Histoire secrète d’Isabelle de Bavière, reine de France/2-2

Texte établi par Gilbert Lely, Jean-Jacques Pauvert (Œuvres complètes, t. XXXIp. 212-284).

Isabelle sentit que le premier usage qu’elle devait faire de sa puissance était d’avoir l’air, aux yeux de Valentine, de venger le duc d’Orléans.

À cet effet, on tint un Lit de justice, composé des mêmes personnes qui venaient de paraître. La première chose dont il y fut question fut de réfuter avec force l’infernal discours du cordelier Jean Petit ; on décida, ensuite, qu’à genoux et la tête découverte le duc de Bourgogne demanderait pardon au roi et à la veuve du duc d’Orléans, cérémonie qui serait répétée dans tous les endroits les plus apparents de la ville et principalement où s’était commis le meurtre. On ajouta que les maisons de ce prince seraient rasées, qu’il serait tenu à plusieurs legs pieux, exilé pendant vingt ans, à l’expiration desquels il lui serait défendu d’approcher de cent lieues des endroits où seraient le roi, la reine et la duchesse d’Orléans. Et ici, remarquent avec bénignité nos prudents historiens, on observa que la reine mit plus de chaleur à cette condamnation que la veuve elle-même ; il faut assurément bien peu connaître Isabelle pour ne pas la croire capable d’une dissimulation si nécessaire au succès de ses plans. « Cette animosité, poursuivent ces bénévoles historiens, la justifiait pleinement de tous les soupçons formés tant sur l’un que sur l’autre. » Quelle candeur ! ou plutôt quelle profonde ignorance !

Quoi qu’il en fût, on ne s’occupa plus que de hâter l’exécution du jugement qui venait d’être rendu. C’est de quoi se chargèrent les enfants de Louis ; mais quand il fut question d’agir, que d’obstacles se présentèrent ! et la reine qui avait imaginé cette procédure bien moins pour perdre le duc que pour lui rendre tout l’éclat qu’elle lui désirait, ne manqua pas de lui composer sous main un parti considérable qui fit sentir à quel degré il devenait dangereux de sévir avec autant de rigueur contre un aussi puissant ennemi.

On fit valoir le crédit de ses partisans dans la capitale ; on assura qu’ils se rassembleraient tous à la plus petite certitude qu’on aurait de perdre leur chef, et que les suites de cela devaient nécessairement faire appréhender que le duc disgracié n’entretînt des liaisons secrètes avec les ennemis de l’état.

Mais toutes ces considérations cédèrent aux vives sollicitations de la famille du duc d’Orléans, qui ne cessait de demander avec instance l’exécution de l’arrêt prononcé.

On fit partir en conséquence deux envoyés, dont la mission consistait à déclarer au duc les condamnations portées contre lui, et l’ordre du roi de s’y conformer. Jean répondit avec fierté que, quand il aurait fini la guerre qui le retenait dans le Brabant, son intention était d’aller justifier sa conduite au roi. Pendant ce temps, de nouvelles délibérations se prirent, et, grâce aux savantes manœuvres d’Isabelle, elles ne produisirent qu’incertitudes, frayeurs, contradictions et faiblesse.

Pendant qu’on délibérait à la cour, le duc s’immortalisait à la guerre ; il gagna la bataille de Tongres, où il se couvrit de gloire et mérita la réputation du plus grand capitaine de son siècle.

On ne savait à Paris, comment attaquer un homme qui n’avait qu’à se montrer pour vaincre.

« Portez à la reine, dit le duc à l’un de ceux qu’on avait chargés des ordres de le faire obéir, portez-lui cette branche de laurier, et dites-lui que je ne prétends pas employer d’autres armes pour dissiper dans votre cour tous ceux qui se prononcent contre moi. — Mon prince, répondit Tignonville, que le duc chargeait de cette mission, vous voulez donc que ces lauriers soient teints du sang des Français ? — Qu’ils cessent de vouloir répandre le mien, dit le duc, et je saurai ménager le leur. »

Ces nouvelles consternèrent la cour ; tout frémit excepté la reine. À chaque instant on croyait voir le duc aux portes de Paris, et les habitants n’en devinrent que plus ardents à le protéger s’il venait. Tout se prononça pour lui : des écrits, des placards se multiplièrent dans les rues ; dans les promenades, on n’entendait que son nom retentir au milieu des éloges.

Tout allait au gré des désirs de cette femme perfide lorsque sa sordide avarice lui fit commettre une faute grave.

Au lieu de diminuer les impôts, elle les augmenta et les plaintes devinrent très vives.

Mais entrons un moment dans l’esprit d’Isabelle. Une manière différente d’agir eût peut-être mis son secret trop à découvert. Cette femme, singulièrement dissimulée, crut peut-être devoir perdre un peu dans l’opinion du peuple, pour que le duc y gagnât davantage : cette manière de voir est vraisemblable, mais les suites en pensèrent devenir funestes à celle qui l’avait adoptée. Ce qui paraît néanmoins appuyer notre opinion sur cela, c’est que ce moment de défaveur lui servit de prétexte pour faire entrer dans Paris les troupes dont elle était bien aise que la capitale fût remplie si le duc de Bourgogne y paraissait, comme elle ne devait pas en douter ; et ce qui prouve encore mieux ce que nous venons de dire, c’est que plusieurs amis de la maison d’Orléans pensèrent être massacrés.

Tout était donc en faveur du duc de Bourgogne lorsqu’il crut enfin pouvoir s’approcher de Paris. Son courage et sa parfaite intelligence avec la reine lui en ouvraient assurément les portes ; mais il n’arrivait pas, et ce retard pendant lequel croissait toujours la défaveur de la reine pensa lui devenir fatal — à tel point qu’elle crut qu’il était prudent de quitter une ville où elle attendait en vain celui qui seul pouvait y rétablir sa tranquillité et tout ce qui pouvait l’étayer dans cette nouvelle fuite lui paraissant nécessaire, elle imagina d’emmener avec elle le roi et le dauphin : il fallait, au défaut d’un ami, qu’elle s’entourât d’un époux et d’un fils. Elle partit donc, et ce fut d’abord vers Orléans que ses pas se portèrent.

Le duc de Bourgogne n’apprit pas cette démarche sans voir qu’il ne s’était pas assez pressé ; il se hâta et parut enfin dans Paris, où il fut reçu comme un dieu tutélaire.

Cependant, à la sollicitation du comte de Hainaut, il tenta le parti de la négociation dans laquelle le comte lui-même lui promit de le servir, en allant à la cour si cela était nécessaire. Ses soins n’y furent point infructueux : le roi pour lors dans un intervalle de santé (et cela devait être) écouta favorablement ce que le comte lui disait, et le chargea de retourner à Paris et de terminer tout.

De ce moment, le duc bien instruit des motifs de la reine, et bien sûr qu’elle continuait de le servir, joua devant le comte le ressentiment le plus vif contre Isabelle et surtout contre ceux qui passaient pour lui avoir conseillé cette fuite. On en fit quelques changements au projet du traité, et il fut renvoyé au roi.

Pendant ce temps, la veuve du duc d’Orléans mourut à Blois, en laissant des enfants trop jeunes pour prendre sa défense, et cette mort, trop nécessaire dans les circonstances pour qu’on la crût naturelle, refroidit et dissipa dans un instant les ennemis les plus acharnés du duc de Bourgogne.

Qu’on ne nous accuse pas de vouloir multiplier ici les atrocités d’une femme déjà trop coupable aux yeux de la postérité qui la juge aujourd’hui de sang-froid.

Pour démêler ce qu’elle faisait, partons toujours de ce qu’elle avait fait, ou de ce qu’elle était capable de faire.

Isabelle est maintenant assez connue pour qu’on soit persuadé qu’elle ne résista jamais à rien de tout ce qui pouvait ou consolider des crimes nécessaires à sa passion — ou couvrir ceux qu’elle avait commis.

Or, quel intérêt n’avait-elle pas, ici, de se défaire de la veuve de son ancien amant ? Valentine poursuivait avec chaleur ceux qu’elle soupçonnait de lui avoir fait perdre son époux ; Valentine était complice de toutes les débauches mystérieuses d’Isabelle ; elle était dépositaire de tous ses secrets ; c’était Isabelle elle-même qui l’avait livrée à Charles pour disposer plus librement du duc d’Orléans. Valentine avait coopéré aux maléfices qui avaient occasionné l’affreux état du monarque. Elle pouvait nuire à tout ce qu’on allait faire en faveur du duc de Bourgogne. Que de raisons pour se défaire d’une femme aussi dangereuse ! Isabelle eut donc bientôt décidé de son sort.

« Restez auprès de cette femme à Blois, avait-elle dit à son favori Bourdon[1] ; ne la quittez pas ; pendant que nous serons à Tours, vous me ferez exactement savoir de ses nouvelles par Le Clerc, votre valet de chambre, que vous m’enverrez à cet effet. J’ai pris d’excellentes mesures pour que vous ne soyez pas longtemps chargé de cette surveillance. »

Effectivement, au bout de huit jours, il ne fut plus question de cette malheureuse princesse.

C’est avec peine que nous chargeons Isabelle de ce nouveau crime ; mais est-il possible de le révoquer en doute ? Les simples probabilités que nous avons offertes suffiraient pour convaincre de la part qu’elle eut à cette horreur, sans avoir besoin de la pièce que nous venons de citer pour soutenir cette assertion.

Cependant, les négociations parvinrent à leur but ; la ville de Chartres fut choisie pour y donner les signatures. Le roi, la reine et toute la cour s’y rendirent. Le duc de Bourgogne s’y trouva, seulement escorté de cent gentilshommes, ainsi qu’on en était convenu.

Dès qu’il parut, tout le monde se leva, excepté le roi, la reine et le dauphin.

Le duc s’approcha du trône, et se mit à genoux ; un avocat prononça pour lui sa formule d’excuse. Le roi pardonna. La même cérémonie se fit devant les jeunes princes de la maison d’Orléans, qui d’abord ne répondirent que par leurs larmes, et qui bientôt imitèrent le roi.

Telle fut l’histoire du pacte de Chartres qui fournit à la postérité, d’une part, un exemple bien funeste de tout ce que le crime en crédit peut tenter sans crainte, et fait voir de l’autre tout ce qu’a sans cesse à redouter l’impuissante vertu. Triste fatalité qui ne laisse dans les âmes honnêtes que du mépris pour des triomphes aussi honteux, tandis qu’elle excite l’intérêt le plus vif pour les tristes objets d’une indigne humiliation.

Tout le profit de cette aventure resta donc au duc de Bourgogne, et ici nous demanderons encore une fois s’il n’est pas démontré que jamais Isabelle n’eût réussi dans cette négociation, si Valentine eût encore vécu. Il était donc essentiel qu’elle mourût : or, peut-il y avoir loin de la nécessité à l’effet, dans une tête aussi malheureusement organisée que celle d’Isabelle ?

Mais tout cela devait-il durer ? et le fou du duc de Bourgogne avait-il tort quand il prétendit que cette négociation n’était qu’une paix fourrée[2].

Charles, tranquille en apparence, revint à Paris ; le duc de Bourgogne ne tarda pas d’y rentrer publiquement. Ainsi que la reine tous deux furent parfaitement reçus par le peuple ; et l’intimité des liaisons d’Isabelle avec le duc de Bourgogne, qui depuis longtemps n’avait lieu que par des voies secrètes, put maintenant se suivre avec plus de facilité. Mais quelques événements ayant mis cette liaison trop au jour, la prudente Isabelle crut devoir les couvrir des ombres du mystère.

En conséquence, elle partit pour Melun avec le dauphin, en recommandant au duc de consolider son crédit, et de faire seul à Paris tout ce qu’elle y avait fait elle-même pendant qu’il en était absent. Cette démarche, qui était le comble de l’astuce et de la prudence d’Isabelle, lui composa cependant un tort ; nous apprendrons bientôt le résultat de toutes ces sourdes manœuvres, dans le labyrinthe desquelles il serait possible de s’égarer si l’on en perdait un moment le fil.

La condamnation de Montagu, grand maître des finances et premier ministre, opérée par les ordres du duc de Bourgogne, paraît former une contradiction avec l’intrigue, toujours très vive, entre la reine et le duc Jean : car, assurément, on pourrait dire ici : pourquoi la reine abandonne-t-elle le grand maître ? disons mieux, pourquoi le livre-t-elle (puisqu’il est impossible de douter que cette condamnation ne fût autant son ouvrage que celui du duc de Bourgogne) ? Essayons ce développement.

La reine avait à se reprocher de grandes déprédations dans la régie des finances, et depuis peu Montagu, nullement au fait des nouvelles liaisons d’Isabelle, pour éviter qu’on ne jetât sur lui le blâme de ces déprédations, tenait quelques propos capables de brouiller le duc de Bourgogne avec la reine qui, de ce moment, décida sa perte. Or, cette perte devenait utile à la fois au duc et à la reine puisqu’elle débarrassait Isabelle d’un traître et le duc d’un surveillant incommode. Le malheureux Montagu froissé entre deux autorités qu’il croyait opposées l’une à l’autre, et dont il s’imaginait servir la plus puissante, périt donc victime de toutes deux : exemple frappant pour l’homme de cour qui, cédant au torrent de la fortune, est tôt ou tard rejeté par les vagues dangereuses de ce torrent sur des écueils qu’il méconnaissait, et c’est ce qui prouve que le plus sage parti que puisse prendre un honnête homme est de ne jamais s’immiscer dans les querelles des grands.

Mais d’où venait d’ailleurs l’intérêt qu’avait pris autrefois Isabelle à Montagu ? Le crime en était encore la base. Ce ministre avait été le confident de tous les attentats commis par la reine et par d’Orléans sur la personne du roi : pouvait-il échapper à la mort ? Ne se souvient-on pas des pierres dont Mahomet combla le puits dans lequel il avait fait descendre son complice ? Une particularité singulière du procès de Montagu, c’est que, nageant dans l’abondance, pendant que le roi mourait de faim, il prêtait sur gages à ce malheureux prince. On retrouva, dans sa maison de Marcoussi, tous les bijoux sur lesquels il avait lui-même prêté de l’argent au roi.

Isabelle, ayant toujours le secret de se faire adjuger les dépouilles de ceux qu’elle faisait condamner, n’oublia pas dans cette circonstance de s’emparer de cette belle maison de Marcoussi, dont nous venons de parler, et qui seule, dit un caustique de ce siècle, était devenue la plus forte preuve de conviction du procès.

Se livrant ensuite à toute la férocité de son caractère, Isabelle voulut assister aux derniers moments de sa victime. Assise près d’une fenêtre de la place des Halles où Montagu fut décapité le 17 octobre 1409, elle ne le quitta pas qu’elle n’eût vu voler la tête de cet infortuné et porter son cadavre à Montfaucon, où il fut encore par les ordres d’Isabelle exposé comme un scélérat[3]. Doit-on s’étonner maintenant de voir Montagu sacrifié par le duc de Bourgogne, lorsque ce ministre devenait si dangereux pour cette femme, dont le duc Jean avait chaque jour un aussi grand besoin ?

Le duc de Bourgogne avait beau se déguiser, il était facile de voir qu’il faisait tout pour conserver le cœur de la reine. Il la consultait sur les moindres affaires, comme sur les plus importantes. On voyait qu’il était jaloux d’avoir son opinion et ses suffrages, et qu’il se faisait gloire de suivre ses conseils. Ce fut lui qui arrangea le mariage de Louis de Bavière, frère de la reine, avec une fille de cette princesse. Cet hymen fut célébré à Melun. Tout ceci paraissait avoir pour motif de consoler la reine de l’obligation où elle allait être de rendre le dauphin qui, venant d’atteindre sa quatorzième année, devait de ce moment remplacer son père lorsqu’il était malade.

On sentit en même temps que le peu d’instruction et de capacité de cet enfant obligeait à lui donner un conseil, et le duc de Berri, ayant eu la bonhomie de refuser, on s’adressa au duc de Bourgogne qui, en qualité de beau-père du jeune prince, semblait justifier ce choix. Un dépôt aussi précieux qui devenait la source de toutes les grâces fut, comme on croit, bien promptement accepté par un homme rempli d’avarice et d’ambition, et la reine, toujours d’intelligence avec lui, se félicita d’un ordre de choses qui, en la dégageant de soins incommodes, lui laissait tous les agréments.

Ce fut au Lit de justice tenu dans la grande salle du palais, vers la fin de 1409, que ces arrangements furent pris.

Ici, la reine, beaucoup plus politique que ne le croyaient les historiens de son règne, parut en proie au chagrin et au désespoir, ainsi que nous l’attestent ces bonnes gens, aussi dupes en cela que le furent ceux qui les copièrent : Isabelle était trop adroite pour se conduire d’une manière différente.

La pleine autorité, dont le duc de Bourgogne s’empara pour lors, et le long séjour de la reine à Melun engagèrent les contemporains à parler comme nous venons de le dire, et cela, parce que ceux qui font l’histoire du règne où se sont passés les événements qu’ils décrivent, les transmettent toujours d’après les passions des gens qui les leur racontent, et que ceux qui suivent ne faisant que copier leurs devanciers se rendent nécessairement coupables des mêmes mensonges. Une longue suite d’années fait disparaître toutes ces erreurs ; la main du temps dévoile enfin la vérité qui, succédant aux passions des écrivains ou de ceux qui les ont instruits, ne présente plus que des personnages dépouillés de leurs masques et n’offrant plus à la postérité que les vices dénués du prestige qui avait si cruellement trompé leur siècle.

Certes, il y avait une intelligence trop forte entre le duc de Bourgogne et la reine, pour que celle-ci pût s’affliger de l’immense autorité qu’exerçait le duc, puisqu’elle jouissait paisiblement d’une partie de cette autorité que son compétiteur avait eu tant de peine à reconquérir tout entière, et le beau rôle étant pour la reine, comment ne pas se convaincre qu’elle avait eu l’art de se le donner ?

Il est impossible de s’imaginer à quel point le duc abusa de sa place pour s’enrichir aux dépens de l’état et du peuple : par des impôts arbitraires et par de faux prétextes de dépenses, il usurpait tout ce qu’on fournissait pour ces prétendues expéditions, dont en effet le seul objet était de remplir les coffres du duc et de la reine. Et pour profiter plus longtemps de ces impôts sans les faire servir à l’exécution des projets supposés, à mesure que les choses paraissaient préparées, on les détruisait.

Dans l’intention d’une descente en Angleterre, on avait fait préparer une ville de bois, d’après les anciens plans du connétable de Clisson, laquelle devait, une fois établie sur la plage, servir de retraite ou d’entrepôt aux troupes de débarquement ; cette extravagante invention était un gouffre dans lequel s’engloutissait tout l’argent recueilli pour sa réussite. Dès que la ville fut achevée, on y mit le feu ; de nouveaux fonds sont aussitôt demandés pour la rétablir et disparaissent de la même manière.

« Ce fut moi, dit Bois-Bourdon[4], qui, par les ordres d’Isabelle, fus avec quelques brigands réduire en cendres ces belles constructions, la reine m’ayant déclaré qu’elle ne voulait pas de tout ce qui pouvait nuire aux Anglais. »

Enfin les princes se réunirent à Gien, dans l’intention de se liguer contre le duc Jean et de reprendre l’autorité qu’il envahissait, funeste confédération qui n’était, on devait bien le prévoir, que le signal d’une guerre civile. Le duc de Bourgogne arma de son côté ; et voilà comme insensiblement les furies déroulaient l’étendard sur lequel elles avaient tracé en lettres de sang les mots terribles : Orléanais et Bourguignons.

Il est nécessaire d’observer ici que ce qui fit changer par la suite la première de ces désignations fut le mariage du jeune duc d’Orléans avec la fille du comte d’Armagnac, nom qu’adoptèrent sur-le-champ tous ceux de la faction orléanaise, et dont le beau-père du jeune prince devint le chef, titre honorable sans doute tant qu’il n’eut pour objet, que de venger le plus lâche des crimes.

Le comte d’Armagnac unissait à toutes les qualités du guerrier, celles d’un homme d’état : aussi ne fallut-il que son nom pour faire trembler ses adversaires, dont les motifs étaient bien loin d’être aussi purs.

En un instant toute la France fut sous les armes. Les troupes confédérées accoururent des provinces méridionales sur les bords de la Loire ; l’incendie devint universel et l’aveugle Français, dont le sang ne devrait couler que pour les intérêts de la gloire ou pour la défense de sa patrie, allait en arroser son propre sol, uniquement pour les querelles particulières de deux de ses princes.

Le parti seulement attaché au souverain, prévoyant tous les malheurs qui allaient résulter d’une telle révolution, fit, mais en vain, tout ce qu’il put pour en désarmer les chefs. Jamais cause purement nationale n’eût exalté les esprits comme celle-ci, qui n’intéressant en rien ni la postérité ni la splendeur de cette nation n’avait pour but que de la détruire et de la déchirer.

Le plan de cet ouvrage ne nous permettant pas de suivre tous les fils de cette sanglante époque de l’histoire de France, nous prions nos lecteurs de permettre qu’entièrement circonscrits dans notre sujet, nous ne tracions ces faits horribles, qu’autant que notre héroïne s’y trouvera liée. Il suffit de se rappeler ses rapports avec le chef de la faction qui motivait le crime qu’elle avait fait commettre, pour la supposer prenant toujours en secret les intérêts de ce chef.

Nous l’avons dit, on désirait avec ardeur le désarmement des factieux ; tous les moyens de conciliation possibles avaient été employés sans fruit, lorsqu’on imagina de faire agir la reine, dont les intentions, comme il est facile de le croire, étaient diamétralement opposées à des vues de pacification. En conséquence, elle revint de Melun et s’en retourna deux fois sans espoir, parce qu’au lieu de faire ce qu’on désirait, elle ne travaillait au contraire qu’à aigrir davantage le duc de Bourgogne.

Enfin le roi voulut marcher en personne, pour s’opposer aux querelles des princes, si chaudement servies par leurs partisans, lorsque la reine parut une troisième fois pour tâcher de concilier et de prévenir, disait-elle avec fausseté, les malheurs d’une guerre intestine que la perfide allumait elle seule pour les intérêts de sa cause : car la chute du parti bourguignon, si elle eût lieu, ne mettait-elle pas ses crimes à découvert ?

Cependant, les armées de la confédération s’approchaient. Quand les habitants de Paris les virent occuper Vicestre[5], Gentilly, Saint-Cloud et les villages environnants, ils levèrent mille hommes d’armes pour leur sûreté. Les négociations recommencèrent ; mais rien ne nous indique ici la part que put y avoir Isabelle. Le fait est qu’un traité signé à Vicestre sépara pour cette campagne des armées que la saison et le manque de subsistance obligeaient nécessairement à regagner leurs foyers.

Il s’offrait un moyen bien simple d’étouffer ces troubles dès leur naissance, c’était de déclarer le dauphin régent du royaume ; ce moyen fut proposé dans un Conseil où était la reine ; mais pouvait-elle approuver qu’on revêtit un autre d’une autorité qu’il n’aurait eue qu’aux dépens de celle du duc de Bourgogne ? eût-elle régné avec son fils comme elle régnait avec son amant ? l’un n’eût voulu que le bien, et l’autre ne gagnait qu’au mal… Mais la voix de la nature, ah ! pouvait-elle balancer celle que tous les crimes faisait retentir dans son âme de fer ?

Isabelle était trop adroite pour s’écarter en rien du plan conçu par le duc et par elle, et certes celui que l’on concertait renversait absolument le leur. Le dauphin déclaré régent ne devenait-il pas orléanais ? et la reine n’avait-elle pas dès lors un bien redoutable adversaire ? en outre, comment sa complicité ne serait-elle pas promptement découverte si le parti d’Orléans venait à triompher ? Son fils, pouvait-on objecter, serait-il devenu son accusateur ? cela n’était pas vraisemblable ; mais ne s’empresserait-il pas au moins de l’éloigner dès qu’il aurait connaissance de son crime ? Il pouvait rester enseveli : jamais aux yeux d’un prince qui, une fois muni de l’autorité, avait dès lors tant de raisons de rechercher la vérité.

Isabelle rejeta donc toute idée de régence ; le duc de Berri soutint hautement ce qu’Isabelle n’osait appuyer qu’en tremblant ; mais, quoi qu’il en fût, le projet de la régence fut totalement écarté, et la santé du roi s’étant momentanément rétablie (le cas l’exigeait), on n’eut plus l’air de s’occuper du dauphin, d’autant plus que les ordres de Charles enfin exécutés, séparèrent encore une fois les parties belligérantes.

Le jeune duc d’Orléans, ne pouvant soutenir sa cause par les armes, réclama du moins la justice du souverain, et comme il ne s’agissait ici que de perdre le duc de Bourgogne, la reine crut devoir ménager d’Orléans, pour parvenir à une apparente réconciliation que son projet était de rompre, dès qu’elle en aurait cru le moment favorable ; mais ici, sa politique et ses intentions échouèrent, et le duc Jean prévenu se tint sur ses gardes.

De ce moment, les factions plus acharnées que jamais armèrent chacune de leur côté. La France était remplie de guerriers qui couraient se ranger sous leurs bannières respectives et qui sans autre cause qu’une inconvenable frénésie, consentaient à s’égorger mutuellement, non pour leur prince ou pour leur patrie, mais pour des querelles qui n’intéressaient aucun d’eux, et auxquelles ils n’entendaient rien.

N’en doutons point, il est des époques où les hommes ont besoin de se détruire : mus comme les éléments qui y coopèrent, il faut qu’à leur exemple ils aident à ce malheureux entraînement vers la désorganisation, qui n’est elle-même qu’une régénération à laquelle nous nous soumettons malgré nous, parce que la nature qui nous y contraint serait nécessairement outragée par la stagnation de l’apathie.

Mais qui fomentait tous ces troubles ? la seule Isabelle. Ah ! plus les faits qui la regardent se développeront à nos yeux, plus nous nous convaincrons que la main qui secouait sur la France les serpents de la discorde n’était autre que celle de cette femme atroce.

Tout s’embrase : les Parisiens exaspérés courent en armes au palais, et demandent à grands cris que le dauphin soit nommé régent. Une rechute du roi paralyse encore ces démarches.

Le duc de Bourgogne triomphe ; les Orléanais sont proscrits, les chaînes se tendent, des corps de garde se posent, les portes se ferment. Nul individu n’entre dans la ville ou n’en sort sans être fouillé ; seuls des démons armés de glaives et de poignards circulent dans ces rues désertes, qu’ils vont teindre du sang que leur férocité va répandre.

Le duc de Bourgogne s’affermissant de plus en plus fait nommer le comte de Saint-Paul gouverneur de Paris, moyen bien plus fait pour irriter le mal que pour le calmer.

Le premier soin de ce zélé partisan du Bourguignon est de se créer une milice à lui, composée des bouchers, des écorcheurs et d’autres individus nés dans le sang et qui, par état, ne devaient pas s’effrayer d’en faire couler des veines de leurs malheureux concitoyens.

Cette redoutable phalange toujours exaltée par Isabelle et par son héros, remplit la ville de pillages, de massacres et de vengeances particulières. Voulait-on se délivrer d’un ennemi, il suffisait de le désigner sous le nom d’Armagnac aux adversaires de ce parti : s’il ne tombait pas à l’instant sous le glaive de leurs lois arbitraires, des chaînes, plus douloureuses que la mort à laquelle il n’échappait que pour mieux assouvir la cruauté de ses bourreaux, le captivaient dans le fond des cloaques infects toujours entrouverts sous ses pas. Bien souvent même la perte des victimes de ces proscriptions se consommait sans aucune formalité, et les mêmes armes dont les bouchers immolaient leurs taureaux s’enfonçaient à l’instant dans le sein de leurs proies au milieu des rues, dont les ruisseaux encombrés d’entrailles palpitantes et de sang encore tout fumant assimilaient tous les quartiers de la ville à des arènes d’abattoirs.

Isabelle, parcourant ces rues infectées, excitait elle-même les monstres qui les jonchaient de cadavres et promettait des récompenses à ceux qui par plus de rage, d’acharnement ou de recherches dans les supplices feraient preuve d’une plus grande férocité, et sa main qui encourageait le crime désignait en même temps les infortunés qui devaient lui servir d’aliment ; mais elle avait le soin perfide de ne présenter à la mort que ceux dont les dépouilles pourraient l’enrichir davantage : plus l’or qu’elle entassait chaque jour dans Melun se trouvait terni de sang humain et plus il lui plaisait. À ce genre de victimes se joignaient toujours celles dont elle craignait les délations : « Frappez, disait-elle, en montrant celles-ci ; ne voyez-vous pas que ces gens sont coupables ?… Sans doute ils le sont, ajoutait-elle bas, ils le sont puisqu’ils pourraient prouver que je le suis. »

Ô mânes du malheureux d’Orléans, vous vous élevâtes, dit-on, sur les flots de sang dont cette mégère essayait de couvrir le vôtre ; mais elle vous repoussa par les mêmes massues dont elle vous avait fait assommer, et rejeté dans les enfers par la profonde horreur qu’elle vous inspira, vous fûtes dire aux esprits infernaux qu’il existait encore dans le monde une femme plus méchante qu’eux !

Isabelle dont le premier désir était de voir la maison de Lancastre sur le trône de France, dans l’espoir de tout faire par les soins d’un roi qui serait son ouvrage, engagea le duc de Bourgogne, à s’étayer des forces de l’Anglais toujours attentif à profiter de nos troubles, et sur la demande du duc Jean on lui envoya aussitôt soixante mille hommes.

La reine, pénétrée du besoin de resserrer les nœuds d’une telle alliance, conseilla vivement au duc de proposer une de ses filles au prince de Galles. Henri avait d’abord désiré de marier cet héritier de la couronne d’Angleterre avec une fille de la reine, mais les troubles avaient anéanti ces résolutions ; et dans le fait, en donnant une des filles de Charles VI au prince de Galles, pendant les crises qui venaient d’ébranler le royaume, la France rendait nécessairement son alliée médiatrice, et de ce moment les deux instigateurs des troubles n’étaient plus maîtres de leurs actions : tandis que l’alliance simplement faite avec le duc de Bourgogne ne devait plus protéger que lui, et cette combinaison, chef-d’œuvre de la politique d’Isabelle, les rendait bien plus puissants l’un et l’autre.

Mais pourquoi les historiens ne nous rendent-ils pas compte de ces faits si capables de jeter du jour sur le dédale obscur des négociations de ce siècle ? C’est qu’ils n’ont aucune connaissance du Cabinet des Cours, encore moins de l’esprit de ceux qui y dominent, et qu’ils n’ont pu compulser, ou par négligence, ou par défaut de moyens, les pièces que nous avons vues.

Voilà en un mot ce qui serra les nœuds d’une alliance si contraire à celle que devait naturellement désirer le parti du roi.

Toujours plus dissimulé que jamais, le duc de Bourgogne, malgré les forces immenses que les Orléanais faisaient journellement avancer, voulait persuader à Charles un attachement qu’il était loin d’avoir. Malgré cela, disons-nous, Jean paraissait sur la défensive, et ne prit réellement la physionomie contraire que quand il lui parut indispensable d’arrêter les progrès de son ennemi. Ce fut alors que de concert avec Isabelle il comprima le roi dans Paris, à tel point qu’il devenait impossible à ce malheureux prince de ne pas embrasser le parti bourguignon : Charles le fit ; et cet exemple fut aussitôt suivi de toute la capitale.

Ce fut donc par ce puissant ressort de la politique la plus raffinée que le duc, d’un côté par l’alliance qu’il venait de faire avec l’Anglais, de l’autre par les chaînes dont il entourait Charles VI, trouva le secret d’avoir les deux monarques pour lui.

Mais quelque adroit que fût le Bourguignon, jamais sans le secours d’Isabelle il n’eût assurément réussi dans cette double entreprise, du fruit de laquelle les deux traîtres allaient jouir, lorsque la défection des milices flamandes, forçant le duc à quitter un instant la partie, laissa le champ libre aux Orléanais qui en profitèrent aussitôt pour marcher vers Paris. La reine venait d’y entrer, convaincue que sa présence auprès du roi rendrait à son protégé toute la force que venait de lui enlever le choc inattendu des circonstances. En cela consistait son unique objet, sans doute, et non pas à se rattacher au parti d’Orléans, comme ont encore osé le dire d’ignares historiens. D’ailleurs la reine joignait trop d’esprit à la fermeté de son caractère, pour ne pas sentir qu’une conduite versatile la perdrait infailliblement. Cependant, disent ces compilateurs mal instruits, la présence de la reine à des Conseils Orléanais déplut tellement au parti bourguignon qu’on la retint captive dans son propre palais.

Quelle inconséquence ! et comment avancer de telles erreurs ?

En supposant que la reine eût communiqué avec les Orléanais, avant que d’entrer à Paris, sur quoi ceux-ci pouvaient-ils se fonder, tant qu’ils étaient retenus hors de l’enceinte de cette ville ? Et comment les Bourguignons pouvaient-ils douter de la reine, dont ils connaissaient si bien les sentiments, et qui, si elle ne les eût pas eus, se serait du moins trouvée contrainte à les feindre par politique, puisqu’on avait eu l’art de les faire embrasser à la cour ?

Qu’il est pénible d’être toujours obligé de contredire quand on ne voudrait que narrer. Mais le pourrions-nous avec fruit, si nous ne réfutions à chaque ligne toutes les inepties que les historiens nous transmettent sur un règne si intéressant et si mal connu d’eux.

Les Orléanais marchèrent enfin vers la capitale. Maîtres de Saint-Denis que leur abandonne le prince d’Orange qui y commande, et de Saint-Cloud qu’une trahison leur livre, ils sont à la veille d’entrer dans Paris. Le duc d’Orléans en fait prévenir le roi, mais la haine du petit peuple pour tout ce qui porte le nom d’Orléanais ou d’Armagnacs était si grande qu’on repoussa durement cet avis.

« Qu’il vienne, disaient arrogamment les chefs de cette vile populace, toujours aux ordres d’Isabelle et de Jean ; qu’il approche s’il l’ose et nous le recevrons avec les mêmes armes qui ont tué son père. »

On ne cessait de persuader au roi que le duc d’Orléans en éteignant la dynastie régnante voulait à jamais fixer la couronne dans sa famille, et cette opinion plus ou moins fondée ne servit qu’à irriter davantage l’un et l’autre parti.

On commença par anathématiser tous ceux qui tenaient à une faction à laquelle on supposait des vues si ambitieuses : or, était-il vraisemblable alors, comme on a osé le dire, que la reine eût voulu changer d’opinion ? quelle supposition gratuite et ridicule ! Nous avons démontré plus haut la fausseté et l’impossibilité de ce changement.

Bientôt les chaires retentirent d’invectives contre les Armagnacs, et ce fut au nom de Dieu qu’on voulut prouver qu’un fils avait tort de vouloir venger la mort de son père ; ce fut du sein de ces tribunes, destinées à la parole du Seigneur, que s’échappèrent des conseils de meurtres, de vol, de pillage et d’atrocités !

Être des êtres, savaient-ils donc vous adorer, ceux qui vous faisaient parler ainsi ?

Les Orléanais répondirent de la même façon et les deux partis s’invectivèrent en cherchant à s’emparer d’une autorité dont chacun jouissait à son tour. Plût au ciel que ces frénétiques en fussent restés là !

Enfin, les livrées s’arborèrent. Les Armagnacs se distinguaient par une écharpe blanche, dont un de leurs bras était enveloppé. Les Bourguignons prirent la croix de Saint-André, soutenue d’une écharpe rouge : on sait que ces malheureuses distinctions furent dans tous les temps les signaux du combat.

Le duc de Bourgogne, vivement sollicité par la reine et par le dauphin, arriva bientôt au secours des Parisiens, qui venaient de faire deux sorties infructueuses. Il conduisait avec lui le corps d’Anglais que lui avait promis le roi de cette nation ; en traversant Pontoise, il courut le risque d’être assassiné par un homme que ses officiers saisirent, et qui s’avoua Orléanais. Il sera bon de se rappeler cette circonstance propre à nous donner quelques lumières sur des faits qui nous occuperont bientôt.

Jean sans Peur entra donc dans Paris à la tête de quinze mille chevaux et y fut reçu aux acclamations générales du peuple, dont la joie fut néanmoins troublée quand on vit les escadrons anglais mêlés aux troupes françaises. Il y eut même à cause de cela quelques difficultés pour les logements ; mais ces phalanges insulaires que les bons habitants de Paris voyaient avec peine ne déplaisaient point à Isabelle. Connaissant toutes les raisons qui la portaient à les désirer, on cessa d’être surpris du plaisir qu’elle avait à les voir.

D’Arundel qui conduisait cette troupe soupa le même soir avec la reine.

« Comte, lui dit cette princesse, c’est une bien véritable satisfaction pour moi de voir vos braves Anglais soutenir la valeur de nos troupes. Il n’est peut-être pas très éloigné l’instant qui réunira pour toujours ces héros sous les mêmes étendards : comptez éternellement sur mes soins pour en hâter l’époque. Deux peuples aussi valeureux ne doivent faire qu’une même nation, qu’un même roi doit toujours gouverner.

— Madame, répondit le général, il serait possible néanmoins que vos vues ne s’accordassent pas avec la véritable politique de mon gouvernement. Dans l’état actuel des choses, la Grande-Bretagne est un royaume ; que le souverain, qui en occupe le trône, devienne roi de France : de ce moment, l’Angleterre n’est plus qu’une province, une partie intégrante de l’empire. Croyez-vous que cette seconde place puisse plaire à l’orgueil anglais ? — Eh bien, Monsieur, dit la reine, que votre souverain reste à Londres, nous deviendrons provinces conquises ; la moitié de la France n’est déjà plus digne que de ce titre, et le rang que nous occuperons alors dans l’Europe vaudra bien celui que nous y tenons aujourd’hui sous un prince incapable de régner. La Gaule s’honorait autrefois de dépendre de Rome, et la gloire qu’une nation ne peut acquérir seule ne perd rien de son lustre, quand elle est partagée avec la première puissance du monde. — Mais vos enfants, Madame, destinés à porter un jour la couronne de France ? — Les lys perdent-ils leur éclat pour être éclairés par le flambeau du jour ? Elle est illusoire cette couronne dont vous me parlez ; mes fils alliés aux princes de votre nation en porteront une plus réelle. Vous voyez donc que, dans ce que je vous propose, leur gloire me touche autant que la vôtre. Eh ! ne vaut-il pas mieux vaincre avec l’Angleterre que d’être soumis par elle ? Des titres et des honneurs leur appartiendront dans le premier cas ; ils n’ont que des fers à espérer dans le second. Et j’aime mieux être la mère d’un héros que celle d’un esclave. »

Et voilà comme raisonnait cette femme ambitieuse et vindicative, faisant bien voir en ce moment à quel point l’excès des passions nous aveugle même sur nos propres intérêts, puisque Isabelle s’avilissait en voulant s’élever et déshonorait par un faux orgueil la nation au-dessus de laquelle le ciel ne l’avait élevée que pour punir les hommes.

Le comte d’Arundel sans rien répondre prononça son serment de fidélité aux pieds de la reine et du duc de Bourgogne, et on le conduisit au roi, qui l’embrassa comme son libérateur.

Un édit de ce prince fut aussitôt lancé pour enjoindre à tous ses sujets de s’armer contre le parti d’Orléans : par ce moyen, la moitié de la France fut livrée à l’autre, sous les ordres du plus grand ennemi de toutes deux.

Peu à peu la désertion se mit dans le parti Orléanais. Les Anglais, qu’ils avaient appelés à leurs secours, se retirèrent, et toutes les apparences devinrent favorables aux Bourguignons. Mais quels triomphes ! Il n’était pas un seul de ces petits combats qui ne coûtât du sang aux Français, tant d’un côté que de l’autre ; lui seul inondait toujours le sol de nos campagnes.

Ce fut dans ces cruelles circonstances qu’éclatèrent l’avarice et la férocité du duc et de la reine. Il ne se faisait pas un seul prisonnier qui ne fût à l’instant massacré : son or, à la vérité, le sauvait quelquefois, mais ce n’était qu’au prix le plus exorbitant qu’il parvenait à racheter sa vie. Ne pouvait-on payer ? le bourreau était là ; ami et protégé du duc de Bourgogne, l’effrayant personnage exécutait à l’instant les ordres qu’il recevait de son maître. On les voyait souvent parcourir ensemble tous les quartiers de Paris, en se tenant sous le bras et causant avec la plus grande familiarité.

D’un autre côté, Isabelle soudoyait, caressait, encourageait les chefs de la sanguinaire faction qui la servait si bien.

Réunissant aux Halles les Saint-Yon, les Gouax, les Caboche, les Thibertz et tous ces vils satellites de sa férocité, on la voyait le regard enflammé, les cheveux en désordre, haranguer cette populace qui multipliait journellement auprès d’elle tous les crimes dont elle composait ses délices.

« Braves défenseurs de la couronne, disait-elle avec énergie, c’est de vous seuls que la France attend son destin, c’est à vous seuls que le roi veut devoir ses jours et le dauphin son trône ; secondez mes efforts et nous triompherons bientôt de ces lâches ennemis, qui sous le spécieux prétexte de la vengeance, se livrent par ambition à toutes les horreurs qui souillent votre malheureuse patrie. C’est la mort d’un père que veut venger un fils respectable, osent-ils vous dire, qui leur met les armes à la main. Ah ! descendez un moment avec moi dans le fond de leurs cœurs, vous n’y verrez pour stimulants des forfaits qu’ils commettent que l’avarice, l’ambition et le régicide. C’est la couronne qu’ils veulent pour leur chef et non la mort de celui auquel ils attribuent celle du duc d’Orléans : c’est au fils de ce déprédateur, unique cause de tous les fléaux qui vous écrasent, qu’ils veulent confier le spectre des Français dans le vain espoir où ils sont de trouver la fortune pour prix de leurs honteux services.

« Qu’il y a loin de ce qu’ils sollicitent de vous, à ce que j’en exige ici ! les malheureux, ils veulent des crimes, et je ne vous demande que des vertus ; ils veulent l’infortune ou la vie de leur roi, et je ne vous demande que son bonheur et son existence. Le nom de ces traîtres souillera quelque jour notre histoire, tandis que les vôtres inscrits aux fastes de l’immortalité ne doivent offrir à ceux qui nous suivront que des exemples de courage et des modèles d’héroïsme.

« Rappelez-vous les délits monstrueux de celui qu’ils prétendent venger, et vous verrez si les fils d’un tel homme sont faits pour vous gouverner. Combien de fois n’avez-vous pas vu le scélérat, qu’ils divinisent aujourd’hui, ourdir d’affreux complots contre les jours et contre la raison de celui qui vous chérit comme ses enfants, et qui n’attend sa tranquillité que de vous. Songez, braves Parisiens, qu’en servant la cause des ennemis de votre monarque, vous attireriez infailliblement sur vous la colère du ciel qui remet en vos mains le soin honorable de rendre à votre maître légitime tout ce que voudrait lui faire perdre cette tourbe insolente connue sous le nom d’Orléanais. Ô mes amis ! que de malheurs deviendraient le résultat de votre faiblesse à protéger notre souverain ! Regardons un moment ensemble l’effrayant tableau de ces misères : voyez, si vous le pouvez sans horreur, voyez les atrocités dont ces vils assassins vont souiller vos murs, si vous les laissez pénétrer ; ces demeures parisiennes où reposent ce que vous avez de plus cher au monde, voyez-les devenir la proie des flammes d’où s’échappent à peine vos femmes et vos enfants, pour trouver près de là une fin plus cruelle encore. Voyez-les, palpitants sous les massues de ces misérables, tourner vers vous de derniers regards où se peignent les reproches mérités qu’ils vous adressent de les avoir si mal défendus, et n’offrant bientôt plus que leurs membres épars, flottant sur les ruisseaux de sang qui coulent sur le sol de votre malheureuse cité.

« Eh ! sortez de l’apathie qui retient votre courage, et pour quelques faibles dangers bien incertains, ne vous préparez pas le spectacle hideux des malheurs que Dieu décernerait sans doute à votre coupable inactivité. Oui, certes, ils sont illusoires ces dangers que ma tendresse pour vous paraît craindre un moment, ils sont chimériques et jamais la victoire ne cessera de couronner la bonne cause. Enlevez de sa main les lauriers qu’elle vous présente : vous les offrirait-elle si vous étiez des lâches ? Vos fronts en seraient-ils ornés d’avance, si vous n’étiez pas sûrs de les mériter ? Ah ! je lis vos succès dans vos yeux. Surtout ne soyez pas plus sensibles que ceux qui vous attaquent : les avez-vous vus quelquefois se rendre à la pitié ? Le seul sentiment qui les anime est celui de la rage ; opposez-leur celui d’une légitime vengeance et frappez sans miséricorde ceux qui ne vous ménageraient pas, s’ils parvenaient jamais à vous vaincre… Vous vaincre !… Vous ?… que dis-je des héros conduits par le sentiment de l’honneur et par l’amour de leur prince peuvent-ils donc jamais être vaincus ? Regardez-les ces faibles ennemis, uniquement guidés par la scélératesse : dans leur contenance incertaine se lit déjà leur défaite ; ce ne sont plus des armes qu’il faut pour les abattre, ils disparaîtront à votre vue : le crime soutient-il l’aspect de la vertu ? Si votre sang enfin coule dans les combats, ce sera celui du juste, quand vous ne ferez jaillir que celui de l’impie, et ce sang précieux que vous allez offrir à Dieu vous deviendra près de lui des titres bien certains aux palmes éternelles, dont aux pieds de son trône vos fronts victorieux seront couronnés par ses mains. »

De semblables discours tenus par une femme aussi belle que fière, et prononcés avec cette chaleur, cette véhémence, qui caractérisaient toutes les actions d’Isabelle, séduisirent sans peine des hommes faibles, abusés, et produisirent sur ces âmes corrompues l’effet des laves volcaniques, embrasant tout ce qu’elles rencontrent. On ne connut bientôt plus d’autre gloire à Paris que celle de servir une femme à qui la nature accordait avec tant de profusion l’art d’entraîner et d’enflammer les cœurs.

Mais la saison s’avançant, les Orléanais se retirèrent et ce fut dans cette marche rétrograde qu’ils apprirent que la reine avait nouvellement changé ses trésors de place, qu’ils étaient maintenant déposés dans l’abbaye de Saint-Denis, où le comte d’Armagnac les pilla lui-même. C’est ici que nous demandons à ceux qui ont soutenu que la reine était toujours restée fidèle au parti d’Orléans, comment il se peut faire que ce parti eût été piller ses trésors. Pourquoi donc ne pas toujours s’armer de convictions quand on veut avancer un fait ? et pourquoi, contre toute vraisemblance, vouloir soutenir des absurdités si prodigieusement démontrées telles par le bon sens et surtout par la vérité ?

Isabelle furieuse envoya Des Essarts, prévôt de Paris, prendre l’abbé de Saint-Denis, et le fit jeter dans un cachot, d’où il ne put se délivrer que par une forte rançon, qui dédommagea tant soit peu la reine de la perte énorme qu’elle venait de faire.

Dès que par la retraite des Orléanais les campagnes environnantes furent évacuées, les Bourguignons s’y répandirent, pillant, égorgeant, sans distinction d’âge ni de sexe, tout ce qui se présentait à eux, et cela sous le seul prétexte d’avoir logé des Orléanais. Les chemins, les villages, les champs, tout était couvert de cadavres, qu’on ne prenait seulement pas la peine de couvrir. Ce qu’épargnait le fer du soldat devenait à l’instant la pâture de son avarice sordide, ou de sa brutale obscénité.

Une jeune fille du village de Stein, près Saint-Denis, ayant refusé de dire où étaient cachés son père et sa mère, fut à l’instant déshonorée par ces monstres qui l’égorgèrent après, sur le corps même de ses parents, dès qu’ils en eurent découvert la retraite.

Tels étaient les excès auxquels se livraient des hommes naturellement doux, mais égarés par des intérêts qui ne les touchaient en rien et qui, cependant, leur paraissaient assez chers pour y sacrifier leur fortune et leur vie.

Peu de jours après, Charles fut à Notre-Dame rendre grâce au ciel, dit Voltaire, de ce qu’une partie de sa nation venait d’égorger l’autre.

Les Orléanais, retirés à Tours, négocièrent avec l’Angleterre. Rien de bas et d’odieux comme les clauses du traité en vertu duquel ils achetaient la protection et les secours de Henri : non contents de lui céder la moitié de la France, ils se soumettaient à la condition honteuse de vassaux de ces insulaires. Ils faisaient donc absolument ce qu’on vient de voir faire à la reine, preuve bien certaine que les deux partis n’avaient absolument d’autre but que de démembrer le royaume et d’en avilir les sujets. De quels remords doit être dévoré le cœur d’un Français qui peut s’abaisser jusque-là !

Henri allait donc passer en France lorsque le duc de Bourgogne pressa l’exécution de cette infamie, et par de plus affreuses sans doute.

La campagne suivante commença de bonne heure, et le roi en s’avançant vers Bourges, dont il voulait faire le siège, fit des recrues très considérables.

À travers tout cela, il n’était pas possible de ne point s’apercevoir que l’existence du dauphin gênait et contrariait la reine : les sentiments maternels devaient nécessairement avoir peu d’empire dans un cœur gangrené de vices et particulièrement dominé par ceux qui s’accordent le moins avec ces doux mouvements de la nature. D’ailleurs, le dauphin n’était nullement l’homme qu’elle destinait au trône sur lequel il lui tardait de voir un Anglais. Nous avons déjà expliqué les motifs d’une conduite qui lui valut avec tant de raison la qualification de marâtre.

Le jeune prince avait suivi son père au siège de Bourges, et ce fut là que l’on tenta une seconde fois de l’enlever ; mais cette entreprise, trop précipitée, n’eut point le succès qu’on en attendait. Les coupables furent punis, et s’ils avaient révélé les noms de ceux qui les faisaient agir, celui de la reine aurait sûrement figuré à leur tête. Ce qui pressait Isabelle dans l’exécution de ce dessein était la certitude qu’elle avait de tous les soins qu’on employait pour travailler l’esprit de son fils, en lui faisant journellement sentir que dans tout ce qui se tramait, le duc de Bourgogne agissait bien plus pour ses propres intérêts que pour ceux du roi, et qu’il ne lui convenait pas, à lui, héritier présomptif de la couronne, d’embrasser ainsi des querelles particulières.

Ces réflexions, si elles eussent été goûtées, pouvaient infiniment nuire aux affaires de la reine et devaient naturellement la presser d’exécuter le projet de faire enlever son fils ; mais cette perfide intention ayant échoué, le rapprochement des partis sembla nécessaire. Le duc de Bourgogne eut à cet effet une entrevue avec le duc de Berri, qui commandait les Orléanais dans Bourges, et là se signa un traité de paix entre les princes, à peu près semblable à celui qui s’était fait à Chartres depuis quelques années. On convint de renoncer de part et d’autre aux dénominations distinctives d’Armagnacs et de Bourguignons ; les hostilités furent interrompues et l’on se prépara au voyage d’Auxerre, où devaient se rassembler les princes de l’une et l’autre faction.

Isabelle voyant ses projets manqués essaya de les renouer, et par le moyen de ses négociations secrètes avec la Grande-Bretagne, d’accord avec le duc de Bourgogne à qui déplaisait souverainement le traité de Bourges, elle attira dans le royaume les Anglais qui, sous les ordres du duc de Clarence, ravagèrent toutes les provinces par lesquelles ils passèrent jusqu’en Guyenne, où le comte d’Armagnac également mécontent du dernier traité les servit et facilita leur retraite.

Enfin une nouvelle réunion dans Auxerre eut lieu : les princes rivaux s’y trouvèrent, mais le jeune duc d’Orléans, qui ne dissimulait point sa méfiance, n’y parut qu’à la tête de deux mille hommes d’armes, précaution dont s’offensa le duc de Bourgogne.

« Il n’y a plus à balancer, écrivit-il à la reine[6] si nous ne prenons l’initiative, ces gens-là vont nous écraser. La meilleure façon de ne plus craindre ses ennemis est de se défaire à la fois de tous ; adoptez mon plan, et demain nous sommes les maîtres. La mollesse des ducs de Berri et de Bourbon peut nous être encore plus fatale que l’insolent orgueil que le jeune duc nous étale ici. Le comte des Vertus, son frère, ne se séparera point de lui ; ces gens-là nous feront la loi si nous ne nous hâtons : il faut qu’ils périssent tous à la fois, le même jour et à la même heure. Tout est disposé pour la réussite de ce coup hardi, et c’est sur le prévôt Des Essarts que j’ai jeté les yeux pour l’exécution. Il m’a tout promis ; mais je ne lui trouve pas la fermeté que je désirerais au chef d’une telle entreprise ; je le crois timide et ce n’est pas ce qu’il nous faut. Bois-Bourdon et Le Clerc, son valet de chambre, nous seront très utiles, dites-leur tout ce qu’il faut pour les encourager et les persuader : ce talent est le vôtre, je ne connais personne qui y réussisse mieux que vous. Vous savez qu’il y a des circonstances où il faut savoir tout risquer. Peut-être eussé-je bien fait de corrompre les deux mille hommes que d’Orléans traîne insolemment à sa suite : mais cela nous ferait perdre du temps, et pourrait même être dangereux, nous avons tant de traîtres à redouter ! J’irai vous trouver ce soir quand tout le monde sera retiré, afin de convenir de nos derniers moyens. Que Le Clerc remplace l’huissier de votre chambre, et que son maître soit avec vous. Comptez toujours sur ma prudence, sur mon courage et sur l’indissolubilité des liens qui nous unissent. »

Tout s’arrangea le soir même chez Isabelle, rue Barbette, et dès le lendemain il ne devait plus exister un seul des personnages désignés dans cette lettre ; mais Des Essarts eut horreur d’une telle conspiration, et il devint traître, n’osant être complice. Sans compromettre le duc de Bourgogne ni la reine, il fit prévenir les princes du danger qu’ils couraient, et tout manqua.

« Ce lâche a été effrayé, écrivit Isabelle au duc Jean[7], mais souvenez-vous qu’il périra. Patientons : il y aurait peut-être de l’imprudence à s’en défaire aussi promptement qu’il le mériterait. »

En attendant, les conférences continuèrent, la dissimulation l’exigeait, on convint de tout pacifier et principalement de réunir ses forces pour s’opposer à de nouvelles tentatives de la part des Anglais. Le mariage du comte des Vertus avec une fille du duc de Bourgogne fut regardé comme le sceau de la réconciliation générale, et l’on se sépara, après quelques fêtes où se prodiguèrent les plus tendres assurances d’une réconciliation sincère dont personne ne fut la dupe. Au retour, les princes s’arrêtèrent quelque temps à Melun, où la reine les reçut avec la même hilarité qu’ils affichaient tous. On sait qu’à cette époque elle eut plusieurs entretiens secrets avec le duc de Bourgogne, et ce fut aussi là que se renouèrent une partie des anciens projets, dont nous verrons bientôt l’exécution. Pour donner plus de force enfin, et à cette apparence de réconciliation, et au prestige trompeur dont il fallait l’environner, ainsi que les princes ennemis avaient, d’après l’usage de ces temps, partagé leurs chevaux et leurs lits, ils partagèrent, dit-on, les faveurs d’Isabelle. Pour la première fois de sa vie cette femme, dit Bois-Bourdon[8], eut l’air de se refuser à cette dépravation ; mais le duc Jean lui ayant persuadé que l’intimité dans laquelle ce moment allait la mettre avec le jeune duc d’Orléans lui dévoilerait ses plus secrets sentiments, elle crut pouvoir tout vaincre pour l’intérêt de la cause commune, et sa pudeur fort chancelante s’immola sans remords à son ambition très enracinée. Ainsi, cette femme incestueuse et perfide osa serrer dans ses bras le fils de celui, qu’avec de telles amorces, elle avait fait tomber sous ses coups.

Le jeune prince rempli de cette noble confiance, partage des belles âmes, croyant trouver de la franchise où il n’y avait que de l’art, et de l’amour où il n’y avait que de la fausseté, céda comme les compagnons d’Ulysse aux sirènes, qui ne les attiraient que pour les perdre. Les grâces que le dauphin fit accepter au duc d’Orléans prouvèrent que personne n’avait dû être longtemps la dupe de tout ce qui venait de se faire, et les deux partis désabusés reprirent bientôt, avec leurs premières impressions, tout ce qu’elles pouvaient inspirer de méchanceté chez les uns et de méfiance chez les autres.

Des Essarts, dont nous venons de voir les torts envers le duc Jean, tâcha de gagner les bonnes grâces du dauphin, mais la reine avait juré sa perte, et ce fut cette fausse démarche qui en précipita l’instant : nous y reviendrons.

Tout annonçait une nouvelle rupture : on ne rendait point aux Orléanais les biens qu’on leur avait pris ; le duc de Bourgogne et la reine, qui jouissaient de la plus grande partie de ces dépouilles, avaient trop d’intérêt de les conserver pour en presser la remise. Les déprédations de l’intérieur étaient les mêmes et le mal, en un mot, allait toujours croissant : le roi le sentit et crut qu’une assemblée d’états généraux remédierait à tout ; elle fut convoquée.

Le duc d’Orléans, ni son frère n’y parurent ; ayant été prévenus que le duc de Bourgogne et la reine travaillaient encore à leur ruine, ils crurent prudent de s’absenter. Mais pendant que le duc Jean cabalait contre ce parti, ceux qui le composaient travaillaient aussi contre le sien. Un des chambellans de ce duc avait, dit-on, fait le complot de l’assassiner, et ce n’était qu’aux soins fructueux de la reine qu’était due la découverte de ce projet. Le crime sent le besoin qu’il a de s’étayer ; il reconnaît son impuissance, s’il ne s’assure de complices qu’un même intérêt fixe à lui ; mais quelle force il acquiert quand il en est là !

Voilà ce qui rendit si funeste à la France la réunion d’Isabelle et de Jean. Un des résultats de cette association rejaillit sur le malheureux Des Essarts : ainsi que se l’était promis la reine, il fut extrêmement maltraité dans cette assemblée générale ; on le chargea de tous les délits dont un homme riche court toujours le risque d’être accusé. Quand il fut question de ses comptes, il se trouva en arrière de plus de quatre millions, somme excessive pour lors ; cet argent ayant été délivré à la reine et au duc, il devenait de ce moment bien difficile au déprédateur de pouvoir se justifier. Trop convaincu de l’extrême puissance de ces deux personnages, il était bien loin du désir de les compromettre : c’était où l’attendait Isabelle, dont le caractère atroce préparait au coupable un supplice de plus, par l’impossibilité où elle avait mis ce malheureux de jamais se réhabiliter. Tous les princes se prononcèrent contre lui, et de ce moment Des Essarts dut comprendre que sa perte était résolue. Il envoya cinq cents hommes armés pour s’emparer du pont de Charenton, par lequel il voulait se retirer ; mais on les fit prisonniers et le prévôt dès lors n’envisagea plus son salut que dans la fuite ; il sortit déguisé de Paris et fut s’enfermer à Cherbourg, dont il avait le commandement.

Cependant, le dauphin envieux de régner et par conséquent jaloux du pouvoir que lui dérobait chaque jour son beau-père, ne perdait pas une occasion d’entraver ce pouvoir et d’humilier celui qui l’usurpait. Ce ne fut pas sans chagrin et sans inquiétude qu’Isabelle et le duc s’en aperçurent : leur liaison se trouvant cimentée par le double besoin qu’ils avaient l’un de l’autre devait acquérir bien plus de force.

Sur ces entrefaites, Henri d’Angleterre mourut et son fils Henri V lui succéda.

Ce prince qui siégea sur le trône de notre patrie a trop d’affinité avec les affaires de la France, pour qu’on ne nous permette pas de le peindre sous les deux physionomies qu’il offrit à l’Europe.

Rien de hideux sans doute comme celle que présenta sa jeunesse. Fortement organisé, Henri avait reçu, par le seul effet de cette vigoureuse organisation, les penchants les plus vils et les plus à redouter ; mais les passions ressemblent à certaines plantes, qui sous le caractère le plus malfaisant, dérobent bien souvent de merveilleuses propriétés. Le jeune Henri volait sur les grands chemins, il y assassinait les passants, il insultait aux lois qui réprimaient le crime et protégeait celui qui le commettait. Les sots ne virent dans un tel caractère qu’un individu dangereux à la société ; le seul homme pénétrant dut y découvrir le germe de toutes les grandes qualités : où le peuple ne vit qu’un brigand, le sage observateur devina le héros ; il comprit que les modifications de cet être bizarre, dirigées de la perversité sur l’innocence, n’auraient bientôt plus que le caractère utile au bien de son peuple. La prédilection de Henri pour les complices de ses égarements peut s’expliquer par la protection qu’il accorda depuis à ceux qui chérirent les vertus qui firent oublier ses écarts : sa cruauté devait se changer en une justice sévère et sa témérité en valeur. Le désir de s’illustrer de quelque manière que ce pût être en acquérant de la rectitude devenait la source de mille vertus, et sous les formes d’un scélérat, en un mot, Henri pouvait devenir un grand homme.

C’est ce qui arriva : aucune sorte de ressemblance entre la première moitié de la vie de ce prince et la seconde ; et, comme rien n’échappe à l’examinateur, tout pouvait se prévoir, parce que, dans une âme comme celle-là, les faveurs de la fortune épurent les goûts. Que de vices on réprimerait par les seuls moyens de l’honneur, au lieu de les nourrir par l’avilissement ! mais il faut des hommes pour cela, et ils sont si rares !…

À tout ce que nous venons de dire, se joignait chez Henri le physique le plus mâle et le plus agréable, de la finesse et de l’instruction, enfin tout ce qui pouvait réunir aux qualités d’un prince aimable celle d’un monarque fait pour illustrer à la fois son siècle et sa patrie.

Henri ne fut pas plus tôt sur le trône qu’il fit une sorte d’amende honorable de toutes les fautes de sa jeunesse et qu’il les répara par des traits faits pour l’immortaliser.

On conviendra qu’un tel prince pouvait devenir redoutable dans les circonstances où l’on se trouvait.

Mais revenons un moment aux affaires de l’intérieur en attendant de voir jouer à ce prince le rôle important qui le distingua.

Des Essarts, tout entier au dauphin, travaillait à lui ménager un traité d’où il pût ensuite avec des forces suffisantes, composer avec la reine et le duc de Bourgogne. En conséquence de ce projet, cet intrigant s’était emparé de la Bastille. Le duc de Bourgogne n’eut pas plus tôt appris cette démarche que, démêlant les projets du prévôt, il ne s’occupa plus que d’en prévenir les suites. Armant tous les scélérats de la capitale sans cesse à ses ordres, il fit aussitôt arrêter Des Essarts au sein même de la place dont il s’était emparé, et le fit conduire à la Tour du Louvre. Encouragé par ce premier pas, les séditieux s’élancent au palais qu’habite le dauphin, ils en enfoncent les portes, saisissent les amis et les domestiques de ce prince qu’ils courent renfermer dans l’hôtel même du duc de Bourgogne, massacrant en chemin tous ceux qui ne veulent ou ne peuvent les suivre.

« Beau-père, dit le jeune prince, dès qu’il revit le duc Jean, c’est à vous que je dois le traitement ignominieux que je viens d’éprouver, mais j’espère que la fortune ne vous sera pas toujours aussi favorable. — Sire, répondit le duc, je n’ai part à rien de tout cela, et vous me rendrez justice quand votre colère sera apaisée. »

Afin de mieux cacher ses manœuvres, Isabelle avait fortement recommandé aux séditieux de se transporter de suite chez le duc de Bourgogne pour le contraindre à rendre Des Essarts. C’était précisément ce que voulait le duc qui, après avoir eu l’air de se faire prier, finit pourtant par livrer le prévôt que l’on conduisit sur-le-champ au Châtelet.

« Eh bien ! écrivit le même soir Isabelle au duc, ne vous avais-je pas assuré que ce traître retomberait bientôt dans nos mains. Je devais le tirer des vôtres pour le placer dans celles de la justice : il y est, c’est à la mort qu’il faut l’envoyer maintenant[9]. »

Toutes les richesses que le prévôt avait enfouies à la Bastille, lorsqu’il s’y était enfermé, furent saisies au profit de ceux qui voulaient lui ravir le jour[10].

Le dauphin se trouva lui-même et sans s’en douter prisonnier dans le lieu où l’on venait de le conduire.

Les pillages, les massacres, les violences de tout genre recommencèrent dans Paris, et furent sanctifiés dans les chaires.

De ce moment, les factieux font reparaître la croix de Bourgogne ; leurs couleurs redeviennent les signes de la révolte.

À l’instant, ce symbole de terreur est adopté dans la capitale ; on sollicite auprès des chefs de la sédition la faveur d’en être décoré et le refus de cette grâce devient un signe de proscription.

L’insolence fut portée plus loin : le duc et la reine dressèrent une liste de proscription que les rebelles eurent l’effronterie de faire signer au roi et au dauphin, en saisissant à la minute même plus de trente personnes qui se trouvaient chez l’un et l’autre de ces princes ; le reste fut cité à son de trompe. Les portes de Paris se fermèrent et des corps de gardes s’établirent partout.

Toujours plus entreprenants à mesure qu’ils obtenaient ce qu’ils désiraient, les mutins se portèrent à nouveau chez le roi. Un carme, qui leur servait d’orateur, demanda justice de tous les torts du gouvernement envers le peuple ; il exigea la remise de tous ceux qu’avaient fait enfermer les Orléanais, et alors la foule qui avait suivi l’orateur jusque dans les appartements du roi appuya par de grands cris tout ce qu’on venait de dire en son nom.

Mais ce fut ici que la fausseté du duc et de la reine parut dans tout son jour. Pour se mieux déguiser l’un et l’autre, pour mieux voiler la part qu’ils avaient à ces troubles, le duc se montra lui-même à la populace en l’invitant à se retirer ; et ne rapportant qu’une réponse vague et insignifiante, il retourne la donner au roi en lui présentant une nouvelle liste, sur laquelle la reine avait eu soin, pour mieux tromper, de comprendre son frère, son confesseur et plus de vingt femmes de sa cour, tous gens dont elle avait sans doute à se plaindre et que par cette détestable fourberie elle sacrifiait à sa vengeance. Toutes ces personnes liées deux à deux et sans distinction de sexe furent conduites à la conciergerie, et l’on contraignit le roi à leur nommer des juges.

De ce moment, les iniquités redoublèrent et le crime échappé des gouffres infernaux parcourut tous les quartiers de la ville, précédé des Gorgones agitant leurs couleuvres.

On arrêtait tous ceux qui n’étaient pas du parti bourguignon, et sans autre forme de procès, on leur écrasait la tête dans les prisons avec les mêmes chaînes dont ils étaient liés ; le corps s’enlevait et l’on appuyait sur le même mur l’ami, le frère ou le parent du malheureux qu’on venait d’emporter, et le sang ou la cervelle du cadavre inondait les flancs de celui qui prenait sa place[11].

Le parti triomphant n’oubliait pas, comme cela se pratique ordinairement, de comprendre tous ses ennemis dans les listes funèbres, et le glaive de la justice n’était plus que le stylet de l’assassin.

Le peuple ainsi déchaîné voulut faire des lois ; c’est un des caprices de l’anarchie : elle crut de tous temps devoir légitimer ses insurrections par l’apparence de l’équité.

On donna à ce comble d’inepties le titre d’ordonnance cabochienne, du nom de Caboche, l’un des chefs les plus accrédités de l’insurrection. Le roi fut sommé de le faire enregistrer par son Parlement ; il le fit.

Isabelle, toujours l’idole des perturbateurs, retirait des sommes immenses de tous ceux qui consentaient à se racheter par des rançons ; elle partageait avec le duc, et ces sommes étaient destinées au payement de ceux qui les servaient.

Ne perdant jamais de vue ses projets de vengeance, Isabelle sentit que c’était ici le moment de terminer enfin le sort de ce malheureux Des Essarts, et d’après cela, par ses ordres, on le sortit de la conciergerie, étroitement lié sur une claie ; on le traîna de cette manière jusqu’à l’hôtel de la Coquille, rue Saint-Denis ; là, on le fit monter dans une charrette. Se flattant toujours de sa délivrance, il souriait au peuple, dont il traversait les flots ; mais son espoir s’évanouit d’une bien cruelle manière quand il se vit en face du lieu de son exécution. Après lui avoir coupé la tête, on la porta au bout d’une lance, et ses restes furent déposés à Montfaucon.

Au sein des douceurs de la vengeance, les deux monstres, dont nous traçons l’histoire, étaient trop bons politiques pour ne pas sentir que cette ivresse ne pouvait être longue, et que celui qui déchaîne le tigre finit souvent par en être dévoré.

Le dauphin, prisonnier dans son propre palais, nourrissait en silence la haine la plus invétérée pour ses tyrans. Ne respectant plus ce malheureux prince, on portait à son égard l’oubli de tous les devoirs au point de l’insulter publiquement.

Jaqueville, qui commandait dans Paris, faisant un soir sa ronde avec le guet, entendit quelque bruit à l’hôtel Saint-Paul ; il entre brusquement dans le salon du jeune prince qui dissipait son chagrin au milieu d’un petit bal qu’il donnait à sa cour. Jaqueville eut l’audace de lui reprocher sa conduite : le dauphin, justement irrité, tire sa dague pour l’en frapper, et l’eût infailliblement renversé, sans la cotte de mailles dont était couvert ce brigand. Le duc de Bourgogne paraît et rétablit l’ordre, mais en se gardant bien de blâmer Jaqueville. Ce comble d’insulte décida le dauphin à traiter de suite avec d’Orléans. Le résultat de ces négociations fut le projet d’une assemblée à Pontoise, à laquelle le duc de Bourgogne fut invité : il y vint dans l’appréhension où il était qu’on ne démêlât sa conduite souterraine. Il était persuadé d’ailleurs que le dauphin, retenu par le peuple, ne pourrait y venir, et que toutes les apparences de paix seraient aussitôt évanouies que conçues : tout allait pourtant s’arranger lorsque la reine ayant secrètement réuni les chefs de son parti leur parla de la manière suivante :

« Braves soutiens de la bonne cause, leur dit-elle, pourriez-vous être un moment la dupe de ce qu’on trame aujourd’hui contre nos intérêts communs ? La dernière fois que je vous rassemblai, je vous le fis sentir ; mais aujourd’hui les dangers croissent à un point qui doit fixer toute notre attention.

« Ce projet de pacification imaginé, désiré par le dauphin, n’est dû qu’à l’humeur que lui donna dernièrement l’exécution des ordres donnés à Jaqueville, commandant de Paris.

« Mon fils croit se soustraire aux rigueurs qu’une sage administration nous oblige d’énoncer contre lui. En cessant d’être du parti du duc de Bourgogne pour embrasser celui du duc d’Orléans, cet insensé jeune homme ne se doute pas qu’il deviendrait lui-même la première victime immolée par ces factieux dont le besoin, que dis-je, dont le devoir serait de se venger. Et que vous arriverait-il, mes amis, si cette faction sanguinaire se rendait maîtresse de Paris ? Ils dirigeraient sur vos seins les poignards que leur fait redouter votre valeur ; les places se couvriraient d’échafauds ; rien de sacré pour de tels scélérats : l’incendie, le meurtre, le pillage, les violences de tout genre, voilà les représailles qu’ils exerceraient, n’en doutez point ; voilà les sinistres tableaux qui se multiplieraient sous vos yeux, et vous auriez à la fois à pleurer avec ces désastres et l’espoir du sort heureux qui vous attend, et la perte inévitable de ce souverain que vous aimez… celle de ce malheureux enfant qui doit lui succéder un jour, et dont ces monstres extermineraient inévitablement la race entière. Croyez que les rigueurs que nous nous sommes vus contraints d’employer jusqu’à ce moment n’ont eu pour objet que de prévenir leur rage en paraissant aussi méchants qu’eux. Si nous avons fait couler un peu de sang, c’est pour en épargner les flots qu’ils auraient versés du vôtre, et l’on ne doit pas nous imputer à tort ce qui ne se fait que pour vous garantir.

« Vertueux défenseurs du bon droit, évitez les fléaux que je vous ai déjà peints ; je vous proteste qu’ils sont à la veille de vous écraser. Prenez sur-le-champ une connaissance entière des articles qui doivent être la base du pacte projeté, et faites d’après cela tout ce qui vous sera suggéré par votre sagesse, en ayant soin de faire toujours marcher la méfiance, près des résolutions que vous prendrez. Elle seule peut vous préserver des pièges qui vous sont tendus, et dont je ne puis vous garantir que par les sages conseils que je vous donne et toutes les forces que Dieu mit dans mes mains pour soutenir la bonne cause. »

Il n’en fallut pas davantage pour électriser toutes les têtes ; les séditieux s’attroupèrent. Dès que les chefs leur eurent rapporté les paroles de la reine, ils volèrent à l’hôtel Saint-Paul, demandèrent insolemment qu’on leur communiquât les articles de la pacification projetée. Sur le refus qu’on leur en fit, ils s’emparèrent de l’Hôtel de Ville et délibérèrent ; mais Jaqueville, occupé ailleurs, n’était plus à leur tête ; les délibérations traînèrent et s’affaiblirent par cette lenteur.

Le duc de Bourgogne, croyant ici qu’il y aurait de l’imprudence à résister au traité que l’on proposait, en accepta les clauses contre l’avis de la reine. Elle lui reprocha longtemps cette lâcheté, que le duc porta plus loin, puisque lui-même fut trouver le dauphin, se réunit à tout ce qui composait le parti de son gendre et décida par ce moyen la paix, aussitôt proclamée dans Paris, au grand déplaisir d’Isabelle, qui ne tarda pas à s’apercevoir des désagréments qu’allait lui faire éprouver ce qu’elle appelait l’impardonnable faiblesse du duc.

Toutes les dames de sa cour, de l’arrestation desquelles on doit se souvenir, furent remises en liberté, et les places envahies par les chefs du parti bourguignon furent rendues à ceux à qui on les avait prises.

Le duc Jean, très fâché cependant de voir aller les choses si loin, et très surpris d’une vigueur à laquelle il était loin de s’attendre, essaya, pour s’en dédommager, de faire enlever le roi pendant qu’il se promenait au bois de Vincennes ; mais le coup ayant manqué, il ne resta plus au duc d’autre moyen de consolation que de se rapprocher de la reine et d’aviser avec elle à de nouvelles manœuvres pour rétablir une autorité qu’un moment d’humeur ou de bonne foi venait presque de faire perdre à tous les deux ; mais il fit une nouvelle faute en s’éloignant de Paris ; par cette démarche il abandonnait à leur sort ceux qui avaient embrassé son parti. Il n’eut pas plus tôt disparu que les proscriptions recommencèrent. Le frère du fameux chirurgien de Troyes, longtemps à la tête des factieux, sut trouver sur un échafaud la digne récompense de ses scélératesses : on saisit chez lui une nouvelle liste de proscription qui condamnait à mort un nombre infini de bons citoyens. Ainsi les troubles, loin de se calmer, ne firent que changer de moteurs. Le lieu de la scène fut toujours Paris ; mais les personnages qui devaient y figurer ne furent plus les mêmes. On ne parla plus des Bourguignons, ce furent les Armagnacs, tout aussi féroces, qui reparurent. On changea les livrées du crime et elles furent toujours adoptées par ceux qui depuis longtemps, soit dans un parti soit dans l’autre, ne cessaient de se repaître d’horreurs.

Pour servir le duc de Bourgogne et ses adhérents, la reine n’avait rien de mieux à faire que de rester à la cour, où elle pourrait prévenir ou maîtriser le flux et le reflux de événements toujours renaissants. Le mariage de Louis de Bavière, son frère, devint un prétexte légitime à l’espèce de neutralité qu’elle eut l’air de garder pour lors.

Ce mariage fut célébré avec toute la pompe que les circonstances permettaient : il y eut des fêtes, et des tournois où parut le bon Charles, toujours charmé de ce qui pouvait flatter son goût dominant pour les armes.

Le lendemain de ces réjouissances, on crut devoir assurer la tranquillité de la cour, et le parti d’Orléans se trouvant être celui du jour, on se défit par la mort ou par la prison de tout ce qui pouvait faire encore appréhender quelque chose de la part des Bourguignons. Les sermons changèrent de texte ; ceux qui les prononçaient eurent ordre de se conformer à l’esprit du moment ; il fut même défendu aux poètes de chanter autre chose dans leurs vers que ce qui la veille avait été frappé d’anathème, et la bassesse des serviteurs de Dieu, ainsi que celle des favoris d’Apollon, se prêta à tout ce qu’on voulut : non qu’ils eussent tort cette fois de célébrer le parti du monarque, mais n’en avaient-ils pas eu un bien certain de le dénigrer la veille ?

Quant au duc de Bourgogne, retiré dans ses états de Flandre, il marchait à visage découvert. Tout en assurant le roi de sa parfaite soumission et du désir qu’il avait de se conformer aux articles du traité, il nourrissait l’espoir de tous les partisans qu’il avait laissés dans Paris, en ne cessant de recommander à la reine de continuer de le servir et qu’il réparerait bientôt ce qu’elle appelait ses fautes. D’un autre côté, il se liait sourdement avec l’Angleterre, qui venait de lui envoyer des députés pour traiter du mariage du prince de Galles avec sa fille ; mais toutes ses manœuvres furent connues de la cour et ne servirent qu’à fortifier la méfiance qu’on avait de lui.

Voulant néanmoins ménager la reine et réparer sa première sottise, ainsi qu’il l’avait promis, il ne cessait de servir chaudement les intérêts de sa complice. En conséquence, il lui fit envoyer par Henri V des ambassadeurs pour décider le mariage de ce monarque avec Catherine de France, sixième fille d’Isabelle.

Ce fut à peu près vers ce temps que cette femme perfide usa d’un des moyens les plus fourbes et les plus adroits qu’il fût possible d’inventer pour décider le duc de Bourgogne à rentrer dans Paris.

Quatre jeunes seigneurs fort aimés du dauphin, quoiqu’ils fussent tous quatre Bourguignons, furent soupçonnés de corrompre les mœurs du jeune prince. Sur ces avis, la reine, de sa propre autorité, se transporte aussitôt au Louvre et fait arrêter les quatre amis du dauphin, en ajoutant au prétexte que nous venons d’alléguer celui que ces jeunes seigneurs devenaient suspects à la cour, puisqu’ils étaient de la faction du duc Jean. Le dauphin furieux s’empressa de se plaindre au duc de Bourgogne, et dans une lettre pleine d’amitié, il lui dit que, dans l’obligation d’adopter un parti, il préférait toujours celui de son beau-père.

Le duc s’empressa d’armer avec la résolution de s’approcher de la capitale ; ce qui, comme on le voit, ne ressemblait plus qu’au désir le plus franc et le plus sincère de servir son gendre ; mais on ne fut pas la dupe de cette nouvelle feinte, et provisoirement il lui fut défendu d’approcher de Paris. Jean se moqua des proclamations qui n’étaient pas même écoutées dans le lieu où elles étaient faites, et il continua de marcher. Dès lors, on prit des précautions afin de pouvoir au moins se défendre : onze mille hommes s’armèrent, dans Paris, et le chancelier d’Aquitaine déclara publiquement que la démarche du duc de Bourgogne n’était qu’une trahison nullement approuvée du dauphin. Ce mensonge ne prit pas plus que le reste.

Toutes les apparences du trouble et du désordre reparurent dans ce moment. À l’exception des portes Saint-Jacques et Saint-Antoine, toutes les autres se refermèrent, et le Parisien n’ayant fait que changer d’oppresseur, frémit en voyant la discorde planer encore sur ses foyers.

Le duc de Bourgogne s’avança jusqu’à Saint-Denis qu’il ravagea, quoiqu’il eût promis le contraire ; il envoya de là un héraut d’armes, chargé de lettres pour la famille royale. Le comte d’Armagnac se chargea de la réponse : il fit dire au duc qu’il ne répondait pas de sa vie s’il s’approchait de la capitale ; mais Jean sans Peur ne devait pas être effrayé d’une telle menace : aussi n’en tint-il aucun compte.

Il vint jusqu’à la porte Saint-Honoré, se flattant que bientôt les habitants de Paris suppléeraient au petit nombre de soldats qu’il avait amenés. Il porta l’audace plus loin, et toujours secrètement favorisé par la reine, il fit afficher dans Paris que rien n’égalait la loyauté de ses projets, et qu’il n’avait absolument d’autre intention que celle d’adoucir l’esclavage dans lequel Leurs Majestés et le dauphin étaient retenus par les Orléanais. On ne répondit à ses fanfaronnades qu’en le déclarant ennemi de l’état ; ce fut tout le Parlement à cheval, le chancelier à leur tête, qui proclama cette résolution dans la ville, sorte de formalité qui certes aurait déridé les fronts sans l’importance du sujet[12].

Le silence des Parisiens, et la multitude des précautions employées déterminèrent enfin le duc de Bourgogne à se retirer après s’être montré une dernière fois en bataille entre Chaillot et Montmartre. On voulut le poursuivre, mais en vain ; on ne put l’atteindre et il mit des garnisons dans toutes les places qui pouvaient assurer ou sa retraite ou son retour.

L’esprit de la capitale changeait insensiblement. Par le moyen de ses émissaires, Isabelle faisait sentir aux citoyens de cette ville qu’ils ne gagnaient rien aux variations qui venaient d’avoir lieu ; que si ces troupes que l’on voyait perpétuellement circuler dans les rues ne faisaient pas de mal aux habitants, il était bien certain qu’elles finiraient toujours par s’en faire bien payer ; que sous la faction bourguignonne, le citoyen lui-même était soldat et qu’à présent le soldat devenait nécessairement l’ennemi du citoyen. On commença donc à regretter l’ancien joug. La cour, de son côté, ne cessait de conjurer contre le duc : dans une assemblée présidée par le dauphin, dans laquelle la reine crut devoir paraître, afin de tout voir, de tout entendre et de prévenir le duc Jean, si le cas l’exigeait, on décida qu’il fallait faire une guerre à mort à ce duc, et en conséquence, on déclara traître envers le roi tous ceux qui ne partageraient pas cette opinion. On leva une armée de deux cent mille hommes, à la tête de laquelle le roi voulut marcher. Les écharpes orléanaises reparurent et, ce qui déplut souverainement à tous les gens raisonnables, ce fut de voir confondre les intérêts du souverain avec ceux d’une faction, comme si le roi de France ne s’avilissait pas en arborant les couleurs d’un de ses vassaux.

Ce fut alors que le duc d’Anjou, pour se soustraire à ces nouveaux troubles, partit pour Tours, emmenant avec lui Charles, comte de Ponthieu, troisième fils du roi, qui venait d’épouser Marie d’Anjou, sa fille, et qui régna depuis sous le nom de Charles VII.

Tous les préparatifs que l’on vient de voir n’aboutirent encore qu’à de nouvelles précautions envers le duc de Bourgogne : par le traité d’Arras, il fut déchu d’une grande partie de ses prétentions. Des lettres d’abolition lui furent expédiées ; on lui enjoignit d’éloigner de sa personne tous les gens de sa suite suspects au roi et au dauphin, en se réservant de lui en nommer d’autres. Dès lors tous les signes de faction disparurent.

Ce fut dans ces circonstances que le nouveau roi d’Angleterre, Henri V, envoya des ambassadeurs en France, d’abord pour demander en mariage Catherine, sixième fille de la reine, ensuite pour réclamer la restitution de la Guyenne et du Ponthieu. Ces propositions furent rejetées ; mais l’Anglais, secrètement lié avec le duc de Bourgogne et la reine, s’y prit bientôt d’une manière différente.

Profitons du moment de repos que nous laissent les événements pour porter un dernier trait de lumière sur Isabelle et sur le duc de Bourgogne, complice de toutes les horreurs dont cette mégère souilla le trône.

On sait à quel point dans ce siècle d’ignorance la religion ou plutôt la superstition servait de voile ou de prétexte aux crimes les plus monstrueux : il suffisait qu’un confesseur les tolérât ou les conseillât, pour qu’ils fussent de ce moment regardés comme des inspirations divines. Isabelle, mécontente de la doctrine de son premier directeur, venait, comme on le sait, de l’envelopper dans une des dernières proscriptions. Le duc de Bourgogne lui conseilla le sien : c’était l’évêque d’Arras, jadis dominicain, grand sectateur de ce système affreux du tyrannicide, maxime infernale, dont s’était si bien servi le cordelier Jean Petit pour justifier le duc de Bourgogne de l’assassinat de d’Orléans.

La doctrine de ce prélat comme celle du cordelier n’attachait aucune idée de crime au meurtre d’un tyran : or, l’on juge à quel point devait plaire au duc Jean et à la reine le soutien et le défenseur d’un sentiment aussi funeste en conséquences, et l’on concevra que de ce moment la reine devait accepter un tel guide. Tous ses remords disparurent aux pieds de ce nouveau directeur, et fortement encouragée par ce prélat sanguinaire, elle ne pensa plus qu’à de nouveaux forfaits. C’était près de l’évêque d’Arras, qu’était dernièrement venu se réfugier Caboche, zélateur outré de la reine et du duc, et que nous avons vu porter les armes et dicter des lois au sein des troubles que nous venons de peindre. Quelque minutieux que paraissent ces rapprochements et ces détails, le lecteur trouvera cependant qu’ils jettent du jour sur la monstruosité des événements que nous avons tracés et dont il nous reste encore à parler.

Et voilà comme, dans ces temps obscurs, la plus sainte des religions servait d’abri et même d’excuse, aux actions qui lui font le plus d’horreur. Cessons donc de lui attribuer tous les crimes auxquels elle a servi de prétexte : c’est aux abus de ses principes et non pas à ses principes aussi purs que sacrés que doit s’en prendre l’homme assez sage pour ne jamais raisonner que d’après son esprit et son cœur.

Le traité d’Arras, néanmoins, ne calma rien en France, et les deux partis continuaient de s’irriter réciproquement et de se faire en secret tout le mal qu’ils pouvaient : par leurs discours incendiaires les prédicateurs, au lieu de concilier les esprits, les aigrissaient toujours davantage parce que le prêtre est toujours fort différent de la religion ; que celle-ci prescrit des devoirs dont l’autre abuse toujours ; que la religion, en un mot, est pure et que celui qui la professe ne l’est jamais autant qu’elle.

Isabelle ne cessait de conserver au duc de Bourgogne le plus de partisans qu’elle pouvait dans la capitale, et de refroidir dans les habitants de cette ville l’attachement que plusieurs d’entre eux conservaient encore pour le duc d’Orléans. Nous avons vu l’adresse et la fausseté qu’elle avait mises en usage pour que le dauphin se prononçât toujours en faveur de son beau-père. Une nouvelle conspiration tramée par elle devint la preuve de l’indissolubilité de ses liens avec le duc Jean. Par l’entremise de son favori Bois-Bourdon, elle avait suscité dans Paris une émeute dont le succès aurait pu devenir très dangereux.

Tout le quartier des Halles, au son de la grosse cloche de Saint-Eustache, devait prendre les armes, mettre le dauphin à leur tête et massacrer tous les Orléanais.

« Je vous confie le soin de cet événement, avait-elle dit au dépositaire de ses plus secrètes pensées[13] ; nous serons tranquilles ici que quand le duc de Bourgogne y aura conduit le roi d’Angleterre et que ce prince, marié à l’une de mes filles, me regardera comme le soutien et le premier mobile de son gouvernement. Le dauphin, toujours inconstant, flotte alternativement d’un parti à l’autre ; aussi faible que son père, il est incapable de régner et ses perpétuelles oscillations éterniseraient nos malheurs ; servons donc le duc de Bourgogne, il est l’ami de l’Anglais. Les projets que je vous révèle sont les siens, et nous devons tout faire pour leur réussite ; mais que le plus grand mystère couvre nos démarches ; beau doux ami, souvenez-vous que dans de telles entreprises, on ne réussit jamais sans mystère ; vos jours d’ailleurs seraient en danger, et je veux que vous vous conserviez pour Isabelle, que vous aimez, et qui n’a jamais cessé de vous être attachée. »

Elle lui expliqua ensuite toutes les branches du projet exécrable qu’elle avait conçu.

Bois-Bourdon se chargea de son exécution ; heureusement rien ne réussit ; tout fut déjoué par les ducs de Bourbon et de Berri ; mais jamais la reine ne fut soupçonnée.

Isabelle, pour en venir à son but, n’avait plus qu’un parti à prendre, et elle l’employa. À force d’intrigues elle fit revenir le dauphin à Paris, qui par les conseils de sa mère exigea que les princes allassent au-devant de lui. Elle avait arrangé qu’ensuite le dauphin les laisserait à Corbeil, où était le rendez-vous, et qu’il entrerait seul dans la capitale où rien dès lors ne l’empêcherait de se rendre maître de tout.

Pour cette fois la manœuvre réussit comme l’avait désiré cette perfide, et le dauphin une fois dans Paris, en fit fermer les portes aux princes, parmi lesquels se trouvait le jeune duc d’Orléans. Le duc de Berri eut seul la permission de rentrer ; on relégua les autres dans leurs terres.

Une fois là, disent les historiens, « le jeune prince eut la liberté de manifester son caractère altier, indécis, porté à la frivolité, à la profusion et au dérèglement ».

Au lieu de rendre grâce à la reine des conseils qu’il en avait reçus, il l’irrita par ses procédés, et de ce moment travailla lui-même à sa perte.

Isabelle, à la manie d’amasser de l’argent, joignait celle de cacher ses trésors en différents endroits, afin d’en mieux dérober la connaissance. Le dauphin découvrit ces endroits secrets ; il prit tout ce qu’il y trouva, et loin de se servir de ces richesses pour réparer les maux qu’avait causés leur acquisition, il ne les employa qu’à favoriser ses débauches et soudoyer ses favoris. Il relégua sa jeune épouse à Saint-Germain et acheva par ce dernier trait de perdre l’affection publique, qu’il ne regagna pas sans doute en déclarant qu’il voulait s’emparer de toutes les finances, et surtout quand on eut reconnu que ce projet destructeur n’était que pour fournir à ses immoralités de tout genre.

Père de la jeune dauphine, il était difficile que le duc de Bourgogne pût approuver une telle conduite : il envoya des ambassadeurs à son gendre, d’abord pour sonder le terrain, ensuite pour l’inviter à rappeler sa femme auprès de lui. Ces envoyés assurèrent même le dauphin que, sans son adhésion aux désirs de leur maître, jamais le duc n’accéderait au traité d’Arras. Le dauphin promit tout et n’accorda rien.

Il est essentiel d’observer ici que trois partis divisaient alors la France : celui d’Armagnac, celui de Bourgogne et celui du dauphin. Le roi seul n’en avait aucun : quels amis auraient pu rester à un malheureux prince que sa femme, ses oncles et ses enfants laissaient manquer même des premières choses nécessaires à la vie !

Le vrai patriotisme avait encore moins de partisans ; et en effet qui peut aimer sa patrie, quand tout tend à la déchirer ! Un petit nombre d’hommes vertueux sans doute ; mais ceux-là ne cabalent point, ceux-là n’ont point de factions ; les signes de la leur sont au fond de leur âme, et ils n’osent se les communiquer.



  1. 9e pièce du procès, fo 7.
  2. On sait que dans ces temps barbares les grands seigneurs étaient dans l’usage d’avoir des fous pendant leurs repas. Quelle idée doit-on se faire des mœurs d’un siècle où des hommes peuvent rire des infirmités de leurs semblables ! et quelle insolence de s’amuser d’un fou, sous le règne d’un prince aliéné lui-même ! Cette cruelle coutume ne cessa qu’au commencement du règne de Louis XV. Le comte d’Eu fut le dernier des princes qui eût encore un fou à son service.
  3. La mémoire de cet infortuné fut rétablie.
  4. 10e liasse, fo 9.
  5. Aujourd’hui Bicêtre.
  6. Pièce traduite du vieux français, annexée à celles dont le dépôt se trouvait aux Chartreux, près de Dijon, lieu de la sépulture des ducs de Bourgogne.
  7. Même liasse.
  8. 11e pièce du procès, fo 2.
  9. Même liasse que celle indiquée ci-avant, et dans laquelle se trouve la lettre du duc de Bourgogne à la reine.
  10. Plus un concussionnaire a de richesses et plus il met ses vols à couvert ; quelques-uns, on le sait, usent du moyen maladroit de faire acheter des biens par leurs maîtresses, ou par leurs parents, et voilà la concussion dénaturée ; mais pour la reconnaître il ne s’agit que d’examiner la fortune primitive du coupable, et dès qu’il ne peut légitimer les moyens employés pour l’accroître, il est clair que le supplément est volé.
  11. Voyez sur ces horreurs Villaret, le P. Daniel, Hainaut, etc.
  12. Il semble que l’austérité des prêtres de Thémis doive exclure de leurs cérémonies tout ce qui ne tient qu’à l’arbitraire, ou à la frivolité ; or, un homme à cheval ne donne point d’autre idée que celle d’un guerrier qui va se battre ou d’un désœuvré qui se promène, et il n’est aucune de ces physionomies qui n’altère la gravité du magistrat, organe ou dépositaire des lois de sa nation.
  13. 10e pièce du procès, fo 7.