Chapitre XIV.
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CHAPITRE XIV bis
La France entière avait été en proie à une émotion profonde, à une angoisse poignante tandis qu’au cours des négociations tendant à anticiper sur les dates prévues pour le règlement de l’indemnité de guerre et l’évacuation du territoire, des menaces s’étaient produites du côté de l’Allemagne et avaient donné des craintes sérieuses de nouvelle conflagration. Ce n’était pas sans des inquiétudes, sans doute plus affectées que réelles, que M. de Bismarck et le grand État-Major allemand assistaient à la réorganisation militaire du pays. Cependant il était visible que le peuple allemand, proprement dit, n’avait pas plus d’intérêt que de goût à s’engager dans une nouvelle aventure, dût la victoire la conclure encore.
De même qu’en France, toute l’activité économique, durant plusieurs mois suspendue, avait repris, dès la paix rétablie, et c’était une activité d’un caractère bien net et très puissant ; l’activité d’un peuple jeune, laborieux, fortement organisé, qui apparaissait sur le champ de bataille de la production et des échanges savamment outillé, habile, entreprenant, armé de capitaux, par suite, soucieux du maintien de la paix. Puis, malgré la griserie de succès militaires retentissants, tels que l’Europe n’en avait vus, depuis l’épopée impériale, peu à peu se faisait le douloureux inventaire des pertes essuyées. Sans compter les milliers de morts, de blessés, frappés en pleine lutte, parmi le crépitement de la fusillade, le fracas des canons, la fureur sauvage des charges de cavalerie ou d’infanterie, s’établissait le bilan formidable des soldats décédés par suite des fatigues, des rigueurs de la température, du typhus, de la variole ; de toutes les maladies qui s’abattent sur les grandes accumulations d’hommes soustraits à leur vie coutumière ; condamnés à un régime anormal, à une existence oscillant entre l’éreintement et la nervosité fatale chez tout être que les fatalités, les sottises, les crimes de la politique extérieure des nations transforment brutalement en instrument de meurtre.
L’Allemagne bourgeoise et ouvrière comprenait bien que les feuilles de chêne et les lauriers de la victoire, souillés de sang, se devaient voiler d’un funèbre crêpe de deuil. Victorieuse, il lui fallait panser de nombreuses et cruelles blessures. La victoire était profitable au seul parti militaire, caste à part, qui n’a de profits, par elle appréciables, qu’à la guerre. Il y avait donc matière à réflexions, hésitations pour les gouvernants, d’autant que le socialisme, malgré la crise patriotique très intense qui venait de se produire, grâce à l’ineptie, l’imprévoyance criminelle du gouvernement de Napoléon III, faisait des progrès énormes sous l’impulsion des militants qui, comme Bebel, Liebknecht, profitaient de toutes les circonstances pour démontrer au prolétariat la nécessité de se grouper autour d’un programme très net. Du reste, fait remarquable mais non anormal, à mettre en lumière, bravant les injures des chauvins, les menaces souvent suivies d’effet, des agents et des juges, ces militants et leurs camarades, tout en accomplissant leur devoir, défendant leur pays, n’avaient pas hésité à affirmer leurs sentiments affectueux envers le peuple français qu’ils ne rendaient pas responsable des fautes du gouvernement impérial.
N’avaient-ils pas protesté contre la continuation de la guerre, après la proclamation de la République, c’est-à-dire après la disparition de ceux qui l’avaient provoquée ? N’avaient-ils pas énergiquement protesté ― et l’acte n’allait pas sans danger — contre l’annexion brutale de l’Alsace et de la Lorraine ? Maintenant qu’une ère de prospérité économique s’ouvrait, n’allaient-ils pas pouvoir — ils n’y manquèrent pas — démontrer, irrésistible leçon de choses, que cette prospérité ne profiterait qu’aux détenteurs de capitaux, d’outillage, de matières premières, tandis que la masse ouvrière et petite bourgeoise resterait vouée aux pires conditions du salariat, de la concurrence ; aux mêmes misères, aux mêmes incertitudes : armée qui supporte tous les chocs sur les champs de bataille et sur le terrain des luttes économiques.Le mouvement révolutionnaire du 18 Mars, malgré les erreurs commises, malgré la terrible défaite, avait produit une impression profonde parmi les masses populaires de l’autre côté du Rhin, que ne pouvaient manquer de frapper des faits caractéristiques tels que le renvoi des prisonniers de guerre au gouvernement de M. Thiers pour entreprendre un second siège de Paris ; la coopération des armées allemandes à ce second investissement de la capitale.
Que se produisait-il donc de si prodigieux, de si nouveau, pour qu’une telle collaboration pût se produire contre le Paris qui, avec un héroïsme qui avait frappé d’admiration l’Europe, venait de supporter un long et pénible siège ? La vérité se faisait peu à peu jour et projetait une vive lumière sur la conscience du prolétariat allemand, du prolétariat universel : c’était la partie laborieuse, consciente de la capitale qui s’était soulevée pour protester contre la capitulation, pour défendre la République menacée, pour affirmer hautement les droits du travail et proclamer la nécessité de son émancipation politique et sociale. On commençait à le comprendre, malgré les calomnies, les mensonges de la presse ; cette vérité était d’autant plus frappante que la démocratie socialiste allemande avait déjà une solide organisation, qu’elle comptait de nombreux adhérents et avait des représentants dans les assemblées parlementaires ; — la voix de certains d’entre eux avait fait entendre de graves avertissements aux maîtres du grand Empire nouvellement restauré.
Le mouvement socialiste se marquait sur tout le continent européen, manifestant déjà une unité de vues remarquable quant aux principes essentiels, malgré des divergences très tranchées relevant surtout de l’organisation de la société future, de la tactique, ces dernières suggérées, fréquemment imposées par les circonstances, les milieux, les traditions nationales ou de race, aussi par les institutions gouvernementales et les organismes administratifs fort variés dans leurs formes et leur fonctionnement.
Comme principe essentiel et dominant, sur lequel l’accord se faisait de plus en plus : la substitution de la propriété sociale, collective ou commune, à la propriété individuelle, source de toutes les oppressions, de toutes les misères matérielles et morales accablant le prolétariat seul producteur de la richesse ; nécessité pour tous les producteurs de se grouper afin d’accomplir cette transformation devant bénéficier à l’ensemble du corps social et pouvant s’entreprendre puisque déjà la concentration de tous les capitaux, de tous les moyens de production et d’échange se trouvait en partie réalisée dans le domaine de l’industrie, du commerce et donnait naissance à une nouvelle féodalité autrement puissante que celle atteinte si gravement en France par les révolutions de 1789 et 1792.
Comme divergences, la tactique à employer, la forme à donner à la future organisation sociale. Elles s’étaient manifestées déjà, sous l’Empire, dans le sein de l’Internationale ; elles devaient s’exaspérer au point de provoquer une grave, irrémédiable scission, au Congrès de La Haye (1872), entre partisans de Karl Marx et de Bakounine. Cette scission allait être funeste à l’Association internationale des travailleurs, plus funeste, plus dangereuse que la loi votée par l’Assemblée de Versailles, car l’armée socialiste se partageait en deux camps violemment hostiles, dont les démêlés troublaient profondément le prolétariat des deux mondes. Cette hostilité est loin d’être apaisée. Il ne nous est pas matériellement possible de retracer, dans ses détails multiples, souvent passionnants, la lutte entre ceux que l’on appelait les autoritaires, les étatistes, groupés autour de Marx et du Conseil général de l’Internationale jusqu’en 1872 siégeant à Londres, après le Congrès de La Haye transféré aux États-Unis, et les collectivistes-anarchistes groupés autour de Bakounine ; il n’est cependant pas inutile d’en indiquer, sommairement, les points essentiels, car ils auront une répercussion par moments très vive, très déterminante, sur l’évolution du socialisme international, plus particulièrement sur l’évolution du socialisme français, même dès les premières années de sa réorganisation, alors que l’union, la convergence de tous les efforts des militants paraissaient si nécessaires.
Les principes généraux qui, au Congrès de La Haye, affirmèrent le programme des partisans de Karl Marx et qui avaient été énoncés très clairement déjà dans le Manifeste du Parti Communiste, tracé avec la collaboration de Frédéric Engels et lancé en 1848, proclamaient la nécessité de substituer à la propriété individuelle la propriété sociale, commune, par l’expropriation de la classe capitaliste détentrice de tous les moyens de production. Dans cette transformation d’un régime propriétaire source de toutes les oppressions, de toutes les misères morales et matérielles, le prolétariat devait trouver son émancipation et là seulement. Il devait donc s’organiser comme classe pour préparer, engager et terminer par une victoire la lutte fatale. La classe possédante, pour maintenir ses privilèges économiques, occupe le pouvoir politique qui met à sa disposition tous les moyens de défense ; il importe, que tout en s’organisant pour une fin économique, sociale, le prolétariat s’organise en vue de conquérir, pacifiquement ou violemment, suivant les circonstances, le pouvoir politique qui mettra à sa disposition tous les éléments nécessaires à la révolution économique, c’est-à-dire à l’expropriation de la classe possédante et à l’organisation d’une propriété commune. Il faut s’organiser fortement, conduire la lutte avec une discipline sérieuse, sous peine de se préparer à des avortements, à des échecs. En un mot, l’État étant la citadelle de la classe possédante, il faut qu’à son tour le prolétariat conquière l’État. C’est une lutte de classe contre classe qu’il importe d’entreprendre et de conduire méthodiquement, sans interruption.
Aussi bien une forte organisation sera-t-elle indispensable au prolétariat, même au lendemain de sa victoire, pour n’en pas compromettre les résultats et donner à la société nouvelle une constitution assurant son fonctionnement régulier.
Sur le principe même de la transformation du régime propriétaire, de la substitution de la propriété sociale, collective, à la propriété individuelle, capitaliste, les anarchistes étaient d’accord avec les marxistes ; mais ils différaient profondément sur la question de l’État et sur la tactique. La pensée qui les dominait et les domine, c’est de donner à l’être humain la liberté sans limites ; de lui assurer son développement le plus absolu tant au point de vue matériel qu’au point de vue intellectuel et moral, sans l’enserrer dans une organisation, même la plus rudimentaire. Pas d’autorité, sous quelque forme que ce puisse être, tel est leur idéal d’une société émancipée. À ce principe, il faut accoutumer le prolétariat, l’humanité entière, en démontrant quotidiennement quelles oppressions, quelles misères engendre l’autorité. Le prolétariat doit marcher à la conquête de sa liberté par la lutte révolutionnaire, mais en se tenant à l’écart de la politique et avec la ferme intention de détruire l’État, ses différents organes : cette abstention de la politique doit se manifester, tout d’abord, sur le terrain électoral.
Au Congrès de Bâle (1869), Bakounine défendant le collectivisme avait dit : « Je vote pour la propriété collective, en particulier de la terre et, en général, de toute la richesse sociale, au moyen de la liquidation sociale.
« J’entends par liquidation sociale l’expropriation en droit de tous les propriétaires actuels, par l’abolition de l’État politique et juridique, qui est la sanction et l’unique garantie de la propriété individuelle actuelle et de tout ce qui s’appelle le droit juridique ; et l’expropriation de fait de tout ce qui sera possible, par la force même des événements et des choses.
« En ce qui concerne l’organisation future, considérant que tout travail productif est avant tout un travail social, nécessairement collectif et que le travail, qu’improprement on nomme individuel, est aussi un travail collectif, parce qu’il n’est possible que grâce au travail collectif des générations passées et présentes :
« Je reste pour la solidarisation des collectivités ouvrières ; je suis un adversaire résolu de l’État et de toute politique bourgeoise ; je veux la destruction de tous les États nationaux et territoriaux et sur leurs ruines l’établissement du Collectivisme, qui doit être implanté sur la terre par l’Association internationale des travailleurs. »
Sur le suffrage universel il s’était ainsi prononcé dans sa brochure l’Empire Knouto-Germanique : « Le suffrage universel, alors qu’il est pratiqué dans une société où le peuple, la masse des travailleurs est économiquement dominée par une minorité détentrice de la propriété et du capital, pour plus ou moins libre qu’elle paraisse, considérée politiquement, ne pourra jamais produire que des élections illusoires, anti-démocratiques et absolument opposées aux besoins impérieux, aux instincts et à la volonté réelle des peuples. »
Dans les Lettres à un Français sur la crise actuelle (1870), il écrivait : «… Je suis ennemi de la révolution par décrets, parce que c’est une conséquence et une application de l’idée de l’État révolutionnaire — la réaction y manœuvrera sous le couvert des apparences de la révolution. Au système des décrets révolutionnaires j’oppose celui des faits révolutionnaires, le seul qui soit efficace, logique et vrai, en dehors de toute intervention officielle ou autoritaire quelconque… »
« Que doivent donc faire les autorités révolutionnaires ? — tout en souhaitant qu’il y en ait le moins possible — que doivent-elles faire pour étendre et organiser la révolution ? Elles ne doivent pas la faire elles-mêmes par décret, ne pas l’imposer aux masses, simplement la provoquer dans les masses. Elles doivent, non imposer aux masses populaires une organisation quelle qu’elle puisse être, simplement provoquer qu’elles s’organisent autonomiquement de bas en haut, travaillant avec l’aide de l’influence individuelle des hommes les plus intelligents de chaque localité, afin que l’organisation soit le plus possible conforme aux véritables principes. — Tout le secret du résultat est là.
« Que ce travail doive rencontrer d’immenses difficultés, qui pourrait en douter ? Mais croit-on par hasard que la Révolution soit chose aisée et qu’elle se peut accomplir sans vaincre de grandes difficultés ? Les révolutionnaires socialistes de notre époque ne doivent pas imiter les procédés révolutionnaires des Jacobins de 1793. La routine révolutionnaire les perdrait. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Il est nécessaire que la Révolution sociale soit précédée d’une tempête révolutionnaire, d’un déchaînement de haine contre la tyrannie, pour préparer l’ordre nouveau, en détruisant dans les esprits et dans les faits tout ce qui a été la partie constitutive de la vieille civilisation. Il est nécessaire qu’une destruction colossale passe sur le monde pour rompre la cohésion administrative, juridique, politique et religieuse ; il est nécessaire que tous les éléments sociaux soient mêlés, confondus, dispersés, que l’axe de la pensée et de l’activité humaines soit changé pour que l’initiative des masses populaires ne rencontre plus que des matériaux épais quand il faudra refaire. C’est ainsi que l’égalité communale, l’organisation fédérative, l’harmonie universelle, le libre essor de tous les êtres remplaceront notre civilisation égoïste, autoritaire.
Dans le Manifeste du Parti Communiste, Karl Marx et Engels, avaient nettement indiqué quel rôle devait s’assigner le prolétariat :
« Le premier acte d’une révolution ouvrière doit être l’élévation du prolétariat au rang de classe dominante, c’est-à-dire la réalisation de la démocratie. Après avoir conquis le pouvoir politique, le prolétariat s’en servira pour arracher peu à peu le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat constitué en classe dominante et pour effectuer rapidement la concentration des forces productrices.
Mais à cette action « autoritaire » du prolétariat nécessitée et justifiée par la série d’efforts à accomplir pour l’œuvre d’émancipation et d’organisation succédait, dans le Manifeste, une vue très nette sur les suites logiques de la victoire et de l’organisation :
« Quand, au cours de l’évolution graduelle auront disparu les différences de classe, toute la production restant concentrée aux mains des individus associés, le pouvoir public perdra son caractère politique, puisque le pouvoir politique n’est autre que la force organisée d’une classe pour l’oppression d’une autre. Quand le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue fortement comme classe et, au moyen de la révolution se fait classe dominante pour, comme telle, abolir, par la force, les conditions anciennes de la production, avec ces conditions de production il supprime les raisons d’être de la différence de classe, les classes elles-mêmes et, par suite, sa propre domination comme classe.
« À la place de la vieille société bourgeoise, avec ses classes, s’établira une association dans laquelle le libre développement de chaque individu, sera la condition du libre développement de tous. »
Les idées anarchistes qui n’avaient pas pris l’acuité dangereuse qu’elles devaient acquérir quelques années plus tard, étaient pour séduire bien des esprits, bien des tempéraments indépendants et impatients, lassés de la politique pratiquée par les politiciens ; elles eurent grand succès parmi les socialistes de race latine et attirèrent d’enthousiastes adhérents en France, en Italie, en Espagne ; il faut le dire aussi, en Belgique, en Hollande, en Suisse où s’exerçait plus directement l’action de ses propagandistes ; elles firent des recrues parmi les socialistes russes et américains.
En France, cependant, il était difficile d’entraîner le monde ouvrier hors de l’action politique, de l’action électorale, le suffrage universel ayant été conquis par le peuple, de haute lutte, à la suite de la Révolution de février et étant sa seule conquête effective. Si l’Assemblée nationale recula devant le vote de nouvelles lois de Mai, devant une tentative de mutilation du suffrage universel, ce fut simplement par crainte d’un soulèvement qui eût entraîné la majorité du pays. Mais les idées de large autonomie, de liberté individuelle poussées jusqu’aux extrêmes limites de la théorie étaient pour attirer l’élément le plus actif de la masse ouvrière et, dans le parti qui lentement se reformait, elles allaient avoir une grande influence, occasionner bien des luttes, bien des dissensions.
Dans son ensemble — le parti anarchiste n’existant pour ainsi dire pas encore en France — tous les socialistes proprement dits étaient d’accord pour proclamer que le prolétariat devait se constituer en un parti distinct, en un parti de classe, afin de poursuivre la conquête du pouvoir politique et par là la conquête de la puissance économique, c’est-à-dire du capital et de tous les moyens de production transformés en propriété sociale. La constitution de ce parti, les uns la voyaient dans une organisation très forte, soumise à une méthode rigoureuse, à une discipline forte, unitaire ; les autres ne la concevaient que dans la fédération librement consentie de toutes les forces socialistes et ouvrières, adoptant une ligne de conduite commune pour les efforts d’ensemble, mais laissant à chaque groupement une suffisante et nécessaire autonomie pour propager et agir suivant les circonstances et les milieux. L’ensemble du parti s’affirmait républicain et déclarait qu’un des premiers efforts devait tendre à l’établissement de la République, seule forme de gouvernement contraint de concéder une certaine part de liberté. La majorité était anti-autoritaire, décentralisatrice ; si elle était attachée au principe d’égalité politique et économique, elle avait un égal culte pour le principe de liberté, aussi peut-on dire que, après le Congrès de La Haye, si la majorité des socialistes français se prononça contre le Conseil général de l’Internationale, elle ne devint pas pour cela anarchiste. Il n’en devait pas moins subsister un germe de discussions et de divisions entre socialistes centralisateurs et fédéralistes, tous restant révolutionnaires.
Toute modeste, chétive que put être la renaissance peu coordonnée du Parti socialiste, elle n’en fut pas moins un sujet d’inquiétudes pour la bourgeoisie de droite, du centre et la fraction de gauche soutenant la politique de M. Thiers. Il n’en fallut pas davantage pour mettre en branle l’action judiciaire armée de la loi contre l’Internationale. En 1873, de nombreux procès, précédés de nombreuses perquisitions et arrestations, eurent lieu à Toulouse, Paris, Lyon, Narbonne, Agen, Grenoble, et les tribunaux se montrèrent fort rigoureux. De la bouche des procureurs de la République tombèrent des réquisitoires que n’eussent pas désavoués les procureurs impériaux. À Paris et à Toulouse, on put même constater jusqu’à l’évidence que parmi les agents les plus actifs figuraient d’ignobles policiers, véritables provocateurs. À Toulouse, le misérable qui avait formé une section très nombreuse, très forte, après avoir capté la confiance du Conseil général ; qui l’avait représentée au Congrès de La Haye, était un agent du gouvernement. Condamné pour la forme, il accomplit sa peine dans une mission de police à Bordeaux.
Mais les progrès du Parti socialiste devaient être entravés par les événements politiques très graves qui se produisaient et aboutissaient à une série de crises dangereuses pour la République.