Histoire véritable de certains voiages périlleux et hazardeux sur la mer/2

A MONSEIGNEUR Meſsire Philippes de Mornay, ſeigneur du Pleſsis-Marli : Conſeiller du Roy en ſon Conseil d’Eſtat ; Capitaine de cinquante hommes d’armes de ſes ordonnances, Gouverneur de ſa ville & Chaſteau de Saumur, Surintendant de ſes maiſon & Couronne de Navarre.



MOnseigneur,

C’eſt une maxime tres véritable que tout homme nai de femme eſt ſujet à beaucoup de miſeres & calamitez ; que ſa vie, qui eſt brieve & courte, ne demeure jamais en un meſme eſtat, mais experimente tous les jours pluſieurs & contraires viciſſitudes ; ſoit qu’il marche ſur la terre, ſoit qu’il voyage ſur la mer. Car tout autant de vents contraires qui s’oppoſent au cours de ſon voyage en la mer : autnat ou plus rencontre-il de traverſes ſur la terre par la malice envieuſe des autres hommes qui s’efforcent de renverſer les cours de ſes deſſeins, tant ſoient ils ſaincts. Or s’il y a homme de noſtre ſiecle qui ait experimenté & expérimeñté tous les jours la vérité de ceſte maxime, il faut que je confeſſe avec verité que c’eſt vous, Monſeigneur, comme il appert par les traverſes oppoſitions que ſont à vos actions & faits louables pour la gloire de Dieu, vos envieux, calomniatieurs, & ennemis non ſeulemēt de vous, mais auſſi de l'Egliſe de Dieu : laquelle vous taſchez d'édiffier par vos ſaints eſcrits,& eux de la ruiner pour ſouſtenir leur Confuſion par leurs eſcrits pleins de fauſſetez. Mais comme les loups & chiens hurlent & abbaient en vain contre la lune, tels auſſi ſeront leurs eſcrits contre vous. Car je croy certainement que vous eſtes tres reſolu de la providence de Dieu, qui gouverne toutes choses, depuis les plus grrandes juſques aux plus petites, Que rien n'advient ni ne ſe fait qu'il ne le ſache & ne le permette, faiſant tourner le tout à ſa gloire, comme auſſi toutes choſes tournent en bien à ceux qui le craignent. Qu'il commande aux vents, tempeſtes & orages, & tient en bride les meſchãs, pour ne paſſer plus outre que ce qu'il leur à eſtendu le cordage. Qu'il fait reluire en toutes choſes, ſa Iuſtice & ſa Miſericorde: ſa Iustice pour faire trembler les meſchans, qui cheminẽt contre lui à l'eſtourdie: ſa Miſericorde, pour convier a repentãce ceux qui deſirent jouir de ſa grace & faveur au milieu de tãt de maux & miſeres qui accompagnent la vie de l'hõme juſques au ſepulchre. Or je me ſuis advisé, Monſeigneur pour recreer vos Eſprits parmi tant d'orages & tormantes que vous experimnetez tous les jours, de vous preſenter à lire un brief diſcours tres veritable & tous plein d'orages, tormentes, miVeres, perils & hazards eſtranges, dignes de grande admiration & eſtonnement, pour y voir reluire la juſtice de Dieu ſur les uns, & ſa misericorde ſur les autres. Le tout eſtant advenu de noſtre temps & memoire, en certains voyages faits ſur la mer par aucuns de noſtre nation Françoiſe. Comme les reſchappez l'ont recité fidelement à un perſonnage digne de foy & aimant la verité, lequel vous cognoiſſez & aymez de longue main, comme aiant exercé l’eſtat de Sergent Major par le commandement de noſtre Roy en ſa ville de Saumur, ſoubs voſtre commandement. C’eſt le Capitaine Bruneau, ſieur de Rivedoux en l’iſle de Ré, à qui je ſuis étroittement allié. Et d'autant que je m’aſſeure que vous l'avez aimé & l’aimez cõme l’ayant experimenté tres-f‍idele au ſervice de ſa Majſté,& qu’il vous a eſté & vous eſt touſiours fidele ſerviteur ; cela me fait aſſeurer que pour l’amour de lui vous lirez d'autant plus volontiers ſon recueil. Car combien qu’il n’ait jamais eſtudié en la cognoiſſance des bõnes lettres, qui font les hommes Hiſtoriographes ; mais à paſſé ſon temps à l’exercice des guerres intef‍lines de ce Royaume, ſi eſt-ce toutes-fois qu’en faiſant le Recueil de tels voyages hazardeux on voit reluire en ſon lãgage une grande candeur & f‍idelité, deſirant de reciter choſes vraies à la poſterité, pour admirer les merveilles de Dieu qui reluiſent en ce diſcours. Voila qui me l’a fait juger digne d’eſtre mis en lumière, tant pour la gloire de Dieu, que pour l'inſtruction de tous ceux qui deſirent de profiter es chaſtimens, & jugemens que le Seigneur exerce en ce monde pour humilier les hommes ſoubs ſon obeiſſance. Et pource que pluſieurs langues veneneuſes pourront ſelon leur ordinaire detracter, meſdire, & blaſmer ce preſent diſcours, j’ai eſtimé que pour ſervir de contre-poiſon à l’encontre d'un tel venin je ne pouvoi choiſir un meilleur protecteur aimant à ſouſtenir choſes vraies pour le lui dedier, que vous, Monſeigneur, qui aimez l’Auhteur, & qui recevra un ſingulier contantement de voir ſon ouvrage mis en lumiere ſoubs l’authorité que votre Nom s’eſt acquiſe entre les gens de bien. Ioint auſſi que je me promets tant de voſtre amitié,laquelle i’ai cogneuë eſtre ſincere en mon endroit de long temps, que vous recevrez ce petit preſent, (petit en foi, mais grand quand aux merveilles de Dieu) d’auſſi bon cœur, comme de tout mon cœur ie prie Dieu.

MONSEIGNEUR, pour voſtre proſperité & grandeur, qu’il vous benie & conſerve longuement ſur la terre, pour le bien & l’edif‍ication de ſon Egliſe. A Niort le premier de Ianvier. 1599.


Voſre tres-humble & obeiſſant ſerviteur, LOIS D. L. BLACHIERE, M. D. S. E. audit Niort