race, semblent s’être tenus à l’écart du principal groupe iroquois, à partir du temps où ils furent forcés de quitter l’île de Montréal, ce qui eut lieu, selon les apparences, plusieurs années après le départ de Jacques Cartier et de Roberval, du Canada. Ils allèrent habiter les terres qui sont entre le lac Simcoe et la baie Géorgienne, la partie la plus fertile de la province d’Ontario. Ils conservaient la tradition Iroquoise, en ce qu’ils se livraient à l’agriculture et négligeaient non-seulement la guerre, mais aussi la chasse.

Un passage de la relation de Champlain fait supposer que la grande guerre commença vers 1550. Il dût y avoir aussi, à l’époque en question, un redoublement d’entreprises de guerre de la part des Iroquois Agniers et de la tribu algonquine de l’Iroquet alliée aux Iroquois.

Les Algonquins se regardaient comme les propriétaires du site actuel de la haute-ville des Trois-Rivières, et, pour y résister aux attaques des Iroquois, ils avaient bâti un fort sur le tertre que nous appelons le Platon.

Les Iroquois, offusqués de cette manifestation de résistance, l’emportèrent d’assaut et le rasèrent à fleur de sol. En 1635, le Père Le Jeune dit en avoir vu les bouts de pieux restés dans la terre et encore noircis par le feu dont on s’était servi pour les détruire. Nous ne saurions dire quand eu lieu cet événement.

Les Trois-Rivières étaient occupées par des partis de chasse et de pêche appartenant à la race algonquine, qui s’y succédaient au caprice des événements. Ce lieu se trouvait le plus exposé aux attaques des bandes iroquoises, à cause de sa proximité du lac Saint-Pierre et de la rivière Saint-Maurice, où se cachaient les ennemis. Toutes les traditions des Sauvages s’accordent à dire que nul endroit du cours du fleuve n’était plus aimé ni autant fréquenté. Il n’y en avait probablement pas qui fûssent plus souvent témoin des drames barbares qui se jouaient entre les Toudamans et les Algonquins, puisque sa position semble le désigner comme le champ de bataille des deux races. Les éléments de chasse et de la pêche y abondaient prodigieusement, et en faisaient un rendez-vous général. Longtemps après la fondation de Québec, et en dépit des instances que les gouverneurs et les missionnaires firent pour les détourner de leur coutume de séjourner aux Trois-Rivières, les Algonquins et plusieurs familles de Montagnais y restèrent attachés.

L’épisode suivant est un tableau fidèle des combats des Sauvages. On peut en reporter la date à l’année 1560, autant qu’il est possible de s’en assurer.

La tribu de l’Iroquet, déjà mentionnée, était de la race algonquine, cependant elle s’était en partie séparée de sa nation, comme on l’a vu, et lui faisait la guerre, de même que certaines tribus (les Hurons, par exemple) de la race iroquoise s’allièrent, plus tard, aux ennemis des Iroquois.

Un jour qu’un grand nombre de guerriers de l’Iroquet se présentaient devant les Trois-Rivières, les Algonquins s’avisèrent d’employer un stratagème qui leur réussit. Le gros des Algonquins se cacha dans les bois qui bordaient la rivière Bécancour, à quelques centaines de pas de son embouchure, laissant quelques canots en vedette sur le fleuve, dans la position de gens occupés à la pêche. Ce qui avait été prévu arriva. Les Iroquets se lancèrent sur les pêcheurs isolés, lesquels prirent la fuite vers la rivière, en poussant des cris de désespoir. Derrière eux arriva toute la flottille ennemie, sans se douter du danger où elle courait, et croyant tenir une proie facile. L’embuscade avait été si bien préparée, que presque tous les coups eurent de l’effet. Une première et une seconde décharge de flèches abattit beaucoup de monde du côté des Iroquets, et, avant que ceux-ci eussent eu le loisir de se remettre de la surprise de cette attaque imprévue, leurs ennemis sortirent du bois, et la hache assomma ceux qui avaient échappé aux traits. Charlevoix dit qu’il n’en survécut pas un seul, parce que les Algonquins ne voulurent faire aucun prisonnier. Le grand nombre de cadavres qui restèrent dans le lit de la rivière et sur ses bords infesta l’eau à tel point, qu’elle en prit le nom de rivière Puante, qu’elle portait encore un siècle après. La tribu de l’Iroquet ne se releva jamais complètement de cet échec.

Les gens qui restaient de cette tribu furent adoptés par la nation algonquine, sans toutefois perdre leur principal chef duquel ils tenaient le nom de l’Iroquet.

Ce petit peuple offre ainsi doublement l’une des singularités que l’on observe chez les Sauvages du Canada : battu par les Iroquois, il devint iroquois, puis, battu par les Algonquins, il redevint algonquin. Ajoutons que les Hurons, avec lesquels il avait eu tant de rapports, se rapprochèrent des Algonquins vers la même époque que lui probablement, entre 1560 et 1580.

Après le massacre de la rivière Puante, les Algonquins remportèrent une série de victoires qui leur donna de l’assurance et une grande vanité. À la fin du XVIe siècle, les Iroquois étaient détruits, ou à peu près ; « il n’en paraissait presque plus sur la terre, » mais « ce peu qui en restait, comme un germe généreux, poussa tellement en peu d’années, qu’il réduisit réciproquement les Algonquins aux mêmes termes que lui. » Ce passage est tiré de la Relation de 1660. Lescarbot, qui écrivait en 1610, dit que peu d’années avant cette dernière date, les Iroquois, au nombre de huit mille, exterminèrent les Algonquins, gens de Québec, et les habitants d’Hochelaga et autres Sauvages des bords du Saint-Laurent. Quoi qu’il en soit, Champlain ne retrouva pas, en 1603, les tribus visitées par Cartier à Québec en 1535.

Isolés comme ils l’étaient par toute la largeur de l’Ontario, les Houendats étaient plus rapprochés des territoires des Algonquins que de ceux où vivait leur propre race. D’ailleurs, le seul fait de s’être autant éloignés dans cette direction montre une tendance à se séparer du corps de la nation, si, toutefois, ils n’avaient pas été chassés de Montréal par les Iroquois eux-mêmes, pour s’être montrés trop conciliants avec les Algonquins, ce qui n’est pas improbable.

On croit que les Houendats s’unirent de bonne heure aux Algonquins pour des fins de traite et de bon voisinage ; mais ils ne perdirent ni les mœurs domestiques ni la langue des Iroquois. L’alliance fut inaltérable, on le sait, malgré les malheurs qui fondirent à cause de cela sur les pauvres Houendats (Hurons) ; mais jusqu’à leur extermination, ceux-ci conservèrent les traits particuliers à leur origine.

En 1599, Pontgravé voulut établir un poste de traite aux Trois-Rivières, parce qu’il connaissait le lieu pour l’avoir déjà visité ; mais son associé, Chauvin, qui avait d’autres vues, se contenta de faire le trafic à Tadoussac. La guerre régnait toujours entre les Sauvages.

Les Français commençaient à attirer les nations algonquines, qui échangeaient avec eux leurs pelleteries pour des articles de fabrique européenne. Les Hurons, qui faisaient cause commune avec les Algonquins, descendirent bientôt jusqu’à Tadoussac. À partir de ce moment, il est probable que les Iroquois les vouèrent, comme les Algonquins, à l’extermination.

Cette défection ne fit qu’activer le sentiment de vengeance contre les Algonquins. Les cinq tribus iroquoises les plus vaillantes : les Agniers, les Tsonnontouans, les Onnontagués, les Onneyouts et les Goyogouins, apparaissent alors comme les principaux membres de la plus puissante ligue de Sauvages dont l’histoire ait parlé ; mais ce ne fut que vers 1645 qu’ils prirent de l’importance. Ce sont ces tribus que les Français eurent à combattre et qui, grâce à l’incurie du gouvernement de Louis XIV, retardèrent pendant de longues années les progrès du Canada, en promenant le fer et le feu au milieu des colons dispersés sur les bords du Saint-Laurent.

Les Attikamègues, nation de langue et de coutumes montagnaises, habitaient les plateaux où le Saint-Maurice et le Saguenay ont leurs sources. Ces peuples, excessivement timides, n’approchaient point du fleuve par crainte de la guerre. Ce n’est qu’en 1637, alors que le fort des Trois-Rivières pouvait les protéger dans une certaine mesure, qu’ils se hasardèrent à descendre le Saint-Maurice et à venir trafiquer de leurs pelleteries aux magasins de la compagnie de la Nouvelle-France en ce lieu.

Nous savons déjà, d’après la Relation de 1660, que ce qui restait d’Iroquois, vers la fin du XVIe siècle, « poussa tellement en peu d’années, qu’il réduisit les Algonquins aux mêmes termes. »

Aussi, lorsque Samuel de Champlain remonta le fleuve, en 1603, rencontra-t-il très peu de Sauvages entre Montréal et Québec, et même ces deux endroits semblent avoir été déserts. Les Algonquins avaient le dessous à leur tour ; ils se tenaient plutôt dans leur ancien territoire de l’Ottawa. Les Iroquois couraient le fleuve et le rendaient presque inabordable.

Les traitants rencontraient les Sauvages amis à Montréal et aux Trois-Rivières, à des époques fixes de l’été. Une fois la traite terminée, il restait à peine quelques familles dans ces endroits.

Les Sauvages de Québec et des Trois-Rivières étaient toujours errants et ne cabanaient que par groupes de deux ou trois familles, là où ils trouvaient du gibier et du poisson, dit le Père LeClercq.

En 1608, Champlain fonda la ville de Québec. L’année suivante, sollicité par les Algonquins et les Montagnais, peuple du Saguenay, il entreprit, contre les Iroquois, l’expédition du lac Champlain. En cette circonstance, un chef célèbre du nom de l’Iroquet commandait la tribu algonquine, qui est connue sous ce même nom d’Iroquet ; et Ochatéguin était le capitaine d’une tribu de Hurons, qui portaient, au dire de Champlain, ce même nom de Ochatéguin.

On voit ici que les Algonquins, les Hurons et les gens de l’Iroquet étaient dès lors intimement liés. Avec eux se tenaient les Montagnais du Saguenay, et, par parenté avec ces derniers, les Attikamègues du Saint-Maurice, plus timides que guerriers. Tel était l’assemblage de peuples qui, avec l’aide des Français, comptaient tenir tête aux Iroquois.

Cinq ou six nations, dispersées depuis le Saguenay jusqu’au lac Huron, sans chef suprême, sans plan d’unité, sans cohésion en un mot, allaient lutter, peu d’années après la mort de Champlain, contre une association habilement formée, se maintenant par une véritable discipline, et dont le foyer, peu étendu, occupait un site écarté, commode, et protégé par le voisinage des colonies anglaises et hollandaises.

Lorsqu’en 1609 Champlain eût fait alliance avec les Algonquins, ceux-ci se rapprochèrent des Trois-Rivières. La guerre, qui s’étendit quelques années après jusque vers le haut de l’Ottawa, les contraignit à rechercher davantage les Français. À partir de 1635, il est aisé de suivre, dans les registres des Trois-Rivières et dans les Relations des Jésuites, le rôle qu’ils jouaient en ce lieu. Nicolas Perrot nous dit que, vers 1640-50, les villages de cette nation étaient tous aux environs des Trois-Rivières.

En 1615, Champlain visita le pays des Hurons, et fit partie d’une troupe qui alla attaquer, au delà du lac Ontario, un fort iroquois situé en arrière d’Oswégo, à peu près où est la ville de Syracuse aujourd’hui. Malgré des actes d’hostilité de ce genre, la destruction de la tribu huronne ne commença que fort tard, vers 1648. Nous savons que, en 1615, Champlain reconnut que ceux-ci avaient dix-huit bourgades, renfermant quarante mille âmes. Les Français les nommèrent Hurons parce qu’ils se rasaient les cheveux ou les redressaient de manière à former sur la tête, du front à l’arrière, une crête assez semblable à la hure d’un sanglier.

En 1608, la tribu de l’Iroquet habitait l’intérieur d’un territoire triangulaire, dont Vaudreuil, Kingston et Ottawa formaient les angles.

Dans les années 1610, 1615-16, elle fit de nouveau partie des expéditions contre les Iroquois. Les Relations de 1633, 1637, 1640, 1646 la mentionnent encore comme étant d’une certaine importance.

Jusque vers 1630, la supériorité des Iroquois n’était pas bien marquée. Les Algonquins rachetaient par le courage ce qui leur manquait en prudence et en discipline ; mais les armes à feu que les Hollandais d’Albany fournirent alors aux Iroquois donnèrent l’avantage à ceux-ci ; car les Français évitèrent, pendant longtemps, de fournir des fusils à leurs alliés.

Leur amour de la guerre jeta constamment les Algonquins dans des entreprises hasardeuses, d’où leur indiscipline était peu propre à les tirer. Il faut dire aussi qu’étant plus honnêtes, plus francs que les Iroquois, ils furent, à plusieurs reprises, victimes de la foi jurée, sur laquelle ils s’appuyaient naïvement. Notons encore que, par un empressement inconsidéré à « frapper coup, » les Algonquins occasionnèrent à leurs alliés, les Français, nombre de mauvaises affaires avec les Iroquois, à des époques où la colonie avait surtout besoin de repos et de tranquillité.

Ce qui est étrange, c’est l’espèce de fausse bravoure dont les Algonquins firent parade, par un reste d’habitude de leur ancienne renommée. Ils savaient que leurs ennemis agissaient plus par ruses et par pièges que tout autrement ; mais ils ne laissaient point de commettre, chaque jour, les imprudences les plus grossières. Quant à l’habileté et au courage, ni l’une ni l’autre des deux races n’en cédaient ; mais les Algonquins manquaient de ténacité dans les expéditions et de persistance dans la poursuite de ces guerres cruelles.

La mort de Piescaret, en 1647, fut comme le signal de la ruine de la nation algonquine, qui eut lieu en même temps que celle des Hurons.

Les Algonquins et leurs adhérents ne reçurent que très peu de secours du côté des Français. Ce n’est qu’en 1665 qu’arrivèrent dans le pays des forces vraiment imposantes ; mais il y avait quinze ans que les Hurons et les Attikamègues étaient détruits, et que la poignée d’Algonquins qui restaient se tenaient cachés sous les canons des villages français.

La colonie de la Nouvelle-France, commencée en 1608, n’eut d’établissements stables qu’à partir de 1633 ; elle ne prit véritablement de l’importance qu’en 1665.

Les Iroquois, qui avaient, à cette dernière date, porté leurs armes victorieuses dans le golfe, sur les bords du fleuve, aux sources du Saint-Maurice et de l’Ottawa, sur les terres du Haut-Canada, autour des grands lacs et jusqu’au pays des Sioux, ne voyaient plus d’ennemis sérieux que les Français. Ils surent leur tenir tête pendant un autre demi-siècle, c’est-à-dire jusque vers 1700. Les Français leur suscitèrent alors des ennemis redoutables dans les Abénaquis, venus d’Acadie et placés aux environs des Trois-Rivières et du lac Saint-Pierre.

Voici donc, en résumé, les mouvements successifs de ces peuples :

Les Algonquins habitaient l’Ottawa ; les Iroquois, le Saint-Laurent. Ces derniers disaient être venus de l’ouest.

Vers 1500, les Algonquins chassent les Iroquois des bords du fleuve et s’y installent. Les Iroquois vont se fixer entre le lac Champlain et le lac Ontario.

Entre 1500 et 1530, les Hurons (ou une autre tribu iroquoise) reprennent Montréal sur les Iroquets, tribu algonquine. La plupart des Iroquets passent dans les rangs des Iroquois par la conquête.

À la même époque, les Tsonnontouans, tribu iroquoise, commencent à exercer des ravages sur le fleuve, en descendant par la rivière Sorel.

En 1535, Jacques Cartier visite, à Montréal, les Hurons-Iroquois. De là jusqu’à Québec, il n’y a qu’un seul village. Les Tsonnontouans ou Toudamans répandent la terreur partout dans ces endroits.

Vers 1560, les Algonquins massacrent presque tous les guerriers de l’Iroquet, à la rivière Puante, et le reste de cette tribu retourne aux Algonquins.

Entre 1560 et 1600, la tribu iroquoise des Agniers est celle qui conduit principalement la guerre contre les Algonquins.

De 1560 à 1600, les Algonquins prennent le dessus dans toutes les directions. La tribu iroquoise qui tenait Montréal se retire vers l’ouest ; on croit la reconnaître dans les Hurons que Champlain trouva, en 1615, près du lac Simcoe.

Vers 1600, paraît avoir commencé la ligue des cinq nations iroquoise, qui balaya les rives du fleuve. Peu après, les Hurons descendent traiter avec les Français.

En 1603, Champlain trouve les rives du fleuve inhabitées. Les Algonquins, battus par les Iroquois, se sont repliés sur l’Ottawa.

En 1609, avec Champlain, qui part pour la première guerre des Français contre les Iroquois, il y avait des bandes de Hurons, d’Algonquins, d’Iroquets et de Montagnais, ayant leurs chefs particuliers. L’alliance des Français attire de nouveau les Algonquins au fleuve, et ils se fixent principalement aux Trois-Rivières. La guerre continue avec des chances égales de part et d’autre.

En 1624, grande assemblée de toutes les tribus, aux Trois-Rivières, pour enterrer la hache et proclamer la paix dans le Canada. Cette démonstration remarquable n’eut aucun résultat avantageux. Le désaccord exista aussitôt après comme auparavant.

Vers 1630, les Iroquois prennent l’ascendant sur les Algonquins, à la faveur des armes à feu que leur procurent les Hollandais.

En 1647, Piescaret, chef algonquin, est assassiné. Sa nation est détruite après cela, ainsi que les Hurons.

Jusqu’en 1665, les Iroquois règnent en maîtres dans une grande partie du Canada. Les troupes que l’on envoie alors contre eux ne les réduisent pas entièrement.